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Accès à la justice : « Juge égal serviteur de la loi. Donc, si la loi n’est pas bonne, la décision ne peut être en faveur des populations », magistrat Karfa Gnanou

Publié le vendredi 22 septembre 2017 à 01h00min

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Accès à la justice : « Juge égal serviteur de la loi.  Donc, si la loi n’est pas bonne, la décision ne peut être en faveur des populations », magistrat Karfa Gnanou

« La justice est le pain du peuple, il est toujours affamé d’elle », caricature l’écrivain et homme politique français, François-René de Chateaubriand. Une perception qui corrobore l’idée que la justice est le dernier rempart de la société. C’est certainement conscient de cette réalité, et fort de ses observations au sein de la société burkinabè, que le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a, une fois de plus, pris l’initiative de communiquer avec les populations sur le ‘’Droit d’accès à la justice : état des lieux et mécanismes pour rapprocher la justice du justiciable’’. Le samedi, 16 septembre 2017, l’institution était à Banfora, chef-lieu de la province des Cascades pour, successivement, animer une émission radio dans la matinée et une conférence publique dans l’après-midi autour du thème sus-mentionné. Les communications ont été assurées par le président du tribunal administratif de Bobo-Dioulasso, juge Karfa Gnanou et le chargé de programme du CGD, Assegna Anselme Somda.

Pour poser le sujet, le chargé de programme du CGD, Assegna Anselme Somda, a fait observer que l’accès à la justice est un droit fondamental, consacré par la Constitution, mais qui n’est malheureusement pas à la portée de tous. D’où la nécessité de travailler à une appropriation de la justice par le justiciable, par un rapprochement justice/justiciable.

« La justice est la clé de voûte de l’Etat de droit. On ne peut pas parler d’un Etat de droit sans une justice libre, indépendante et crédible, mais également accessible. (...). Les questions de justice n’arrivent pas qu’aux autres. On ne va pas en justice également parce qu’il y a conflit. Aussi, on ne ressort pas de la justice forcement perdant », a soutenul’ex-président de la Commission des affaires sociales et du développement durable du Conseil national de la Transition (CNT), Assegna Anselme Somda.

Principal orateur, juge Karfa Gnanou a d’abord salué la pertinence du thème qui se mesure aurôle que joue la justice dans une société. Puis, il va rappeler que le peuple burkinabè a fait l’option de l’« Etat de droit »,via la Constitution de juin 1991 (mettantainsi fin à l’Etat d’exception). « Et sur cette base effectivement, la Constitution a institué trois piliers d’Etat de droit. Il s’agit de l’exécutif avec le gouvernement, le législatif avec l’Assemblée nationale et la justice », a-t-il situé avant de préciser que le rôle du pouvoir judiciaire, c’estde travailler à donner du contenu aux textes qui sont adoptés (lois, décrets, etc.).

Accéder à la justice est un droit fondamental, à l’image desdroits à la vie, à la santé, à l’éducation, etc. « Si le droit d’accès à la justice n’était pas érigé en même temps en droit fondamental, comment faire alors si l’un des droits étaient violés ? C’est en cela que le droit à la justice (mais à une justice indépendante, impartiale et qui rend les décisions dans les délais) a été érigé en droit fondamental », indiquele président du tribunal administratif de Bobo-Dioulasso, Karfa Gnanou.

Pour le magistrat, lorsqu’on dit « un droit est fondamental », cela implique que si on touche à celui-ci, on porte atteinte à la dignité de celui qui se voit violer ce droit. En d’autres termes, toutes les fois qu’on remet en cause un des droits fondamentaux de la personne humaine, c’est qu’on touche à sa dignité. Le droit d’accès à la justice est, de ce fait, (et incontestablement) un droit fondamental ; parce que sans ce droit, tous les autres sont vains, ils ne seront pas garantis.

Selon le conférencier, la notion d’« accèsà la justice » doit s’entendre comme le fait d’avoir accès aux juges, de se défendre et de se faire représenter devant lesjuridictions. L’accès à la justice a donc plusieurs volets ; c’est non seulement l’accès aux juges, mais aussi des facilités pour accéder à un avocat, à un huissier de justice, etc.

Savane judiciaire et état des lieux de l’accès à la justice

Pour dresser un état des lieux de l’accès à la justice, le défenseur en droits humains, Karfa Gnanou, s’est appuyé sur trois éléments. Il s’agit de l’« accès physique ou géographique » (distance parcourue pour avoir accès à un service de justice), l’« accès psychologique » à la justice et l’ « accessibilité financière » à la justice.
Mais avant, il a présentél’ossature de la justice burkinabè. Ainsi, on peut noter que plusieurs chefs-lieux de province sont dotés d’un tribunal de grande instance (TGI) qui, très souvent, fait office en même de tribunal d’instance (TI), de tribunal de commerce (TC) et de tribunal administratif (TA). Dans les chefs-lieux de département (commune), on a le tribunal départemental (TD), présidé par le préfet et les tribunaux d’arrondissement dans les deux grandes villes (Ouaga et Bobo).

