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Bonne année 2017 : Un tour dans une prison civile pour voir mon neveu

Publié le mardi 3 janvier 2017 à 22h20min

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Bonne année 2017 : Un tour dans une prison civile pour voir mon neveu

Comme un visiteur, l’année 2016 s’en est allée, nous laissant des souvenirs. Souvenirs aux multiples couleurs, odeurs et saveurs. Comme un oiseau voyageur, qui s’était posé sur notre toit, et déploie de nouveau ses ailes, le temps s’est envolé, cédant la place au nouveau venu, 2017.

Je souhaite une bonne année 2017 à mes concitoyens, aux gouvernants et aux gouvernés. Fassent Dieu et nos ancêtres que 2017 nous aménage moins de soucis et plus de joies.

L’année 2016 été éprouvante : Cappuccino et hôtel Splendid, Tin-Akoff, Markoye, Déou, Intangom, Koutougou, Tambao, Oursi, Samorogouan, pont Nazinon, Nassoumbou, pour m’en tenir aux événements majeurs qui nous ont endeuillés, sans prétention d’exhaustivité.
Ô vous, dont la vie fut un jour ôtée
Puissent vos âmes libérées
Siéger au royaume de vérité
Et vos esprits nous édifier

Un sursaut nous permettrait de ne pas démentir notre réputation d’intrépides insoumis. Que ceux qui nous égratignent se souviennent…Qu’ils sachent que nous n’avons pas dit notre dernier mot.
Mille obstacles dressés,
Contre notre serment originel,
N’ont pas pu le tuer,
En est témoin le ciel.

Je ne trouve pas insensé d’avoir du respect pour tout ce qui incarne une valeur ou un pouvoir.
Cependant :

Nul cœur sensible pour rester indifférent
A voir courir à sa perte un enfant.
Que penser alors de nos princes et rois
Qui violent consciences et lois ?

J’ai attendu avec impatience les messages à la nation du Chef de l’Etat à l’occasion de la commémoration de la proclamation de notre indépendance et de la fin de l’année. L’on peut imaginer l’importance de ses adresses à la nation : il est le chef de famille. Par-dessus tout, la question de la réconciliation nationale m’intéressait. La nécessité de la justice est apparue, faisant écho à de nombreuses voix de citoyens, comme une des conditions de cette réconciliation, préconisée par certains acteurs politiques depuis le milieu des années 90.

S’il en était requis,
Le sage aurait dit :
A qui n’a rien perdu,
Rien ne peut être dû

Pour indiquer l’objet de mon propos, qu’il me soit permis de conter ce qui suit :
« Sept heures et cinquante minutes dans le site d’une prison civile.
Les premières lueurs de l’aube révèlent des ombres, assises, debout ou sur des motos. Il est cinq heures, en ce dimanche. Après avoir garé, je traverse la voie goudronnée. Quelques personnes se tiennent en face du grand portail. Je m’adresse à un petit groupe, qui m’oriente vers le hangar à l’Ouest de l’entrée principale. Là-bas, j’inscris mon nom comme soixante-dix-septième sur la liste. Je félicite ceux qui apparaissent comme les initiateurs (un homme d’environ cinquante ans et un jeune homme qui semble avoir autour de la vingtaine) pour cette idée. J’hésite alors entre repartir pour revenir plus tard (vous pouvez revenir vers sept heures, car ils commencent vers neuf heures m’a-t-on dit) et rester. Finalement je décide de rester : il s’agit d’une expérience inédite, et je ne perds rien en étant témoin oculaire de tout ce qui se passera. Les visiteurs arrivent les uns après les autres : des femmes, des hommes, de vieilles personnes, des jeunes, des enfants.

Parfois je fais quelques pas entre le hangar situé à l’Est de l’entrée principale qui abrite quelques commerces, le grand groupe entassé derrière la barrière et le hangar de l’Ouest. La guérite, située près du portail, est vide. Les femmes sont les plus nombreuses. Parfois, un ou une motocycliste arrive et le portail s’ouvre pour lui ou pour elle : il s’agit de gardes me suis-je dit.

