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Les médias du Nord face à l’Afrique : Ne soyons ni masochistes, ni sadiques

Publié le mercredi 1er juin 2005 à 07h39min

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Du 21 au 23 mai s’est tenu à Naïrobi au Kenya le congrès de l’International Press Institute (IPI). L’un des discours qui aura retenu l’attention des plus de trois cent cinquante (350) participants a été celui de Paul Kagamé, le président du Rwanda, dans la mesure où il a fait un procès en règle des médias occidentaux qui ne parlent de l’Afrique qu’en mauvais termes : maladies, guerres, sécheresses, inondations, corruption, mal gouvernance, etc.

Des journalistes africains participant à ce forum ont, dans les débats, abondé dans le même sens que le numéro un rwandais en jugeant les écrits et les émissions de leurs confrères pas très confraternels et parfois afrophobes.

En outre, ils estiment que dans la mesure où l’Afrique est toujours décrite de façon négative, on éloigne les investisseurs et les touristes du vieux continent (qui n’est pas l’Europe, mais l’Afrique, car c’est celle-ci qui est le berceau de l’humanité). Conséquence, cette attitude ajoute sa quote-part dans le délabrement des économies africaines.

D’un autre côté, pour ces journalistes africains, les progrès de notre continent en matière de démocratie, d’économie et de gestion des problèmes sont passés sous silence, insuffisamment traités ou simplement dénaturés. En fait, c’est parce que les journalistes sont les maîtres de la parole et de la plume que c’est eux qu’on entend le plus.

Sinon, des dirigeants aux simples citoyens en passant par les différentes strates de la société, cette impression prévaut qui n’est pas dénuée de fondement. Parfois leurs appréciations sont en deçà de la réalité, car il est des médias occidentaux pour lesquels l’Afrique n’existe même pas. Un coup d’œil dans les journaux et sur le petit écran des pays européens et nord-américains est suffisamment instructif sur le sujet.

Les complaintes et les jérémiades des Africains sont en grande partie justifiées. Le problème est qu’ils passent le plus clair de leur temps à critiquer les médias du Nord. Mais quant à se demander ce qu’eux-mêmes en tant qu’Africains portent comme responsabilité dans cette affaire, ils n’en ont pas le souci ou le courage.

Des appréciations qui rappellent le procès de la colonisation

Ce ressentiment des Africains, comme nous l’affirmions, est bien compréhensible, bien fondé. Cependant, il semble être un combat d’arrière-garde à l’instar de celui qui a consisté et/ou qui consiste à faire sempiternellement le procès de la colonisation et à utiliser cet épisode tout de même douloureux de notre histoire, pour justifier nos problèmes et déconvenues actuels.

L’ironie du sort est que ceux qui dénoncent et pourfendent la colonisation sont ceux-là même qui, grâce à cet héritage colonial qu’est l’école, sont aux commandes des Etats artisanalement échaffaudés par les anciennes puissances coloniales. Il n’y aurait pas eu de colonisation que leurs chances de disposer des connaissances du genre qu’ils ont maintenant et d’être les roitelets qu’ils sont aujourd’hui se seraient considérablement amenuisées.

Dans cette affaire, il nous vient en mémoire la descente aux enfers à laquelle Robert Mugabé, président du Zimbabwé, a conduit son pays à travers son refus de jouer franchement le jeu démocratique et une réforme agraire mal menée. Ce cocktail a entraîné le pays dans une crise inextricable, dont les responsables sont R. Mugabé et son entourage. Hier héros adulés, ils sont aujourd’hui des tyrans que le peuple n’aurait pas hésité à vomir s’il en avait les moyens.

Tant et si bien que s’il est bien à propos de dénoncer les méfaits de la colonisation britannique et leurs conséquences sur la vie actuelle des Zimbabwéens, il est plus pertinent d’examiner, à la manière de l’Afrique du Sud de Nelson Mandela, comment ne pas commettre les mêmes erreurs que le colonisateur, comment assurer la promotion sociale des Noirs tout en lésant au minimum les Blancs, comment mener une politique d’indépendance nationale tout en profitant des avantages qu’offre le partenariat avec les anciennes puissances coloniales et les Etats-Unis et enfin comment mener une politique de gauche dans un contexte de démocratie libérale.

