LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Mme Marie Noëlle Koyara (FAO au Burkina Faso) : "Dans les pays aux ressources limitées, les populations savent se battre"

Publié le vendredi 27 mai 2005 à 07h49min

PARTAGER :                          

Entre la FAO (Fonds des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) et le Burkina Faso, c’est une histoire qui date de depuis 1961. 44 ans donc de relations intenses qui connaissent des hauts avec des temps très forts.

Notamment en 1974 après la grande sécheresse qui a vu sortir des Fonts baptismaux, le Comité Inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS). Aujourd’hui, dans notre pays, à la tête de cette institution onusienne qui a pour vocation, la lutte contre la famine, une dame, une Centrafricaine qui se définit elle-même comme panafricaniste : Mme Marie Noëlle Koyara.

Depuis 2000, elle dirige le Bureau FAO à Ouagadougou. Spécialiste des cultures vivrières, Mme Koyara est à l’aise à la fois dans un bureau climatisé que dans les campagnes burkinabè qu’elle parcourt en tout temps pour prodiguer ses conseils et se mettre à l’écoute des paysans.

En recevant cette dame le 11 mai dernier comme invité de la Rédaction, les journalistes de Sidwaya entendaient discuter avec elle de toutes les questions liées à l’agriculture, les relations entre la FAO et le Faso, l’invasion acridienne avec comme corollaire la famine.

Mme Marie Noëlle Koyara, répresentante résidente de la FAO au Burkina Faso

Sidwaya (S.) : Quelle analyse faites-vous des différentes rencontres que le chef de l’Etat a eues avec les corps constitués ?

Marie Noëlle Koyara (M.N.K.) : Permettez tout d’abord de vous présenter toute la reconnaissance de mon institution à travers ce choix que vous avez porté sur ma personne. Cela ne fait que nous réconforter dans l’expérience même que notre directeur général a voulu mettre en place, c’est-à-dire, rapprocher davantage la FAO des médias.

Concernant l’actualité nationale, je me permettrai d’abord de souligner deux points avant de répondre à votre question. En effet, le président du Faso a reçu le 13 avril, un diplôme d’honneur du mérite de la Conférence des institutions d’enseignement et de recherche économique et de gestion en Afrique. Récemment, le 29 avril il a été élevé au rang de commandeur de l’Ordre international des Palmes académiques du CAMES. Nous tenions à souligner ces deux points, car cela nous réconforte au niveau de la FAO. Dans la recherche des voies de développement d’un pays, il n’y a pas plus important que le dialogue. Il est la base de tout et vous verrez que dans beaucoup de pays qui nous entourent, en Afrique comme partout dans le monde, les gens n’arrivent pas, là où il y a absence de dialogue, à se mettre d’accord pour bien bâtir leur pays. C’est pourquoi nous saluons cette initiative du chef de l’Etat, qui se manifeste comme une recherche de dialogue, avec son peuple. Cela lui permet d’être à l’écoute de tout un chacun et de mieux apprécier les problèmes que les uns et les autres vivent. Cela lui permet de prendre acte des propositions que certains n’ont pas l’occasion de lui faire en vue d’enrichir son cahier de route pour le développement du pays.

S. : Le 10 mai dernier les syndicats ont observé une journée de grève pour réclamer de meilleures conditions de vie. Comment appréciez-vous cette situation ?

M.N.K. : Ceci est un problème purement national. Par conséquent nous ne devons pas nous immiscer car dans le cadre de notre intervention, nous sommes une instance neutre. Mais pour vous donner juste un point de vue, je reviendrai toujours sur le dialogue. Il est important de toujours chercher à résoudre les différends par ce canal.

S. : Que pensez-vous de ceux qui soutiennent que le chef de l’Etat en recevant les syndicats, le fait pour des raisons de politique politicienne ?

M.N.K. : Si vous voyez bien dans le système des Nations unies, chaque institution a un domaine précis d’intervention. Ainsi, le monde du travail relève exclusivement d’une institution, le Bureau international du travail (BIT). Et nous au niveau de la FAO, nous nous occupons surtout de la lutte contre la faim et la malnutrition. Ce qui fait que l’aspect syndical nous échappe totalement, bien que nous travaillions avec des agriculteurs qui sont aussi des travailleurs en milieu rural. Nous ne sommes pas des partenaires directs à ce niveau.

S. : En cette période de déficit céréalier, que fait la FAO pour soutenir le Burkina ?

M.N.K. : Pas plus tard qu’hier (NDLR 8 mai), la FAO a lancé un appel sur le plan mondial pour signaler la situation que connaît la région du Sahel dont le Burkina fait partie. Situation qui s’est aggravée par la crise acridienne l’année dernière. La FAO a pris le devant comme je le disais, pour lancer un appel afin qu’on puisse venir en aide à tous ces pays qui ont été victimes de criquets pèlerins pendant la dernière campagne.

S. : En dehors des criquets, d’autres facteurs ne peuvent-ils pas expliquer la crise actuelle ? Les criquets par exemple se sont limités au Sahel tandis que la zone Ouest et même Est connaît actuellement la famine. La pauvreté grandissante dans l’espace UEMOA n’est-elle pas la preuve que les criquets n’expliquent pas tout ?