Il fait maintenant jour. A un moment, en tournant la tête, je vois, à ma grande surprise, une sentinelle, debout dans la guérite, bien protégée, avec le bout d’un canon de fusil automatique qui pointe. Je suis d’autant plus intrigué que le jeune homme semble figé comme une statue. Le portail s’ouvre de temps en temps. Certaines personnes (gardes, vendeuses, garçons de course) sont autorisées à le franchir. J’en plaisante avec une des vendeuses en la priant de me servir de couverture pour que j’aie accès à l’intérieur. Elle me répond qu’elle vient de sortir et ne compte pas entrer de nouveau dans l’immédiat. J’achète quelques bricoles (gari, bassi, gâteaux, eau de boisson). Entre temps, je remarque une femme, élégamment habillée, se tenant à côté du portail, visiblement mal à l’aise. Je m’approche d’elle. Comme je m’y attendais, elle n’est pas une habituée de cet endroit. Elle est venue pour participer à une messe. En effet, quelque temps après, un monsieur juché sur une motocyclette arrive, parlemente avec un garde et franchit le portail. Je devine qu’il s’agit d’un prêtre. Arrivent ensuite un père blanc et une religieuse de peau blanche, dans une fourgonnette. Un groupe de femmes, vêtues en uniforme, arrive aussi. Je ne m’intéresse plus à tout ce monde.

Vers neuf heures, effectivement, le signal est donné par un jeune garde. La liste lui est remise. Devant la bousculade de visiteurs peu habitués à une telle organisation, le garde veut annuler la liste. J’arrive à l’en dissuader. L’appel commence alors. Surprise ! Ce ne sont pas les premiers inscrits qui sont appelés. Un petit brouhaha de protestation s’élève. Le garde interrompt l’appel. Le portail se referme sur lui. Il ressort un peu plus tard, avec une autre liste. Les gardes doivent s’y prendre à plusieurs reprises pour discipliner la foule, en exigeant notamment que le portail soit dégagé. Le seul problème c’est qu’il faut s’approcher pour avoir une chance d’entendre son nom, car la voix du garde ne porte pas loin et la rumeur ambiante est quasi permanente. Certaines personnes n’adhèrent pas au principe de la liste. Elles préfèrent la vieille habitude de l’alignement direct entre le mur et la balise. Pas facile de changer les mentalités ! Pourtant, au fur et à mesure que de nouvelles personnes arrivent, des listes supplémentaires sont établies. Une jeune fille me touche au bras. Quelqu’un veut me parler. D’abord réticent, je finis par apercevoir une grande sœur de village, assise parmi les femmes. Elle est venue pour voir quelqu’un me confie-t-elle. « Je suis moi aussi ici pour voir quelqu’un » lui dis-je.

Vers douze heures, j’ai accès à l’intérieur de la cour. Pièce d’identité remise et badge reçu, je me dirige vers le petit bâtiment qui sert de passage obligatoire pour avoir accès aux prisonniers et pouvoir communiquer avec eux. On m’indique l’emplacement du « logement » de la personne dont j’ai donné le nom, après avoir reçu ma permission de communiquer. Peu habitué aux protocoles en cet endroit, je fonce directement dans le bâtiment, après avoir parcouru quelques dizaines de mètres.

« -Vous a-t-on appelé ? me demande un garde.

- Non, je viens d’arriver, répondis-je.

- Attendez sous le hangar là-bas, on va vous appeler. »

J’ai attendu sous le hangar, d’entendre mon nom. N’en pouvant plus d’attendre, surtout que des visiteurs arrivés après moi ont été appelés, je m’inquiète de la situation à haute voix. « C’est le nom du détenu qu’on appelle et non le vôtre » me dit quelqu’un. Je vais voir les gardes pour leur expliquer le malentendu. On me promet que j’entendrai de nouveau proclamé le nom de « mon détenu » bientôt. Je dois m’y reprendre à trois reprises avant que ne retentisse de nouveau le nom de mon détenu.