Venons-en maintenant aux médias

A bien des égards, l’attitude des Africains, de leurs médias et de leurs journalistes africains ressemble à celle de certains dirigeants dont Robert Mugabé est la parfaite illustration. Effectivement, critiquer les médias occidentaux au sujet de la place et de l’image de l’Afrique, c’est bien, mais procéder à une introspection afin de nous critiquer nous-mêmes, de critiquer nos dirigeants et proposer des solutions est encore meilleur. Certes, les médias privés font ce travail, mais ce n’est pas suffisant ; certes celui qui s’y aventure risque de le payer de sa vie comme Norbert Zongo, mais hélas et mille fois hélas, il nous semble que ce soit un passage obligé.

Les dirigeants sont d’autant plus à critiquer que certaines de leurs erreurs peuvent être évitées : si l’on prend le cas d’une catastrophe naturelle (inondation, sécheresse), le meilleur des dirigeants du monde n’y peut rien, c’est un fait. Cependant, la manière d’organiser les secours et l’après-catastrophe est un paramètre sur lequel on peut agir avec une certaine efficacité même si les moyens sont maigres.

Or ce n’est pas toujours le cas. Et c’est bien là un euphémisme. S’agissant des médias occidentaux, il n’est un secret pour personne que comme cela est enseigné dans les écoles de journalisme, le chien qui mord l’évêque n’est qu’une information tandis que l’inverse est une nouvelle dont les gens vont se délecter.

Autrement dit, le travail journalistique accorde une place de choix à l’insolite, à l’inattendu.

Dans ce sens, le fils d’un président de la République (pas d’un monarque) qui lui succède d’une façon pour le moins abracadabrantesque est insolite et inattendu et ne peut donc qu’intéresser les médias et surtout ceux du Nord. Et quand ce président de la République a "régné" pendant près de quarante (40) ans sur son pays, cela ajoute à l’insolite.

Par ailleurs, quand un chef d’Etat divorce d’avec sa femme pour épouser l’enfant de son homologue d’un pays voisin du sien, n’y a-t-il pas de l’insolite et de la matière pour les médias ?

Dans cette logique, on peut citer l’extraordinaire, le sensationnel, l’inédit qui sont très prisés par tous les médias et singulièrement ceux du Nord.

Aussi, est-il juste de faire descendre sur eux des boules de feu quand ils se font l’écho des épidémies et pandémies, des inondations, des sécheresses et de la gestion scabreuse des Etats qui ont cours en Afrique ? Ne convient-il pas d’ailleurs de les y encourager de sorte qu’ils viennent en complément aux médias nationaux ? Ce qui pourrait susciter auprès des puissants du jour des initiatives hardies et auprès de la communauté internationale une certaine assistance.

Un autre point qui rend parfois inopportunes et impertinentes les récriminations à l’endroit des médias européens et nord-américains au sujet de l’Afrique est que ces organes d’information ne font pas non pas de cadeau, d’une manière générale, à leurs propres pays ; que de scandales dont les médias ont été à la base, Watergate aux Etats-Unis, écoutés téléphoniques de l’Elysée en France, etc. Au regard de tout cela, il revient, nous semble-t-il, aux Africains de s’engager davantage dans la résolution de leurs problèmes de gestion politique et économique, car les faits "négatifs" dont parlent les médias ne sont pas chimériques et ne relèvent pas de la machination.

Ils existent donc indépendamment de la volonté des journalistes et des médias. Cela dit, il n’y a pas que des mauvaises nouvelles que ces médias véhiculent concernant notre continent même si la balance pèse du côté de celles-ci. Sans masochisme, nous devons reconnaître notre part de responsabilité et sans sadisme établir les leurs.

Zoodnoma Kafando
L’Observateur

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