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Affaire Djibrill Bassolé : « A l’ONU, tout est une question d’influence », Windata Zongo, chargé de programme au CAARDIS

Publié le jeudi 20 juillet 2017 à 21h50min

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Affaire Djibrill Bassolé : « A l’ONU, tout est une question d’influence », Windata Zongo, chargé de programme au CAARDIS

Enseignant dans plusieurs Universités européennes, Windata Zongo est Consultant sur les questions de Diplomatie, Géopolitique, Relations internationales et de Gouvernance politique. Chargé de programmes au Centre Africain d’Analyses et Recherches Diplomatiques et Stratégiques (CAARDIS), M. Zongo est bien imprégné des questions africaines. De séjour au Burkina, il a bien voulu, à travers cet entretien, donner son analyse sur des questions d’actualité au Burkina (dossier Djibrill Bassolé, le PPP…), des sujets à l’échelle continentale et la montée du nationalisme en Occident et son impact sur l’Afrique.

Lefaso.net : Que retenir comme actualité au niveau du CAARDIS ?

Windata Zongo : Les choses avancent très bien. En ce moment, exception faite des prestations classiques que sont les veilles diplomatiques, les travaux de recherche, les publications et autres, on participe au renforcement de compétences sur les questions des grands enjeux contemporains et du discours diplomatiques. Pour cette année, nous avons choisi actualité oblige, la notion de la sécurité. On a ainsi monté le projet ‘’comprendre la sécurité’’, qui consiste pour les experts du CAARDIS, à intervenir dans les pays intéressés par des séminaires de formation auprès d’acteurs qui sont généralement gouvernementaux, des organisations de la société civile, des journalistes, d’étudiants et autres personnes intéressées par une meilleure compréhension de la notion de la sécurité. Cela leeur permet ainsi de pouvoir comprendre son aspect multidimensionnel, sa dimension historique, et de développer des actions publiques plus englobantes dans sa quête.

Lefaso.net : Peut-on s’attendre à voir le CAARDIS plus proche du public burkinabè, quand on sait qu’il y a un véritable besoin sur le terrain ?

Windata Zongo : Oui, tout à fait. On a des burkinabè au sein de la structure et on essaie de développer des actions ici. Ce n’est pas très visible pour le moment mais c’est en cours de concrétisation. La complexité administrative fait que cela prend plus de temps que prévu mais ça va se faire.

Lefaso.net : On fait le constat d’une montée d’actes d’incivisme, et de plus en plus violents dans nombre de pays africains (Ghana, Afrique du Sud, Guinée, Burkina, pour ne citer que ces pays). Comment faut-il analyser ce contexte global, un phénomène passager ou une réelle mutation … ?

Windata Zongo : C’est un phénomène qui est malheureusement d’actualité. Il est global sur le continent, car un peu partout, c’est la même chose. C’est une crise de gouvernance née de la perte de légitimité empirique de l’Etat. Dans cette situation, les citoyens, ayant un sentiment de rupture du contrat social de la part des gouvernants dans des champs régaliens de l’Etat (justice et autres aspects de la bonne gouvernance), manifestent leur mécontentement par des actes d’incivilité qui peuvent même se radicaliser s’il n’y a pas de réaction de l’Etat. On ne fait plus, du tout, confiance en la justice légitime et on retourne à une conception hobbesienne (le contrat social, vu par Thomas Hobbes, ndlr). Ce phénomène peut être passager, mais sa fin dépend de la capacité des gouvernants à reconquérir leur légitimité sur le champ empirique par des mesures fortes de justice et des mécanismes de bonne gouvernance. Dans ce cas seulement, les citoyens se réapproprieront leur rôle dans le contrat social et cela mettra fin à cette crise. Ce phénomène, dans son ampleur et sa profondeur, doit permettre aux gouvernants de comprendre que les sociétés africaines des périodes post-transition démocratiques, sont des sociétés de plus en plus averties et donc, la nécessité d’asseoir des régimes ayant pour souci la bonne gouvernance, sont devenues une base pour tout entrepreneur politique.

Lefaso.net : Pour le cas du Burkina, pensez-vous, au regard de la conduite actuelle des affaires, que les citoyens ont des motifs d’agir autrement, que de faire confiance en l’Etat ?

