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Conquête du pouvoir : Me Sankara déballe sa stratégie

Publié le jeudi 23 juin 2005 à 07h51min

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Il a démissionné de l’Assemblée nationale dans l’espoir
d’occuper le fauteuil présidentielle le 13 novembre prochain.
Comment compte-t-il s’y prendre ? Me Bénéwendé Sankara
apporte, dans cette interview, des éléments de réponse.

"Le Pays" : Me Sankara, vous venez de démissionner de
l’Assemblée nationale. Quelles sont les raisons politiques d’un
tel acte ?

Me Sankara : C’est vrai, une démission d’une institution politique
est avant tout un acte politique mais je crois que les raisons
peuvent ne pas être simplement que politiques. Elles sont de
deux ordres principalement : il y a que nous voulons nous
consacrer essentiellement à l’élection présidentielle.

Ensuite
nous avons dit que nous retournerons au barreau parce que
nous sommes avocat de profession. Nous voulons
effectivement consacrer le reste du temps à nous préparer et à
réorienter le parti vers le scrutin de novembre 2005 et même de
février 2006 à savoir les élections municipales. Nous avons
aussi estimé que durant cette période visiblement, nous ne
pourrons plus occuper un fauteuil pour participer aux débats
parlementaires. Il y a d’autres camarades au sein de l’UNIR/MS
qui peuvent faire ce travail en mes lieu et place. Une autre
raison, c’est que nous voulons prouver qu’on n’a pas forcément
besoin du statut de député pour battre campagne. En 2002,
nous l’avons fait en tant qu’avocat.

Ma démission est volontaire et mûrie, discutée et acceptée par
le parti, une décision qui a été en définitive saluée par l’opinion
et les militants de l’UNIR/MS. Nous n’avons pas a priori fait de
calcul.

Vous partez de l’hémicycle pour mieux déposer vos valises à la
présidence, comme l’a titré un confrère. Alors, qu’est-ce qui
fonde votre conviction qu’au soir du 13 novembre 2005,
l’alternance aura lieu au Burkina ?

Nous sommes d’abord convaincu de l’alternance, de sa
nécessité et sa réalisation dépend certainement de la volonté
du peuple burkinabè tout entier. Nous avons toujours dit que
l’UNIR/MS est venu pour redonner confiance au peuple
burkinabè dans sa lutte et surtout comme étant le fruit ou le
produit des luttes multiformes que ce peuple a mené
particulièrement depuis 1998. Nous disons que notre conviction
vient du fait qu’aujourd’hui les populations aspirent à un
changement pas seulement des hommes, mais également de
la façon de gouverner.

Elles veulent plus de justice sociale, plus d’efforts dans la lutte
contre la pauvreté (non pas en termes de slogans ou de
propagande) pour améliorer le panier de la ménagère et
susceptible d’éviter la flambée des prix des hydrocarbures, des
produits de première nécessité etc., malgré l’aide multiforme,
l’annulation de la dette, la relative stabilité du Burkina.
Aujourd’hui, notre conviction prend racine dans la possibilité
pour le parti et ses militants de lutter afin d’aboutir à un progrès
véritable.

Le président Thomas Sankara disait que les
Burkinabè doivent prendre en main leur propre destin.
Aujourd’hui, c’est cette politique qui est professée par les
bailleurs de fonds et le giron international. On revient sur un
discours qui est plus que d’actualité. C’est pourquoi nous
sommes à l’aise pour dire que l’alternance est sankariste. A
l’orée du 13 novembre 2005, l’alternance peut se réaliser si les
conditions d’une élection transparente sont réunies. Le geste du
citoyen le jour du scrutin est sacré et ne doit pas être violé.

Quelle sera alors la rupture du programme alternatif sankariste
par rapport à tout ce que le Burkina a connu comme
gouvernance ?

Si nous proposons une alternative sankariste, c’est que nous
voulons vraiment rompre avec la politique qui est menée
jusque-là. Nous assistons à un système d’avilissement du
citoyen. Or aucun Etat, aucune nation n’a pu se construire sans
valeurs. Regardez un peu les Etats-Unis : le président américain
jure sur la Bible. Un peu partout, il y a des valeurs humaines et
morales que l’on met au devant en tant que socle devant
permettre l’édification de toute société humaine. Au Burkina,
nous assistons impuissants à la détérioration de ces valeurs.

On a parlé de corruption à telle enseigne qu’on a créé un comité
d’éthique et toutes sortes de commissions. La rupture que
l’Union pour la renaissance / Mouvement sankariste et
moi-même voulons proposer, ce serait celle qui rétablirait
d’abord le burkinabè dans sa dignité d’homme intègre.
Aujourd’hui, on nous présente souvent l’exploit d’un homme, M. 
Blaise Compaoré, qui serait le pétrole du Burkina. Nous disons
que le Burkina a plus de 13 millions de citoyens capables de
fonder une nation et réaliser notre devenir commun. Cette
politique nous amène à intégrer le besoin et l’intérêt de chaque
homme et de chaque femme. Ce ne serait pas seulement
l’intérêt de monsieur Blaise Compoaré fut-il le pétrole ou de
quelques individus agglutinés autour du pouvoir.

Le peuple burkinabè et la plus grande majorité qui aujourd’hui
est spoliée par une paupérisation croissante parce que notre
croissance relative a été accaparée par une minorité
gouvernante. C’est cela, la rupture : le peuple burkinabè doit
exercer effectivement sa souveraineté.