M.N.K. : Si l’on s’en tient aux chiffres du rapport de la Banque mondiale, la pauvreté en milieu rural a légèrement reculé. Il est vrai que le constat sur le terrain montre que la pauvreté grandit mais il faut dire que le monde rural est assez complexe. Beaucoup d’actions ont été initiées pour cette population. Mais, ce sont des actions qui doivent être de plus en plus intégrées. En exemple, le Burkina a été parmi les dix premiers pays au monde qui ont accepté l’expérience de la FAO dénommée : « Programme spécial pour la sécurité alimentaire ». Depuis 9 ans, le Burkina a mis en place toutes les démarches pour l’exécution de ce Programme spécial qui a donné des résultats que tout le monde reconnaît.

D’ailleurs, nous avons eu avec l’appui du ministère de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, à organiser avec les représentants du peuple qui sont les parlementaires, une visite terrain sur des sites à l’intérieur du pays. Nous avons même eu la visite du chef de l’Etat pour apprécier les résultats du Programme spécial pour la sécurité alimentaire. Les zones où le Programme a été développé, ont pratiquement adopté les cultures de contre-saison. En 2004, vous avez dû suivre des missions de terrain qui ont montré que certaines populations qui ont fait des cultures de contre-saison, avaient des problèmes pour écouler leurs produits. Cela pose encore un autre problème pour lequel la FAO et le gouvernement sont en train de travailler. Il faudrait lier la production à la commercialisation. Si les agriculteurs n’arrivent pas à écouler leurs produits, s’en suit inéluctablement un découragement. Dans tous les milieux ruraux africains, nos agriculteurs n’ont pas développé une option de prévision à long terme. C’est un peu ces problèmes que nous pourrions analyser afin de comprendre ce qui se passe. Je crois que le gouvernement a pris le devant en sollicitant la FAO pour résoudre la question de commercialisation. Une première mission a déjà eu lieu ici. Actuellement nous sommes en train de travailler avec les autres partenaires, pour que rapidement une action puisse être entreprise dans ce sens.

S.:Ce que vous dites peut-il concrètement se réaliser sur le terrain ?

M.N.K. : Les pays africains représentent à peine 3% du commerce mondial. Nous devons produire d’abord pour notre propre consommation. C’est très important que nous arrivions à nourrir nos populations pas seulement en quantité mais aussi en qualité. L’une des missions de la FAO, est l’appui à une bonne qualité alimentaire à travers la nutrition. C’est un aspect qui échappe à beaucoup de nos pays. J’ai assisté à une rencontre où il y avait des universitaires qui ont fait comprendre à travers un exposé qu’une bonne partie des problèmes de santé que vivent les populations est due à une mauvaise alimentation. Donc si nous pouvons produire suffisamment pour nous nourrir et avoir une alimentation saine, c’est déjà important. En plus, dans la zone UEMOA, les échanges ne sont pas encore au point. Le marché existe et pourrait même se prolonger dans la zone de la CEDEAO. Ainsi, la FAO a mis au point des programmes pour appuyer les pays membres à la préparer à se placer aussi au niveau du marché mondial. Il y a eu donc plusieurs sessions de formation, et des ateliers qui ont été organisés pour préparer les pays africains à cette rencontre de l’OMC. Pour cela, il faudrait qu’on prenne en compte des normes. La FAO est disposée à accompagner les Etats dans ce sens. Nous avons ainsi organisé à Tenkodogo, il y a deux mois, un atelier sur le côté parlementaliste pour permettre que l’information passe d’abord et ensuite donner l’appui nécessaire pour aider nos pays à ajuster les normes afin d’être compétitifs. La mondialisation ne prend pas en compte l’équilibre au niveau des différents pays. Voilà pourquoi les gouvernements sont aussi en train de mener des actions, par exemple dans le cas du coton. Il faut toujours se battre pour se faire une place au soleil.

S. : Comment peut-on développer l’élevage et l’agriculture burkinabè dans un contexte de mondialisation où par exemple, le lait importé de la Hollande revient moins cher que celui produit sur place ?

M.N.K. : Nous pouvons développer notre agriculture en exploitant au maximum les potentialités dont nous disposons. Cela permettra de réduire les coûts de production, ce qui du même coup, nous permettra de placer nos produits à faible coût sur le marché international. Au Burkina, nous exploitons à peine 7% des terres arables qui sont irriguées. Nous pouvons y arriver à travers le programme de petites irrigations villageoises que le gouvernement a initié depuis 2 ou 3 ans. Il y a également d’autres initiatives qui ont été introduites par la FAO et le ministère en charge de l’Agriculture sur les bonnes pratiques agricoles et sur la production biologique (résidu maximal de pesticide). Tous ces efforts visent à rendre plus compétitifs les produits agricoles et attirer par là même les consommateurs locaux. Le programme spécial pour la sécurité alimentaire avait en son temps mené une étude sur le problème de la commercialisation du riz. Parce que le riz produit dans le Sourou, il est vrai, revient plus cher, mais il faudrait aussi prendre en compte l’aspect qualité. Une action plus agressive visant à la consommation des produits locaux doit être entreprise. La qualité est un déterminant essentiel pour la santé du consommateur. Beaucoup de gens ne savent même pas où sont situés les dépôts du riz du Sourou à Ouagadougou.

Bon nombre de consommateurs aimeraient payer le riz du Sourou, ne serait-ce que par pur nationalisme mais qui malheureusement ne savent pas où s’en procurer. Cela pose même un problème de communication. Il faut travailler à corriger cela en annonçant les prix, et en indiquant les lieux de stockage afin d’attirer les consommateurs.