Windata Zongo : Il y a des reformes qui ont été entreprises, du moins, sur le plan institutionnel. Il va falloir maintenant mettre ces réformes en marche. Je pense que le citoyen burkinabè crie tous les jours sa volonté de voir érigée une société juste. Donc, sur le plan de la justice, de l’éducation, de l’accès à l’emploi, les choses doivent suivre cette logique.

Lefaso.net : L’Etat était attendu sur un certain nombre de questions nationales, telles par exemple les associations Koglwéogo, qui ont divisé les populations. N’est-ce pas là, des vides qui contribuent à porter un coup à l’autorité de l’Etat, surtout lorsque le citoyen finit par se convaincre qu’il y a du dilatoire sur des questions vitales ?

Windata Zongo : Effectivement, c’est une question qui divise l’opinion burkinabè. Il y a d’un côté les légalistes et de l’autre, les réalistes. Les légalistes arguent sur la nécessité de rétablir le monopole de la violence légitime par l’Etat, et les réalistes réagissent de manière pragmatique. Je crois que face à ces deux camps, les autorités ont affirmé leur position qui est que la fragilité avérée de l’Etat dans son rôle sécuritaire fait que les koglwéogo, en l’étape actuelle, sont une nécessité, mais qu’il faut les encadrer. Face à un tel discours, et sachant qu’il y a certainement eu des concertations entre les responsables de ces associations et les pouvoirs publics qui assument leur position, on ne peut qu’espérer que le discours véhiculé sur le rejet des abus en matière de Droits humains, soit respecté. En tout cas, dans cette situation, les légalistes pourront toujours critiquer la position du gouvernement, mais je dis toujours qu’en matière de gouvernance, quand on n’est pas dans les champs des décisions, on est toujours prompt à se prononcer. Donc, je pense qu’il sera hasardeux de ma part de me prononcer de manière définitive sur cette question. Je constate qu’au-delà des grandes villes comme Ouagadougou, il y a des populations (et elles sont importantes) qui se disent satisfaites de la prestation des Koglwéogos. Dans ce cas, le discours du ministre sur la nécessité d’encadrer juridiquement leurs actions (c’est-à-dire un Etat de droit) en conformité avec les normes d’un Etat de droit où le droit des accusés ne doit pas être oublié (parce que ça suppose qu’ils ont la présomption d’innocence, jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie) doit être érigée en principe.

Lefaso.net : Parlant de droits de l’homme…, ces derniers jours, l’actualité nationale est rythmée par ce qu’il faut appeler dossier Djibrill Bassolé avec cet avis du Groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies qui a conclu à une détention arbitraire du Général. Quelle peut être la répercussion sur le Burkina, au cas où le souhait de cette instance internationale ne serait pas suivi par les autorités ?

Windata Zongo : Sans vouloir m’immiscer dans des dossiers pendants, je peux dire en connaissance de cause, comment les choses se font dans le champ multilatéral. En réalité, à l’ONU, tout est une question d’influence. C’est lié à la capacité d’un acteur donné (étatique ou pas) de mettre un dossier sur la table et d’en faire un ordre du jour ou pas. C’est ce qu’on appelle une ‘’décision de faisabilité’’. Quand cette décision de faisabilité est actée, la question est traitée et l’ONU tranche selon le droit international. En fonction de la gravité des actes commis, elle peut décider de déclencher la diplomatie coercitive, ou faire des recommandations. Cette action rappelle d’ailleurs celle liée à la présomption de culpabilité du Burkina sur la violation de l’embargo décrété par l’ONU sur le Liberia et la Sierra-Leone. Les Etats-Unis en son temps, ont conduit le dossier, ce qui explique son succès quand on connaît le pouvoir structurel de ce pays. Pour le cas du dossier Bassolé, je crois que la principale crainte du Burkina Faso est de nature symbolique, parce qu’il s’agit d’un avis qui n’a pas de pouvoir coercitif. Mais le fait égratigne ; parce que le Burkina Faso s’était, au fil des années, érigé en tant que principal défenseur des droits humains en Afrique ; donc cela entache un peu sa réputation.

