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Paul Wolfowitz : Un banquier au royaume de l’or blanc

Publié le vendredi 17 juin 2005 à 08h36min

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Au premier jour de la visite de 48 heures qu’il vient d’effectuer dans notre pays, Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, qui a entamé son séjour par la ville de Sya, s’est rendu à l’usine d’égrenage Bobo III de la Société burkinabè des fibres textiles (SOFITEX).

Une occasion en or... blanc, pour aborder avec lui le problème des subventions à l’exportation, que les pays riches, comme le sien (Etats-Unis), accordent à leurs contoculteurs au grand dam des filières cotonnières africaines et des millions de personnes qui en vivent.

Dès 11 heures, Tiendrébéogo Tiraogo Célestin (TTC), le directeur général de la SOFITEX, et son ombre, François Traoré, le président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPC-B) ainsi que les responsables des deux autres sociétés cotonnières, la SOCOMA et Faso Coton, faisaient le pied de grue à l’entrée de l’usine d’égrenage Bobo III.

Bobo III qui avait, pour la circonstance, fait sa petite toilette : les troncs des arbres peints en blanc, les drapeaux du Burkina et de la BM flottant côte à côte sur les branches, tout ce qui faisait désordre rangé sous l’instigation parfois de la sécurité, une cour "mana mana comme djiguè boda" ainsi qu’on dirait sur les bords du marigot Houet...

Tout était clean pour recevoir le monsieur important qu’on annonçait pour 11h 30. En attendant, les balafonistes de la troupe "Djiguiya" distillait des notes de musique traditionnelle qui redoublèrent d’intensité, de rythme et de bruit dès l’arrivée de M. Wolfowitz. "Djiguiya" ne signifie-t-il pas "espoir" en dioula ?

Espoir en ce sens que le séjour bobolais de celui qu’on présente comme l’un des faucons de l’administration américaine, imposé à la tête de la BM, le transformera en colombe et le sensiblisera sur le sort des pauvres comme le Burkina, en l’espèce celui de ses contonculteurs.

"Je sens l’odeur de l’argent"

Paul Wolfowitz, qui s’était entre-temps débarassé de sa veste, arrive en bras de chemise à Bobo III, sous un soleil de plomb. "It’s too hot !" lâchent certains membres de sa délégation qui ne quittent plus leur bouteille d’eau minérale.

Salle de contrôle qualité et certification des semences de Bobo III : quelques travailleurs font une simulation du processus de sélection des semences pendant que Georges Yaméogo, le directeur du développement de la production cotonnière à la SOFITEX, au tableau blanc, donne des explications sur les critères de sélection tels :

la productivité (pour le paysan) ;
le rendement à l’industrie ;
les caractéristiques techniques de la fibre (longueur, tenacité, micronaire, neps, etc).

Suivra l’expérimentation variétale qui dure 4 ans et la multiplication des semences en 3-4 ans sur la base de 50kg de semences au départ, mis à la disposition des sociétés cotonnières qui financent à 100% la recherche sur le coton.

L’élève Wolfowitz semble intéressé par le cours magistral, pose beaucoup de questions, et TTC prend souvent le relais de son élément. On sent qu’il est emballé, heureux d’accueillir "chez lui" l’un des principaux bailleurs du Burkina. "Le succès de toute la filière repose sur la recherche", conclut-il avant que les visiteurs d’une matinée ne poursuivent, à l’usine même, la visite guidée.

Il se passe alors quelque chose de cocasse quand Wolfie, qui n’a pas fait crédit d’un bain de foule depuis qu’il a atterri à Bobo, va serrer quelques mains d’ouvriers qui formaient une haie d’honneur, dans leur bleu de travail, le cache-nez bien vissé. Alors que le superbanquier venait de saluer un travailleur, ce dernier, aussitôt imité par ses camarades, sentit sa paume et lâcha, dans un éclat de rire général : "Je sens l’odeur de l’argent".

Après 1h 30 mn passée dans les ateliers, les bureaux, les laboratoires de la SOFITEX, Wolfowitz s’est dit "très impressionné par le travail abattu et les efforts faits pour respecter les standards internationaux. Impressionné par les méthodes de production scientifique, depuis la sélection des semences jusqu’à la transformation en passant par les tests de qualité.

