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L’adaptation au changement climatique dans les systèmes de production agropastoraux : cas du village de Tibtenga au Burkina Faso

Publié le lundi 29 janvier 2018 à 10h29min

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L’adaptation au changement climatique dans les systèmes de production agropastoraux : cas du village de Tibtenga au Burkina Faso

Les scénarii futurs du changement climatique pour l’Afrique de l’Ouest, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 2007), indiquent que la variabilité climatique, qui a cours actuellement, risque d’augmenter et de s’intensifier. Au Burkina Faso, les prévisions climatiques indiquent une augmentation préoccupante des températures moyennes de 0,8°C à l’horizon 2025 et de 1,7°C à 2050 ainsi qu’une diminution de la pluviométrie de 3,4% en 2025 et 7,3% en 2050 (CONEDD, 2007).

Si ces tendances sont inquiétantes pour les communautés humaines en général, elles le sont davantage pour celles situées en milieu rural dans les zones arides et semi-arides, où les moyens de subsistance sont plus dépendants des ressources naturelles. La variabilité climatique récurrente expose davantage ces zones à une insécurité alimentaire chronique. Face à cette situation, les populations locales, de manière spontanée, entreprennent de nombreuses actions d’adaptation (Billaz, 2012). Dans beaucoup de cas, comme celui de la région du nord au Burkina Faso, les populations sont accompagnées dans leurs efforts par de nombreux acteurs provenant tant des services étatiques, que des secteurs privés, ONGs, Projets, etc.. Cependant, force est de constater que le suivi-évaluation classique basé uniquement sur la documentation des changements d’état, se trouve inopérant pour renseigner sur toutes les performances des activités qui sont conduites.

L’adaptation au changement climatique est un processus évolutif et incertain (Bours, McGinn et Pringle, 2014) qui se met en place sur un temps long.

En outre, l’ampleur, la profondeur et le caractère pérenne des impacts résultants des activités d’adaptation sont tributaires de l’engagement des populations cibles. Earl Sarah et al (2002) montrent, en effet, que dans la chaîne des résultats, si les intrants sont apportés par les projets/programmes, l’adhésion des communautés, perceptible à travers les évolutions dans leur comportement, devient fondamentale dans la réalisation des effets et des impacts.

Dans une perspective d’adaptation au changement climatique, la question cruciale qui est posée est celle de la durabilité des résultats issus des interventions d’accompagnement des communautés affectées par les aléas climatiques. Vu ainsi, le suivi des incidences (ou indicateurs de changement) devient important pour renseigner les acteurs de la plus-value apportée par leurs investissements.
Le programme changement climatique agriculture et sécurité alimentaire (CCAFS), en collaboration avec l’ International crops research institute for the semi-arid tropics (ICRAF), met en œuvre dans la partie nord du Burkina Faso (bloc carré de 900km2 centré sur Tougou) (Wiebke et al., 2011) un projet de recherche-action participative (PAR-CCAFS) dont le but ultime est de renforcer la résilience des communautés et des écosystèmes agricoles de la zone face aux aléas climatiques qui y sévissent avec acuité.

Les communautés partenaires limitrophes du CCAFS, impliqués dans la mise en œuvre des activités conduites dans ce processus participatif, ont fait l’objet de suivi-évaluation des incidences d’adaptation qu’ils mettent en place.

Comment avons-nous procédé ?

Le suivi-évaluation des changements de comportement d’adaptation du projet PAR-CCAFS a été réalisé dans le cadre du projet Harvesting Adaptation Outcomes du programme CCAFS (PHAO-CCAFS). La technique du changement le plus significatif (CPS) a été utilisée pour collecter les récits de changement. Cette technique, tirée de la trousse à outils planification et suivi-évaluation des capacités d’adaptation au changement climatique (TOP-SECAC), peut être utilisée comme une alternative à la formulation d’indicateurs ou complémentaire à celle-ci (Vanden Balck, 2012). Elle prend en compte à la fois les incidences planifiées et non planifiées (Davies et Dart, 2005 ; Wilbeaux, 2007 ; Somda et al., 2011 ; Vanden Balck, 2012 ).