Lefaso.net : Tous ces dossiers soulèvent aussi la question de la réconciliation nationale qui semble s’imposer pour une relance nationale. Comment peut-on parvenir à l’idéal dans un environnement où l’opinion est divisée sur le point de départ (justice avant réconciliation ou vice-versa) ?

Windata Zongo : Personnellement, je pense qu’avant toute réconciliation, il faut que la justice soit. C’est mon point de vue.

Lefaso.net : La réalité est que la justice semble débordée de dossiers, les uns aussi corsés que les autres, comment parvenir à éponger tout cela en un temps record … ?

Windata Zongo : La question est soulevée de part et d’autre, mais je pense qu’il faut laisser la justice travailler, de façon sereine, pour ne pas qu’il y ait des irrégularités.

Lefaso.net : L’actualité nationale, c’est aussi le PPP (partenariat public-privé). Vous qui êtes au contact de plusieurs réalités à travers le monde, est-ce un système actuellement approprié au Burkina ?

Windata Zongo : La gouvernance suppose des actions publiques contribuant à réaliser les aspirations de la société. Donc, il faut savoir mobiliser les ressources, et c’est là où il faut faire preuve d’ingéniosité. Le PPP est une approche qui se fait partout dans le monde. C’est quelque chose qui est parfois nécessaire. Mais là, la question tourne autour de la capacité de l’Etat à contrôler la gestion des ressources à mobiliser. C’est dans ce cadre-là qu’elle est traduite dans le champ politique et les acteurs politiques sont chacun dans leur rôle quand ils s’expriment : l’opposition critique, le parti au pouvoir défend le PPP. Là, il a été validé par l’assemblée nationale donc, va être mis en œuvre. Je pense que c’est là maintenant que les acteurs de la société civile, les médias et le monde de la recherche ont un rôle à jouer en constituant des cellules de veille sur la gestion des Fonds et la réalisation physique des œuvres afin que les choses soient transparentes et surtout, les prestations effectuées. Quant au gouvernement, il doit dresser un arsenal coercitif dissuasif pour d’éventuels cas de corruption ou de détournement qui seront avérés dans le cadre du gré-à-gré.

Lefaso.net : Le Burkina est dans ce grand ensemble qui est l’Union africaine, chapeautée depuis huit mois par une nouvelle équipe. Comment appréciez-vous la marche de l’organisation continentale sous l’ère Condé-Mahamat ?

Windata Zongo : Jusqu’à présent, on a toujours l’impression que c’est plus un forum de chefs d’Etat qu’autre chose. C’est une structure toujours en quête de consolidation et qui doit donc faire face à la montée de la conflictualité sur le continent, mais elle essaie de se battre et Mahamat a la pèche de nouveau venu. J’espère juste qu’il continuera ainsi et que son discours ne se heurtera pas à d’énormes obstacles. D’une manière générale on remarque que pour l’ère Mahamat, le fait marquant, c’est le retour du Maroc au sein de l’UA et la montée en puissance du Tchad dans l’institution. Vous savez que ce pays s’est beaucoup dépensé sur les questions sécuritaires à travers le continent. Donc, l’élection de son compatriote à la tête de l’organisation est aussi une manière de récompenser les efforts de ce pays-là.

Lefaso.net : Récemment, ce pays, le Tchad, s’est fait entendre, notamment sur la lutte contre le terrorisme où il a menacé de se retirer des opérations militaires en Afrique. Une réaction bien à propos ?

Windata Zongo : C’est tout à fait normal, la question sécuritaire ne se règle pas seulement dans les discours ; il y a aussi la capacité des pays à mobiliser les ressources et si les efforts sont mutualisés, cela ne frustrera personne. En ce moment, le Tchad rencontre des difficultés à l’interne, du fait de son économie fortement liée au pétrole dont le prix a chuté ; ce qui a occasionné des crises sociales car les impacts sur la redistribution furent énormes. Donc, il était tout à fait normal que le gouvernement tchadien, plus capable de supporter la majorité des couts des actions du G5, interpelle les autres pays sur la nécessité de respecter leurs engagements.

Lefaso.net : Le retour du Maroc peut-il être un avantage pour l’Union africaine ?

