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Mahamoudou Ouédraogo :"C’est une injustice si jusqu’à présent, un pays aussi culturel que le nôtre n’a pas un de ses sites sur le patrimoine mondial de l’UNESCO"

Publié le mardi 7 juin 2005 à 12h58min

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Le ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme burkinabè, Mahamoudou Ouédraogo, a la défense et la promotion de la culture de son pays chevillée au corps. Une passion saine, éclairée et communicative qui est presque devenue sa raison de vivre et que nous avons voulu partager avec lui à travers cette interview.

Un entretien-vérité au cours duquel l’homme assène ses vérités sur des grandes questions de l’heure telles que le dialogue interculturel à l’heure de la "mondialisation marchande", la relation entre culture et développement et réaffirme sa foi en la politique culturelle qu’il entend mettre en œuvre pour le bien commun. Car, il n’y aura pas de développement sans culture et, le développement ne pouvant être promu que dans la paix, seule l’interdépendance culturelle dans le dialogue et le respect mutuel fera entrer notre monde dans "l’âge d’or" tant souhaité, mais qui demeure jusque-là une ligne d’horizon.

Sidwaya (S.) : Monsieur le ministre, pouvez-vous donner les grands traits de la politique culturelle que vous entendez mettre en œuvre et répondre à ceux qui disent que nonobstant les dispositions relatives à la diversité culturelle et à l’exercice des droits culturels cette politique est une vue de l’esprit à l’heure de la mondialisation marchande ?

Mahamoudou Ouédraogo (M.O.) : Cette question qui contient l’inquiétude de certaines personnes est compréhensible. Mais d’abord, pour parler de la politique culturelle, disons que c’est la philosophie qui sous-tend l’action du gouvernement du Burkina Faso dans le domaine de la culture. Une politique qui commence d’abord par définir le concept même de la culture au niveau de l’UNESCO, des principales déclarations dans le monde et au niveau du Burkina Faso.

Notre constitution parle de culture en mettant l’accent sur l’action culturelle. Cette politique culturelle prend également en compte tous les acquis du passé et du présent de notre pays. Vous savez que le Burkina Faso est un pays qui est cité comme un modèle en matière de promotion de la culture. Nous sommes donc souvent invités à travers le monde pour décliner notre acception de la culture et notre entendement de la problématique actuelle qui concerne le monde culturel. Sur la diversité culturelle par exemple, il y a une grande réunion qui est prévue à Madrid à la mi-juin et qui réunira les ministres de la culture du monde entier à laquelle nous prendrons part. Cela nous permet de dire que lorsque l’on fait de vous, un leader, un modèle, on vous confère des droits, mais mieux vous êtes astreint à des devoirs, dont celui d’être pionnier et d’avoir une vision prospective sur les sujets d’ordre culturel, surtout lorsque nous sommes dans l’inconfort de la mondialisation. Laquelle n’est pas une vue de l’esprit de nos jours, mais une réalité concrète. Et c’est pour cela que nonobstant tout ce que notre pays a pu faire en matière de culture avant, pendant et après la colonisation, il est important de ne pas penser comme le philosophe que l’absence de politique est aussi une politique, mais de donner un contenu à ce que nous entendons par politique culturelle. Pour ce faire, il a fallu d’abord que nous puissions revisiter nos us et coutumes, en extraire le substrat qualitatif et préserver et promouvoir celui-ci. C’est par exemple, l’arbre à palabres, invention des Africains qui ne traduit rien d’autre que la capacité d’écoute, de dialogue avec l’autre, pour arriver à des compromis qui ne sont pas des compromissions. Ce sont des acquis de notre peuple, tout comme la parenté à plaisanterie que nous devons préserver et transmettre aux générations futures.

Nous revisitons aussi nos langues nationales comme principaux vecteurs de la culture et nous disons qu’elles doivent être préservées, développées et avoir une bonne place dans la politique de l’éducation nationale, dans celle de la promotion des locuteurs des langues nationales. Et aucune langue n’est inférieure à une autre. Il y a seulement des langues qui sont plus véhiculaires que les autres et cela est dû soit au commerce, soit à l’histoire.