Le temps d’attente sous le hangar n’a pas été totalement perdu. Sous le hangar, j’ai constaté la compassion partagée par les visiteurs entre eux. J’ai admiré leur liberté de parole, leur facilité à communiquer entre eux, leur indifférence, voire insouciance devant un destin que j’imagine cruel pour certains d’entre eux, surtout les enfants, les jeunes filles et les jeunes femmes. J’entendis plus d’une anecdote. Sous le hangar, j’ai appris que les détenus considérés comme étant les plus dangereux étaient convoyés par container, les autres ayant droit à un car climatisé. J’ai également appris qu’il y avait dans cette prison, trois catégories de « logements » : une sorte de première classe pour les privilégiés (chambre individuelle, arbres ombragés, grand hangar compartimenté, services payés, etc.), une deuxième classe avec un minimum de confort et enfin une troisième classe pour la grande masse. Les femmes, elles, avaient leur quartier, de même que les adolescents. J’ai également eu l’occasion d’assister à l’arrivée du déjeuner des détenus. J’aperçus de grandes marmites, disposées dans des charrettes tractées par des ânes. Lorsque les marmites sont découvertes, le tô est renversé dans de grandes bassines, qui sont portées sur des têtes pour pénétrer dans le bâtiment. La sauce arrive ensuite, dans de grands fûts. Plusieurs navettes sont effectuées. On me souffle que ce sont les détenus en instance de libération qui s’occupent de la cantine. En effet, par leurs gilets, j’ai pu constater deux catégories de détenus privilégiés, qui se baladaient « librement » dans la cour, affectés à quelques tâches. Certains visiteurs, sans doute réguliers en cet endroit, plaisantent avec un jeune détenu en instance de libération, particulièrement dégourdi, occupé à vendre eaux en sachets, boissons gazeuses, glaçons, etc.
Un visiteur s’entend dire que la personne qu’il est venu voir a été transférée au logement de première classe. Quelques visiteurs expriment leur joie à l’annonce de la nouvelle et félicitent le chanceux. Un autre apprend que « son détenu » venait d’être libéré. Fou de joie, il n’attend plus une minute et se dirige vers la sortie, non sans essuyer quelques critiques timides de certaines personnes, qui trouvaient qu’il aurait pu au moins donner la nourriture qu’il avait amenée avec lui, à l’un ou l’autre visiteur. Après chaque appel, les visiteurs sont introduits dans un parloir par groupes et les détenus les y rejoignent. Un brouhaha caractérise l’ambiance des retrouvailles. Mamans, papas, épouses, frères, sœurs, enfants, amis des détenus savent qu’ils ont peu de temps. Alors il faut aller à l’essentiel : informations importantes à communiquer, vêtements, nourriture ou provisions à remettre, etc.

Avec mon détenu, un neveu, nous parlons de ses conditions de détention, de ce qui lui est reproché, de ses besoins, de la famille, de ses collègues et de sa hiérarchie, du fait qu’il n’a pas encore été entendu, de la durée de la garde-à-vue, bref de tout et de rien. J’ai pu mesurer la grande solidarité qui existe entre détenus : une nouvelle famille serait-on tenté de dire. Je n’ai rien trouvé de particulier en eux. « Mais attention, derrière un visage innocent peut se cacher un très vilain caractère. Alors, soyons sur nos gardes. », me suis-je dit intérieurement.

Un coup de sifflet vient signaler la fin de la visite. Oui, le sifflet. Cet outil m’a semblé d’une grande importance dans ce milieu, en plus des postes de surveillance et des armes des gardes. Dans le couloir, je serre la main du petit, en lui souhaitant bon courage. En compagnie d’un jeune homme, qui est aussi venu en visiteur, je reprends l’itinéraire en sens inverse en échangeant avec lui. Certaines choses nous étonnent. Devant le portail nous nous disons au-revoir. Il est douze heures cinquante minutes. Je retraverse la voie goudronnée.

Je n’ai pas vu de monstre dans la prison civile (je n’y étais allé pour en chercher). Ni du côté des gardes, ni de celui des détenus. Certains gardes ont utilisé leurs téléphones et unités pour joindre ma famille. D’autres m’ont témoigné de l’amitié. Quant aux détenus, dans le parloir, rien ne les distinguait des visiteurs. Parmi eux, il y a peut-être des innocents. J’ai admiré leur capacité d’adaptation (ils sont dix-neuf dans une des cellules, selon un témoignage que j’ai recueilli). J’ai également été rassuré de constater que ce qui est remis aux gardes pour les détenus, lorsque l’on ne peut pas avoir accès à l’intérieur, leur parvient. Cela me donne une idée : une miche de pain, un sachet de cacahuètes, 500F pour les détenus de troisième classe, occasionnellement, à un passage devant cette maison de correction. »
Pour ceux qui auraient eu la patience de me lire jusqu’à ces lignes, le neveu en question est détenu depuis plus de deux mois, pour avoir été de service les 30 et 31 octobre 2014. Je m’en tiens là pour l’instant.
Qui peut le plus, peut le moins,
En la matière il ne manque pas de témoins

Oui, allons pour la justice. Justice pour la tentative de prise de la MACA, pour les martyrs du coup de force de septembre, pour les martyrs de l’insurrection, pour Thomas Sankara et les douze, pour Norbert Zongo, pour David Ouedraogo, pour Dabo Boukari, pour Henri Zongo et Lingani, pour les sept suppliciés, pour Guebre et Somé Yorian, pour tous ceux qui sont tombés, victimes de violence politique.

