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« La bonne santé financière de l’entreprise sans la bonne santé sociale, c’est comme un véhicule sans chauffeur… », confie Adama Ouédraogo, juriste, gestionnaire des ressources humaines

Publié le mercredi 22 mars 2017 à 23h58min

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« La bonne santé financière de l’entreprise sans la bonne santé sociale, c’est comme un véhicule sans chauffeur… », confie Adama Ouédraogo, juriste, gestionnaire des ressources humaines

C’est avec passion qu’il aborde les questions liées à la Gestion des ressources humaines, métier perçu à la fois comme « stratégique et très opérationnel ». Diplômé en droit administratif et en droit judiciaire, Adama Ouédraogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est spécialiste en administration et organisation des ressources humaines. Actuellement directeur des ressources humaines pour le compte d’un grand Groupe d’entreprises de la place, Adama Ouédraogo a plusieurs milliers d’employés à ‘’manager’’. Son métier, voici comment il le définit …

Lefaso.net : Que faut-il entendre par l’expression « Gestion des ressources humaines, GRH » ?

Adama Ouédraogo : Il faut d’abord situer que la gestion des ressources humaines tire ses origines de l’administration du personnel. C’est en fait l’administration du personnel au sein de l’entreprise qui a évolué à travers le temps, pour devenir la gestion des ressources humaines (GRH). Ainsi, le concept de « Gestion des ressources humaines » dépasse la simple administration du personnel pour englober le management du capital humain de l’entreprise avec toutes les nouvelles fonctions qui en découlent. Ce qui signifie que le concept comporte plusieurs facettes complémentaires, indissociables et surtout indispensables au bon fonctionnement de l’entreprise. Ceci étant, la Gestion des ressources humaines peut être définie de nos jours, comme un ensemble de pratiques du management du personnel ayant pour objectif de mobiliser et de développer le capital humain pour une grande performance de l’entreprise. En effet, elle détermine la stratégie de fonctionnement de l’entreprise et le suivi des performances. La gestion des ressources humaines comprend des fonctions administratives, opérationnelles et managériales.

D’une manière générale, la gestion des ressources humaines, c’est précisément la gestion du personnel de l’entreprise dans les domaines de la gestion des carrières, la gestion des compétences, l’établissement des contrats de travail, l’application de la législation du travail, la gestion de la paie et des rémunérations, la gestion des conflits, la gestion de la motivation et de l’implication du personnel, le recrutement et la formation, la communication dans l’entreprise, les conditions de travail, les relations sociales, l’évaluation des performances individuelles.
Mais cette définition est loin d’être exhaustive, étant donné que la gestion des ressources humaines s’étend à tous les domaines touchant le travailleur dans sa vie professionnelle.

D’une manière synthétique, la gestion des ressources humaines, c’est la gestion professionnelle, juridique, sociale, psychologique, morale et même philosophique du travailleur depuis son entrée dans l’entreprise (recrutement) jusqu’à sa sortie de l’entreprise (rupture du contrat de travail).
Pour terminer, il faut faire une distinction entre les gestionnaires des ressources humaines. Il y a les Gestionnaires des Ressources Humaines de l’administration publique relevant de la loi 081/2015/CNT portant statut général de la fonction publique et il y a les Gestionnaires des Ressources Humaines des entreprises privées relevant de la loi 028-2008/AN portant Code du Travail au Burkina Faso.

Quelles sont les attributions d’un Directeur des ressources humaines (DRH) au sein d’une entreprise ou d’une organisation ?

Adama Ouédraogo : Le Directeur des ressources humaines assume la responsabilité de l’ensemble de la fonction ressources humaines, c’est-à-dire les fonctions administratives, opérationnelles et managériales. Il assure les fonctions administratives, car il lui revient d’appliquer et de faire appliquer les dispositions légales, réglémentaires et conventionnelles ; l’enregistrement, le suivi et le contrôle des données individuelles et collectives du personnel de l’entreprise ; le suivi administratif des salariés (paie, congés, maladies, contrats, etc.) ; le maintien de l’ordre et le contrôle des travaux ; la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Le Directeur des ressources humaines gère l’emploi, les programmes de recrutement, les plans de carrières, les mutations et les promotions, l’analyse des postes, l’évaluation et la notation des travailleurs.
Il assure la gestion des rémunérations par l’analyse des postes ; la gestion des grilles salariales ; la définition des politiques de rémunération ; la gestion de la formation par la détection des besoins, l’élaboration des plans de formation, la mise en œuvre des actions de formation et l’évaluation des résultats.