Windata Zongo : C’est toujours bien pour une organisation régionale de voir sa vision communautaire partagée par tous les pays de son espace géographique. Mais pour le Maroc, l’objectif dépasse l’idéologie panafricaniste. C’est une question de rivalité bilatérale. Il s’agit de contrer son rival historique qu’est l’Algérie, dans le cadre de sa position sur le dossier du Sahara occidental. Le Maroc a fini par comprendre que la puissance s’illustre dans le domaine structurel. Dans cette logique, bouder l’organisation est contreproductif, car cela revient à permettre à l’Algérie de pouvoir y user de son influence pour la cause de la RASD (République arabe sahraouie démocratique), ce qu’ils ne peuvent tolérer. Il était donc temps pour eux d’y revenir et d’y mener la lutte. Ce qu’il a très bien fait en menant un travail de fond qui lui aura permis de se constituer des alliés avant le sommet. Cela a facilité sa réintégration. Son principal travail sera maintenant de saper tout ce que l’Union fait sous l’influence de l’Algérie, pour la RASD. Vous avez remarqué que lors du dernier sommet, toutes les questions relatives à ce pays ont été bloquées par le Maroc. Donc, c’est plutôt un choix stratégique que d’être revenu dans l’organisation.

Lefaso.net : Pour revenir à la vie même de l’organisation, on a un discours tranchant du tandem Condé-Mahamat ! On l’a vu avec le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, lors du dernier sommet au sujet de la crise en Somalie, par exemple !

Windata Zongo : C’est normal, il vient d’être élu, et comme je l’ai dit, il a de l’énergie, il veut marquer son territoire. En plus, il connaît le monde diplomatique africain, pour avoir été pendant longtemps, le ministre des Affaires étrangères du Tchad. C’est donc quelqu’un d’averti, qui connaît aussi la zone. Mais, est-ce que son message sera entendu, aura-t-il la capacité, la puissance nécessaire pour réunir les Fonds et pouvoir exécuter ses taches ? Je l’espère pour lui. Ce sont des questions qui sont très délicates, parce que ça va au-delà de la présence même de l’UA, il y a des intérêts stratégiques de certains membres de l’Union qui sont en jeu et les luttes se mènent à ce niveau-là. Dans tous les cas, on espère pour lui qu’il sera entendu.

Lefaso.net : A l’international, une nouvelle ère s’observe en Occident, surtout avec l’arrivée de Donald Trump aux USA et Emmanuel Macron en France. Ce mouvement peut-il avoir un impact sur l’Afrique ?

Windata Zongo : Ce qu’il faut d’abord observer, c’est que ce sont des gens qui ne sont pas issus du champ classique de la politique ; ce ne sont pas des entrepreneurs politiques. Ils sont venus avec des idées révolutionnaires et fortes. Pour Macron il faut saluer la capacité de rétractation des citoyens français qui, après avoir sanctionné les partis classiques au premier tour, ont eu un sursaut républicain. Mais son ascension dans le champ politique je l’espère doit avoir une influence sur l’électorat et la jeunesse en Afrique qui comprendront qu’il est souvent nécessaire de renouveler de manière radicale, une classe politique quand le discours ne passe plus.

Lefaso.net : Comparativement, une certaine opinion pense par exemple que la jeunesse africaine n’est pas, à ce jour, suffisamment formatée pour sécréter des Macron. Est-ce votre avis ?

Windata Zongo : Dire qu’on n’a pas une jeunesse formatée à la Macron, ce n’est pas vrai. Il y a de très bons jeunes leaders d’opinion en Afrique. Cependant, les contextes ne sont pas les mêmes. Il y a d’abord la question de culture politique. La France a une culture politique très intense, dans laquelle l’immense majorité des citoyens a une forte maitrise du jeu politique. Ils ont conscience de ce qu’est la gouvernance, de sa possibilité de sanctionner de façon positive ou négative, les gouvernants. Donc, la venue de Macron peut être considérée comme une volonté d’en finir avec le modèle politique classique qui a failli. L’histoire politique française découle de plusieurs siècles de lutte depuis la royauté en passant par l’avènement d’un nouvel ordre politique qui est la République. Les luttes ont continué pour une gouvernance plus démocratique et sociale et cela se répercute dans le processus de socialisation des citoyens français et sur les institutions. En Afrique, ce sont des Etats jeunes, qui ont 50 ans d’existence. Donc, les choses sont en train de venir, la jeunesse est en train de se battre. Regardez par exemple le Burkina qui en est à sa deuxième révolution. Il y a en ce moment une tendance à la compréhension du jeu politique et de la gouvernance. C’est pareil au Sénégal, et dans beaucoup d’autres pays du continent. Cela n’a pas l’ampleur du cas français, loin de là, mais ça se solidifie.