L’objectif est de collecter des données qualitatives de type participatif que les activités induisent au sein des communautés cibles.

La collecte des récits de changement a été faite par une équipe de recherche multidisciplinaire dont les chercheurs viennent d’institutions partenaires limitrophes du projet PAR-CCAFS.

Cette équipe a d’abord reçu une formation sur les outils de suivi-évaluation des incidences, en particulier la technique de changement le plus significatif. La collecte s’est faite suivant un plan de suivi-évaluation réalisé en accord avec la communauté de Tibtenga et qui précise la périodicité et les domaines de changements (compréhension, comportement, relations et culture organisationnelle) à suivre. Les données de changement collectées ont ensuite été regroupées par domaines de changement. Ensuite, le traitement par statistique descriptive portant sur les fréquences par domaine de changement, a été utilisé. En principe, la démarche d’ensemble de la technique, comprend une étape de sélection des récits de changement pour en déterminer le récit exprimant le changement le plus significatif.

Qu’avons-nous appris ?

Des changements consécutifs à la mise en œuvre des activités PAR-CCAFS ont été produits au niveau de la communauté et des individus dans le village de Tibtenga). Ces changements s’inscrivent dans cinq grands domaines de changement : les connaissances / compréhensions, les activités/pratiques, les relations, la collaboration et l’accès aux ressources. La nature des changements et leur importance ne sont pas les mêmes au sein de toute la communauté ou suivant le genre. Globalement, les changements se mettent plus en place dans les connaissances et, dans une moindre mesure, les pratiques surtout en RNA. Ils sont globalement plus diversifiés et plus importants chez les hommes que chez les femmes. Alors que les changements se mettent plus rapidement en place dans les connaissances chez les hommes, chez les femmes, en dehors des connaissances en RNA qui touchent tout le monde, les changements sont plûtot plus ressentis dans les domaines de la collaboration et de l’accès aux ressources.

Changement dans les connaissances
Tous (100%) les participants aux activités du PAR-CCAFS (hommes comme femmes) ont acquis des connaissances nouvelles. Ces connaissances portent beaucoup plus sur la RNA (100% quel que soit le genre) que dans les techniques agricoles (38,46% tout genre ; 62,5% chez les hommes et 0% chez les femmes).

Les connaissances améliorées en matière de RNA portent sur la domestication des plants (les techniques d’entretien des jeunes pousses, l’élagage) et dans la restauration des sols (l’association des ligneux spontanés ou reboisés aux sites antiérosifs notamment les cordons pierreux). De manière spécifique chez les femmes, ces connaissances portent surtout sur les vertus des espèces ligneuses (alimentation et soins).

Dans le domaine des connaissances agricoles, il s’agit des informations nouvelles acquises sur les semences améliorées (utilités, caractéristiques et itinéraires techniques) et dans les techniques agricoles (semis en ligne du sésame en lieu et place du semis à la volée).

Changement dans les pratiques
Certains participants sont allés au-delà des connaissances pour adopter de nouvelles pratiques en RNA (46,15%) et agricoles (30,77%). Ce taux d’adoption devient important chez les hommes (62,5% en RNA et 50% en techniques agricoles) alors qu’il est faible (20%) à nul chez les femmes respectivement pour les mêmes domaines. Ces pratiques nouvelles concernent surtout les activités de conservation des eaux et des sols/défense restauration des sols (végétalisation de diguettes, régénération naturelle assistée associée aux cordons et diguettes, zaï, RNA dans les champs avec protection de jeunes pousses contre les feux et l’ensablement, semi en ligne, culture pure du niébé).

Changement dans les relations

Des relations sont nées/ou ont été renforcées entre les habitants du village et entre celui-ci et les villages limitrophes grâce à la mise en œuvre des activités du programme CCAFS. Ces relations nouvelles, avancées par 38,46% des participants aux activités sont exclusivement constatées par les hommes 62,5% contre 0% chez les femmes. Ces relations naissent des interactions lors des séances d’échanges collectives (planifications, réunions, etc.).

