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Ces grandes femmes qui ont enfanté des nations malgré leur handicap

Publié le mardi 27 mars 2018 à 15h44min

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Ces grandes femmes qui ont enfanté des nations malgré leur handicap

Dans le texte ci-après, un de nos lecteurs Moussa Sinon rend hommage à « …toutes les femmes d’aujourd’hui dont les limites du corps leur posent des difficultés particulières ».

L’Amicale du Burkina à Moncton(ABMON), organise chaque année un événement pour commémorer la Journée internationale des droits de la Femme. En marge des activités festives, il y a généralement une table-ronde qui aborde plusieurs aspects de la condition féminine au Canada et à travers le monde.

Cette année, lors de la table-ronde, Madame Sabie Paris, d’origine haïtienne a abordé un volet de la discrimination faite aux femmes qui n’est pas toujours mis sous le feu des projecteurs. Il s’agit de la condition de la femme handicapée physique. Selon Madame Sabie Paris, des études qu’elle a faites sur ce sujet révèlent que les femmes handicapées subissent plus d’injustices que leurs sœurs « normales ». Car l’on dit de ces dernières qu’elles ont « un corps capable » alors que celles qui vivent avec un handicap physique ont « un corps pas capable ». De fait, le nombre d’axes d’oppression pour ces femmes est souvent plus élevé et elles sont même discriminées par d’autres femmes…

Cette thématique mérite, à mon avis, qu’une attention particulière lui soit accordée. C’est pourquoi, interpellé par le sujet, je me suis dit que le prétexte est bon pour partager avec ceux qui le voudront, des informations que j’avais rassemblées sur la femme handicapée physique dans certaines régions de l’Afrique de l’Ouest précoloniale. Aussi ai-je voulu rendre un hommage à une brave femme qui a vécu à Yako, au Burkina Faso, avec un handicap mais avec une grande dignité.

Pour bien comprendre ce qui suit, il importe d’avoir en mémoire quelques principes généraux de la spiritualité africaine préislamique et préchrétienne car c’est elle qui dicte l’essentiel des règles de fonctionnement des sociétés de l’époque. Ainsi, Dieu est unique et est à l’origine de toute chose selon les croyances africaines anciennes. Il est juste et tend à produire l’équilibre en toute chose. Une naissance est un présent qu’il convient d’accepter puisqu’il vient de Lui. Tout ce qui se passe a forcément une explication divine même si celle-ci nous échappe. La société traditionnelle africaine s’est bâtie sur la base de cette spiritualité collective. Une spiritualité qui a donné naissance à une société grégaire qui n’exclut pas pour autant les individualités. Ainsi l’intérêt du groupe ou l’intérêt général est primordial.

Pour un homme, plus il a du succès dans la vie économique, plus ses possibilités de lier des alliances solides augmentent et accroissent ainsi son potentiel à prendre épouse soit à la suite de ses propres démarches ou par suite des propositions qu’il reçoit de telle ou telle famille. Faut-il le rappeler, une épouse est un acteur économique à part entière dans la société précoloniale. A cette époque et jusqu’à une date relativement récente, pour un homme, une femme est une alliée pour fonder une famille mais elle est aussi une alliée économique.

Au vu de ces préalables, une femme vivant avec un handicap physique avait droit à un traitement spécial quand vient le moment de fonder une famille.

La femme ayant un handicap physique ne se marie pas à n’importe qui car n’importe qui n’a pas la possibilité de renoncer à l’apport économique de sa conjointe. La société tient également à ce que le futur époux puisse bien s’occuper de cette personne et lui assurer une vie décente. Le handicap physique s’il est moteur et en fonction de son degré, devient particulièrement lourd pour le futur mari si celui-ci n’a pas un certain statut social. Le père d’une jeune fille ayant un handicap, peut placer sa fille sous la tutelle de son roi qui prend la charge ainsi de lui trouver un époux ou au moins de l’aider à accomplir sa destinée que l’on soupçonne différente.

