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Procès du dernier gouvernement Tiao : « On ne pourra ni manipuler la vérité, encore moins la masquer », dixit Maitre Bénéwendé Sankara

Publié le jeudi 15 juin 2017 à 00h30min

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Procès du dernier gouvernement Tiao : « On ne pourra ni manipuler la vérité, encore moins la masquer », dixit Maitre Bénéwendé Sankara

Comme un couperet, la décision tant attendue du Conseil constitutionnel dans l’affaire du procès de l’ancien gouvernement de Blaise Compaoré, est tombée le 12 juin dernier. Les sages ont jugé les articles 21 et 33 de la loi organique portant composition et fonctionnement de la Haute Cour de justice, contraires à la Constitution. Décision curieuse selon Me Bénéwendé Stanislas Sankara qui rappelle qu’en 1995 et en 2015, la même juridiction supérieure n’avait rien trouvé d’anticonstitutionnel dans la loi organique. Mais l’avocat se réjouit de ce que la loi n’a pas été remise en cause, et de ce que les réaménagements à faire permettront enfin d’aller sereinement dans le fond du dossier. Mais n’est-ce pas là une victoire d’étape pour l’accusation ? Non pas vraiment, la poire a été coupée en deux, et rira bien qui rira le dernier, nous a répondu le député-avocat qui nous a reçu dans son cabinet dans l’après-midi du 13 juin 2017. Interview.

Lefaso.net : Comment avez-vous accueilli la décision du Conseil constitutionnel ?

Me Bénéwendé Stanislas Sankara : En tant qu’auxiliaire de justice, avocat, toute décision de justice avec loyauté, on ne peut que prendre acte et aviser comme on le dit couramment. Mais ma première surprise c’est que je m’attendais beaucoup plus à une décision d’irrecevabilité de la part du Conseil constitutionnel parce que le même conseil en sa même composition s’est déjà prononcé sur la loi organique le 1er juin 2015.

J’ai été surpris que les mêmes juges, les Sages, aient le 1er juin 2015 déclaré que la loi organique portant composition, organisation et fonctionnement de la Haute Cour de Justice est conforme à tout point de vue à la constitution, et les mêmes magistrats reviennent deux ans après pour dire que malheureusement la même loi contient deux articles qui sont contraires à la constitution. C’est comme si on disait une chose, deux ans après on dit autre chose.

Venant de ce qu’on appelle des Sages, on observe. Pour moi, c’est quand même une curiosité juridique. Il y a ce qu’on appelle l’autorité de la chose jugée comme ils le disent dans leur décision. De ce point de vue, le Conseil constitutionnel devrait purement et simplement dire aux avocats des accusés que leur demande, même si elle est fondée, est irrecevable. Voilà ce que j’attendais.

Deuxièmement, le Conseil constitutionnel a sélectionné dans la loi deux articles et laissé la loi organique en l’état. Je peux dire que le Conseil a coupé la poire en deux. Je trouve donc motif de satisfaction. Si aujourd’hui ce que les accusés à travers leurs avocats dénoncent comme étant inconstitutionnel, à savoir la question du double degré de juridiction (les articles 22 et 33), il est loisible à l’exécutif et même à l’Assemblée nationale par une proposition de loi, de corriger ces prétendues incohérences pour que la loi qui n’a pas été remise en cause retrouve sa cohérence avec le pacte relatif aux droits civils et politiques avec tous les traités que nous avons souscrits et qui exigent un procès équitable.

Il s’agit donc de mettre la loi portant composition, organisation et fonctionnement de la Haute Cour de Justice en phase avec la constitution et reprendre la procédure là où la haute cour l’a laissée. Je suis donc soulagé de savoir premièrement que la loi organique n’est pas attaquée, deuxièmement que la mise en accusation qui a été faite par le CNT (Conseil national de la transition) reste intacte, donc les poursuites n’ont pas été touchées. Si cette loi est corrigée, les poursuites vont reprendre de la belle manière.

Justement de façon concrète, quelle est la suite qui sera donnée à cette faire…

Je pense que la voie idéale et royale, c’est de retourner à l’Assemblée nationale. Parce qu’au regard des dispositions constitutionnelles, il faut une majorité absolue pour légiférer en matière de loi organique. C’est vrai, c’est un débat politique entre députés, mais de mon point de vue, il y a toujours une majorité pour légiférer. Je pense d’ailleurs que même les députés de l’opposition ne vont pas aller contre le fait de pouvoir juger des crimes abominables comme ce qu’on a vu les 30 et 31 octobre 2014 avec des morts et des blessés.