Dans l’organisation judiciaire, ondistingue également les tribunaux de l’« ordre judiciaire » pour trancher des affaires entre particuliers et les tribunaux de l’ « ordre administratif » pour trancher des litiges entre particuliers et l’administration. Cette organisation progresse jusqu’au haut niveau avec les Cours d’Appel, la Cour de Cassation (ou le Conseil d’Etat). Chaque structure est saisie en fonction des textes indiqués (procédures de saisine du juge en fonction de la nature du litige).
De la situation à proprement dite, et sur l’accès physique ou géographique, il ressort que la distance moyenne (rayon) entre les tribunaux est de 52 kilomètres. « La moyenne de la distance pour quelqu’un pour aller saisir un tribunal est de 52 km, et le Burkina est en train de travailler pour atteindre 50 km », confie le juge Karfa Gnanou. A ce jour, le Burkina compte 25 TGI fonctionnels, 25 TA fonctionnels et autant de maisons d’arrêt et de correction ainsi que 360 TD (tribunaux départementaux).

Sur le second élément d’analyse, à savoir l’accessibilité financière, le communicateur a fait voir ceci : « Chacun de vous a certainement entendu dire que la justice est gratuite. Mais, en réalité, cette formule veut simplement dire que l’on ne paie pas le juge qui est censé trancher les litiges. Evidemment, l’huissier de justice, l’avocat doivent être payés ». La « gratuité » de la justice, c’est par rapport donc à celui qui tranche ; c’est-à-dire le juge. C’est pourquoi, poursuit-il, pour encore donner plus de sens à cette gratuité, l’Etat à travailler à créer un Fonds qui permet à ceux qui sont dans les difficultés financières de pouvoir bénéficier de l’assistance judiciaire. Cette dernière est organisée autour des TGI. « La commission existe à Banfora au TGI. J’ai un problème avec mon employeur par exemple, ou je suis un agent public, on m’a affecté en milieu d’année, parce que je suis engagé sur le plan médical, je ne suis pas d’accord et je veux contester la décision.

Victoire Olga Sagnon : "cette conférence me permet de me situer désormais dans la société. Il faut que la justice communique avec la société"

Mais, comme je ne maîtrise pas les rouages, je veux un avocat. Je n’ai pas non plus assez d’argent pour m’en attacher ses services et je veux que vous me donniez un avocat dans le cadre de l’assistance judiciaire pour qu’il regarde de fond en comble en quoi mon affectation n’est pas conforme au droit », apprend le juge avant de préciser qu’il appartient à la commission d’apprécier les requêtes à cet effet. Cette assistance privée, si elle est accordée, va prendre en compte toutes les interventions des acteurs privés qui doivent intervenir (huissier, avocat, notaire) dans la procédure. Selon le conférencier, au niveau national, plus de 260 personnes bénéficient de cette assistance. C’est pourquoi a-t-il exhorté les populations de la localité, qui semblent ignorer l’existence, à s’adresser, en cas de besoin, à la commission, sise TGI de Banfora.

Communiquer et informer les populations sur les questions juridiques et judiciaires

Les potentiels bénéficiaires de l’assistance judiciaire sont de plusieurs ordres. Il s’agit des enfants victimes de traite ou en conflit avec la loi, des enfants non assistés et ceux dont les parents sont indigents dans toutes les procédures les concernant, des victimes d’actes d’atteinte à la vie ou à l’intégrité corporelle, des actes de tortures exercées par les agents de l’Etat dans l’exercice de leur fonction, des personnes en charge d’enfants mineurs dans les procédures de pensions alimentaires, les personnes en charge d’enfants mineurs dans les procédures de succession, etc. « Mais, plus globalement, c’est tout Burkinabè ou toute personne dont le pays assure également la même protection aux Burkinabè dans son pays, qui peut démontrer qu’elle est dans une situation financière et matérielle qui l’empêche d’avoir un avocat tout au long d’une procédure judiciaire qui peut l’opposer à quelqu’un », précise-t-il. Et ce, que la personne soit en situation de défendeur que de demandeur devant la justice.

Issouf Sanou, ex-employé SN-SOSUCO : " Aujourd’hui, le Burkinabè n’a plus confiance à sa justice. Mais, ce sont ce genre d’activités qui peuvent instaurer le civisme dans la société".

Quant à l’accessibilité psychologique, M. Gnanou s’est également voulu illustratif : « Si je me dis que le juge qui va trancher mon affaire n’est pas indépendant, qu’il peut être corrompu.., si je me rends compte qu’il peut mettre un long temps avant de rendre sa décision, psychologiquement, je ne vais pas être apte à le saisir ».

Fort de ce qui précède, le conférencier a abouti à la conclusion que le droit d’accès à la justice n’est pas parfait ;il y a encore beaucoup à faire sur l’ensemble de ces trois points sus-évoqués.