S. : Dans une situation de crise alimentaire, quelle démarche doit entreprendre la FAO pour aider les populations ?

M.N.K. : La FAO doit, à notre avis travailler sur le plan international pour informer l’opinion publique sur la situation des pays déficitaires. Elle doit apporter l’information exacte sur la situation de ce déficit et faire un plaidoyer afin que ses partenaires puissent répondre. Les chiffres indiquent que l’appui à l’agriculture baisse de plus en plus. Les pays développés sont confrontés à des problèmes autres que venir au secours des pays africains en situation de crise alimentaire. Chose que la FAO fait avec d’autres agences sœurs comme le PAM (Programme alimentaire mondial), un plaidoyer dans ce sens. Voilà pour l’instant, ce que fait la FAO peut faire. Parallèlement à cela, nous mettons en place des programmes pour la préparation de prochaines années agricoles. Des projets sont initiés y compris le projet de la Banque mondiale dans le cadre de la lutte contre les criquets dont un volet d’urgence a été prévu pour mettre à la disposition des populations, des semences pour la prochaine saison agricole. C’est vrai qu’il y a crise alimentaire, mais il faudrait aussi que les gens se préparent pour la prochaine saison.

S. : Les subventions américaines et européennes à leurs agriculteurs en général et particulièrement aux cotonculteurs menacent l’agriculture des pays pauvres d’Afrique. Que fait la FAO en tant qu’institution qui milite pour la sécurité alimentaire ?

M.N.K. : Nous ne pouvons pas faire grand-chose parce que ces pays sont souverains. Les données indiquent que les subventions que ces pays mettent à la disposition de leurs agriculteurs représentent une valeur d’un milliard par jour. Cela montre que ces pays investissent plus de 370 milliards pour soutenir leur agriculture.

Dans le cadre du Sommet mondial pour le développement humain, tout le monde était unanime et solidaire à dire qu’il faudrait aider les pays à déficit alimentaire et les pays à revenu faible pour les amener à sortir de la pauvreté. Ce qui a donné lieu aux différents programmes de lutte contre la pauvreté dans ces pays. Tous ces pays ont été solidaires en manifestant leur volonté d’appuyer ces Etats pauvres. Mais dans les faits, cela n’a jamais été le cas. La FAO a eu à faire une déclaration lors du sommet de l’Emploi à Ouagadougou indiquant que les pays développés dépensent plus d’un milliard par jour pour soutenir leurs agriculteurs. Cela devait donc nous interpeller pour voir concrètement comment nous organiser car bien que la FAO appuie les Etats en les préparant dans le cadre des accords de l’OMC, cela n’est pas suffisant. Nous pensons que l’initiative que le Burkina a prise dans le cadre du coton en mobilisant tous les pays africains qui sont concernés pour unir leur voix et poser le problème fera tache d’huile, même si cela ne donne pas un résultat concret aujourd’hui. En effet, ces pays développés ont aussi besoin de ceux d’Afrique. Nous devons nous mettre ensemble pour parler d’une même voix et aborder le problème que posent les subventions à l’agriculture des pays du Sud. Je crois que c’est une manière pour nous aussi de manifester notre désaccord avec ce qui se passe et voir comment d’autres solutions peuvent être envisagées. A la FAO, un programme baptisé « Développement de l’agriculture durable » a été mis en place et prend en compte le volet coton. Ce programme vise à amener les différents pays à mettre en place tout ce qu’ils ont comme recettes. Le Burkina en dispose. Le Burkina a vraiment des recettes en ce qui concerne le développement de son milieu rural. Il faudra mettre ensemble toutes ces recettes et voir concrètement comment adopter une stratégie qui permet d’avoir des produits moins chers et qui permet à la population de s’autosuffire sur le plan alimentaire. Nous allons démarrer l’expérience de ce programme cette année dans la région de Bobo-Dioulasso.

S. : Les OGM font-ils partie des préoccupations de la FAO ?

M.N.K. : La FAO, étant donné qu’elle est toujours sollicitée par les Etats membres, peut donner des réponses à tout ce qui concerne le développement de l’agriculture, à sa position par rapport aux OGM. Au Burkina, des actions sont en cours au niveau du Centre de recherche, pour expérimenter les OGM. On peut se permettre d’affirmer que ce que l’on consomme aujourd’hui a été transformé. De ce point de vue, ce ne sont pas les plants au stade naturel (depuis les origines) que nous consommons aujourd’hui. Tout ce que nous consommons a subi des transformations. Les transformations naturelles, dans le cadre de la recherche, peuvent être acceptées. Mais le problème qui se pose, est qu’il y a des orientations à but commercial qui entrent en ligne de compte. A partir de ce moment, la FAO a mené des actions en vue de répondre aux pays membres qui pourraient éventuellement la solliciter. Par exemple, la FAO a été sollicitée en Afrique du Sud dans la culture du coton transgénique. Mais sur ce plan, nous pensons que la souveraineté de chaque Etat doit être respectée.

S. : A votre avis, la relance de la culture du blé au Sourou permettra-t-elle au Burkina de s’affranchir de l’extérieur pour ce qui concerne la farine de froment et dérivés ?

M.N.K. : Un pays doit toujours développer des initiatives pour apporter des solutions au problème de la faim. Nous ne savons pas d’où cela est parti, mais on constate que dans tous nos pays, nous mangeons beaucoup de pain. Tout le monde consomme du pain. Même nos enfants, il leur faut du pain le matin.