Lefaso.net : Aussitôt arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a pris le chemin de ses prédécesseurs par notamment son implication dans la mise en place du G5 Sahel. Comment appréciez-vous la création de cette organisation, ne fait-elle pas doublon avec l’existant ?

Windata Zongo : Dans le discours, il a affirmé que la question sécuritaire dans cette zone ne serait pas abandonnée sous sa gouvernance et en même temps, le G5 Sahel rencontre beaucoup de difficultés. J’ai lu la semaine dernière, l’interview du président de l’Assemblée nationale burkinabè qui le reconnaissait, et s’ils ont des partenaires comme la France qui peut les aider, en plus de son action au Mali, pour la lutte contre le terrorisme ; que ce soit sur le plan financier, logistique ou dans le renforcement des capacités, je pense que c’est toujours une bonne chose surtout pour les populations qui souffrent au quotidien.

Lefaso.net : C’est dire que si les puissances occidentales se retirent, il n’y a plus de lutte contre le terrorisme !

Windata Zongo : En matière de lutte contre le terrorisme, j’ai bien peur que l’Afrique ne puisse pas, seule, lutter contre ce phénomène. L’expertise est beaucoup plus développée en Occident qu’en Afrique ; les Occidentaux aussi font face au terrorisme, mais ont une capacité plus développée à faire face à ce phénomène et peuvent renforcer les capacités des forces de sécurité africaines. Dire qu’on peut se passer de ces pays dans la lutte contre le terrorisme relève de l’utopie.

Lefaso.net : On a vu la CEDEAO, en décembre 2016, et sur un autre volet, intervenir militairement dans la crise consécutive à la présidentielle en Gambie où Yaya Jammeh a été délogé de force. Comment avez-vous apprécié cette action de l’organisation communautaire ?

Windata Zongo : Cette intervention de la CEDEAO n’a été qu’une autre confirmation de sa capacité coercitive sur les cas de violations de l’ordre constitutionnel dans son espace géographique. Si vous vous rappelez bien, j’avais fait une comparaison entre la CEDEAO et la structure des Etats de l’Afrique central, la CEEAC, dans laquelle je disais que la CEDEAO est une organisation communautaire prompte à prendre ses responsabilités, quand il s’agit de violation de l’ordre constitutionnel en Afrique de l’ouest. Elle l’a déjà fait pour le cas de la Côte d’Ivoire, et c’est un message dissuasif envoyé aux peuples et aux gouvernants des pays de la zone.

Lefaso.net : D’aucuns y voient quand même une action orchestrée par le Sénégal, un voisin qui n’était pas en bons termes avec le président sorti, on a vu par exemple ses troupes fortement engagées !

Windata Zongo : On pouvait faire le même reproche au Burkina pour le cas de la Côte d’Ivoire, ou à l’Afrique du Sud dans la zone SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) pour le Lesotho. Tout est une question de vécu et d’intérêt. La CEDEAO ne dispose pas d’armée permanente. Donc, lorsqu’un pays est voisin à un autre pays dans lequel il y a un conflit, ce pays-là cherche de manière légitime à pouvoir réguler ce conflit, sous peine de voir sa propre situation sécuritaire se dégrader par les phénomènes d’infiltration de rebelles ou la circulation des armes. Pour le cas de cette intervention, la CEDEAO prend la décision d’intervenir et le Sénégal, pour ces raisons auxquelles s’ajoutent sans doute des motifs diplomatiques (mauvaises relations avec un président bipolaire) apporte l’essentiel des troupes, en toute légitimité. Reprocher cela au Sénégal, c’est faire preuve d’une méconnaissance du contexte géopolitique qui y prévaut et d’une conception candide de la politique étrangère alors que ce pays-là subit de manière directe, la crise gambienne. Au-delà même de l’intervention, ce qui prime c’est qu’Il est important que les gouvernants comprennent que le verdict des urnes doit être respecté, et la CEDEAO, pour la seconde fois, l’a fait comprendre.