Le Directeur des ressources humaines définit la politique visant à organiser et à améliorer les conditions de vie, de travail et de sécurité au sein de l’entreprise. Il recherche le maintien d’un bon climat en relation avec l’équipe dirigeante.
Il détecte les potentiels, manage les performances et valorise les compétences, pilote et anime les relations de travail, anime et suit les institutions représentatives du Personnel.
Enfin, il supervise et anime la communication interne à travers la gestion des publications de l’entreprise et la conception des messages, des notes de services, des directives et autres circulaires internes.

Selon vous, quel est le prototype ou le profil d’un DRH ?

Adama Ouédraogo : Au regard des missions et tâches que je viens d’énumérer (qui ne sont d’ailleurs pas exhaustives), il faut dire qu’un DRH est avant tout un homme comme les autres hommes, avec ses qualités et ses défauts. Très humblement, je pense qu’un DRH doit être d’abord un homme droit. Droit dans le sens de la droiture et droit dans le sens de la constance. Il doit avoir un sens de l’organisation et de la réorganisation, parce qu’un bon directeur des ressources humaines n’a pas besoin de faire appel à une expertise extérieure pour auditer et organiser sa direction. Il doit dresser périodiquement (annuellement par exemple) un constat sur les problèmes, les disfonctionnements et les risques qui en découlent. De ce fait, il doit fournir une méthodologie et des techniques adaptées aux caractéristiques de sa fonction en évaluant l’efficacité. Il doit faire des propositions sur la politique de gestion des ressources humaines tout en définissant les modalités d’application.

Le directeur des ressources humaines doit avoir de fortes capacités managériales, dans la mesure où la gestion du capital humain est très différente de la gestion les moyens matériels et financiers. Il doit avoir des aptitudes stratégiques et politiques. Pour cela, il doit être au parfum de l’actualité socio-politique nationale et internationale. Le DRH doit avoir le sens du dialogue, de l’écoute et de la conciliation. Il doit être ferme, rigoureux et plein d’autorité. En fin, il doit avoir un tempéramment calme et être discret, réservé et patient dans la conduite des affaires.

Un DRH juriste de formation dans une entreprise, qu’est-ce que cela peut apporter de plus ?

Adama Ouédraogo : Il y a une maxime juridique qui dit « Ubi societas, ibi jus ». Ce qui signifie que là où il y a la société, c’est là où il y a le droit. Le droit est inhérent de l’organisation sociale. Il n’y a pas de sociétés qui foctionne sans règles, ni principes et ce, à toutes les échelles. Les entreprises aussi sont régies par des règles de fonctionnement internes et externes.

Il faut dire que le juriste est celui qui explique et applique le droit. En principe, le juriste a une compétence générale, c’est-à-dire qu’il peut se prononcer sur n’importe quel aspect de la vie (économie, gestion, comptabilité, commerce, sociale, fiscalité, politique etc.). En matière de gestion des ressources humaines dans les entreprises privées, la loi 028/2008 portant Code du Travail au Burkina Faso, la Convention Collective Interprofessionnelle de Juillet 1974, les Conventions Collectives Sectorielles, les Règlements Intérieurs et les Textes d’application du Code du Travail et de la Sécurité sociale (décrets, arrêtés et autres) constituent le tableau de bord d’un directeur des ressources humaines. Cette situation présente des avantages pour un juriste de formation, en l’occurrence lors qu’il s’agit de l’interprétation et de l’application des textes que je viens de citer. Le second atout est relatif au traitement de certains dossiers qui requièrent non seulement la procédure administrative, la procédure disciplinaire mais bien souvent, la procédure pénale ou la procédure civile.

