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Bilinguisme ou deal-linguisme ?

Publié le vendredi 23 décembre 2016 à 18h25min

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« La crise économique et financière a, de fait, engendré la mise sous tutelle financière des pays africains : en effet, les politiques de rigueur économique imposées dans le cadre de cette mise sous tutelle, rendent difficile, sinon impossible, le financement des politiques sociales sur fond propre » M.F. Lange

Le système éducatif burkinabè à la recherche de ses propres marques ne cesse de parcourir et d’expérimenter plusieurs approches pour sortir le pays de l’ignorance, de la pauvreté et de l’analphabétisme. De l’école classique hier, on parle aujourd’hui de l’école classique et de l’école bilingue. Mais quels sont les vrais bailleurs de l’école bilingue burkinabè. Un regard croisé entre aide extérieure, le poids de la dette et l’appui technique de l’AIF nous permet de mieux apprécier la dépendance de notre système éducatif.

1. L’aide extérieure

Inscrire cette recherche dans le paradigme de la complexité conduit au refus d’une simplification de la réalité et au refus de l’extraction d’un phénomène de son contexte. Or ici le contexte de la mise en place de l’enseignement bilingue conduit non seulement à une prise en compte plus globale du système éducatif burkinabè mais surtout aux financements qui le sous-tendent et donc à la dépendance économique de ce pays. Temps et qualification ne nous permettent pas de mener avec exhaustivité l’exposé du fonctionnement de la réforme du système éducatif en cours. Cependant le mécanisme de la dette nécessite d’être rappelé de par son lien avec la mise en place du plan national d’éducation, le Burkina Faso ayant bénéficié de l’Initiative pour les Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE). Cela mènera à préciser le lien fondamental entre l’élaboration d’un Cadre Stratégique de Lutte Contre la Pauvreté nécessaire au bénéfice des aides proposées (allégements, apports bilatéraux et Fast Track) et la mise en place du Plan Décennal de Développement de l’Education de Base comprenant réforme et prise en compte des langues nationales pour une meilleure efficacité du système éducatif.

2. Le poids de la dette

« L’Afrique subsaharienne a une dette égale au triple de la valeur de ses exportations annuelles. Elle dépense plus pour le paiement de ses dettes que pour la santé et l’éducation réunies. En 1999, la dette publique de l’Afrique était estimée à 235 milliards de dollars US. Le service annuel de la dette s’élevait en moyenne à 17 milliards de dollars US, soit l’équivalent de 3,8 % du PIB des pays, de 16 % des exportations annuelles et de plus de 35 %* des dépenses d’éducation pour l’ensemble des pays africains. Ces chiffres éloquents montrent à quel point la dette publique extérieure de l’Afrique subsaharienne constitue un obstacle à son développement. Elle empêche les progrès dans tous les secteurs, y compris l’éducation, en obligeant les pays endettés à affecter leurs maigres ressources au remboursement de leurs créances plutôt qu’au bien-être de leurs populations. Les restrictions budgétaires, qui affectent d’abord les secteurs sociaux, ont affaibli les systèmes de santé et d’éducation, ralenti la réalisation des objectifs d’Education Pour Tous (EPT) et paralysé le développement de mesures efficaces pour lutter contre le SIDA. » (Adea)

Au sommet du G8 à Toronto en 1988, les pays riches ont reconnu que la dette est un frein au développement pour les pays du Sud. Donc, dans le but de rétablir les équilibres macro économiques, le FMI a été la première institution financière internationale à imposer les plans d’ajustement structurel (PAS) dont l’objectif est « de redresser, de stabiliser et d’assainir la situation économique et financière du pays ». Ensuite c’est la Banque Mondiale qui est venue en appoint par le financement de programme de développement. Un constat face à ces différents programmes est que les priorités s’appuient sur les concepts de croissance, de libéralisation, de désengagement de l’Etat, de privatisation, d’intégration régionale et d’ouverture sur le marché mondial, en s’appuyant sur le modèle néo-libéral sans pourtant permettre de relancer cette croissance et de réduire le déficit budgétaire des Etats.

Le cercle vicieux de la dette est aujourd’hui non seulement reconnu et dénoncé mais aussi porté par l’analyse rigoureuse d’économistes anti-libéraux. Ce mécanisme est le résultat de choix géopolitiques atteignant aujourd’hui leur apogée avec les procédés d’allégement de la dette constituant en fait le renforcement des ajustements structurels répondant à la volonté des Etats du Nord d’asseoir une hégémonie économique néolibérale à l’échelle planétaire. Certains ont nommé cette dette comme étant l’expression d’une nouvelle forme de colonialisme économique moderne (après les colonisations territoriales et de peuplement, le colonialisme économique est aujourd’hui reconnu comme tel). Effectivement la dépendance des pays en voie de développement face aux créanciers du Nord ne cesse de s’accroître et cette dépendance économique se poursuit en une dépendance politique dans tous les secteurs qui se trouvent confrontés aux conditionnalités de la Banque Mondiale (AID) dont le secteur de l’éducation qui nous concerne.