Donc, si le Burkina peut être en mesure de produire le blé qui puisse à lui seul ou mélangé avec d’autres céréales permettre de produire du pain et des gâteaux, ce sera génial.

S. : Pensez-vous que les pays développés pourraient effectivement laisser faire, surtout si cela doit occasionner des pertes de devises à leurs économies ?

M.N.K. : Oui mais notre priorité est justement d’arriver à manger et à répondre à nos besoins alimentaires. L’extérieur ne nous oblige pas à manger ce qu’il exporte. Chacun de nous doit commencer par exemple à se dire « moi, je décide de manger du riz de Sourou ». Nous sommes 12 millions et demi au Burkina. Imaginez la quantité de riz que chaque famille mange par jour. C’est dire donc que si nous décidons de consommer le riz du Sourou, ce riz ne pourra même pas répondre à nos besoins. C’est pourquoi, il faut féliciter certaines braves populations qui ont commencé à mettre sur les supermarchés du yaourt et du lait fabriqués localement. Je suis désolée de le dire, mais il y a des gens lorsqu’ils vont dans les supermarchés, ils demandent d’abord du lait venant d’ailleurs. Il faut que nous commencions à nous sensibiliser nous-mêmes pour que nous consommions ce que nous produisons localement et qui d’ailleurs est plus riche, car ne comportant pas de produit pour favoriser la conservation.

S. : Peut-être faudra-t-il que l’élite commence à donner l’exemple en consommant local...

M.N.K. : Je ne sais pas ce que l’élite ou les gens consomment chez eux. Je ne peux pas me fonder sur des à priori parce que je ne suis pas chez eux pour voir ce qu’ils consomment. Mais, je me dis que l’élite même fait partie de la population. Si tout le monde sans distinction s’y mettait, ce serait un grand pas. Quand vous dites qu’il y a manque de volonté politique, je répondrai qu’il n’y a pas non plus un décret politique qui nous empêche de consommer ce que nous produisons. C’est pour cela que la FAO a initié ces derniers temps, la campagne Téléfood. Nous avons souvent tendance à mettre le problème de la malnutrition sur le dos des décideurs politiques. Alors que c’est un problème qui interpelle tout le monde y compris la société civile et le privé. Le problème de la pauvreté ou de la faim est une affaire commune. Chacun a sa partition à jouer. Le Téléfood lance donc un appel à tout le monde pour signifier que même un dollar de contribution peut permettre à un aviculteur de Tenkodogo de commencer à élever deux ou trois poules. Ce message, beaucoup ne l’ont pas encore bien compris. La plupart du temps, les gens voient le Téléfood seulement sous l’angle des subventions que la FAO utilise pour financer les petits projets directement à la base. L’aspect le plus important de Téléfood est d’attirer l’attention afin que chacun donne sa contribution à la lutte contre la faim. Et c’est dans ce cadre qu’il a été mis en place depuis l’année dernière au niveau de la FAO, l’Alliance internationale de lutte contre la faim. Le Burkina a été le premier pays à avoir initié son alliance nationale de lutte contre la faim, justement pour sensibiliser dans ce domaine. Nous avons des ingénieurs, nous avons des techniciens d’agriculture qui peuvent mettre leur connaissance à la disposition de leurs parents ou de leur village. Chacun doit pouvoir retourner de temps en temps, le week-end dans son village, afin d’y voir ce qui se passe par exemple.

S. : En posant ainsi le problème, n’avez-vous pas l’impression que vous vous chatouillez pour rire ?

M.N.K. : Je ne me chatouille pas (rire). Le problème de la faim est tellement important que nous ne pouvons pas prendre cela à la légère. Si aujourd’hui, la Chine s’en est sortie, ce n’est pas avec l’apport extérieur. Je dis toujours que si nous, Burkinabè, décidons de consommer le riz du Sourou, personne ne viendra nous y empêcher.

S. : Comment dans un contexte de mondialisation, de libéralisme, un pays comme le Burkina peut-il se replier sur lui-même ?

M.N.K. : J’insiste sur cette position, il y a deux niveaux. Il y a l’aspect macroéconomique au niveau mondial mais également l’aspect opérationnel, concret, microéconomique sur le terrain. Mais est-ce que nous avons dépassé ce stade ? Non ! Rien ne nous interdit de consommer ce que nous produisons. Pas la mondialisation en tout cas. Certains pays, il est vrai, parlent de libéralisation du commerce. Mais quand vous vous rendez dans ce pays, vous vous rendez compte qu’ils protègent leurs produits locaux, sans pour autant qu’ils aient des textes y relatifs. Si les Burkinabè se mobilisent et décident de consommer burkinabè, personne ne viendra nous l’interdire. Il faudra que nous développions des initiatives à notre niveau, sans toujours nous référer aux décisions politiques ou à des conventions. Rien qu’en Afrique de l’Ouest, il y a des pays où cela se fait. Mais cela, il faut d’abord une prise de conscience de la population. La ligue des consommateurs est une structure montante qui peux aider à réaliser cette mission.

S. : Comment expliquez-vous la lenteur de la communauté internationale, à pouvoir réagir contre l’invasion acridienne alors que selon le Directeur général de la FAO, il y avait une alerte, douze mois avant ?

M.N.K. : La Communauté internationale de plus en plus a d’autres préoccupations. Pendant plusieurs années, les pays africains ont eu un appui de cette communauté internationale. Mais il y a maintenant d’autres crises qui se créent ailleurs et qui créent d’autres préoccupations. Même au niveau de l’aide au développement agricole, de 1990 à 2000, il y a eu une baisse de 30%.