En effet, le directeur des ressources humaines juriste, a l’avantage de maitriser les règles permettant à l’administration et aux administrés de son entreprise d’éviter la justice et de défendre en justice leurs droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Il a l’avantage de maîtriser l’ensemble des règles procédurales et processuelles qui englobent à la fois la procédure civile, la procédure pénale et la procédure administrative. Certes, il y a des entreprises grandes ou moyennes, qui ont déjà des avocats pour les conseils, la défense et la représentation de l’entreprise dans son ensemble. Mais au niveau de la Direction des Ressources Humaines, ce sont les textes juridiques qu’il faut quotidiennement appliquer pour gérer et diriger. C’est pourquoi, je pense que le juriste a un profil mieux indiqué pour diriger les ressources humaines. Cependant, mes propos doivent être bien clairs, car, je ne dis pas que les juristes sont les meilleurs DRH.

Quelles sont les difficultés que peut rencontrer un DRH dans l’exercice de ses fonctions ?

Adama Ouédraogo : Le directeur des ressources humaines coordonne toutes les activités des ressources humaines. Je souligne qu’il est membre du Comité de Direction ; il fait partie de l’équipe dirigeante. Ce qui veut dire qu’il travaille en étroite collaboration avec le directeur général et les responsables hiérarchiques des différents services de l’entreprise. Il est l’avocat de la Direction générale auprès des travailleurs et inversement, il est l’avocat des travailleurs auprès de la Direction générale. Avocat dans le sens propre du terme, c’est-à-dire représentation, conseils et défense. Cette situation fait qu’il travaille permannement entre le marteau et l’enclume. Tantôt la Direction générale est le marteau et les travailleurs l’enclume, tantôt ce sont les travailleurs qui sont le marteau et la Direction générale l’enclume.

Les difficultés sont principalement d’ordre organisationnel. Vous savez, l’absence de statut de personnel et de manuel de procédures interne dans certaines entreprises constitue une entrave à la bonne gestion des ressources humaines. En effet, dans ces entreprises, il y a des problèmes de traitement, de gestion administrative et de responsabilisation des travailleurs. Les postes de travail sont attribués suivant que la tête du travailleur plaise ou déplaise et les salaires sont fixés à la tête. Il y a aussi l’impatience ou l’empressement de certains dirigeants d’entreprise qui, face à certains problèmes, prennent des décisions sans entendre toutes les parties prenantes. Alors que le principe du contradictoire est une règle fondamentale dans la résolution des litiges, des conflits, voire les problèmes. Ces situations, au-delà de l’injustice et de la démotivation qu’elles créent, mettent à mal le DRH qui a en charge l’application de la justice distributive et interactive. Elles mettent en difficulté le Directeur des ressources humaines qui est le garant du climat social.

Dans les entreprises où le personnel est consistant, le DRH peut être confronté à des problèmes de communication interne (communication descendante, ascendante ou transversale), c’est-à-dire le problème de faire passer une idée, une décision et de la faire comprendre et accepter par tous. Il faut faire usage de moyens différents pour expliquer et faire passer le message. Pour guider son troupeau, le berger a besoin d’un seul bâton, dit un proverbe. Mais, pour diriger une entreprise de centaines ou de milliers de travailleurs majoritairement constitués d’employés qui n’ont pas un niveau d’instruction assez élevé, « on a besoin pour chacun d’une règle bien adaptée. Certains veulent des règles petites, d’autres veulent des règles grosses, souples, sûres, avec des épines, sans épines.

Donc, il faut parler à chacun, le langage qu’il veut.… Ce n’est pas facile » ; a dit le Président Thomas Sankara dans une interview accordée le 4 octobre 1987 à la journaliste allemande Inga Nagel, interview considérée comme la dernière avant sa mort. Par contre, lorsqu’il s’agit d’une entreprise où les travailleurs sont majoritairement des agents de maîtrise et des cadres, il y a moins des soucis au niveau de la communication. Le DRH manie au quotidien le bâton et la carotte et vous savez qu’un père de famille qui a dix enfants manierait plus le bâton par rapport à un père de famille qui n’en a que deux.
Les difficultés que peut rencontrer un DRH sont donc multiples et multiformes et je ne saurais les citer toutes.