Je pense qu’on ne peut pas laisser impunis de tels crimes. Maintenant la question est de savoir s’il faut le faire à travers la Haute Cour de Justice, ou à travers une autre juridiction. En attendant, depuis 1995 sous le régime de Blaise Compaoré, la Haute Cour de Justice en tant que juridiction existe dans l’ordonnancement juridique. Ce n’est pas nouveau. On ne peut pas reprocher à nous autres juges de cette juridiction, une connivence quelconque parce que le législateur de 1995 a voulu qu’il y ait cette juridiction. On peut, peut-être au regard de notre histoire, de l’avènement de la 5e république, discuter de l’opportunité ou de l’inopportunité d’une telle juridiction.

C’est cela aussi la question de discuter de la rétroactivité ou la non rétroactivité de la loi. Il faut être clair, l’article 5 de la constitution parle de la loi pénale. Il ne s’agit pas des lois de forme. Une infraction a été commise, il faut trouver les auteurs, il faut situer les responsabilités et tirer les conséquences sur la base du droit pénal qui existe. La loi pénale existe, tout ce que nous sommes en train de faire, c’est la forme. Comment arriver à situer les responsabilités pour l’histoire, pour notre peuple, pour que ces victimes soient dans leurs droits et que le peuple soit fier de sa justice. C’est ce combat que nous menons.

Ce blocage n’était-il pas prévisible ? Dès l’ouverture du procès, les débats ont porté sur les articles 21 et 33 de la loi organique qui manifestement n’étaient pas en phase avec la constitution et certains textes ratifiés par le Burkina Faso…

Ce n’était pas aussi prévisible que cela. N’oubliez pas qu’il y a le dilatoire que jouent mes confrères (Ndlr. avocats). Autrement dit, ils auraient pu, In liminelitis saisir le Conseil constitutionnel. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? C’est cela la vraie question. Une juridiction fut-elle la Haute Cour de Justice n’a pas pour rôle de critiquer la loi elle-même. Le juge a pour rôle de juger, dire le droit en fonction de la loi qui existe.

Dans notre cas, la loi elle-même dit que vous avez la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour lui dénoncer l’inconstitutionnalité. Si les avocats étaient tellement convaincus que la loi est anticonstitutionnelle, ils n’avaient même pas besoin d’attendre deux semaines de débat avant de se raviser pour aller vers le Conseil constitutionnel. Vous aurez remarqué que c’est parce que la Haute Cour de justice est restée sereine que les avocats ont compris.

Mais au début les avocats de la défense ont souhaité que ce soit la Haute Cour de Justice qui saisisse le Conseil constitutionnel…

Justement, c’est pourquoi la Haute Cour de Justice a rendu un arrêt pour dire à ces accusés que leur demande est sans objet. Vous nous demandez en tant que Haute Cour de Justice de saisir le conseil constitutionnel, c’est sans objet parce que le 1er juin 2015, le même conseil constitutionnel a dit que la loi organique est conforme à la constitution ; donc nous connaissons la position à priori du Conseil constitutionnel.
Mais si vous avez intérêt, c’est à vous d’y aller. Ils ont fait leur cinéma pour dire qu’ils se déportaient. Nous avons donné une semaine aux accusés de se trouver d’autres avocats. A la reprise, les mêmes avocats sont revenus, sans excuses, mais avec des recours qu’ils ont eux-mêmes déposés devant le Conseil constitutionnel. C’est là que la Haute Cour de Justice a pris acte et a pris la décision de surseoir et attendre la décision du Conseil constitutionnel. C’est tellement clair comme de l’eau de roche.

Depuis 2014 que les événements ont eu lieu, et maintenant avec ces différents blocages on imagine que le jugement du dossier ne sera pas pour demain…

Si, ça sera pour demain. Je pense que le peuple a toujours été dépositaire de sa justice et la justice est rendue au nom du peuple burkinabè. Nous n’allons pas nous laisser trimballer dans des dédalles de mauvaise foi. Je plaide pour l’Etat de droit, pour la règle de droit, pour les droits de la défense parce que moi-même je suis avocat.

La présomption d’innocence est un principe sacro-saint. Nous sommes tous d’accord qu’il faut un procès équitable, ce n’est pas pour rien que le Burkina en tant que pays démocratique a ratifié tous ces instruments au plan international. En revanche, il faut éviter ce que j’appelle la mauvaise foi ; ce qui est têtu, évident, qu’on veuille trouver des arguties pour se dérober de sa responsabilité.

Pour des gens qui ont géré un Etat, ils devraient faire face à leurs propres responsabilités. C’est en ce moment qu’il faut faire la part des choses. Un avocat défendra toujours son client, bec et ongle parce que c’est son métier ; mais le juge tout comme les institutions joueront leurs partitions. A savoir, faire en sorte que ce procès puisse se mener dans la sérénité, mais au plus vite parce que comme vous le dites, ça fait déjà trois ans que le peuple burkinabè attend. Quand ça commence à être de trop, ça peut amener d’autres types d’interprétations que nous ne souhaitons pas.