En plus de cela, le Directeur général de la FAO, M. Jacques Diouf n’est que responsable d’une institution qui parle au nom des Etats. Mais il faudrait aussi l’appui de ces Etats pour donner plus de force aux efforts du Directeur général. Concernant la crise acridienne, la FAO, l’a annoncée un an avant. Il y a eu des communiqués de presse pour informer. La FAO a également écrit à tous les Etats membres pour les informer qu’il y aura une invasion des criquets pèlerins, surtout vers la Mauritanie et le Sénégal. Il fallait à peine 10 millions de dollars pour certains pays, afin d’enrayer cette crise. Malheureusement il n’y a pas eu de réaction. La FAO, a pris sur ses contrôles, la décision d’organiser une rencontre au siège de tous les bailleurs de fonds y compris, les pays concernés. Il n y a toujours pas eu de réaction jusqu’au moment où les criquets ont évolué et commencé leur parcours. Aujourd’hui, il faudrait mobiliser au moins 100 millions de dollars pour mettre fin à la crise. Nous ne pouvons pas affirmer que cette crise est déjà passée. Car pour l’instant, nous n’avons pas tout le contour de leur circuit. D’un moment à l’autre, ça peut revenir. Pour cela, il faut que les Etats se préparent à la riposte lorsque la situation va se présenter.

Au Burkina, depuis que les criquets ont fait leur voyage vers l’Arabie Saoudite et l’Israël, la FAO a continué à travailler avec le gouvernement afin de mettre en place toute une action de préparation pour la prochaine campagne, que ce soit à travers la formation, les équipements Le gouvernement a décidé d’ouvrir une sous base de lutte contre les criquets à Dori. Dans le cadre de ce projet de la Banque mondiale, des actions vont être menées pour rendre cette sous base opérationnelle.

S. : Ne pensez vous pas que la solidarité n’a pas été de mise en faveur de la lutte contre les criquets ?

M.N.K. : Je cois que l’exemple du Burkina qui a été présenté sur toutes les télévisions doit être un modèle à suivre.

Il est vrai que le Burkina n’a pas connu les mêmes dégrés d’invasion que certains pays comme la Mauritanie, le Sénégal et le Mali. Mais cela ne l’a pas empêché d’aller au secours du Mali. Si le Burkina laissait faire, la partie sud du Mali qui était envahie allait continuer tranquillement son chemin vers le nord du Burkina. Ce sont des actions qui méritent d’être encouragées. C’est le message même que le Directeur général de la FAO avait lancé, lorsqu’il était de passage au Burkina dans le cadre de la Francophonie. Cet appel de solidarité, a eu un écho favorable. En ce moment, l’UEMOA est en train d’initier pour la sous région, un programme pour la lutte acridienne. Le CILSS aussi s’est lancé dans la lutte. Cela pourra être une force au niveau de l’Afrique de l’Ouest.

S. : Pouvez-vous nous donner les grandes lignes d’une politique agricole africaine commune ?

M.N.K. : La zone UEMOA a une politique agricole commune. La FAO a été sollicitée par des Etats membres pour aider à préparer un plan détaillé de développement de l’agriculture, dans le cadre du NEPAD. Il y a une semaine, un atelier a été organisé pour présenter le document que la FAO a préparé dans le cadre du programme d’investissement pour ces pays membres du NEPAD. Pour le Burkina, cela se chiffre à 290 millions de dollars sur 5 ans. Ce programme détaillé de l’agriculture, met l’accent sur l’accroissement durable de la production, le développement de l’irrigation, la mise en valeur durable des superficies et une gestion locale des ressources naturelles. Dans ce sens, il y a déjà un projet expérimental de la FAO en cours actuellement pour aider le Burkina à mettre en place une expérience de gestion décentralisée des ressources naturelles. Les résultats de ce projet permettront au gouvernement d’évaluer son programme.

Pour ce qui concerne la gestion locale des ressources naturelles, il faut développer des services de proximité aux producteurs. Il y a quelques années, on avait dans les milieux ruraux, des vulgarisateurs. Ils y travaillaient de façon continue et donnaient des conseils aux paysans. Dans le cadre des programmes d’ajustement structurel, l’effectif a été réduit. Ensuite, il y en a qui sont allés en retraite. Aujourd’hui, il y a problème, en dépit de la présence sur le terrain, des organisations faitières ou des coopératives. Mais même elles aussi ont besoin de conseil. C’est pour cela que l’on veut développer des services de proximité aux producteurs. La FAO avait également en son temps, élaboré une politique nationale de communication pour le développement. Dans certains axes de cette politique de communication pour le développement, l’accent a été mis sur la communication de proximité. Ces éléments vont servir aussi à ce volet de service de proximité. Il y a également la gestion des risques alimentaires et la réduction de la vulnérabilité des ménages en situation extrême. Sur tous ces points, sera axée une politique de développement de l’agriculture dans le cadre du NEPAD qui est suffisamment avancée. Aujourd’hui, nous sommes au niveau de l’élaboration des programmes d’investissements qui seront présentés aux différents bailleurs de fonds. C’est la BAD (Banque africaine de développement) qui s’est positionnée pour être le chef de file des bailleurs de fonds, pour ce qui concerne le volet agricole du NEPAD. Une bonne partie du contenu de ce document, provient essentiellement de l’expérience spéciale du programme de sécurité alimentaire qui a été conduit au niveau du Burkina. La mission est venue voir ici les résultats de notre PSSA et s’en est inspirée pour la rédaction de la politique agricole du NEPAD.