Vous citez le président Sankara avec précision, êtes-vous sankariste ou faites-vous la politique ?

Adama Ouédraogo : Tout le monde, d’une manière ou d’une autre, fait la politique. Je suis un être politique et j’exerce et accomplis pleinement les droits et devoirs politiques que me confère la loi fondamentale de mon pays. Ce serait donc absurde de ma part de dire que je ne fais pas la politique. Quant au réal politique ou à la politique politicienne et autre, je suis observateur comme beaucoup de Burkinabè. J’ai cité le président Sankara c’est vrai, mais j’aurais pu citer une autre personnalité politique ou littéraire, si ses idées concordent avec mes pensées. Suis-je sankariste ? J’ai été un pionnier sous la révolution sankarienne comme d’ailleurs beaucoup de burkinabé de ma génération. Et nostalgiquement, je me souviens de ce slogan « Pionniers ! Osez lutter, savoir vaincre. Vivre en révolutionnaire, mourir en révolutionnaire, les armes à la main. La patrie ou la mort, nous vaincrons ! ».

Je suis sankariste dans le sens de l’intégrité, de la conviction, de l’espoir, de la constance, de la rigueur et de la modestie. Pour emprunter le mot à mon professeur Laurent Kilachu Bado, dans le sens « du vrai, du bon et du juste ». Je suis sankariste, pas dans le sens de l’utilisation négative de l’idéal Sankara. Je pense que le sankarisme, c’est le réalisme politique et non la fiction politique, le sankarisme, c’est dans les actes, dans les faits et gestes. Il y a des hommes politiques ou non qui n’appartiennent pas aux formations politiques d’obédiences sankaristes, mais qui tiennent des discours sankaristes. J’ai suivi très attentivement (comme beaucoup de Burkinabè d’ailleurs !) le Président Rock Kaboré lors de sa rencontre avec les journalistes le 29 décembre 2016 pour dresser le bilan de sa première année de gouvernance. Il a parlé avec conviction et avec humilité.

A mon sens, il a tenu un discours que je vais qualifier de sankariste, direct, réaliste et sans langue de bois. A ce que je sache, le Président Rock n’est pas sankariste de par sa formation politique ! Il y a aussi le Chef de file de l’opposition politique Zéphirin Diabré qui tenait des discours que je qualifie de sankaristes lors des grandes mobilisations à la place de la nation contre la modification de l’Article 37. Idéologiquement et politiquement, il n’est pas d’obédience sankariste ! Ce ne sont que deux exemples, parmi tant d’autres, que je peux citer. Il existe des partis politiques avec des hommes qui incarnent vraiment l’idéal Sankara. Il y a ceux-là aussi qui utilisent cet idéal à des fins de politique politicienne, de marchandage ou de mercantilisme politique. Je trouve honteux d’utiliser la mémoire d’un grand homme comme Thomas Sankara pour faire « la politique du ventre », d’après le politologue français Jean François BAYART.

Pour conclure notre entretien ?

Adama Ouédraogo : Mon dernier mot est principalement adressé aux patrons d’entreprise. Je voudrais leur dire que la bonne santé financière d’une entreprise doit s’imbriquer ou se conjuguer avec sa bonne santé sociale (capital humain). Je pense que la bonne santé financière de l’entreprise sans la bonne santé sociale, est comme un véhicule sans chauffeur et la bonne santé sociale sans la bonne santé financière est comme un véhicule sans carburant. Il faut faire en sorte que le véhicule ait à la fois du carburant et un chauffeur. Il est vrai que la plupart des entreprises privées au Burkina, en Afrique et partout dans le monde, sont des entreprises familiales. Mais, au-delà de l’aspect familial, je pense que les dirigeants d’entreprise doivent asseoir une organisation adéquate, efficace et efficiente fondée sur les compétences avec des traitements conséquents. Ils doivent avoir un management sérieux et adapté, basé sur l’équité et non sur la discrimination. Cela pourrait être un gage pour la vie, la survie, la pérennité et la prospérité de leurs entreprises.

Propos recueillis par Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net

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