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Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (1)

Publié le lundi 6 juin 2005 à 08h19min

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Il laisse deux volumes de "mémoires", monumentaux, et un grand trou dans l’Histoire du Burkina Faso. Il faisait partie des "incontournables" ; de ceux qui sont dépositaires d’une partie essentielle de la mémoire de ce pays.

Avec, sans doute, l’abbé Séraphin Rouamba, Gérard Kango Ouédraogo, Joseph Ki-Zerbo, Martial Ouédraogo, Frédéric Guirma, etc.

On croisait encore le vieux Lamizana, en boubou et calot, lors des manifestations officielles ; il appartenait à ce comité des sages mis en place après la phase de "rectification" de la Révolution. Il avait été considéré, un temps, comme une "personne ressource" dans la mise en oeuvre du processus démocratique.

Sangoulé Lamizana est né (sans précision de mois et de jour) en 1916, en pays Samo, à Dianra, dans le cercle de Tougan (actuelle province du Sourou). Tougan, à moins de 30 km de la frontière avec le Mali, c’est un bout du monde ; cela se trouve partout et nulle part dans cette région semi-steppique qui doit son nom à la rivière Sourou, "capturée" par la Volta noire (Mouhoun dans la terminologie burkinabè), un curieux fleuve qui, à cet endroit, décrit une étrange épingle à cheveux.

Le Sourou a été, de tous temps, une terre d’études et d’expérimentation : canne à sucre ; blé ; riz (la Révolution y a aménagé des périmètres irrigués et en a fait une terre de "colonisation" pour les jeunes burkinabè).

C’est à Tougan que Lamizana possède sa résidence privée. A sa naissance, il n’y a pas encore vingt ans que les Samo ont été vaincus par les Français. Ce n’est qu’en janvier 1897 que le chef de bataillon Destenaves, dont le QG se trouvait au Soudan français, à Bandiagara, en pays Dogon, est parvenu à briser leur résistance ; mais il ne parviendra pas à leur imposer un traité de paix : les Samo n’ont pas de chef unique !

A vingt ans, Lamizana s’engage dans l’armée française. Nous sommes en 1936 ; l’époque est propice aux guerriers ; ils ne manqueront pas de tâches à assumer, en Afrique, en Europe ("Croyez-vous qu’Adolf Hitler avait de la sympathie pour les Noirs ? Le combat pour la libération de la France était aussi celui de notre liberté !" disait Lamizana) puis en Asie.

Les pérégrinations militaires du jeune sous-officier (Croix de guerre des TOE, Croix de la valeur militaire) sont contées dans le tome l de ses mémoires. Il les dédicace d’ailleurs à ses "frères d’armes [Français] avec l’espoir que ceux d’Afrique noire ne resteront pas que de simples portraits de galerie d’une certaine histoire ; ils méritent plus qu’une reconnaissance". Espoir déçu. Il trouvait injuste que sa femme ne puisse pas toucher, à sa mort, sa pension d’ancien combattant africain (il sera en pointe dans le combat pour la revalorisation de ces pensions) alors qu’ils étaient déjà mariés avant qu’il ne quitte l’armée française.

C’est le 7 août 1947 qu’il épouse la jeune Bintou (de son vrai nom Mouilo Kekele). Il a 31 ans ; elle a à peine plus de la moitié de son âge. Ils auront huit enfants. Deux ans plus tard, il obtient le grade de sous-lieutenant puis va être affecté au Centre d’études africaines et asiatiques comme moniteur de langue Bambara (janvier-juin 1950). Il est lieutenant en 1951 puis sera nommé chef adjoint du cabinet militaire du gouverneur de la Côte d’Ivoire (1956-1959). Pendant ce temps, il obtient ses galons de capitaine (1967). C’est en 1961 qu’il prendra sa retraite de l’armée française après y avoir servi pendant vingt-cinq ans.