S. : Pensez-vous comme certains le soutiennent que si l’Afrique est le continent qui souffre le plus de la faim, c’est moins le fait des aléas climatiques ou des phénomènes naturels que par incurie dans les politiques agricoles ?

M.N.K. : C’est vrai que vous parlez de l’Afrique parce que nous sommes en Afrique, mais selon les chiffres que nous avons, je dirai que certaines zones de l’Amérique Latine souffrent de faim et même plus que dans certains pays africains. C’est parce que nous sommes en Afrique que nous présentons très souvent le cas de l’Afrique. C’est par rapport à cela que la lettre de politique de développement rural a été signée. Cette lettre essaie de reprendre tous les résultats positifs et négatifs connus dernièrement. Résultats qui serviront de stratégie de base même de développement rural que le gouvernement va mettre en exécution dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté. La FAO a beaucoup travaillé pour asseoir la stratégie de sécurité alimentaire. Actuellement, nous avons sorti la stratégie de développement de l’agriculture irriguée. Nous sommes obligés de passer par là pour ne pas nous tromper. Il faut donc maîtriser la culture irriguée étant donné que nous ne maîtrisons pas du tout la nature et nos 90% de populations ne vont pas tout le temps attendre qu’il pleuve pour se nourrir. C’est vrai que cela suscite beaucoup d’interrogations, mais nous pensons qu’on aura beau fouiller et refouiller, on ne trouvera pas d’autres solutions que l’agriculture irriguée. Si certains pays qui n’ont que du sable ont réussi à développer leur agriculture avec la culture irriguée, ce n’est pas le Burkina qui ne pourra pas le faire. Nous sommes aussi en train d’interpeller le gouvernement, à élaborer une stratégie pour la transformation et la commercialisation des produits agricoles. Tous ceux-ci donc, se mettent ensemble, pour donner une réponse à la politique de développement rural du pays. Quand je parle de l’agriculture c’est vraiment au sens large. En effet, l’agriculture comprend aussi bien l’élevage, la forêt...

S. : Le Programme spécial pour la sécurité alimentaire (PSSA) est entré dans sa deuxième phase dans notre pays. Son exécution vous donne t-elle entière satisfaction ?

M.N.K : Actuellement, le gouvernement est en train avec l’appui de la FAO, de préparer la phase de programme national de sécurité alimentaire. Nous pensons donc que s’il n’y avait pas eu satisfaction, il n’allait pas poursuivre ce programme. Deux programmes de PSSA sont devenus des programmes nationaux. La première composante concerne la gestion de l’eau, la petite irrigation. Le gouvernement a déjà mis en place un programme national de petite irrigation. Dernièrement, il a initié un programme national de petit élevage. Tout cela se fait en fonction des résultats très favorables et satisfaisants du PSSA. Il y a plusieurs conférences de la FAO, où c’est le modèle du programme spécial du Burkina qui a été présenté au niveau mondial. Tout ceci aidant, le Burkina préside en ce moment la Commission mondiale de sécurité alimentaire qui va tenir d’ici à fin mai, sa session. En matière de stratégie de sécurité, le Burkina est vraiment en avance et comme je le disais, tous les éléments existent au niveau du Burkina. Il faudrait maintenant que chacun puisse s’approprier ses résultats et les mettre bout à bout et leur donner de la valeur. Nous sommes en tout cas fiers des initiatives du Burkina. Beaucoup de pays ont copié et conçu leur stratégie à base des résultats du Burkina. Nous pouvons citer de nombreux cas, rien que dans le cadre de l’agriculture. Donc il va falloir qu’il y ait même une stratégie de valorisation des acquis de nos résultats en matière de développement agricole.

S. : Quel est l’impact de la pandémie du Sida sur le monde rural ?

M.N.K. : Nous avons effectivement des rapports que nous avons diffusés. Il y a des enquêtes qui ont été menées et qui démontrent que la pandémie du Sida a eu beaucoup d’impact sur la main d’œuvre agricole. Dans le cadre de nos actions conjointes avec les autres agences du système des Nations unies, nous attirons toujours l’attention sur cet aspect. Il faudrait aussi qu’il y ait un accent particulier sur l’approche Sida en milieu rural et sur l’alimentation des gens atteints du Sida. Une personne qui est sous traitement doit en effet avoir une bonne alimentation. Nous sommes en train d’initier dans ce sens, une réflexion avec l’Université de Ouagadougou pour élaborer une cartographie alimentaire du Burkina. Cela permettra de voir comment renforcer l’aspect nutritionnel des personnes atteintes du Sida dans les différentes régions.

S. : A quoi servent les fonds Telefood ?

M.N.K. : Les fonds « Telefood » sont d’abord orientés vers les plus pauvres. Ils ne servent pas à financer les frais de fonctionnement. Tous les fonds doivent servir à l’investissement à la base.