Ce n’est donc pas parce que sui generis, cette langue est meilleure. Cette politique culturelle nationale met aussi l’accent sur la coopération parce que la culture c’est comme une plante que l’on arrose, à la seule différence que ces plantes-là doivent communiquer entre elles pour se fortifier davantage. Cela ne doit pas être unilatéral car, si nous ne recevons que de la culture des autres sans qu’il y ait une possibilité d’interaction, d’échange, il y a danger et la coopération culturelle n’a plus son sens. Et nous revisitons maintenant tout ce que l’on appelle les arts, que ce soient ceux classiques, de la scène, nous disons que ce sont des actions de promotion qui doivent aussi être menées dans ces domaines au regard de toutes les satisfactions qu’ils ont values à notre pays. J’en veux pour preuve le cinéma, car il fut un temps où le FESPACO était plus connu que la Haute-Volta de l’époque. La politique culturelle tend aussi non seulement à reconnaître les mérites des acteurs culturels qu’ils soient du public ou du privé, mais aussi à assurer la protection des artistes. A l’heure actuelle, les artistes, qu’ils soient plasticiens ou qu’ils soient au niveau du cinéma ou de la musique rencontrent beaucoup de problèmes. Le problème c’est que la culture nourrit son homme jusqu’à un certain point où l’homme doit se nourrir lui-même. Si l’on prend le cas d’un musicien, il arrive un moment où il est au sommet de son art et où il engrange beaucoup d’argent. Lorsqu’il décline, vient le temps des vaches maigres et face aux problèmes sociaux, c’est la croix et la bannière. J’ai vécu la décrépitude physique et morale de personnalités culturelles de ce pays dont le moment de gloire était passé et que, étant du domaine du privé, il n’y a pas un filet de sécurité sociale qui les empêche de retomber vraiment bas. C’est à l’Etat d’imaginer en liaison avec les artistes, un filet social que nous avons appelé le statut de l’artiste, qui puisse subvenir à leurs besoins et cultiver la solidarité entre eux. La tâche est énorme, car en résumé, il s’agit d’avoir une vision de développement d’un secteur (la culture) qui correspond à la politique du pays et dans le cas d’espèce, à la politique du président du Faso, Blaise Compaoré.

S. : Venons-en à présent au deuxième volet de la question qui n’est pas loin d’assimiler cette politique à une sorte de poursuite du vent avec les modèles dominants ?

M.O. : Face à cette critique, je dirai que l’intellectuel tout comme le non intellectuel participent d’une même démarche, à savoir celle du vivant, qui agit sur le terrain, puisque c’est à partir du concret que nous réfléchissons. On dit par exemple que les arts sont premiers et la culture seconde. Cela veut dire que l’être humain a d’abord laissé des témoignages de son passage sur terre (grotte de Lasco, rochers d’Arbinda...) puis il réfléchit sur ce qu’il a laissé.

L’aspect intellectuel est donc inséparable de l’aspect matériel, pratique et il donne toute sa plénitude à l’être humain. En plus, quand on parle des modèles dominants par rapport aux modèles dominés, on fait référence aussi à l’économie qui présente le même schéma. Cela veut dire que la lutte est infinie et a commencé il y a des millénaires lorsque les êtres humains ont développé l’instinct grégaire qui a donné naissance à l’économie domestique jusqu’à celle industrielle d’aujourd’hui.

Si c’est une vue de l’esprit en matière de culture, ça l’est aussi en matière économique. Nous pouvons nous référer aussi au domaine de la science où les modèles dominants sont en Occident et ceux dominés, chez nous. Jusqu’à présent, le software vient d’ailleurs de même que le hardware. Cela ne nous empêche pas de travailler non pas pour être le modèle dominant, car nous ne voulons dominer personne, mais pour une interdépendance. Il faut qu’il y ait aussi une interdépendance en matière de culture et c’est pour cela que nous sommes pour la diversité culturelle, laquelle affirme clairement qu’aucune culture n’est supérieure à une autre et que tout Etat a le droit d’avoir sa politique culturelle. Nous avons donc la nôtre, nous la promouvons et œuvrons à la fortifier, tout en disant qu’une culture isolée meure.

Cela ne doit cependant pas nous amener à une trop grande ouverture, source d’extraversion, toute chose qui nous pousse à dire par exemple que nous devons d’abord consommer notre propre musique avant celle des autres. Nous sommes l’un des rares pays où l’on écoute beaucoup de musique venant de l’extérieur et cette tendance doit être inversée. Et que l’on ne nous parle pas de la qualité des œuvres, car nous savons que beaucoup de nos musiciens sont capables de remplir le stade municipal. Chacun doit se poser en son âme et conscience, la question de savoir de combien d’œuvres musicales burkinabè dispose-t-il chez lui et la fréquence d’écoute de ces œuvres. Ainsi, chacun situe sa part de responsabilité dans l’extraversion culturelle de notre pays et peut contribuer à corriger cet état de fait, en restant toujours ouvert, parce que c’est aussi la culture des autres qui enrichit et fortifie la nôtre et vice-versa.

