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L’éducation traditionnelle et la crise des valeurs dans les sociétés africaines

Publié le jeudi 23 novembre 2017 à 15h44min

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La recherche des solutions à l’effondrement des valeurs dans nos sociétés actuelles nous conduit à recourir à l’éducation traditionnelle en Afrique. Elle ne semble plus être pratiquée dans ses méthodes et principes et est méconnue de la plupart des jeunes générations avec l’intégration de l’école occidentale. Or l’éducation traditionnelle présente toujours un grand intérêt pour nos sociétés du fait des valeurs qu’elle transmettait et qui garantissaient la cohésion et l’identité des communautés.

Bien avant la colonisation qui a introduit l’école occidentale en Afrique, il existait déjà dans les sociétés africaines des formes d’éducation, généralement appelée l’éducation traditionnelle. Celle-ci assurait la transmission des valeurs fondatrices des communautés. L’éducation traditionnelle se distingue dans son organisation, sa pratique, dans ses méthodes et dans son contenu de l’éducation occidentale. Si nous nous intéressons à l’éducation traditionnelle, ce n’est ni par simple nostalgie ni pour les besoins d’écrire un pan de l’histoire africaine mais pour déterminer ses enjeux pour nos sociétés actuelles qui vivent des crises de valeurs. Qu’est-ce qui distingue l’éducation traditionnelle de l’école occidentale ? Quels sont les enjeux de l’éducation traditionnelle pour nos sociétés actuelles qui connaissent un effondrement des valeurs ?

Les pratiques éducatives des sociétés traditionnelles visaient prioritairement à développer et à former l’esprit communautaire chez les enfants. En effet, l’éducation traditionnelle africaine accordait le primat aux valeurs morales. C’est ainsi que dans la société moaga traditionnelle selon A. Badini, (1994) l’honnêteté, le courage, le goût pour le travail et le respect de la tradition et des aînés sont l’essentiel des valeurs sociales et morales que l’éducation moaga cherche à réaliser en chacun des enfants . Dans la même perspective que Badini, A. MOUMOUNI (1998, pp24-25) affirme que : « La formation du caractère, l’acquisition de qualités morales sont des objectifs considérés à juste titre comme primordiaux dans l’éducation africaine traditionnelle. Pratiquement tous les différents aspects de l’éducation de l’enfant et de l’adolescent y concourent à un plus ou moins haut degré ».

L’éducation traditionnelle initie l’enfant à des rapports sociaux très complexes qui lui permettent d’apprendre et de comprendre les réalités de la vie sociale. Il se met d’abord au service des autres en faisant leurs commissions et comprend ainsi l’organisation hiérarchique de la société. Il est initié aux travaux qui le préparent à la vie adulte et acquiert progressivement une autonomie grâce aux travaux dont il peut disposer des fruits et en jouir librement. Dans cette éducation traditionnelle, les rites jouent un rôle déterminant en ce sens qu’ils sont la phase durant laquelle des enfants de la même tranche d’âge sont initiés aux données sacrées de la société telles que le langage des rites sacrés(funèbres, sacrifices offerts en hommage aux ancêtres…). P. ERNY (1990, p13) exprime la valeur éducative et la portée pédagogique des rites en ces termes : « Les rites qui jalonnent la vie de l’enfant et servent à intégrer la personne dans la société et à marquer les différentes étapes de sa croissance, véhiculent toute une idéologie » . Les rites répondent à une vision du monde qui guide les pratiques éducatives.

Ainsi, le principal objectif de l’éducation traditionnelle était de préparer les éduqués au savoir-être en communauté. Il s’ensuit qu’elle se distingue fondamentalement de l’école occidentale qui développe l’individualisme et est préoccupée par le savoir-faire. Celle-ci se pratique dans des institutions avec des règlements, dispense un enseignement très souvent en rupture avec les réalités socio-économiques des communautés. Certains Africains comme Cheikh Amidou Kane, Joseph Ki-Zerbo étaient méfiants vis-à-vis de l’école occidentale dès le début de son introduction dans les sociétés africaines parce qu’ils ont pressenti qu’elle sera à l’origine d’une acculturation de ceux qui la fréquentent et la fréquenteront. Ils étaient convaincus qu’elle engendrera une acculturation des sociétés africaines et l’histoire semble leur donner raison. En effet, elle s’est implantée au détriment de l’éducation traditionnelle africaine.