Il suffit que des gens élaborent leurs projets, avec l’appui des techniciens de leur zone, et qu’ils nous les envoient. Le comité de sélection constitué des ministères concernés se réunit pour sélectionner les projets que nous envoyons ensuite à notre siège. Maintenant, l’alliance fait partie du comité de sélection. Chaque année, nous pouvons avoir jusqu’à cinquante mille (50 000) dollars pour financer de petits projets. Les fonds Téléfood sont constitués de dons de plusieurs personnes issues des sociétés privées. Les pays cotisent au niveau d’un compte de la FAO et celle-ci répartit ces fonds au profit de tous les pays ayant des problèmes de sécurité alimentaire. Chaque pays peut initier l’expérience et organiser Téléfood pour mobiliser les fonds sur place. Malheureusement, nous avons essayé, au moins deux fois, de mener des activités de mobilisation mais cela n’a pas eu d’effet. Les gens étaient presque indifférents. La première fois, c’était en 1999 et l’on a récolté huit (8) millions. La deuxième fois, c’était il y a deux (2) ans, nous avons eu à peu près vingt-cinq (25) millions, en espèces et en nature. Nous sommes en train de réfléchir aux stratégies qu’il faut pour suffisamment sensibiliser la population afin qu’elle accepte de contribuer. Et pourtant, contrairement à cette faible mobilisation, nous avons beaucoup d’engouement pour les demandes de projets Téléfood à tous les niveaux. Les gens en ont constaté les résultats. Dans les villages, vous voyez des femmes faire l’élevage de moutons, de porcs, de la volaille, etc. Même ici à Ouagadougou, c’est avec les fonds Telefood que nous avons organisé les premières femmes qui vendent le poisson. Nous avons mis les moyens à leur disposition pour qu’elles achètent et conservent bien le poisson et qu’elles le vendent dans un cadre beaucoup plus hygiénique. Le principe des Fonds Telefood, c’est que les premiers bénéficiaires doivent financer d’autres personnes. Si vous recevez deux (2) ou trois (3) millions, il faudra que vos résultats vous permettent de financer encore d’autres individus ou groupements avec le même montant que vos résultats doivent atteindre. Donc, c’est un système résorbable ne concernant que les bénéficiaires. Mais tout le monde n’arrive pas à le faire.

Nous avons demandé au PSSA de faire une évaluation des différents projets Telefood.

Sur le terrain, les gens connaissent bien Telefood, mais nous comptons sur vous, la presse, pour mieux mobiliser les Burkinabè.

La FAO n’est pas un bailleur de fonds comme les autres institutions telles que la Banque mondiale et autres. Nous sommes une agence de coopération technique. Notre mission consiste à appuyer les Etats sur le plan technique et à financer, grâce au Fonds spécial FAO, les programmes de coopération technique sur un problème d’un pays donné et pour lequel il faut trouver une solution en vue d’élaborer un programme beaucoup plus vaste. Les récents projets de coopération technique que nous avons initiés et qui sont d’une importance capitale pour nous, sont entre autres, la plantation de palmiers dattiers au Nord du pays. Cette partie du pays a des problèmes climatiques et toutes les cultures ne peuvent pas y être pratiquées. Nous avons alors réfléchi avec le ministère de l’Environnement et du Cadre de vie et avons trouvé cette solution. C’est ainsi que le gouvernement a élaboré un programme de palmiers dattiers pour le Nord du pays et notre direction a financé ce projet. C’est un petit projet, qui à terme, revêt une grande importance, car l’objectif de la FAO est de faire de la région du Nord, une zone spécialisée de production de dattes. Nous avons pris l’exemple sur la Namibie qui ne connaissait même pas les dattes mais qui est devenue maintenant un grand exportateur de dattes. Grâce au Nord, le Burkina Faso peut être un grand exportateur de dattes. Nous avons fait des études de marchés et effectivement le marché est libre. Les souches que nous avons introduites au Nord viennent de l’Arabie Saoudite et sont perfectionnées. Nous avons initié aussi avec la municipalité de Bobo-Dioulasso, un projet sur la qualité sanitaire de l’alimentation de rue dans cette ville. Ce projet vient de prendre fin et ses résultats pourront servir à d’autres municipalités y compris celle de Ouagadougou qui reçoit beaucoup de gens lors des grandes manifestations culturelles et même pour sa population. Les enquêtes ont montré que plus de 6 ou 7% de la population mangent dans la rue, c’est-à-dire hors de leur maison. Des enquêtes montrent que des problèmes hygiéniques sont de plus en plus fréquents dans la préparation de ces aliments. Même les sachets d’eau que l’on vend peuvent causer des problèmes de santé.

Ce projet sur la ville de Bobo-Dioulasso est en relation avec une étude que la FAO a faite il y a 4 ou 5 ans sur l’approvisionnement des grandes villes, qui sont de plus en plus peuplées. Avec cette surpopulation, les gens vont être amenés à manger ce qu’ils trouvent dans la rue et cela peut poser des problèmes de santé et d’approvisionnement.

S. : Quelles sont les relations qui lient la FAO au Burkina. Depuis quand, cette instituiton a pris pied dans notre pays ?

M.N.K. : La FAO est née le 16 octobre 1945 et le Burkina Faso, Haute Volta à l’époque, a été admis comme membre de la FAO, le 9 novembre 1961.

La première représentation s’est faite au Burkina en 1978. Depuis l’avènement de la FAO, il y a des initiatives qui sont à souligner. Entre autres, le lancement du programme alimentaire mondial (PAM). A l’origine, la FAO jouait le rôle que joue le PAM aujourd’hui. Il y a eu le lancement de ce Programme en 1961, ce qui a abouti à la création d’une institution spécialisée des Nations unies qui a donné naissance au PAM. La FAO continue d’être membre et préside le conseil d’administration du PAM. 