Sur le plan économique, vous prônez le capitalisme d’Etat par
l’auto justement sankariste. Pensez-vous qu’il peut exister un
capitalisme responsable quand on considère ce monde dominé
par les multinationales et où les pays ne sont pas tout à fait
libres de leurs politiques

C’est une question de volonté politique. On avance aujourd’hui
la mondialisation pour justifier l’application des programmes
d’ajustement structurels dont l’une des solutions est la
privatisation. Mais vous avez vu les conséquences dans les
pays africains. Je crois qu’il faut avoir l’honnêteté de le dire haut
et fort. Cela a été un échec cuisant.

Un Etat doit savoir où se
trouvent les intérêts de ses citoyens et prendre les décisions en
conséquence. Le rapport de force, que l’on avance pour dire que
nous sommes un pays pauvre très endetté, sans ressources et
que nous n’avons pas le choix que de nous saborder, n’est pas
du tout notre vision. Notre peuple a une légende de courage et
de responsabilité. Et nous voulons nous inspirer d’une politique
qui a fait ses preuves entre 1983 et 1987, laquelle politique a été
saluée par les bailleurs de fonds. Ils ont reconnu qu’avec une
politique d’austérité et de bonne gouvernance, on peut faire une
croissance.

Voilà pourquoi, conscient des limites objectives de
notre pays, nous disons qu’il faut une économie de marché
mais l’un des piliers de notre programme est de produire ce que
nous consommons. Savez-vous qu’aujourd’hui le prix du riz
importé est moins cher par rapport au mil que nous produisons
et qui est pourtant notre aliment de base ?
C’est pour vous dire que nous ne fermons pas les yeux sur les
réalités politiques au plan international mais nous n’allons pas
hypothéquer l’avenir de tout un peuple pour une poignée de
dollars. Nous n’allons pas être ces dirigeants d’aujourd’hui qui
sont fiers de vendre le Burkina à Paris, à Ottawa, à Londres, à
Washington.

Concernant Alternance 2005, Issa Tiendrébéogo est en même
temps coordonnateur de votre groupe et celui de la coalition
Hermann Yaméogo. Cela ne crée-t-il pas des confusions ?

C’est vrai, cela crée des confusions au niveau des militants
mais j’ai déjà dit que les problèmes d’Alternance 2005 se
discutent dans des structures bien connues. Ce que nous
déplorons dans cette situation, c’est peut-être de n’avoir pas
suffisamment d’activités communes avec l’ensemble des
militants de nos partis. Nous avons souvent l’impression qu’il y
a un tâtonnement au préjudice de nos militants qui attendent
des actions concrètes. Juridiquement, il n’est pas interdit à la
Coalition Me Hermann Yaméogo d’avoir un responsable.

Mais
ce responsable se trouve être coordonnateur d’Alternance 2005,
très vite cela laisse libre cours à des supputations. Et on est
obligé chaque fois de donner des explications, ce qui nous
fatigue. La question a été transmise et trouvera certainement
solution le plus rapidement possible.

Avec ces petits problèmes, quel est selon vous l’avenir de ce
regroupement politique ?

Nous avons travaillé à l’avènement d’Alternance 2005 qui a un
parcours très appréciable. C’est le résultat de plusieurs luttes
sur le terrain de l’unité d’action. Ma conviction, c’est plutôt l’unité
du peuple tout entier autour de ses propres aspirations avec les
hommes capables de les réaliser. Alternance 2005 est une
stratégie que l’opposition s’est donnée comme le groupe du
14-février la COB (Coalition de l’opposition burkinabè), l’OBU...

A l’UNIR/MS, nous sommes nés par l’unité et pour l’unité. Et
nous pensons qu’elle ne doit pas être une obsession au
sommet, entre les leaders. Elle suppose l’unité d’action à la
base sur la base d’intérêts convergents. Nous voulons faire
corps avec le peuple burkinabè dans ses luttes. Nous
prendrons toujours nos responsabilités chaque fois qu’il s’agira
des intérêts de notre peuple.

Il y a une constance dans votre discours : vous voulez réaliser
l’unité à la base. Si l’on considère cela à la lumière de votre
démission à l’hémicycle, peut-on dire que Me Sankara est déçu
des leaders politiques ?

Je ne suis pas déçu. Il n’y a pas d’échec chaque fois qu’on fait
de la politique. Pour moi, l’échec, c’est le jour où vous décidez de
ne plus en faire et aussi celui de votre mort, sinon, dans la
politique, on découvre toujours les hommes et ce sont des
expériences qu’on accumule et qui sont souvent amères. Il y a
en qui y ont laissé leur vie. J’ai fait une expérience à l’Assemblée
nationale où j’ai côtoyé des députés de la majorité comme de
l’opposition. J’ai aussi eu la chance de travailler au parlement
panafricain. C’est un capital énorme pour moi et ce n’est une
déception pour moi, en tant que politique. Mais on apprécie
toujours les hommes dans leurs limites et on tire ce qu’il y a de
positif pour le combat futur.

Quel est le dernier livre que Me Sankara a lu ?

J’ai eu la chance de recevoir du Centre culturel américain, un
livre intitulé "comment on devient maire" où l’acteur principal est
un avocat. Ça m’a vraiment plu.

Propos recueillis par D. Parfait SILGA

Le Pays

P.-S.

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