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Michel KAFANDO, Ambassadeur du Burkina à l’ONU :"La voix du Burkina Faso se fait entendre à l’ONU"

Publié le lundi 15 décembre 2003 à 10h10min

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A la faveur de la IXe conférence des ambassadeurs et consuls généraux du Burkina qui s’est tenue du 27 au 30 novembre dernier, nous avons saisi l’occasion pour tendre notre micro à notre représentant au sein du système des Nations unies. Dans cet entretien, S.E.M. Michel KAFANDO nous livre ses impressions sur la vie de l’ONU.

De l’audience de notre pays à l’ONU en passant par la réforme probable de l’institution, sans oublier bien sûr l’avenir de l’Organisation mondiale, autant de questions sur lesquelles M. l’Ambassadeur a accepté d’échanger avec nous.

Excellence de quelle audience notre pays jouit-il au sein de l’Organisation mondiale ?

S.E.M. Michel KAFANDO (M.K.) : Je dois d’abord commencer par vous dire que les Nations unies comme vous le savez sont une organisation qui regroupe actuellement 193 pays. Et la structure de cette organisation est faite de telle façon que chaque pays quels que soient son poids, sa taille, sa puissance économique jouisse d’une voix pour toutes les grandes décisions qui sont prises notamment au niveau de l’Assemblée générale. A ce titre, le Burkina Faso en tant que membre des Nations unies jouit également de ce privilège. Sur le plan de sa participation effective, le Burkina Faso est quand même membre d’un certain nombre d’organes très importants, je vous citerais par exemple la Commission des droits de l’homme qui est un organe extrêmement important, puisque c’est cet organe-là qui essaie de visualiser à travers le monde tout ce qui concerne les problèmes des droits de l’homme. Sur le plan de la lutte pour la promotion de la femme, le Burkina Faso est membre de la Commission de la condition féminine et à ce titre, chaque année il participe avec d’autres Etats membres à l’examen de la question de la femme d’une façon générale, notamment au regard de sa promotion dans le monde moderne, et la question la plus importante actuellement étant la question du genre c’est-à-dire tous les efforts qui sont faits pour l’accession de la femme à l’égalité avec l’homme notamment dans le domaine de l’emploi. Nous sommes également membres du Programme des Nations unies pour l’Environnement, nous sommes membres de la commission des Nations unies pour les stupéfiants. Au total, nous participons en tout cas à au moins 5 à 6 organes des Nations unies dont les décisions sur le plan international comptent énormément. Je pense donc qu’au regard de votre question, c’est une contribution du Burkina Faso à l’équilibre et à la paix du monde.

Un petit pays comme le nôtre peut-il réellement se faire entendre à l’ONU ?

M.K. : Tout dépend des questions qui sont abordées à l’ONU. Tout d’abord, je dois vous dire que, actuellement, les pays travaillent par groupes régionaux. De ce fait, un pays comme le Burkina Faso n’intervient pas de façon isolée. Par exemple sur les questions politiques, nous sommes membres du groupe des Non alignés, c’est ainsi que pour le Burkina Faso lorsque nous avons un problème nous le faisons passer au niveau de ce grand ensemble. Sur le plan économique, nous sommes membres du groupe des 77. Par exemple sur le problème du coton, vous savez très bien que cette année le chef de l’Etat en personne a porté le problème du coton dans l’arène internationale. Il a ainsi été à l’OMC, il en a parlé aux Nations unies, il en a parlé au Japon à l’occasion du sommet de la Tricade. C’est donc dire que, pour un problème comme celui-là, nous avons sensibilisé l’ensemble des pays membres du groupe des 77 et je peux vous dire que tout le monde est vraiment sensibilisé a conscience que la bataille engagée par notre pays est une bataille qui vaut la peine d’autant plus qu’elle concerne un certain nombre de pays comme le Mali, le Tchad, etc.

Donc, ce n’est pas une bataille isolée, c’est une bataille de grand ensemble. C’est aussi valable pour d’autres questions. Nous sommes membres de l’OACI, nous abordons le problème à ce niveau, bref, c’est pour vous dire que actuellement, le Burkina Faso se fait entendre mais surtout par le canal des organisations dont il est membre.

Le continent africain joue-t-il la solidarité au sein de l’ONU ?

