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Un regard de chercheurs sur les enjeux du pouvoir de la langue

Publié le lundi 19 décembre 2016 à 18h32min

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« La langue est l’outil premier d’asservissement, elle est alors l’outil de l’affranchissement » N. Zongo.
Nous relevons ici les thèses et propositions principales qui nous ont semblé pertinentes pour la construction de l’analyse à suivre. En effet, la mise en exergue des différents thèmes ciblés par les chercheurs lorsqu’ils abordent les difficultés sociopolitiques relatives à l’introduction des langues nationales dans le système éducatif devraient permettre de contribuer à la construction d’une définition systémique des différents acteurs impliqués dans l’enseignement bilingue ainsi que les rôles et places occupés.

Bref résumé des articles :

Avertissement : l’intention n’est pas de reproduire ici de manière synthétique la pensée de chercheurs qui travaillent depuis des années à ces problématiques mais bien plutôt à partir de quelques uns de leurs articles s’attachant à aborder les difficultés relatives à la présence de pouvoirs et contre-pouvoirs complexes exacerbée par la réflexion sur les langues nationales, de relever les thèmes choisis dans ce contexte de la réflexion.

 Napon, Pour un bilinguisme français/langues nationales, propositions glottopolitiques :

Les politiques éducatives sont considérées comme responsables de la diglossie actuelle français/langues nationales portée par un système d’éducation formelle d’une part et non formelle de l’autre utilisant l’un la langue française, l’autre les langues nationales. Cette bi-partition du système éducatif a de plus accentué l’écart entre zone rurale et urbaine.

La politique linguistique perpétue la francophonie et ne planifie absolument pas une vraie promotion des langues nationales. « Comment peut-on prétendre valoriser une langue en l’imposant seulement à une partie de la population ? » L’auteur rappelle que leur utilisation par le passé visait plus à servir l’apprentissage du français qu’autre chose ?
L’école est perçue comme facteur de différenciation sociale qui reproduit les inégalités et conduit les familles à mettre en place des stratégies en fonction de leurs moyens.

Thèse : l’institution scolaire entretient un conflit social entre paysans et fonctionnaires.
Propositions : employer simultanément les langues nationales pour l’alphabétisation et la scolarisation primaire et mener l’alphabétisation en langue régionale et non locale accompagnée de l’enseignement du français (la langue régionale deviendrait une matière à partir de la troisième année).
 : Promouvoir les langues par leur officialisation.
 : Mener des campagnes d’information langagière.
 : La recherche en sociolinguistique et linguistique doit être accentuée
Difficultés pressenties : multilinguisme et irrédentisme linguistique

 Fernand Sanou, Langues nationales et colonialisme hier et aujourd’hui :
L’auteur dénonce « la manipulation des langues nationales à des fins de domination coloniale (celle qu’exerce une minorité sur une majorité qu’elle que soit l’identité de cette minorité où de cette majorité) » après avoir rappelé l’insistance des instances régionales et internationales sur la nécessité de les introduire au système éducatif.

Au-delà de l’évidence technique pédagogique, l’auteur souligne une évidence sociopolitique : « l’utilisation des langues nationales dans l’éducation représente pour les Etats qui en font l’option la marque de souveraineté politique vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale ». Il est fait référence aux africanistes tels F. Fanon (1952) A. Memmi et A. Moumouni (1974) qui ont défendu les thèses de l’aliénation par l’éducation (Fanon), du drame linguistique imparable (Memmi) et du génocide culturel (Moumouni).

L’histoire de l’éducation en Afrique subsaharienne vient éclairer la complexité des relations entretenues avec les langues africaines : les missionnaires et administrateurs coloniaux n’avaient déjà pas les mêmes objectifs et ce sont les Africains qui ont porté l’exigence d’un niveau d’étude académique qui seul permet l’accès à un certain statut. Paradoxe du système : c’est donc l’école coloniale qui a créé des intellectuels qui ont pu défendre pour leur propre cause ce qu’on leur avait enseigné : liberté, égalité
Thèse de l’auteur : « Derrière les problèmes techniques se camouflent des problèmes sociopolitiques de domination de type colonial ».
Propositions : commencer plus tôt le français et ensuite enseigner les langues nationales.

 Nikiéma, Langues nationales et intérêts de classe au Burkina Faso :

L’auteur considère que le vrai frein à l’introduction des langues nationales dans le système éducatif se forme autour d’intérêts de classes. Réfutant un à un les arguments les plus souvent opposés à l’introduction des nationales, l’auteur soutient pour thèse que la classe dirigeante francophone a tout intérêt à maintenir la classe paysanne dans sa pratique des langues nationales : les bonnes intentions affichées mais non traduites par des décrets officiels joueraient ainsi le rôle de fausses concessions accordées aux masses afin de maintenir l’idéologie d’une classe dominante.

Propositions : Introduire d’abord les langues aux niveaux secondaire et supérieur
 : Utiliser les langues nationales dans l’administration
 : Officialiser les langues nationales au côté du français

 Vallean Tindaogo, Du mythe dans les projets de réforme de l’éducation en Afrique Noire : l’exemple du Burkina Faso :

Suivant le schéma actanciel de Greimas en considérant que les textes de réforme peuvent être lus et donc analysés comme des mythes, comme des contes, l’auteur expose les différents acteurs du système éducatif burkinabè : destinateurs (révolution, droits de l’homme, humanisme universel, tradition), sujet réel mondial (UNESCO), destinataires (les masses, les pauvres), opposants (les mauvais blancs, les analphabètes, les intellectuels), adjuvants (chef de l’Etat, associations, donneurs, consultants) mais qui en fait conditionnent le pays.

Thèse : le maintien de ces mythes est très pratique puisqu’il permet de donner à chacun un rôle, une place dans le système.

 Sanogo Lamine, La francophonie et la politique des langues partenaires entre choix et nécessités :
Deux groupes s’affrontent autour de l’éducation bilingue selon lui : les intellectuels qui optent pour le maintien de la diversité culturelle et les politiques qui veulent se « couler dans le moule made in Europe ». La répartition des rôles se fait autour de la mondialisation : il y a les mondialisateurs d’un côté et les mondialisés de l’autre.

Le groupe des intellectuels se divise entre les partisans d’un bilinguisme politique équilibré, d’un monolinguisme (tout en français ou tout en langue nationale) et d’une politique des langues partenaires.

Thèse : le débat de fond relatif à la place accordée dans les sociétés africaines aux langues locales est occulté par la question de l’introduction de ces mêmes langues dans le système éducatif.

Propositions : construire une politique des langues partenaires

A la lecture de ces auteurs, il apparaît clairement que la question de l’introduction des langues nationales ne peut se réduire à une analyse techniciste pédagogique ou didactique. En effet, de lourds enjeux sont ici relevés. Le poids de l’histoire du système éducatif en Afrique subsaharienne ne saurait être occulté ainsi que l’externalisation des financements et des politiques éducatives et linguistiques. Enfin, les conflits de classe sont le thème central de ces articles et permettent d’insister sur une société où dominent des intérêts particuliers intimement liés aux langues pratiquées.

Remarquons que les communautés ne sont pas abordées dans ces articles (hormis A. Napon qui souligne les stratégies des familles face à l’offre scolaire). Or la société civile burkinabè est hiérarchisée autour de différentes ethnies et donc d’autorités coutumières et religieuses qui les représentent ce qui complexifie davantage encore la conception marxiste d’une société de classes.

Dr OUEDRAOGO Tiga Alain
Chargé de recherche
INSS/CNRST
Mail:alainoued1@yahoo.fr
tiiga.a@gmail.com

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