Mais je pense que les Burkinabè suivent depuis octobre 2014 de façon sereine ce qui se fait au niveau de la justice. Les victimes ne baissent pas les bras, notre peuple est solidaire parce que ce sang qui a été versé c’est pour que la justice ne soit pas chimérique au Burkina Faso. C’est une des valeurs, aspirations cardinales de notre peuple dans sa lutte et sa quête de tous les jours pour une démocratie véritable. Si cela est bien compris de tous, personne n’a intérêt à vouloir jouer la duplicité avec la loi.

Ça interpelle aussi les autorités, les décideurs, les journalistes, tous les démocrates de ce pays, mais aussi ceux qui aujourd’hui sont poursuivis et qui ont toutes les garanties pour se défendre. En revanche, on leur demande aussi d’assumer leur responsabilité devant l’histoire. Autrement dit, le faux fuyant ne fera ni honneur à ce gouvernement, et à ses camarades.

On peut quand même estimer que c’est une victoire d’étape pour l’accusation non ? Elle a eu gain de cause devant le Conseil constitutionnel dont la décision lui est favorable…

A ce stade, je pense plutôt que c’est une victoire pour la démocratie burkinabè et pour la justice. Cette victoire ne profite même pas aux accusés. Je ne vois pas pourquoi la défense va s’enorgueillir parce que la vraie victoire c’est au bout du jugement. C’est si à la fin, il y a un verdict qui est rendu et qui est en phase avec la justice burkinabè, les aspirations de notre peuple, et qui contribue à réconcilier tout le monde ; parce que la décision aura mis à nu toute la vérité et rien que la vérité. C’est cela l’attente des Burkinabè.

Dans le mot procès, tout tourne autour de la procédure, le cheminement que vous suivez pour aboutir à la vérité. Quand on parle de victoire d’étape, il faut simplement se féliciter de l’attitude de la Haute Cour de Justice qui a entendu raison. Dès lors qu’eux-mêmes (Ndlr. Les avocats de la défense) ont fait preuve de sagesse et ont accepté de saisir le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de Justice a décidé de sursoir au jugement. Le problème c’était eux ; s’ils l’avaient fait dès le début, on n’aurait pas tiré en longueur. Pour moi, c’est une autosatisfaction des avocats, il faut simplement espérer que la procédure puisse aller jusqu’au bout. Comme on le dit, rira bien qui rira le dernier.

La balle est-elle désormais dans le camp de la Haute Cour de Justice ou de l’Assemblée nationale ?

La balle est aujourd’hui en réalité dans le camp du gouvernement qui a la possibilité de saisir tout de suite et maintenant l’Assemblée nationale pour lui demander de revoir la loi organique, notamment les dispositions querellées. Mais je précise que quand le gouvernement envoie un projet de loi à l’Assemblée, les députés ont la possibilité de faire des amendements. C’est-à-dire qu’on peut améliorer la loi pour éviter de se retrouver encore devant la Haute Cour de Justice et que les gens disent que la loi est bancale, ou pas conforme à tel traité. Pour moi c’est une très bonne chose de revenir à l’Assemblée avec la loi, ce que le CNT (Conseil national de la transition) n’a pas pu faire, que l’Assemblée nationale corrige et rattrape les imperfections.

Malgré tout, sera-t-on à l’abri de blocages. A l’Assemblée comme à la Haute Cour de Justice, il y a des députés issus de l’opposition qui ne verront certainement pas les choses comme leurs collègues de la majorité…

Même les avocats ne sont pas neutres, on se connait. Non ce ne sont pas des blocages en tant que tel. Les exceptions de procédure qui sont soulevées par les avocats sont des moyens de défense. De toutes les façons, on multiplie ce que vous appelez blocages quand, au fond on n’a pas d’arguments. On se dit qu’il faut jouer le tout pour le tout pour qu’on n’ouvre même pas le dossier.

C’est pour cela qu’ils développent ce qu’on appelle en droit, les moyens dilatoires pour faire perdre du temps. Vous avez vu qu’au début, ils ont même récusé un membre de la Haute Cour de Justice ! C’était la première tentative. Quand ils ont échoué, ils sont revenus avec d’autres arguments pour dire que la loi n’est pas conforme à la constitution.

C’est un ensemble d’obstacles qu’ils posent pour ‘’caler’’ la procédure afin qu’on n’ouvre pas le vrai problème pour leur demander, « pourquoi des gens sont morts, qu’est-ce que vous en savez ? » C’est cela le débat de fond. Ces blocages n’ont pour effet que de retarder l’échéance du procès. Ils ne pourront jamais faire obstacle à la manifestation dela vérité. Ce n’est pas possible.

Voilà pourquoi je demande au peuple burkinabè d’avoir confiance en la justice, aux institutions, et surtout à cette volonté politique de faire dire le droit. De toutes les façons nous avons un peuple mature, qui depuis 2014 suit, comprend, analyse. De ce point de vue, on ne pourra ni manipuler la vérité, encore moins la masquer.

Interview réalisée par Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net

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