Lefaso.net : Cela est arrivé à quelques jours seulement de la prise de fonction du président de la Commission, Marcel De Souza, qui a eu un discours tranchant, montrant également sa vision et son style de gestion de l’organisation. Peut-on espérer l’instauration définitive d’un principe ?

Windata Zongo : Cette dynamique est un acquis pour le cas de la CEDEAO ; je ne pense pas qu’un autre pays bénéficiera de la clémence de la CEDEAO dans le cas d’une violation constitutionnelle. Je pense même que l’exemple de la CEDEAO doit être suivi par les Etats de l’Afrique centrale, quand on voit des pays comme le Burundi qui bascule dans la violence.

Lefaso.net : Justement pour le cas burundais, l’expertise burkinabè s’exporte avec Michel Kafando, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour ce pays. Au regard des précédents et des positions des protagonistes, est-ce un terrain déjà perdu, comme l’analyse une certaine opinion ?

Windata Zongo : Sa tâche sera difficile, mais ce qui est difficile n’est pas impossible. Surtout pour le diplomate. Le diplomate, il doit toujours faire usage de la négociation et M. Kafando est un expert en la matière en ayant été diplomate en chef de son pays puis en ayant déjà défendu le Burkina dans le cadre de la présomption de culpabilité du Burkina sur la violation de l’embargo sur les armes au Libéria et de la Sierra-Leone. Donc, c’est quelqu’un qui connaît la négociation et le système international. Sur le plan de la médiation interne, Il a aussi fait ses preuves en tant que président durant la transition où son usage de la diplomatie a évité des crises, notamment entre le RSP et une autre partie de l’armée, et entre acteurs politiques. Donc, tout ce capital-là doit être exploité, partout où le besoin se ressent. Le fait que l’ONU l’ait choisi traduit une reconnaissance aux capacités de l’homme, mais aussi à une approche devenue de plus en plus burkinabè, qui est la tradition du dialogue. De ce fait en dehors de Michel Kafando choisi par l’ONU, il y a au niveau de la Commission de l’Union africaine Madame Samaté Minata qui est choisie comme commissaire aux affaires politiques de l’Union africaine et qui va apporter l’expertise de l’école burkinabè dans la résolution des conflits sur le continent.

Lefaso.net : Quelle est votre appréciation de l’offensive diplomatique actuelle du Burkina ?

Windata Zongo : La diplomatie est le champ du pragmatisme. Donc, les gouvernants d’un pays choisissent leurs partenaires bilatéraux en fonction des intérêts pendants. Pour le cas burkinabè, on constate que sur le plan bilatéral, le Burkina est en train de miser sur le Sud. On voit à cet effet notre président effectuer des voyages un peu partout au Sud pour établir ou renforcer des relations pour la réalisation de son projet de société. Je constate aussi qu’est en train de se développer une forme de diplomatie parlementaire qui s’assimile et se complète aux actions diplomatiques étatiques dans le discours. Cela est une chose à saluer car il démontre la volonté des structures d’un pays à développer des initiatives pour le développement. Cela se voit par exemple au Canada, en France et pour l’Afrique, en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud et de plus en plus au Burkina Faso. Ce ne sont pas des pratiques qui se substituent à l’action des gouvernements mais les complètent plutôt.

Lefaso.net : Le TAC vient de refermer ses portes, quel est votre regard sur l’évolution de ce cadre de coopération entre le Burkina et la Côte d’Ivoire ?

Windata Zongo : Sur cette question, il faut féliciter les gouvernants actuels ; parce qu’ils ont été prompts à gérer de manière efficace, les affaires gênantes afin de maintenir les relations qu’il y a entre la Côte d’Ivoire et le Burkina par tous les moyens. Sur CAARDIS par exemple, il y a un article qu’on a écrit, dans lequel on démontrait que le Burkina fait usage de tout, y compris de la culture pour maintenir ses relations avec la Côte d’Ivoire. Je trouve que, tant que la paix existe entre les deux pays et que les interactions (économiques, diplomatiques, etc.) se font, c’est toujours profitable aux deux pays et le TAC ne fera que se consolider dans cette optique.