D’où les perspectives par des actions qu’il conviendra de mener. Ici, il y a, à son avis, nécessité d’abord de contribuer à promouvoir l’accessibilité physique et financière à la justice. « Comment cela va se faire ? C’est de poursuivre la rationalisation de l’organisation judiciaire. Que la distance ne soit pas un frein à la saisine de la justice (l’éloignement ayant une incidence financière). Il est souhaitable que chaque province ait son TGI. Il faut aussi davantage de personnel pour ne pas que le justiciable se retrouve à la justice sans interlocuteur (les rendez-vous échoués plusieurs fois peuvent décourager) : assez d’huissiers, d’avocats implantés localement, renforcer davantage le Fonds d’assistance judiciaire, etc. », plaide-t-il.

L’accessibilité psychologique, elle, va permettre au citoyen d’avoir confiance à sa justice et d’être donc promptà sa saisine. Pour cela, il faut renforcer l’indépendance de la justice, lutter contre la corruption dans le milieu de la justice. « Faire en sorte que le juge soit dans une logique d’indépendance et d’intégrité. Ce qui suppose mettre fin à des faits d’impunité des acteurs de la justice et travailler à renforcer l’indépendance de la justice », ajoute-t-il. Dans la même ligne de mire, il faut travailler à diffuser l’information juridique, relevant que le langagedu droit n’est pas facile, tout autant que les procédures. D’où la nécessité de travailler à diluer l’information juridique et judiciaire pour les populations. Il faut également communiquer et beaucoup communiquer avec les populationssur ces questions. Toujours au chapitre des perspectives, Karfa Gnanou recommande de travailler à minimiser la lenteur, l’incompréhension des décisions de justice et d’adopter des textes en phase avec les réalités (les députés interpellés, car représentants les populations).

Seydou Konaté, secrétaire général régional de la Confédération nationale des travailleurs du Burkina (CNTB) : " si cette initiative n’existait pas, il fallait la créer".

Sur l’aspect lié à l’incompréhension des décisions de justice, il confie : « Lors des états généraux sur la justice, il y a un atelier au cours duquel, un participant a dit que la justice est contre les éleveurs ; parce que, quand l’éleveur coupe le bois, on lui impose une amende de 200 000 FCFA. Mais, quand c’est un agriculteur, c’est 7000 FCFA on lui impose. Alors, une telle information, quand on la donne à un spécialiste de droit, il peut rapidement essayer de se coller à la réalité, qu’est-ce que ça peut vouloir dire. Très rapidement, après avoir fait quelques petites recherches, on s’est rendu compte que c’est l’autorisation qu’on demande aux forestiers de couper le feuillage, quand on veut faire un champ, qui coûte 7000 FCFA (les frais pour débroussailler). Mais, si on t‘attrape en train de couper du bois frais, même si c’est pour aller nourrir tes bœufs, c’est une contravention et l’amende, c’est 200 000 FCFA. Là, c’est une sanction et l’autre, ce sont des frais de procédure. Mais, voilà comment le participant a interprété la situation et il l’a fait comme une opposition éleveur/agriculteur. Voyez-vous comment cela peut être très grave ? Alors qu’il s’agit en réalité de frais de procédure d’une part et, d’autre part d’amende ».

« Des textes peuvent s’appliquer sans que justice soit vraiment rendue... »

Le deuxième aspect, ce sont les textes qu’on adopte, mais qui sont en déphasage avec les réalités et pour lesquels le juge ne peut rien faire. « Des textes peuvent s’appliquer sans que justice soit vraiment rendue. Juge égal serviteur de la loi. Donc, si la loi n’est pas bonne, si la loi n’est pas en phase avec les réalités des populations, la décision de justice ne peut pas être en faveur des populations et l’incompréhension va subsister », avise le magistrat Karfa Gnanou.

Pour le conférencier, il y a nécessité en outre de ne pas voir le juge comme celui-là qui sépare deux personnes en bagarre. « Il faut aussi que devant le juge, on prévoit des procédures où il peut concilier. Là, on peut aller devant lui et chacun va sortir gagnant. Mais, si on part devant le juge et il y a un gagnant et un perdant (comme c’est le cas aujourd’hui ; presque dans toutes les procédures, il n’y a pas de conciliation, sauf dans quelques exceptions dans lesquelles la conciliation est obligatoire). Ce qui peut créer des frustrations », souhaite-t-il.

En somme, pour Karfa Gnanou, pour que l’accessibilité psychologique à la justice soit améliorée, il faut que le juge soit quelqu’un qui peut réconcilier, faire de la médiation, faire en sorte qu’en liquidant un procès, les deux parties ne se regardent pas en chiens de faïences. « C’est à ce prix-là qu’on pourra améliorer l’accessibilité psychologique à la justice », a-t-il abouti, indiquant que tous ces éléments d’accessibilité seront caducs, si les textes ne sont pas en adéquation avec les réalités de la société.

Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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