Les femmes vivant avec un handicap étaient alors promises à des hommes riches ou à des rois ou d’autres dignitaires. A priori, ceux-ci ont la possibilité de leur garantir la protection et une vie acceptable. Ces hommes de pouvoir peuvent mettre aux services de ces femmes, des personnes pour les assister et les soustraire ainsi des corvées de la vie quotidienne dont elles n’en sont pas capables physiquement sinon que très péniblement.

La spiritualité africaine voulant que « Dieu ne donne jamais tout à une personne » laisse croire également que « Dieu ne prive jamais une personne de tout ». Ainsi la femme ayant un handicap physique ou une « laideur extrême » selon les codes ou canaux de beauté de son temps, a certainement d’autres atouts que Dieu, son Créateur, lui a offerts. Cette Lumière est bien souvent cachée mais les personnes qui sont proches peuvent éventuellement en bénéficier.

Pour un homme d’affaires cela peut être l’augmentation de la prospérité et pour un roi cela peut être synonyme d’élargissement de son pouvoir soit par soi-même ou par la descendance qui sortira de cette union. Cette croyance du plan divin de l’équilibre des choses se renforce par les mythes fondateurs de quelques nations dont voici pour mémoire deux illustres et fameux exemples.

La naissance de Soundiata Keita

Le fondateur de l’empire du Mali, Soundiata Keita a eu pour mère « Sogolon Kondé, appelée aussi Sogolon Kèdjou ou Kèdjougou (« Sogolon la vilaine »), Sogolon Koudouman (« Sogolon la verruqueuse ») ou encore Sogolon Kondouto (« Sogolon la bossue ») en raison de son apparence laide et difforme. Alors sous la tutelle du roi de Dô, elle a été préférée par deux chasseurs braves à qui le roi voulait gratifier en leur proposant de choisir une jeune fille à marier.

Les deux initiés à la spiritualité portèrent leur choix sur une fille qui n’était même pas en lice. En effet, Sogolon était restée dans sa case et n’avait pas daigné se présenter car estimant n’avoir aucune chance d’être choisie par de si braves chasseurs qui venaient de vaincre la « femme-buffle » qui terrorisait la contrée. Les deux chasseurs par la ensuite, sont allés proposer au roi de Niani, Fara-Koro Makan Kègni, d’épouser la jeune femme. Celui-ci accepta. De cette union naquit une fille et six fils dont Soundiata Keita, futur fondateur de l’Empire du Mali. Le plus grand État africain depuis la chute de l’Égypte. Dame Sogolon Konté joua un rôle dans l’éducation de son fils et dans l’accomplissement de sa destinée qui passait par une bataille victorieuse contre Soumahoro Kanté…

La naissance de Oubri

Presqu’au même moment, au Sud-Est du futur Mali (vers 1200), naissait Oubri le fondateur du Royaume de Ouagadougou qui va évoluer pour donner plus d’une dizaine d’autres royaumes se réclamant tous des mêmes ancêtres. Oubri est le bâtisseur de la nation moaga (singulier de Mossé) qu’il va fonder par des conquêtes militaires mais surtout par des alliances et des rassemblements stratégiques de peuplades diverses et variées. Cette nation métisse est née de la geste de Oubri qui est lui-même le fruit du métissage entre une fille Yonyoanga (singulier de Yonyonsé), peuple autochtone et un prince Nakomga (singulier de Nakonsé), descendant des cavaliers Dagomba, originaires du Nord Ghana actuel.

Les Yonyonsé étaient sous la domination des Dogons notamment qui les usaient dans des conditions proches de l’esclave pour alimenter leurs industries. C’est en rêvant de se libérer de cette servitude, que naquit une fille avec un gros handicap physique et d’une laideur dont on parle encore. On l’appelait la reine barbue. C’est un signe. Dans la même période s’est installé un nouveau pouvoir au Sud du pays.