Impressionné aussi par le processus, très complexe, de production de nouvelles variétés de semences. Impressionné également par la coopération entre les trois sociétés cotonnières pour, entre autres, faire avancer la recherche sur le coton".

Wolfowitz, sous ses dehors avenants, un visage affable et des manières policées, a aussi été séduit par la personnalité de François Traoré, l’icône des cotonculteurs burkinabè, qui ne pouvait rater cette occasion en or blanc pour dire à l’illustre hôte tout le mal qu’il pense des subventions à l’exportation, que des pays nantis comme les Etats-Unis, mais aussi la Chine et les pays de l’Union européenne octroient à leurs producteurs.

Ce qui a pour effet, on ne le sait que trop, de gonfler artificiellement l’offre sur les marchés mondiaux, avec pour conséquence une dépression des cours, ruinant ainsi les efforts des cotonculteurs africains, burkinabè en l’occurrence, qui ont pourtant des coûts de production parmi les plus bas au monde.

On verra comment les subventions peuvent être réduites

Le président de l’UNPC-B a, au passage, appris au patron de la BM, qu’ici au Faso, quelque 2,5 millions de personnes vivent directement de la culture du coton, qui représente bon an mal an plus de 50% de nos recettes d’exportation. Si tout cela ne peut pas l’attendrir, on ne sait plus ce qu’il faut faire pour le sensibiliser à cette cause, surtout que les soutiens multiformes des pays riches à leurs producteurs contreviennent aux règles de l’OMC, qu’ils ont pourtant eux-mêmes édictées. Alors, si ce n’est pas une injustice...

Et de fait, celui qui a été installé le 1er juin dernier sous les huées des altermondialistes semble avoir été sensible à la complainte des cotonculteurs, puisqu’il a publiquement reconnu que ce problème faisait "tant de mal, non seulement ici au Burkina, mais aussi dans d’autres pays pauvres". Mais "la meilleure façon de s’y attaquer, a-t-il poursuivi, c’est les négociations du cycle de Doha, qui connaîtront bientôt un tournant important à Hong-Kong".

Puis de faire la promesse suivante : "La Banque mondiale y sera aussi présente et nous allons nous exprimer pour voir comment ces subventions peuvent être réduites". On aura remarqué qu’il ne parle que de "réduction", pas de suppression, mais ici on semble prêt à s’accrocher à cet espoir, aussi mince soit-il.

En tout cas, Célestin Tiendrébéogo n’a pas boudé son plaisir et a dit l’honneur qu’il ressentait à accueillir un tel bailleur de fonds venu connaître la filière coton burkinabè "qu’il a appréciée positivement, aussi bien en ce qui concerne les performances quantitatives que qualitatives, ainsi que la gestion", mais dont il a mesuré également les difficultés, notamment l’épineux problème des subventions. "Je crois qu’il a été sensible à toutes ces questions que nous avons abordées", a indiqué le DG de la SOFITEX.

Mais quelles retombées immédiates ou futures peut-il escompter de cette visite ? Réponse de TTC : "Nous avons posé par exemple le problème d’infrastructures. Il faut que nous ayons de bonnes pistes rurales pour pouvoir enlever notre coton et dans ce domaine, ils sont assez sensibles puisque la BM intervient déjà dans des projets de pistes. Au niveau des infrastructures, nous pouvons donc en attendre beaucoup.

Cela dit, nous avons d’autres besoins comme celui de l’équipement des agriculteurs, et même si la Banque mondiale ne peut pas intervenir directement, elle est quand même mieux écoutée au niveau de certaines sources de financement, de sorte que là aussi, elle peut nous être utile".

Le passage du banquier mondial chez l’un des fleurons, pour ne pas dire la locomotive, de notre économie se termine. L’acrobate de "Djiguiya" qui faisait des pirouettes à l’arrivée de Wolfowitz a cessé ses voltiges. L’espoir, par contre, est toujours là, tenace ; espoir de lendemains meilleurs pour la filière après la visite guidée de 90 mn de celui qui peut débloquer bien des situations.

Ousséni Ilboudo
Observateur Paalga

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