S. : Dites-nous quelle démarche pratique adopter dans la préservation et la promotion du patrimoine culturel pour bâtir une communauté unie ?

M.O. : Il y a d’abord la part de tout le monde comme je viens de le dire. Ensuite, et je m’y attelle avec mes collaborateurs depuis sept ans, il faut parler aux Burkinabè pour leur dire qu’ils ont un trésor culturel qui est envié par les autres, ce dont ils n’ont pas toujours conscience. Je le redis, la culture c’est le pétrole du Burkina Faso, car c’est grâce à elle que notre pays a été pris en exemple dans le monde. La conscientisation est en marche, mais le problème réside dans l’état d’esprit de tous et de chacun, parce qu’on n’impose pas la culture.

Lorsque vous l’imposer, il y a une réaction de rejet instantanée. Il faut donc amener les populations à aimer leur culture en la leur faisant connaître. Et c’est pour cela qu’avec l’aide de l’Etat et pour la première fois dans notre pays, nous produirons bientôt trente jeunes musiciens en même temps. Le directeur du CENASA est responsabilisé pour cela, aidé par un jury de musiciens confirmés. Dans le domaine de la littérature, nous avons aussi lancé l’opération Cinquante auteurs qui seront produits en collaboration avec Sidwaya. Autant de cas concrets qui montrent que l’on avance dans un sens positif. Il s’agit de démocratiser la culture nationale en mettant le maximum de produits culturels burkinabè sur le marché et en baissant leur prix de vente pour que le maximum de nos compatriotes se les approprie. C’est comme cela que nous allons "booster" notre culturel, chaque Burkinabè devenant un vecteur de promotion de celle-ci.

S. : Dans cette promotion de la culture nationale, quelle société de l’information préconisez-vous ?

M.O. : La société de l’information est une notion qui prend en compte les nouvelles technologies, si tant est que l’aire de l’information connaît un bouleversement des technologies de l’information et de la communication. Là où il y a une connexion entre cette société de l’information et la culture, c’est que les nouveaux moyens de communication permettent de multiplier pratiquement à l’infini les produits culturels. Et le danger qui était perçu par les ministres de la Culture depuis plusieurs années, c’était que si rien n’était fait pour montrer que la culture n’est pas seulement une marchandise, mais qu’elle a une part ineffable en matière commerciale, les TIC vont bouleverser dans un mauvais sens la culture. Car, il suffira que le pays qui a le plus de moyens dise : "je produis à l’infini les biens culturels qui ne sont qu’une marchandise et j’inonde le monde entier" sans que les autres pays moins nantis ne puissent arriver à un échange équitable. C’est pour cela que nous disons que la société de l’information n’est pas orientée d’elle-même, mais par les hommes dans le bon ou le mauvais sens. C’est comme le cas du nucléaire qui peut être développé de façon plus pacifique pour donner plus d’énergie et promouvoir le bien-être humain, mais auquel on peut donner une charge négative. La société de l’information sera ce que les hommes voudront qu’elle soit, et elle pourra agrandir le fossé entre eux ou les rapprocher et éviter les convulsions que notre planète connaît actuellement.

S. : Pour parler du problème de la relation entre culture et développement, dites-nous comment créer des espaces républicains et démocratiques à partir des matériaux propres aux cultures africaines ?

M.O. : Je disais dès le début qu’en réalité, l’Afrique a des valeurs ancestrales qui sont bonnes et d’autres qui sont mauvaises et qu’il ne faut pas garder. Parmi les premières, vous savez par exemple que les chefs africains n’étaient pas élus de manière dictatoriale. Il y avait au minimum un collège qui les élisait, et dans certaines parties de l’Afrique et même du Burkina Faso, l’élection du chef se fait par alignement derrière le candidat de son choix. Cela veut dire qu’en réalité, l’Afrique a inventé ce qui a été développé dans les autres continents. En revenant à ce qui existait, ce n’est pas un retour, mais un recours. Nous ne sommes pas passéistes si tant est que la seconde notion renvoie à l’idée d’inventorier son passé pour promouvoir le présent et préparer l’avenir, alors que la première est passéiste. Nous voyons donc que dans le passé, nos ancêtres avaient inventé des espaces républicains qui n’ont rien à envier à certaines formes d’espaces telles que les agoras qui ont existé dans la civilisation occidentale. La redistribution des rôles sociaux s’opéraient aussi en dehors de l’arbre à palabres.