Ce nouveau royaume est constitué de guerriers conquérants qui accumulaient les succès militaires et diplomatiques. Pour les Yonyonsé, une alliance avec ce nouveau pouvoir pourrait les sauver de l’emprise de leurs oppresseurs historiques. Ainsi, une alliance par le mariage est proposée au puissant roi Zoungrana. Celui-ci devrait épouser alors une fille des Yonyonsé. A la grande surprise, c’est la moins attirante de leurs enfants qui a l’honneur de faire l’objet de cette alliance. Pog-toenga (« femme barbue ») devient alors une reine. Une reine qui hélas, ne voit jamais le roi pour consommer le mariage. Avisé par la situation, les parents de Pog-toenga (« femme barbue »), les Yonyonsé, reconnus pour avoir « la maitrise du vent » qu’ils savent diriger et utiliser à diverses fins, décidèrent d’intervenir.

Ce soir-là, un violent vent s’attaqua littéralement à la cour royale. Renversant au passage les toits de toutes les concessions surtout celles dans lesquelles tente de se réfugier le monarque. Fuyant de concession à concession, qui sont détruites tour à tour par le puissant tourbillon, Zoungrana finit par se retrouver dans une maison qui résistait au vent (ou qui était épargnée). La maison de Pog-toenga qui le temps d’une bonne tempête a afin vu son mari de roi qu’elle n’avait jamais pu attirer par son physique. Pog-toenga est devenue une reine cette nuit-là. Oubri est conçu. Le vaillant prince vaincra le chef des oppresseurs War-gond-ga (les - pour faciliter la lecture). Il libérera ses oncles maternels et passera des alliances qui huit siècles plus tard tiennent encore. Jusqu’à présent, périodiquement, des activités cultuelles ont lieu pour rendre hommage à la reine Pog-toenga.

En dehors de ces grandes dames aux destins légendaires, il nous a été donné de faire la connaissance d’une brave dame dans le quartier Ronsin, à Yako. Femme ayant un handicap et une grande dignité. Guirapäaga (« la femme de Guira ») c’est ainsi que l’on l’appelait ! Elle ne mendiait pas et ne mange que ce qu’elle a cuisiné elle-même ou ce que notre grand-mère mangeait. Femme exceptionnelle qui intriguait adultes et enfants par son attitude inhabituelle pour ne pas dire singulière.

Enfants, nous essayons de comprendre. Alors on nous explique que cette femme au physique si différent est en fait la veuve d’un riche commerçant du nom de Guira. Du vivant de celui-ci, il a fait de son mieux pour que son épouse, malgré son handicap ait une qualité de vie enviable par les autres femmes. C’est donc l’habitude de cette vie remplie de bonnes manières et de choix qu’elle poursuit quoique veuve.

Pourquoi elle ne mange pas la nourriture en vente ou servie à l’occasion des événements sociaux (baptêmes, mariages, funérailles) ? Elle trouve que ce n’est pas très hygiénique. Pourquoi alors fait-elle confiance à grand-mère Fatoum. Parce qu’elle trouve que son niveau d’hygiène est acceptable… Grand-mère Fatoum est aussi née Guira. Ainsi elle venait chez sa belle-sœur. Nous étions donc ses chéris comme le veut la tradition, les neveux sont copains et copines des épouses des oncles et grand-oncle maternels. Elle nous taquinait mais l’enfance nous empêchait d’avoir de bonnes répliques et sa différence physique n’aidait pas non plus à rendre cette « parenté à plaisanterie » très amusante.

C’est ainsi que vécu GuiraPâaga que nous voyions vieillir chaque année quand nous allions en vacances à Yako. Elle jeûnait deux mois pour le Ramadan. Un pour elle-même et l’autre mois pour son mémorable mari. Femme simple et d’une grande dignité.

Le brouillard spirituel dans lequel s’est retrouvée l’Afrique et qui se poursuit a fait perdre le génie et le sens des comportements. L’esprit africain est perdu ou est diffus. Ainsi, il y a une vague survivance, dans la croyance populaire, qu’une femme handicapée peut-être une source de chance. Cela est une des motivations de ces hommes, sans scrupules, qui abusent sexuellement des malades mentales car ils croient que s’accoupler avec elles leur apportera plus de chances et de réussites dans leurs projets. Eh oui, les malades mentales en grossesse ou avec des bébés que l’on voit dans les grandes villes en Afrique de l’Ouest sont souvent les victimes de ces criminels.