Changement dans la collaboration

En plus d’être en relation entre eux, certains participants (38,46%) ont amélioré leur collaboration avec d’autres acteurs du projet ou non.

Ces collaborations portent sur les échanges d’informations et de connaissances techniques de semences agricoles améliorées et forestières, etc. Ces échanges qui peuvent aller au-delà du village pour impliquer les communautés de villages voisins, concernent particulièrement les femmes (80% contre 37,5% chez les hommes).

Changement dans l’accès aux ressources

Grâce aux activités du programme CCAFS, 38,46% des participants du village de Tibtenga (25% des hommes et 60 % des femmes) ont accès plus que par le passé aux semences agricoles améliorées comme le niébé et le sésame et forestière comme Senna siamea et Moringa oleifera.

Conclusion

Le programme CCAFS, à travers le projet recherche action participative, provoque déjà des changements qui sont diversifiés et dont l’ampleur diffère d’un domaine à l’autre. Ils sont plus importants dans le domaine des connaissances / compréhensions en particulier pour les techniques de RNA. De fait, on peut dire que la capacité d’adaptation au changement climatique de la communauté de Tibtenga se renforce et ce au bénéfice d’une plus grande sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire pour le futur demande en effet que les communautés soient résilientes au climat
(Hailu et Campbell, 2013). On peut s’attendre à ce que cette progression se renforce au fur et à mesure que les activités sont conduites dans un temps plus long et que les contraintes ici signalées sont levées ou amoindries.

Les auteurs :
Issa Sawadogo, Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), 01 BP : 3133 Ouagadougou 01 ; Tél. (+226) 50313154, (Burkina Faso) e-mail : issa.sawadogo@iucn.org (1)*,

Goama Nakoulma, Institut des Sciences des sociétés (INSS), 04 BP : 8645 Ouagadougou 04, (Burkina Faso),

Jacques Somda, Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), 01 BP : 3133 Ouagadougou 01 ; Tél. (+226) 50313154, (Burkina Faso) e-mail : issa.sawadogo@iucn.org

André Babou Bationo, Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), Département production forestière, 04 BP : 8645 Ouagadougou 04, (Burkina Faso)

Josias Sanou, Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), Département production forestière, 04 BP : 8645 Ouagadougou 04, (Burkina Faso)

Silamana Barry, Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA), Département production forestière, 04 BP : 8645 Ouagadougou 04, (Burkina Faso)

Moumini Savadogo, Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), 01 BP : 3133 Ouagadougou 01 ; Tél. (+226) 50313154, (Burkina Faso) e-mail : issa.sawadogo@iucn.org

Robert Zougmoré, International Crops Research Institute for the Semi-Arid Tropics (ICRISAT), Climate Change, Agriculture and Food Security (CCAFS), BP 320 Bamako, Mali

Remerciements
• le programme CCAFS pour leur appui financier aux activités de recherche-action (PAR-CCAFS) et leur suivi-évaluation (PHAO-CCAFS),
• les communautés rurales, les services développement ainsi que les ONG partenaires pour leur participation active au processus.

Pour en savoir plus

- Batliwala S., Pittman A., 2010. Capturing Change in Women’s Realities : A Critical Overview of Current Monitoring & Evaluation Frameworks and Approaches, 42p
Billaz, R. 2012. La lutte contre les aléas climatiques au Burkina Faso : Acquis et défis de l’agro-écologie : le cas de la région nord. Agronomes et Vétérinaires sans frontière, 61p.
- Bognini S., 2011. Impacts des changements climatiques sur les cultures maraîchères au nord du Burkina Faso : cas de Ouahigouya, ASDI, SMHI, 38p.
- Bours D., McGinn C. & Pringle P.,2014. Guidance note 1 : Twelve reasons why climate change adaptation M&E is challenging, Oxford, 9p.
- CONEDD, 2007. Programme d’Action National d’Adaptation à la variabilité et aux changements climatiques (PANA du Burkina Faso), 76p.

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