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Général A. Sangoulé Lamizana : L’Homme qui jeta les bases de notre démocratie

Publié le lundi 30 mai 2005 à 08h57min

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S’agissant d’évoquer la mémoire du général Sangoulé Aboubacar Lamizana, deuxième président de la République de la Haute-Volta indépendante et figure emblématique de l’armée nationale, par quoi et par où commencer ? Comment ne pas paraître verser dans le grossissement épique et les effets de loupe circonstanciels ? Comment au contraire faire dans la sobriété sans pourtant rien trahir ?

Des orateurs institutionnels dont les éloges dithyrambiques ont ponctué ses obsèques officielles, aux simples citoyens de la rue dont les hommages spontanés ont pu être recueillis à l’annonce de sa disparition subite, tout le monde s’y est essayé sans que pas un ne puisse se targuer d’avoir à lui seul épuisé l’exercice sans rien omettre de ce qu’il fut et de ce qu’il lègue en héritage à ses compatriotes. Comment attendre donc du journaliste qu’il fît exception dans les limites spatiotemporelles bien connues du genre éditorial ?

C’est pourquoi en nous associant au chœur des louanges, nous avons choisi de nous borner à rappeler seulement en quoi pour notre part, l’homme qui vient de s’endormir dans la plus grande des discrétions comme il a vécu sa vie de retraité, mérite l’épitaphe de précurseur de la démocratie burkinabè. Prophétiquement prénommé Sangoulé, en d’autres termes héros des San quand il vit le jour en 1916 dans son bled de Dianra, qui pouvait pourtant s’imaginer en ces temps de cruelle sélection naturelle, qu’il vivrait non seulement quasi nonagénaire mais surtout qu’il s’en irait quatre-vingt-neuf années plus tard en père incontesté de toute une nation ?

Et voilà que les Ecritures à la mode des Samos se sont accomplies bien au-delà de la prophétie forcément ethnocentriste de ceux de Dianra puisque Sangoulé aujourd’hui n’est l’homme d’aucun village, d’aucune région, d’aucune religion, mais l’homme du Burkina tout entier, conformément au serment qu’il fit dans sa toute première déclaration publique quand il fut hissé au pouvoir par les événements du 3 janvier 1966. Tout a été dit, mais on n’en dira jamais assez sur ses immenses qualités humaines dont pourquoi pas nos chercheurs en sciences sociales pourraient tirer de quoi conceptualiser un nouvel humanisme sans pourtant verser dans la sangoulâtrie.

Si nous en reparlons ici, c’est bien parce qu’il faut retourner auxdites qualités pour comprendre par exemple cette bonne gouvernance que notre pays a connue sous l’administration Lamizana quelque trois décennies avant que les bailleurs de fonds internationaux n’en fassent une de leurs incontournables conditionnalités.

On a beaucoup parlé de discipline et de rigueur budgétaires, cet auto-ajustement passé à la postérité sous le sobriquet de garangose qui rime avec sacro-saint respect des deniers publics. Mais comment expliquer ce train de vie de l’Etat réduit au strict minimum gouvernemental qui en fut le corollaire, si on n’y voit pas la marque d’un homme et d’un président dont la vie fut un exemple d’honnêteté et de simplicité frugale ?

Quand le 3 janvier 1984 il sera attrait devant le premier Tribunal populaire de la révolution pour répondre de sa quinzaine d’années de gestion, les Burkinabè lui en donneront quitus en allant à la queue leu-leu réclamer son acquittement. Et le tribunal les a suivis. Beaucoup a été également dit sur l’explosion des libertés individuelles et collectives, celle surtout de la presse dont les années 90 furent le printemps.

Sous le système Lamizaniste, la Haute-Volta n’a pas eu besoin qu’un mur tombât à Berlin, ni que le diktat de la Baule fût proféré ou que les institutions de Bretton Woods l’exigent avant de s’engager dans la démocratisation, voie ô combien périlleuse pour l’époque mais et d’autant plus méritoire. Il en résultera cette république des syndicalistes dont le pouvoir ne sera plus jamais égalé sous aucune autre ;également cette parole libérée à laquelle des organes libres comme l’Observateur s’offrirent en forum.

Il en résulta surtout des audaces et des expériences institutionnelles inédites comme la Constitution du 29 juin 1970 qui a instauré un partage dyarchique du pouvoir entre un président de la république arbitre et un premier ministre "véritable centre" de l’exécutif. Mais il y aura mieux, car la libre formation des partis politiques et leur participation à l’expression du suffrage furent effectives à l’occasion des législatives du 20 décembre 1970.

Résultat : notre pays verra son premier parlement vraiment pluraliste depuis son indépendance. De l’inédit dans une Afrique alors sous le fouet abrutissant des partis uniques et iniques. La Haute-Volta n’avait cependant pas fini d’étonner puisqu’en mai 1978 elle offrira au continent et au monde à la fois incrédules et médusés, la première élection africaine où un chef d’Etat sortant, militaire de surcroît, acceptera de se laisser balloter par un challenger, de surcroît civil.

Toutes ces prouesses politico-institutionnelles ont été possibles grâce en grande partie au caractère intrinsèque de l’homme dont tout le pays révère aujourd’hui la mémoire. Nous voulons parler de son tempérament porté au dialogue et à la conciliation, ces dons de tolérance et d’écoute de la vox populi, son refus de la défier parce que sans doute y voyait-il comme la voix de Dieu selon l’adage (1).

Un exemple ? En 1974-75 lui est venue l’idée du Mouvement national pour le renouveau, sorte de creuset unitaire dans lequel devaient s’exprimer toutes les forces vives de la nation comme Mobutu au Zaïre, Eyadéma au Togo et Moussa Traoré sur les bords du Djoliba en avaient créé avant lui. Devant la réprobation générale informelle ou structurée, il opta de se raviser plutôt que d’entamer une fuite en avant vers le césarisme de ces cadets précités. Il engagea donc courageusement le pays sur les rails de la IIIe République.

S’ensuivirent les deuxièmes législatives pluralistes et la vie parlementaire la plus passionnante de notre jeune histoire. Sans compter bien sûr la présidentielle de mai 78, dont le ballottage historique déjà rappelé servira de cerise sur le gâteau. Que demander de plus pour que l’histoire retienne du général Sangoulé Aboubacar Lamizana qu’il est l’homme qui jeta les fondements de nos institutions républicaines et que le Burkina lui doit de figurer en bonne place au rang des pionniers de la démocratie africaine ?

Ne fût-ce que pour ce seul leg, il mérite bien toutes ces dédicaces de monuments et de places publics qui l’ont déjà immortalisé de son vivant et dont la commune de Ouagadougou s’apprêtait à l’honorer ce 29 mai 2005. Autant qui nous console à dire avec cet autre général, l’Américain Mc Arthur, qu’un homme comme lui ne meurt pas, il s’efface. Puisse-t-il en le faisant, demeurer dans nos cœurs pour continuer d’éclairer de sa sagesse proverbiale, tous ceux qui ont charge des affaires publiques.

Note : (1) Vox populi, vox dei : adage latin qu’on traduit littéralement par voix du peuple, voix de Dieu.

L’Observateur Paalga

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