Lefaso.net : L’actualité au plan mondial, c’est cette montée inquiétante du nationalisme en Occident (après le Brexit, on enregistre des mouvements un peu partout). D’abord, qu’est-ce qui peut expliquer cette tendance au repli sur soi ?

Windata Zongo : C’est la résultante d’une mondialisation abusive en marche depuis les grandes conquêtes et qui a occasionné des sociétés inégales avec un centre composé de pays développés, et une périphérie composée de pays qui, pour la grande majorité, tirent le diable par la queue. L’avènement au 19e siècle d’un multilatéralisme avec des mécanismes de gouvernance financière n’a fait qu’accentuer la domination du centre sur la périphérie avec de subtils mécanismes d’aide. Depuis la deuxième moitié du 20e siècle, cette situation on a assisté à une vague de migration économique qui s’est intensifiée dans ce début de 21e avec des départs massifs de populations en quête de vie meilleure en occident. En Europe on a des populations africaines et du moyen et proche orient, et aux USA on a l’arrivée de population d’Amérique du Sud et latine. L’occidental se retrouve du jour au lendemain dans un ordre social complètement bouleversé avec des réponses non satisfaisantes de la part des pouvoirs publics. Il y a donc un repli identitaire et des discours qui s’accaparent cette frustration. Regardez donc Trump qui opte pour des discours populistes crus islamophobes, anti immigrants mexicains et anti multilatéralisme et ça marche. Regardez l’Angleterre, pays d’Adam Smith et de John Lock grands artisans de l’idéologie libérale, qui opte pour un BREXIT. Ça, c’était vraiment un choc. Vous avez aussi le pouvoir d’attraction en pleine ascension du front national en France qui arrive au second tour de l’élection au détriment des partis républicains. Il y a PEGIDA en Allemagne, il y a Jorg Heider….Tous ces personnages ont pour point commun de véhiculer des discours nationalistes, limites racistes mais toujours anti immigrants, et sont entendus lors des élections.

Lefaso.net : Quelle conséquence l’Afrique doit tirer de cette situation ?

Windata Zongo : L’impact de cette montée de nationalisme sur l’Afrique doit se traduire par des politiques volontaristes qui permettront de limiter les migrations économiques en direction de l’occident. Les gouvernants doivent pouvoir démontrer, par des actions publiques, à la jeunesse que l’Europe n’est pas le seul lieu où on peut s’en sortir, qu’en Afrique aussi, on peut s’en sortir. Mais comme je l’ai dit plus haut, il faut que les gouvernants travaillent à mobiliser les ressources, à créer de la richesse et des politiques de redistribution efficaces, et de l’emploi. Cela permettra à la jeunesse de rester sur place et d’éviter l’humiliation qu’elle subit en Occident.

Lefaso.net : A vous de conclure !

Windata Zongo :
Je conclurai sur ce dernier point en demandant d’abord aux gouvernants de s’inspirer de ce qui s’est fait en Asie du Sud-Est, car sur le plan interne, il y a tout ce qu’il faut pour nous développer. Dans le cadre de la compétition pour la sécurisation des approvisionnements entreprise sur le continent par les grandes puissances pour maintenir leurs économies sur les rails, l’Afrique, disposant des matières premières y a une carte à jouer. Certains pays comme le Rwanda l’ont compris et développent la fin des monopoles et des politiques de création des richesses qui peuvent faire école. Il faut pour cela durcir la coercition contre la délinquance et l’incivisme financiers, et surtout veiller à bien mobiliser les ressources pour des politiques publiques légitimes. Au Burkina par exemple, il y a un mécontentement qui s’exprime de plus en plus suite aux attentes placées et j’espère que les actions publiques qui sont en train d’être entreprises produiront des effets d’ici là afin que les populations puissent avoir confiance encore plus confiance en la légitimité des gouvernants.

Lire aussi : Attaques terroristes : « La négociation ne doit pas être mise au placard au profit exclusif de la violence légitime », estime Windata Zongo, spécialiste en Géopolitique et Relations Internationales

Interview réalisée par Oumar L. OUEDRAOGO
(oumarpro226@gmail.com)
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