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Assassinat de Norbert Zongo : Cinq bougies, toujours pas de lumière

Publié le lundi 15 décembre 2003 à 07h10min

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"Cinq ans d’impunité, ça suffit". C’est sous cette empreinte de
ras-le-bol que le Collectif des organisations démocratiques de
masse et de partis politiques et ses militants ont commémoré
pour la cinquième fois, le triste anniversaire de l’assassinat, le
13 décembre 1998 à Sapouy, de notre confrère Norbert Zongo
et de ses trois ompagnons d’infortune. Film de la marche du 13
décembre 2003.

"C’est compliqué, le dossier Norbert Zongo est compliqué". Ce
refrain repris par le millier de sympathisants du Collectif pourrait
traduire à lui seul, la complexité de "l’affaire Norbert Zongo", qui
depuis le 13 décembre 1998, fait battre le pavé aux troupes du
général en chef Halidou Ouédraogo. Pourquoi ce dossier est-il
si corsé, au point de troubler le sommeil des uns et de jeter
d’autres dans la rue, sous le chaud soleil de Ouaga ,chaque
année ? "Le drame de Sapouy est inadmissible dans un pays
qui se dit démocratique", répond un militant du Collectif du
Ganzourgou.

"C’est donc à juste titre que les populations du
Burkina Faso, particulièrement sa jeunesse ont accueilli avec
colère et indignation l’annonce de la mort de ce militant intrépide
et émérite des droits humains, pénétrées de l’idée qu’il s’agit
encore là d’un forfait du pouvoir de la IVe République", soutient
Halidou Ouédraogo, le président du Collectif. Pourtant, l’affaire
Norbert Zongo a fait l’objet d’enquêtes avec à la clé des rapports
rédigés rendus publics ou non. Mieux, la justice burkinabè a
l’affaire en main et le chef de l’Etat, dans son allocution du 21
mai 1999, avait rassuré ses "concitoyens et concitoyennes" que
la lumière sera faite sur ce crime.

Et tout était bien parti pour que cette page noire de notre histoire
soit définitivement tournée, même si pardonner ne signifie pas
oublier. La Commission d’enquête indépendante installée par le
pouvoir a signifié que "les assassins de Sapouy et leurs
commanditaires doivent être recherchés dans les arcanes du
pouvoir". Le Collège de sages, encore un produit du pouvoir en
place, reconnaît la faillite de celui-ci dans la gestion du pays. La
Journée nationale de Pardon et le Comité national d’éthique
complètent la liste des structures mises en place par le pouvoir
de la IVe République, qui affiche dans cette optique sa
détermination à mettre l’affaire au clair, surtout que la
Commission pour la réconciliation nationale a recommandé,
pour cette affaire Norbert Zongo et les autres crimes
économiques et de sang, "la vérité, la justice et la réconciliation".

Vérité, justice et réconciliation

Vérité et justice. C’est ce que réclamaient les militants du
Collectif, qui habillés de tee-shirts à l’effigie de Norbert Zongo,
qui portant des posters du journaliste disparu, et tous arborant
un brassard noir pour exprimer le deuil. Les slogans contre le
régime de la IVe République fusent des rangs et les banderoles
du Collectif ou celles tenues par les ex-travailleurs de
l’Entreprise Oumarou Kanazoé, répercutent la frustration
ressentie par les manifestants. Une chorale chantait. Des
occidentaux ont pris place dans les colonnes, tout comme
Eustache Yama Zagré, ce gendarme retraité à la barbe très
fournie. L’homme est assez vieux, en témoigne la blancheur de
sa barbe et de ses cheveux, mais il a tenu à avaler à pieds, la
centaine de kilomètres qui séparent Koudougou de
Ouagadougou. Pour la circonstance, "le guerrier" était vêtu d’un
costume traditionnel couvert d’amulettes. Il serait un parent de
feu Norbert Zongo. Bien que son accoutrement soit assez
insolite pour la ville, Eustache Y. Zagré a tenu à faire montre de
son ire contre la situation qui prévaut et pour cela, il fut
longuement ovationné au Rond-point des Nations Unis.

Manif douloureuse

"Mettez-vous au rang, 5-5", rappelle un animateur de la marche
muni de son mégaphone. L’ordre était privilégié pour cette
manifestation douloureuse. Au début, nous avons été un peu
déboussolés car l’itinéraire de la marche-meeting a été
modifiée, raccourcie. Plus question pour les marcheurs
d’occuper la Place de la Nation, encore moins d’aller jusqu’au
Premier ministère . "Sauf si tu as envie de respirer du gaz
lacrymogène", nous avertit ironiquement un confrère. Tolé
Sagnon, secrétaire général de la CGT-B, explique : "Le pouvoir
de la IVe République use du dilatoire et de la répression pour
essayer d’étouffer la lutte du Collectif à défaut de le liquider et
éviter ainsi de faire la lumière sur le drame de Sapouy et sur
tous les autres crimes impunis". Et Tolé Sagnon de retracer les
"tracasseries administratives" qui ont empêché le Collectif de
respecter son programme initial. Tour à tour, le ministre de
l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), le
chef d’Etat Major général des armées et le maire de la
commune de Ouagadougou ont été épinglés dans la narration
des entraves aux manifestations commémoratives du 13
décembre 2003. Tout ceci a amené Tolé Sagnon à conclure que
"le collectif continue de faire peur au pouvoir".