Ainsi l’élaboration du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) au Burkina Faso répond au souci de respecter les directives des bailleurs de fonds, selon lesquelles, un pays éligible à l’initiative PPTE (1996) ne peut bénéficier du gain de l’allègement que s’il dispose d’une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. En fait, les Facilités pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance (FRPC) remplacent depuis la réunion de septembre 1999 à Cologne du G7/G8 les Facilités d’Ajustement Structurel Renforcés (FASR) et l’initiative PPTE qui fête ses 10 ans (1996-2006) n’a pas permis ni d’augmenter la croissance ni de réduire la pauvreté et encore moins d’alléger le service de la dette. Par contre de nombreuses réformes sont entreprises concernant principalement l’ouverture des marchés aux capitaux étrangers et les systèmes éducatifs. Ce cadre stratégique de lutte contre la pauvreté est rédigé par le pays candidat à l’initiative, en collaboration avec le FMI, la Banque mondiale et des représentants de la "société civile" (ces représentants étant principalement les ONG).

Une des lignes de force principale du CLSP concernant tout particulièrement cette recherche, le PEDDEB, et aujourd’hui le PDSEB. Les missions conjointes de suivi du PEDDEB mises en ligne par le pôle de Dakar permettent de suivre les conclusions et recommandations de la communauté internationale. Un point central de ce plan de développement de l’éducation de base est l’implication des communautés comme nous pouvons le constater à diverses lignes de documents officiels.

Prenons pour exemple à la page 41 du document présentant le PEDDEB (2000-2009) : « Pour la recherche de nouvelles formules de prise en charge de l’école, il faut un partage des responsabilités et des charges de tous ordres entre Etat, aides diverses, collectivités locales et APE. » ou encore plus loin : « Depuis la signature de l’arrêté n° 94-01l8/MEBAM/SG du 21 novembre 1994 créant un comité chargé de la révision des programmes de l’enseignement primaire, la structure chargée de piloter cette refonte, est engagée dans ce processus de rénovation avec l’appui financier de l’UNICEF et celui technique de l’AIF. Des progrès ont été faits, mais il reste beaucoup de travail pour réaliser une mutation de grande envergure à la hauteur des résultats attendus du PDDEB. Avec la création du CRIEF la rénovation du curriculum va être relancée selon un processus en plusieurs étapes prenant en compte l’implication des bénéficiaires que sont les communautés. »

3. L’appui technique de l’AIF

La mission : « Appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche,
Proposition de programmation quadriennale 2006-2009 » de l’AIF répond aux objectifs de la communauté internationale fixés par le plan d’action de Dakar ainsi que par les Objectifs Millénaire pour le développement (OMD) adoptés par les Nations unies en 2000, plus précisément les objectifs 2 et 3, visant à " assurer l’éducation primaire pour tous".

En fait, pour répondre aux exigences des bailleurs de fond le pays doit s’entourer de partenaires techniques tels l’AIF. Le processus est plus que complexe et révèle donc une double dépendance. La refonte en cours des curricula se trouve dans la nécessité de répondre aux exigences de la communauté internationale et des partenaires techniques et financiers. Ce qui est relayé par les politiques nationales c’est donc un discours extérieur (appliqué par ailleurs à d’autres pays d’Afrique Subsaharienne).

Ainsi l’AIF précise : « Les Etats membres de la Francophonie étant fortement engagés dans la réhabilitation et le développement de leur système éducatif dans le cadre de " plans nationaux d’éducation ", il convient de les aider à améliorer l’efficacité de leurs politiques, d’une part en visant à une plus grande prise en compte des diversités linguistiques, d’autre part en éliminant les disparités entre les sexes. Dans cette perspective, la stratégie retenue devra se traduire par un soutien aux Etats qui s’engagent dans un programme de prise en compte des langues nationales dans leur système éducatif et qui acceptent à cet effet d’intégrer cette dimension dans leur plan national d’éducation. »

Donc d’une part l’éducation de base est prônée par les instances financières internationales qui insistent sur la nécessité d’intégrer les communautés à la prise en charge de cette éducation de base et d’autre part l’éducation pour tous est l’objectif visé par la communauté internationale relayée par l’ AIF qui elle soutient la nécessité de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif (autour de la notion de partenariat que nous avons précisé en début d’étude). Nous percevons alors combien notre problématique initiale se trouve exacerbée par un contexte d’une double dépendance, financière et politique. De plus, pour accélérer les réformes en cours puisque que les différentes réunions depuis la mise en place de l’IPPTE ont souligné une situation loin d’atteindre les objectifs de l’éducation pour tous fixés à Dakar, cinq pays francophones du continent (Burkina Faso, Guinée, Madagascar, Mauritanie, Niger) ont bénéficié de " La procédure accélérée en faveur de l’Education pour Tous " (Initiative Fast Track de la Banque Mondiale) ajoutant encore plus de conditionnalités.

Endettement, déséquilibre financier, stagnation et extrême dépendance sont donc les éléments caractérisant le système étudié que nous devions retenir avant d’entrer dans l’analyse des données.

Dr OUEDRAOGO Tiga Alain

Chargé de recherche
INSS/CNRST Mail:alainoued1@yahoo.fr
tiiga.a@gmail.co

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