Défenseurs d’une même cause,
Ainsi apparaît finalement la chose.
Mais pourrait être aujourd’hui victime
Tel qui jadis se croyait auteur légitime.

Mais je demanderai aussi justice pour mon neveu et ses 15 collègues de service, pour les éléments des forces de défense et de sécurité blessés dans le cadre de leur profession, pour les enfants drogués au Tramadol, pour ceux qui ont reçu des balles dans le dos, pour ceux qui sont morts calcinés, pour ceux qui ont vu leurs domiciles saccagés ou incendiés, pour tous ceux qui ont reçu coups et blessures, pour tous ceux qui sont actuellement arbitrairement détenus, pour l’Assemblée nationale, pour la RTB. La liste n’est pas exhaustive.

Répondant aux appels désespérés d’un Peuple abusé,
Ces patriotes touchés dans leur patient honneur,
Engagèrent une marche convergente en libérateurs,
Partout sur les routes par des foules acclamés.

Bonne année 2017 à vous tous !

TangKuilga COMPAORE

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Vos commentaires

  • Le 2 janvier 2017 à 15:42, par Dytaniè En réponse à : Bonne année 2017 : Un tour dans une prison civile pour voir mon neveu (1)

    Merci pour votre marque de solidarité et le récit qui permet à plus d’un d’en savoir davantage sur le droit de visite. Vivement que justice sois rendu à tous ceux dont vous mentionnez dans votre écrit. Vivement davantage d’opérationnalisation dans la mise en oeuvre de ce droit de visite pour que cesse les longs fils d’attentes, le temps long...etc. Etre garder pour avoir été de service les 30 et 31 octobres ? j’espère que nous serions davantage édifier sur cette situation

  • Le 2 janvier 2017 à 19:20, par Cheikh En réponse à : Bonne année 2017 : Un tour dans une prison civile pour voir mon neveu (1)

    Très belle initiative, car ange ou démon, nous sommes tous des prisonniers potentiels, victimes un jour dans des circonstances directes ou indirectes, volontaires ou involontaires.
    Merci pour ta patience et pour ta solidarité avec tous ces souffreteux d’un temps. Et fasse le tout-puissant que les autorités s’attachent enfin à l’accélération idéale du processus, relatif à tous ces dossiers de prisonniers, grands et petits, capables et incapables ! Bonne année à tous et à toutes !

  • Le 3 janvier 2017 à 22:57, par FoumalkanYemboado En réponse à : Bonne année 2017 : Un tour dans une prison civile pour voir mon neveu (1)

    Quelle arrogance ! Tout un peuple desabuse ? Qu’ en savez- vous ? Respectez le peuple. Les prisonniers ont toujours des droits mais le melange que vous venez de faire ici avec les torpilleurs du peuple ne me donne plus envie de lire cette vomissure sur la toile. Connaissez- vous les vraies raisons de la revolte du peuple ? Si ces memes raisons se presentent encore, pardon, qu’ on amene plus que le tramacole que tu dis que e peuple a recu pour chasser le president le plus impopulaire et le plus incapbale que le Burkina ait connu. Ce n’est pas parce que la france l’ a monte en epingle comme un homme d’ etat qu’ il est. La realite rattrappe toujours la fiction. Sankara a ete tue par cet vendu, enterre hativement comme un poulet. Mais Sankara anime toujours la jeunesse de ce pays. Pourquoi quelqu’ un qui est mort, vilipende, enterre moins bien qu’ un animal a toujours de la resonance dans nos coeurs alors que quelqu’ un qui s’ est enrichi et a laisse s’ enrichir ces copains et autres membres de la fratrie Compaore comme toi, peine a lever la tete. C’est la honte seulement qui va tuer ton Blaise Compaore. La nature a horreur du vide et du mensonge. Ila eu tous les honneurs immerites de la terre. Dieu a dit qu’ il ne va pas mourir avant de realiser que c’ etait du pipeau, tout ca. Vous avez vu, non ? Fous- moi le camp, ici, ouais !

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