Aujourd’hui, il s’agit de savoir si les valeurs de cette éducation traditionnelle ne peuvent pas être intégrées dans nos écoles qui sont devenues des foyers de violence de diverses natures. Ces violences sont la manifestation d’une crise des valeurs qui se traduit par les attitudes irrespectueuses des jeunes vis-à-vis des adultes, par une remise en cause de leur autorité. Bref, cette crise qui est réelle et concrète est l’expression d’une société où il n’y a plus de repères. Recourir à l’éducation traditionnelle est un impératif pour la renaissance de nos sociétés sur le plan des valeurs. Pour N. Konan-Dauré et P. Desalmand(1994, p38-39), « il semble donc de plus en plus évident qu’on ne peut mettre au point un système d’éducation moderne en négligeant l’existence des systèmes d’éducation propres aux cultures traditionnelles. De même qu’il faut, avant d’enseigner une langue nouvelle, tenir compte du substrat linguistique, de même il faut tenir compte du substrat éducationnel pour élaborer un nouveau projet éducatif » . Pour que l’école occidentale ait un plus grand impact sur la vie des communautés, il est fondamental qu’elle intègre les valeurs africaines.

En somme, dans nos sociétés modernes l’école est devenue la principale institution où sont formés les citoyens. De ce fait, son rôle ne doit pas se réduire à transmettre des connaissances livresques dans différentes disciplines aux éduqués. Elle doit être aussi le lieu d’apprentissage des valeurs sociales, du savoir-être en communauté.

Rodrigue Paulin BONANE, Attaché de recherche en philosophie de l’éducation à l’Institut des Sciences des Sociétés(INSS) du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique.
Mail : rodbonane@yahoo.fr

1. BADINI Amadé, 1994, Naître et grandir chez les moosé traditionnels,Paris-Ouagadougou, SEPIA.ADDB,
2. MOUMOUNI Abdou, 1998, L’éducation en Afrique, préface de Joseph Ki-Zerbo, Paris, Présence Africaine
3. ERNY Pierre, 1990, L’enfant dans la pensée traditionnelle de l’Afrique Noire, Paris, L’Harmattan.
4. KANE Cheikh Amidou, 2003, L’aventure ambiguë, Paris, 10/18 et KI-ZERBO Joseph (1990), Eduquer ou périr, Éduquer ou périr (Impasses et perspectives africaines). Dakar-Abidjan, UNESCOUNICEF.

5. KONAN-DAURẺ N’Guessan et DẺSALMAND Paul, (dir.), 1983, Histoire de l’éducation en Côte d’Ivoire, tome 1. Des origines à la Conférence de Brazzaville (1944), Abidjan, CEDA.

Références bibliographiques

BADINI Amadé, 1994, Naître et grandir chez les moosé traditionnels,Paris-Ouagadougou, SEPIA.ADDB
ERNY Pierre, 1990, L’enfant dans la pensée traditionnelle de l’Afrique Noire, Paris, L’Harmattan.
KANE Cheikh Amidou, 2003, L’aventure ambiguë, Paris, 10/18
KI-ZERBO Joseph, (1990), Eduquer ou périr, Éduquer ou périr (Impasses et perspectives africaines). Dakar-Abidjan, UNESCOUNICEF.
KONAN-DAURẺ N’Guessan et DẺSALMAND Paul, (dir.), 1983, Histoire de l’éducation en Côte d’Ivoire, tome 1. Des origines à la Conférence de Brazzaville (1944), Abidjan, CEDA.
MOUMOUNI Abdou, 1998, L’éducation en Afrique, préface de Joseph Ki-Zerbo, Paris, Présence Africaine

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