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ABSP : Ces huiles frelatées de Ouaga

Publié le lundi 13 juin 2005 à 07h18min

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L’Association burkinabè de santé publique (ABSP) a adressé au ministre de la Santé la correspondance ci-dessous, dont nous avons été ampliataire, sur la production et la commercialisation d’huile de qualité douteuse dans la ville de Ouagadougou. Un papier qui sert, si on ose dire, d’opéra, au rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la qualité des produits alimentaires de grande consommation que nous vous proposons dans notre édition de demain.

L’Association burkinabè de santé publique (ABSP) est une association de droit burkinabè créée en 1991 et reconnue sous le N°2004 474/MATD/SG/DGLPAP/DOASOC du 30 août 2004 (suite à la révision des textes fondamentaux en 2004 par l’Assemblée générale).

Elle s’est fixée pour mission d’œuvrer à promouvoir la santé du plus grand nombre de personnes vivant au Burkina Faso à travers des actions de sensibilisation, d’aide à la compréhension des problèmes de santé et à la prise de décisions adéquates et aussi de mobilisation des ressources (compétences humaines et ressources matérielles et financières) conséquentes pour résoudre les problèmes de santé publique.

C’est dans cette optique que depuis quelque temps, et après avoir mené des études ayant trait à l’accès des populations aux soins de base, l’ABSP a entrepris d’identifier les menaces qui pèsent sur la santé des populations, d’en déterminer les origines et d’aider à la mise en œuvre de solutions appropriées. C’est ainsi que depuis 2003, la lutte contre le tabagisme chez les jeunes est devenue une priorité autour de laquelle plus d’une dizaine d’associations se mobilisent.

C’est dans le souci de protéger la santé des populations que l’ABSP s’est saisie des problèmes de santé dont souffrent déjà certaines personnes du fait de l’installation et de l’exploitation en pleine zone d’habitation du Secteur 30 d’une unité de concassage de granit par une société. Une visite sur le site et des entretiens avec quelques habitants ont permis de faire l’état des lieux, d’adresser un mémorandum aux autorités compétentes, et d’informer le public sur cette situation qui est source de toux chronique chez des enfants et des personnes âgées vivant dans la zone.

L’ABSP veut, à travers cette note d’information, attirer une fois de plus l’attention des personnes concernées par la santé des populations sur une pratique anormale en passe de devenir réglementaire si l’on n’y prend garde. Il s’agit de la production et de la commercialisation dans la ville de Ouagadougou d’huile à base de graines de coton.

Les faits

Une équipe de l’ABSP a pu identifier et visiter trois "unités industrielles" installées dans les secteurs 16, 30 et 11, au milieu des habitations. Une visite à l’intérieur (sous prétexte de désir d’achat d’huile) a permis de découvrir du matériel industriel vétuste, installé dans des conditions de salubrité inimaginables. Dans ces « usines à huile », le coton graine avec ses impuretés est passé dans un compresseur. Sur la machine est juchée une personne qui a pour rôle d’y introduire le coton graine ; elle est sans masque de protection malgré les émanations de gaz piquants, et ne possède non plus de combinaison adaptée.

Une fois le coton graine pressé dans le moule tournant, l’huile s’écoule dans une première fosse creusée dans le sol, avant de rejoindre des barriques toutes sales pour y être chauffée ; ces futs ont leurs rebords couverts avec des feuilles d’oseille, pour, dit-on, diminuer les odeurs nauséabondes de cette huile. L’huile est ensuite collectée et mise dans des bidons (couleur jaune) de 20 litres, dont on prend soins de garder les étiquettes originales. Ces bidons sont lavés avec des fibres issues de sacs de riz usagés. Les bidons ainsi remplis sont directement acheminés vers le marché où ils se confondent avec d’autres bidons similaires.