M.K. : Pour l’instant, je crois que l’on peut dire que le continent africain est largement solidaire notamment au regard des grandes décisions qui sont prises au niveau de l’Union africaine.

Je vous cite un exemple. Au sommet de Maputo, les chefs d’Etat de l’Union africaine ont pris la décision de présenter la candidature de deux pays membres notamment la candidature de l’Algérie et celle du Bénin pour être membres non permanents du Conseil de sécurité. Le siège de membre du Conseil de sécurité est un problème qui est fondamental, dans la mesure où c’est un organe capital. A ce niveau-là nous avions un certain nombre de différends parce que la Mauritanie qui est aussi membre de notre sous-région était candidate. Mais, en définitive, l’Afrique a joué la carte de la solidarité en avalisant les propositions qui ont été faites par les chefs d’Etat c’est-à-dire présenter la candidature de l’Algérie et celle du Bénin. Cet exemple vient donner la preuve que l’Afrique dans la mesure du possible joue toujours la carte de la solidarité au niveau des décisions qui sont prises par les responsables.

Excellence, on parle de plus en plus de réforme de l’ONU, notamment du Conseil de sécurité. Simple rêve ou projet qui va se réaliser d’ici quelques années ?

M.K. : Ce n’est pas un simple rêve dans la mesure où il faut absolument que le monde arrive à réformer le système des Nations unies et plus particulièrement le système du Conseil de sécurité.

Ce n’est pas un rêve. Rendez-vous compte d’une chose, le Conseil de sécurité a été créé en 1945 par les Etats vainqueurs de la 2e Guerre mondiale. Aujourd’hui nous ne vivons plus les mêmes réalités dans la mesure où le monde s’est agrandi, que les Nations unies sont passées de 40 pays à peu près à la fin de la guerre à maintenant près de 200 pays. Il faut donc une réforme qui prenne en compte toutes les sensibilités du moment afin qu’on puisse gérer de façon harmonieuse les questions de la paix dans le monde.

Excellence dans cette réforme quelle place voyez-vous pour l’Afrique ?

M.K. : Le rôle de l’Afrique dans un Conseil de sécurité réformé est très important et c’est ce qui fait que, les chefs d’Etat au sommet de Hararé ont donné des instructions à leurs représentants aux Nations unies pour défendre la ligne de conduite de l’Afrique dans cette réforme-là. Je vous disais tantôt que cette décision vise à intégrer le continent africain qui n’était pas présent au moment où les Nations unies étaient constituées en 1945, elle vise donc à intégrer notre continent dans cette organisation mondiale, de façon à ce qu’on tienne compte aussi des points de ses vues. Et c’est pour ça que je disais que les décisions qui ont été prises par les chefs d’Etat visent à faire en sorte que l’Afrique en tant que continent regroupant un nombre potentiel de pays, puisse obtenir au moins deux sièges de membres permanents, auxquels s’ajouteraient bien évidemment selon la nature et l’étendue de la réforme des sièges de membres non permanents. Donc, c’est pour vous dire que l’Afrique tient absolument à jouer sa partition et à occuper une place prépondérante dans la future réforme du Conseil de sécurité.

Comment l’Afrique, si souvent divisée, pourra-t-elle s’entendre sur un ou deux pays pour occuper l’éventuel ou les éventuels sièges qui lui reviendront ?

M.K. : Vous avez raison car vous savez comme moi que 53 pays, ce n’est pas du tout deux ou trois pays. Naturellement, quand vous vous retrouvez dans un forum comme l’Afrique, 53 pays comme je le disais tantôt, chacun avec ses intérêts, chacun avec ses visées, chacun avec ses problèmes, ce n’est pas facile. Mais c’est précisément le rôle de l’Union africaine que de tendre vers justement une harmonisation de nos points de vue et je peux vous dire que sur un ensemble de problèmes qui à l’origine divisaient les Africains, l’Afrique est parvenue à avoir une position harmonisée. Je prends simplement le cas des sanctions qui pesaient contre la Libye, qui comme vous vous rappelez ont été levées au sommet de 1998 de Ouagadougou. Vous savez qu’au départ, certains pays n’étaient pas d’accord, notamment des grandes puissances qui nous ont divisés sur la question. Mais en définitive, à la fin de ce sommet, l’Afrique comme un seul homme a décidé unanimement de demander la levée des sanctions contre la Libye. C’est pour dire donc que sur beaucoup d’aspects, selon la nature, l’étendue et surtout l’importance de la question, l’Afrique sait se retrouver et sait prendre aussi des décisions dans le sens conforme aux intérêts des peuples africains.