Les choses se sont donc déroulées autrement, mais la
mission du collectif a été accomplie dans une certaine mesure
et son message remis à Alidou Sanfo, conseiller technique au
MATD, bien encadré par les CRS (Compagnie républicaine de
sécurité), parviendra certainement à qui de droit. "Ce sera fait", a
noté Alidou Sanfo, pour rassurer son homonyme Halidou
Ouédraogo. Cet échange très courtois, a été fait sous l’oeil
étranger mais intéressé de la déléguée du Collectif contre
l’impunité du Niger et de Issa Tiendrébéogo qui a réitéré
l’engagement du G-14 et du Collectif à continuer dans la
solidarité, la lutte pour l’aboutissement total du respect des
droits humains et de l’accomplissement du mieux-être social.

"L’heure est grave"

Donc, la marche du 13 décembre n’est pas qu’une étape du
processus instauré par le Collectif. "L’heure est grave", a
mentionné Halidou Ouédraogo, en citant les acquis de cinq ans
de lutte du Collectif. "Au total donc, c’est bien une lutte âpre et
soutenue qui est en train d’être menée par le Collectif pour la
matérialisation de sa plate-forme d’action revendicative". Le
dirigeant du "pays réel" poursuit : "Et ce ne sont pas les
accalmies plus ou moins brèves qui y changeront quelque
chose". Et ce combat du Collectif est opportun, selon un
manifestant. "Tandis que le pays réel n’arrive pas à assumer un
minimum vital, situation décrite dans le rapport sur le
développement humain durable, une poignée occupe les
quartiers ombragés, s’installe le long des avenues de rêve, a
accès à tout, nourriture, logement, médicaments, instruction,
droits régaliens et nous en passons".

Le constat du président
du Collectif vient se greffer sur d’autres actes d’impunité et
d’arbitraire comme "les polices parallèles des complots où
d’honnêtes citoyens sont tracassés et enfermés". C’est ainsi
qu’"à la faveur d’une annonce de tentative présumée de putsch,
des citoyens sont détenus dans les locaux de la Gendarmerie
nationale, parmi lesquels Norbert Tiendrébéogo, président du
FFS membre dirigeant du G-14 et de la coordination nationale
du Collectif".

"D’autres initiatives"

Tout en oeuvrant pour la satisfaction de sa plate-forme, le
collectif s’ouvre d’autres fronts de lutte. Et Halidou Ouédraogo
d’énoncer les cinq initiatives à entreprendre par le Collectif, dont
celle "d’introduire le dossier Norbert Zongo et ses compagnons
au niveau de la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples ou tout simplement au niveau du Comité des droits
de l’homme des Nations Unies où ce dossier ira grossir le
dossier Thomas Sankara et treize autres devant ces instances".
De même, le Collectif compte "poursuivre le processus de
réalisation de la stèle dédiée à Norbert Zongo, à ses
compagnons, à Flavien Nébié et aux autres citoyens et
démocrates, tombés sur le champ de la quête de la liberté et du
progrès social".

Où est le professeur ? Notre étonnement fut partagé par notre
voisinage immédiat. La surprise était en effet grande de
constater l’absence de Joseph Ki-Zerbo, le leader du PDP qui,
malgré son âge très avancé, était rarement absent à une
manifestation du Collectif de cette envergure. "Il n’est pas là,
mais il était au cimetière le matin, pour le dépôt de la gerbe de
fleurs sur les tombes de Norbert et ses compagnons" a précisé
un confrère.

Le retour des marcheurs pour regagner la rue passant devant
le Centre culturel français Georges Méliès d’où ils avaient pris le
départ, s’est opéré également dans l’ordre. Le passage devant
le Palais de Justice, a donné l’occasion à des manifestants de
conspuer davantage l’appareil judiciaire qui, selon le Collectif
"soutient vainement le pouvoir de la IVe République".
Lorsque nous enlevions nos chaussures poussièreuses à la
fin de la journée, une seule image nous est restée : la cinquième
bougie n’a toujours pas apporté la lumière sur le crime de
Sapouy. Et c’est la triste constatation qui peut être faite au soir
du 13 décembre 2003. Le groupe de rap burkinabè Yeleen
aurait peut-être demandé à ce titre "juste un peu de lumière".

Par Morin YAMONGBE

Le pays

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