En somme, plusieurs d’entre nous sommes de fiers descendants de femmes ayant vécu avec un handicap. Ce petit texte est pour leur rendre hommage et à toutes les femmes d’aujourd’hui dont les limites du corps leur posent des difficultés particulières. Ensemble nous devons faire quelque chose pour les droits de ces personnes. La personne humaine va au-delà de l’enveloppe corporelle qui n’enlève en rien le caractère sacré de la personne. La différence fait partie de l’ordre normal des choses. Que ceux qui élaborent les politiques sociales en Afrique trouvent l’inspiration dans nos bases pour ensuite inspirer peut-être le reste de la famille humaine.


Moussa SINON
Mars 2018.
PS : Qu’en est-il du cas des garçons vivant avec un handicap. Pas assez d’éléments pour écrire pour l’instant. La légende dit que Soundiata Keita, 4e enfant de Sogolon Kondé, était d’abord paralysé. Oubri boitait, c’est le signe que les Yonyonsé ont retenu pour reconnaitre leur neveu parmi ses nombreux enfants du roi. Un des descendants de Oubri, Sannané n’est pas devenu Mogho Naaba car il avait un handicap. Nous ignorons la nature de celui-ci. Toutefois, le Royaume de Namentenga viendrait de « Na-minnegue-tenga », le « royaume de l’estropié »… A compléter et préciser par toutes les bonnes volontés…

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Vos commentaires

  • Le 27 mars 2018 à 16:20, par TPI En réponse à : Ces grandes femmes qui ont enfanté des nations malgré leur handicap

    ’Le brouillard spirituel dans lequel s’est retrouvée l’Afrique et qui se poursuit a fait perdre le génie et le sens des comportements. L’esprit africain est perdu ou est diffus’. Merci à l’auteur pour une si belle citation. Le texte est simplement sublime ! Et que dire de sa richesse historique !

  • Le 27 mars 2018 à 18:46, par Tilaï En réponse à : Ces grandes femmes qui ont enfanté des nations malgré leur handicap

    Si vous pouviez animer une rubrique d’un quotidien de la place sur "Vie de femme" (sur uniquement la femme handicapée, vous risquez, plus tard, de ne pas avoir de matière.)...
    En tout cas, j’ai eu beaucoup de plaisir à vous lire.
    Dieu continue de vous inspirer. Amen !

  • Le 27 mars 2018 à 22:49, par Ce que je pense En réponse à : Ces grandes femmes qui ont enfanté des nations malgré leur handicap

    Morceaux choisis :
    « Les Yonyonsé étaient sous la domination des Dogons notamment qui les usaient dans des conditions proches de l’esclave pour alimenter leurs industries. ». C’est dire qu’ils étaient faibles et vulnérables.
    « Avisé par la situation, les parents de Pog-toenga (« femme barbue »), les Yonyonsé, reconnus pour avoir l« a maitrise du vent » qu’ils savent diriger et utiliser à diverses fins, décidèrent d’intervenir. ». Curieusement ici, ils semblent dotés de pouvoirs qui les rendent invincibles.
    Sauf si quelque chose m’a échappé, j’y vois une contradiction ou, tout au moins, une absurdité dans le récit.
    Merci de m’éclairer.

  • Le 27 mars 2018 à 22:55, par KIENDREBEOGO issaka tel 70189806 En réponse à : Ces grandes femmes qui ont enfanté des nations malgré leur handicap

    Nos ancêtres connaissaient donc DIEU avec une spiritualité collective sans discrimination ni sectaire, ni individualité prononcée et de division ; et voilà, dominés spirituellement,politiquement,économiquement et culturelle ment, les africains ont perdu leurs racines. La seule religion sans violences ni contraintes est celle traditionnelle ; les autres dites révélées n’ont fait que copier certains préceptes et principes de la mère des religions en y ajoutant la violence,la division et le sectarisme etc......jusqu’au djiadisme .Que Dieu nous sauve.amina .

  • Le 28 mars 2018 à 10:39, par Nongomalgré En réponse à : Ces grandes femmes qui ont enfanté des nations malgré leur handicap

    Très bonne leçon d’histoire et surtout de moral !

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