Chef adjoint du cabinet militaire du gouverneur de la Côte d’Ivoire de 1956 à 1959 (Pierre Messmer venait alors de laisser la place à Ernest de Nattes), Lamizana a connu cette époque de l’AOF où, dira-t-il, "le brassage des cadres était automatique [...] Les cadres étaient affectés sans tenir compte de leur pays d’origine [je rappelle que la colonie de Haute-Volta, créée en 1919, a été supprimée purement et simplement, du 5 septembre 1932 au 4 septembre 1947]. Quand les indépendances ont été octroyées [...], par orgueil, chacun voulait être maître chez lui. C’était une erreur que les dirigeants actuels tentent de corriger. Ma position n’a pas changé sur la question. Le Burkina étant un pays sahélien et enclavé, j’ai vite compris que notre intérêt résidait dans l’intégration. Nous avons donc inscrit dans notre Constitution que nous sommes prêts à abandonner une partie de notre souveraineté dans le cadre de l’intégration. Cette disposition existe toujours" [il s’agit de l’article 146 dans le titre XII : de l’unité africaine, de la Constitution de 1991].

Ayant quitté l’armée française, Lamizana se retrouve, tout naturellement, propulsé parmi les cadres de l’armée voltaïque (la Haute-Volta est indépendante depuis le 5 août 1960 et les accords de coopération avec la France ont été signés le 24 avril 1961). Chef de bataillon, Lamizana va être le premier chef d’état-major des Forces armées voltaïques (FA V).

A la fin de l’année 1965, le président Maurice Yaméogo, confronté à un mouvement social d’envergure lié à la mise en place de mesures d’austérité, voit son régime contesté par l’ensemble de la population ; les travailleurs, fortement syndiqués, ont constitué un Front syndical qui va multiplier les manifestations. Le 30 décembre 1965, "Monsieur Maurice" proclame l’état d’urgence tandis que les manifestants exigent sa démission (Yaméogo avait été réélu le 3 octobre 1965, soit trois mois auparavant, avec 99,97 % des voix !).

L’armée prend le parti des manifestants à l’exception des gendarmes commandés par le lieutenant Abel Sanon. Le régime vacille avant de céder aux revendications. Mais il n’apparaît pas de solution politique du fait de la division des leaders des différentes formations. Les manifestants appelleront dès lors l’armée à la rescousse. Le 3 janvier 1966, Sangoulé Lamizana annonce à la radio nationale la chute du régime. Rien n’est réglé pour autant. .

Les avis divergent sur les conditions du départ de Yaméogo et de l’accession au pouvoir de Lamizana. Selon certains, Yaméogo aurait voulu une intervention de l’armée en sa faveur ; Lamizana aurait refusé. Selon d’autres, Yaméogo aurait concédé à Lamizana que la partie était perdue et qu’il lui cédait la place. Mais Lamizana n’était pas déterminé à devenir numéro un ; ce serait le lieutenant Saye Zerbo (futur chef de l’Etat), alors commandant du camp Guillaume Ouédréogo à Ouagadougou, qui va le propulser au pouvoir.

Frédéric Guirma écrira : "Ce sera, en définitive, l’armée voltaïque le véritable vainqueur de cette journée du 3 janvier 1966". Selon Bongnessan Arsène Y é : "Les militaires [...] donnent l’impression aux civils qu’ils ne sont là que le temps nécessaire pour remettre de l’ordre dans la maison. Monumentale erreur". Joseph Ki-Zerbo, principal protagoniste de cette "Révolution du Nouvel An", évoque "un soulèvement populaire [...] orchestré par les partis progressistes clandestins" auquel se joignent "certaines fractions du parti au pouvoir" qui va aboutir "à la chute du régime de la Première République et à la prise du pouvoir par l’armée". Dans ses "mémoires", Jacques Foccart écrit : "Maurice Yaméogo, loin de nous appeler à son secours, avait convoqué son chef d’état-major, Sangoulé Lamizana, pour lui transmettre le pouvoir. "J’ai dû lui dire... "Vous signez ici" m’a-t-il raconté. plus tard. Car Lamizana ne voulait pas du pouvoir".

Le 5 janvier 1966, la Constitution est suspendue par l’ordonnance 001. A Paris, qui ne bouge pas, commentaire de Charles De Gaulle : "Yaméogo a craqué sans avoir été menacé en aucune façon" ; directive du chef de l’Etat à Foccart vis-à-vis de Lamizana : "Ne cassons rien, mais montrons de la réserve". A Abidjan, Félix Houphouët-Boigny s’inquiète : Yaméogo était son féal ; il voit dans sa chute la main de Sékou Touré et des Américains (Lamizana et Houphouët se rencontreront le jeudi 20 janvier 1966). A Ouagadougou, Lamizana laisse entendre qu’il va rendre le pouvoir aux civils. Il restera près de quinze ans au pouvoir !

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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