Notre pays est-il présent dans l’Administration onusienne et qu’est-ce qui est fait pour renforcer cette présence ?

M.K. : Alors, je peux vous dire que le Burkina Faso est présent dans la Fonction publique internationale. Vous savez que nous avons d’éminentes personnalités comme l’administrateur associé du PNUD, Monsieur Zéphirin DIABRE, nous avons aussi Monsieur Arba DIALLO qui est secrétaire de la Convention sur la désertification qui est une structure extrêmement importante, nous avons également disséminés à travers le système des Nations unies d’autres Burkinabè qui occupent des rangs importants. Peut-être me direz-vous ce n’est pas encore suffisant par rapport à d’autres pays ? Mais nous sommes en train de faire un travail, un travail conséquent pour essayer d’élargir l’audience du Burkina Faso dans cette Fonction publique internationale. Je voudrais vous ajouter aussi une chose, c’est que de plus en plus, le Burkina Faso envoie du personnel de police civile et du personnel militaire dans les différentes opérations de maintien de la paix. Tel est le cas par exemple de la RDC où à l’heure actuelle, je peux vous le certifier, le personnel burkinabè est fort apprécié. Tout cela montre que de plus en plus, le Burkina Faso essaie quand même d’acquérir une voix prépondérante dans le système des Nations unies.

Excellence, l’ONU souffre de l’unilatéralisme des puissants de ce monde. Sert-elle réellement dans les grandes décisions qui font le monde ?

M.K. : Ça aussi c’est une question naturellement qui peut prêter à controverse. Ce qui est essentiel, ce qui est certain, à l’heure actuelle où nous ne sommes plus dans un monde bipolaire comme ce fut le cas au lendemain de la 2e Guerre Mondiale, à savoir le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest, nous tendons vers l’unilatéralisme. Dans la mesure où il n’y a plus de confrontation idéologique, vous avez un seul pôle qui tire le monde. Et, nous nous pensons aux Nations unies, que naturellement, cela n’est pas une bonne chose et je pense que si les Nations unies dans cette atmosphère-là n’existaient pas, nous connaîtrions aujourd’hui une situation où les rapports de forces seraient tels que nous les petits pays nous n’aurions même pas eu notre voix dans le concert international.

Mais dans la mesure où l’ONU prône le multilatéralisme à savoir que tout ce qui doit être pris aujourd’hui comme décision du monde doit l’être à travers le canal des Nations unies, et je crois que c’est un mouvement auquel nous devons adhérer.

Donc, je suis convaincu que ce mouvement ira s’amplifiant, et si vous prenez le cas de la guerre en Irak, vous constatez qu’au début des pays comme le Royaume uni, les Etats-Unis qui voulaient absolument en finir avec l’Irak ne sont pas passés par le canal onusien, mais aujourd’hui ce qui se passe en Irak amène ces pays à cette vérité que tout doit se faire par le canal des Nations unies. Donc , je crois que de plus en plus, c’est cet idéal-là qui sera sûrement l’idéal du monde qui nous apportera beaucoup plus de sécurité et de paix pour l’avenir.

Quel avenir pour l’ONU ?

M.K. : Ce n’est pas parce que je suis représentant permanent à l’ONU que je dois la défendre, mais j’ai la certitude que dans notre monde, qui est tout de même caractérisé par un rapport de force, vous avez les puissants, vous avez les moins puissants, l’ONU constitue un pôle qui amortit les grands chocs. Le Burkina Faso aujourd’hui peut se prévaloir d’aller parler aux Nations unies et dire ce qu’il pense et d’aller même à contre courant de ce que certaines puissances prônent. Mais ça c’est parce que les Nations unies représentent comme je vous le dis un pôle d’amortissement des grands chocs et aussi représentent un tremplin dans lequel chacun est libre de s’exprimer et faire valoir son point de vue. Je pense que si l’ONU n’existait pas, il aurait fallu la créer.

Interview réalisée par Frédéric ILBOUDO
L’Opinion

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