Les risques pour la santé des consommateurs

Les problèmes de santé en rapport avec cette pratique peu « orthodoxe » sont de trois ordres :

1. La qualité des graines de coton est probablement douteuse, car les bonnes graines sont livrées à des unités structurées, contrôlables. Des graines de coton frelatées, contenant de la moisissure, peuvent engendrer de sérieux problèmes de santé allant des indigestions (diarrhées, maux de ventre), aux intoxications avec répercussion sur les fonctions d’organes vitaux tels le foie et les reins, en passant par le déclenchement d’allergies de toutes sortes ;

2. Les conditions d’extraction de l’huile (environnement insalubre, manque d’hygiène chez les employés, matériel impropre, etc.), sont certainement source d’impureté de l’huile, et donc de problèmes de santé ; 3. Le personnel y travaille sans aucune protection, s’exposant de ce fait à des intoxications soit par la peau, soit par les voies respiratoires.

Les personnes attachées de près ou de loin à cette industrie morbide pensent rendre service aux populations, et ne trouvent aucun inconvénient à poursuivre dans cette pratique. Le bidon de 20 litres d’une huile issue de ces unités se vend entre 9 500 F CFA (grossiste) et 11000 F CFA (détail). Qui, du revendeur qui veut se faire des sous à moindres frais, ou du consommateur aux revenus incertains ou modestes, se posera-t-il des questions sur la qualité d’une huile au prix aussi abordable ?

Des questions se posent

- Comment de telles « unités industrielles » qui font du bruit, peuvent-elles s’installer et opérer à l’insu de toute autorité à même d’intervenir pour les rappeler à l’ordre (conseiller municipal, police, cadre de l’administration) ?
- Pourquoi les consommateurs ne dénoncent-ils pas des pratiques qui nuisent à leur santé ?
Qui sera reconnu responsable des problèmes de santé engendrés par ces pratiques, qui n’ont pour seul but que le profit ?
- Si cette pratique a cours dans des quartiers de Ouagadougou la capitale du pays, quelle est la situation dans d’autres parties du Burkina Faso où la pauvreté pousse à consommer ce que l’on trouve et où le vice passe plus inaperçu ?
- Quel est le degré de rigueur des services compétents dans le contrôle de la qualité des produits alimentaires mis sur le marché, et comment les mesures répressives n’arrivent-elles pas à dissuader de telles pratiques ?

Appel

L’Association burkinabè de santé publique appelle les populations à plus de vigilance dans le choix des produits qui leur sont vendus. L’étude qu’elle a menée de 1998 à 2001 a certes confirmé que la pauvreté endémique renforce les risques de maladie tout en diminuant les possibilités d’accès et d’utilisation des services de soins, mais les populations doivent être conscientes des risques liées à la consommation des produits dangereux.

La responsabilité de l’administration dans le développement de pratiques nuisibles à la santé est indéniable, et on le voit à travers le manque de rigueur dans l’application de mesures pour protéger la jeunesse contre les nuisances du tabac, tant les sociétés productrices de cigarettes rivalisent impunément dans la publicité et le sponsoring d’activités culturelles et sportives.

Des structures de l’administration ont pour mission de faire appliquer la loi, de veiller à traquer les contrevenants. Des personnes sont élues par les populations pour servir de relais dans la défense de leurs intérêts. A tous les niveaux, chacun a failli et l’ampleur que prennent les pratiques porteuses de risques pour la santé des populations, interpelle chaque acteur de l’administration.

Les organisations de consommateurs devraient mieux jouer leur rôle de relais auprès de l’administration publique pour lui rappeler ses missions. Quelle suite ont-elles donné à l’enquête parlementaire sur les huiles frelatées ? De notre point de vue, elles auraient dû s’en saisir, en évaluer les limites et appeler les consommateurs à contribuer à l’approfondissement de l’enquête.

Conclusion

L’ABSP remercie tous ceux qui aideront à sensibiliser les populations sur ce risque et sur bien d’autres, notamment : .
- les risques liés à la vente libre des alcools de qualité aussi douteuse que variée. Les autorités compétentes devraient songer à mieux réglementer cette pratique, dont les conséquences sur la santé des jeunes seront catastrophiques ;
- les risques d’accident de la voie publique liés à l’imprudence de beaucoup d’usagers de la voie publique ;
- les risques liés à la consommation exagérée de viandes rouges par certaines personnes qui en ont les moyens ;
etc. Notre rôle est d’informer sur la base d’éléments probants. Pour ce faire nous avons besoin du concours de tout un chacun, car la santé publique est l’affaire de tous. Dr Mathias Somé

Observateur Paalga

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