C’est ainsi que la reine-mère avait de l’influence pour faire parfois pièce à la vox populi, si tant est qu’une décision peut-être populaire mais injuste. Il s’agit d’avoir des conseillers assez courageux pour l’expliquer au souverain. Il y a donc dans les valeurs léguées par nos ancêtres des ferments de la vie républicaine qui ont pu au fil du temps, être déviés de leur cours normal par des avatars historiques. Cela pouvait être l’action de dictateurs qui ont évacué l’espace social de toute forme de démocratie parce que les circonstances le commandaient pour eux ou pour des raisons tout à fait personnelles. Mais cela ressort dans toutes les civilisations avec notamment le cas de Cromwell en Angleterre, lequel est parti sur de bons sentiments avant de dériver ou encore la Révolution française qui a engendré le régime de la Terreur. C’est dire que l’évolution historique des pays de la terre n’est jamais rectiligne. Il peut y avoir des va-et-vient, des reculs qui ne sont pour autant pas synonymes de stagnation. Il faut surtout comprendre qu’à un moment donné, l’élan positif a été brisé surtout au niveau de la colonisation. Il suffit de revisiter notre propre histoire pour savoir qu’il y a des aspects positifs que nous pouvons retirer pour féconder le présent et anticiper sur les problèmes de demain.

S. : Vous voulez donc faire table rase de la théorie de la table rase ?

M.O. : Bien entendu, car comme vous le savez, la "tabula rasa" n’a jamais existé. Et même si Hegel qualifiait l’Afrique de continent a-historique, tout le monde sait que l’histoire est née en Afrique et nulle part ailleurs, puisque le premier homme y est né. Plus tard, on saura que la civilisation la plus brillante pendant des millénaires, celle égyptienne, était sur le continent africain. Et les rois nubiens comme Taharka régnait sur toute l’Egypte et le Soudan actuel. C’est dire que tous ceux qui ont cru à la théorie de la table rase ont été le jouet de leurs propres lubies.

S. : Pour en revenir à "votre" politique culturelle, quels sont les attributs de la personnalité burkinabè dont vous parlez ?

M.O. : Vous savez que le nom burkinabè constitue à lui seul tout un programme. Ce sont les hommes du pays intègre. Cela veut dire que c’est un programme dont la finalité est que nous soyions nous-mêmes en étant habillés de nos valeurs culturelles positives. Car, aucun pays ne s’est développé en dehors de sa culture et le Sud-Est asiatique en est l’exemple le plus illustratif jusque-là. Ils n’ont pas jeté Confucius aux orties. Ce n’est pas le cas malheureusement chez nous, car, avec "l’aide" du colonialisme, nous avons cru à un certain moment que tout ce qui venait de nous était mauvais. Souvenez-vous que lorsqu’on parlait les langues africaines à l’école, on vous faisait porter un symbole pour vous ridiculiser. Il fallait nous déculturer pour pouvoir nous acculturer et être comme les autres.

Une entreprise impossible de toutes les façons, car nous ne sommes pas comme les autres, et si le modèle est fait sans un minimum culturel local, nous échouons. Il ne faut plus copier l’ancien colon comme le disait Roger Gérard Schawenberg, mais savoir être habité à nouveau par les valeurs positives de notre culture. Car, et le Sommet social de Johannesburg l’a reconnu, la culture est devenue l’un des quatre piliers du développement, voire le premier. La culture doit donc être au cœur du développement.

S. : Dans ce sens, où en êtes-vous avec le répertoire des biens culturels burkinabè ?

M.O. : Nous sommes très avancés et le répertoire est prêt et axé sur deux points. Il y a l’inventaire des biens culturels du Burkina Faso qui comporte 114 lieux. Il y a aussi la liste nationale qui répertorie les trésors affinés avec des fiches, lesquels sont au nombre de 44. C’est sur cette liste que nous avons proposé à l’UNESCO de choisir au moins deux sites qui figureront sur la liste du patrimoine mondial. Il s’agit au niveau du patrimoine mondial matériel, du site de Lorepéni et de celui immatériel du faux départ du Mogho-Naaba. Nous avons dit que c’est une injustice si jusqu’à présent un pays aussi culturel que le nôtre n’a pas un de ses sites sur le patrimoine mondial de l’UNESCO. Une fois cette première étape franchie, nous entendons proposer les sites de Dioulasso-Bâ, de Tiébélé... Nous avons une longue liste parce que notre pays le mérite, car il est l’un des pionniers en matière de culture.

Une interview réalisée par Boubakar SY
Sidwaya

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