La FAO a initié également un autre programme de coopération avec la Banque mondiale mais cela s’est élargi à d’autres bailleurs de fonds qui ont misé sur cette coopération. Ce sont notamment la Banque africaine de développement (BAD), la Banque internationale de développement (BID), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et bien d’autres bailleurs de fonds. Ce programme de coopération permet à un service de la FAO dénommé Centre d’investissement, d’aider les pays à préparer les programmes ou projets pour les soumettre au financement. Cela renforce leurs avantages et la collaboration entre les pays de la FAO. Lorsqu’un programme ou un projet est initié par la FAO, les bailleurs de Fonds sont plus disposés à accorder les financements.

Je crois que le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) a été initié par la FAO en 1974, suite à la grande famine que les pays du Sahel ont connue à cette période. Au total, nos projets tournent autour de dix (10) milliards, au niveau du Burkina Faso

S. : Est-ce que le fait d’avoir un Africain à la FAO a permis de défendre la cause du monde rural africain dans les hautes sphères internationales ?

M.N.K. : Je dirai que cela a été un plus parce que personne ne peut mieux comprendre un Africain qu’un Africain. Et vous pouvez constater qu’à l’époque, on recevait des missions et consultants internationaux du Nord qui venaient nous aider à préparer des projets. Mais souvent, dans l’exécution de ces projets, on se rendait compte que l’aspect sociologique n’était pas tellement pris en compte. Pour notre développement, nous devons prendre en compte notre sociologie et notre culture, parce que tout ce qui fait partie de notre vie doit être pris en compte. Je me rappelle que dans un pays, les consultants avaient proposé un programme de nutrition pour les enfants. Ce programme a échoué pour la simple raison que l’eau de forage est un tabou dans ce pays où l’on pense qu’elle rend les enfants muets. Par conséquent, il est interdit dans l’alimentation des enfants. Pourtant, ce programme a permis de réaliser plusieurs forages que les gens ont fui. Un Africain qui est du milieu aurait su faire preuve de réflexion et d’ingéniosité pour arriver à convaincre les populations sur la nécessité d’utiliser l’eau des forages. Donc, le fait qu’un Africain soit à la tête a été salutaire parce que l’Africain connaît les mentalités et les réalités de son milieu et peut user de stratégie pour contourner les obstacles.

S. : Comment se fait le vote du Directeur général de la FAO ? Et M. Jacques Diouf sera-t-il candidat à sa propre succession !

M.N.K. : Le vote se fait par élection et ce sont les pays africains qui ont le plus donné leurs voix pour l’élection du directeur général actuel, le Sénégalais Jacques Diouf. Je vous annonce qu’il est candidat encore pour un troisième mandat et pour l’instant, il est le seul candidat. Pour ce qui concerne les bailleurs de fonds, les aides en agriculture ont commencé à baisser depuis un certain temps. Mais cela n’est pas dû à la présence d’un Africain à la tête de la FAO. C’est la raison pour laquelle nous pensons que pour une fois, les Africains devraient se mettre ensemble pour initier un programme à travers le NEPAD. Il va falloir que chacun puisse effectivement se mobiliser pour qu’au moins ce programme réponde à certaines préoccupations africaines et trouver des solutions à certains problèmes africains.

S. : Ne trouvez-vous pas qu’il est nécessaire de réformer la FAO ?

M.N.K. : La FAO travaille en fonction de ce que décide son assemblée générale. Si les pays membres proposent une réforme, ça sera mis en application. Comme vous le savez, le système des Nations unies est en grande réforme. Et cette réforme aura des impacts sur les agences spécialisées. Et j’estime que cette réforme peut amener les agences spécialisées à faire des réformes ou alors les décisions et les recommandations des pays membres peuvent amener la FAO à se réformer aussi.

S. : Vous êtes spécialiste des cultures vivrières, que pensez-vous de l’avenir de ces cultures au Burkina au moment où l’accent est mis sur les cultures de rente qui apportent beaucoup de devises ?

M.N.K. : Je crois que les deux peuvent aller ensemble. L’avantage des cultures vivrières, c’est que ça permet d’assurer le pain quotidien des populations. Mais il ne faut pas négliger une culture par rapport à l’autre. Ce qui est important, pour les cultures de rente, ce sont les devises qu’elles ramènent au pays. Par exemple, au Burkina Faso, le coton est une culture de rente mais on dit souvent que le coton est le fil conducteur des cultures vivrières. Souvent les grands producteurs de cultures vivrières sont de grands producteurs de coton parce que les cultures vivrières profitent de l’arrière- effet de la culture du coton. Donc, l’un dans l’autre, nous pensons que les deux méritent d’être promues. Tout dépend de la stratégie que les pays mettent en place pour le soutien à l’une ou l’autre. En ce qui concerne le Burkina, Ouahigouya est actuellement une zone productrice de pomme de terre, malgré la sécheresse qui y règne. A l’époque, le coton était perçu comme une culture coloniale et ce n’était pas mécanisé. Ceux qui n’avaient pas la vocation et qui n’arrivaient pas à s’investir fuyaient pour aller s’installer ailleurs. Cela est arrivé dans plusieurs pays africains. Chez moi, en Centrafrique, au Sud, on ne produit pas le coton parce que c’est une zone de forêt ; des gens quittaient le Nord où se pratique la culture du coton pour venir au Sud. Mais pour l’instant, Ouahigouya est une référence parce que produisant de la pomme de terre de qualité. Nous sommes maintenant à un stade de diversification et il faut essayer de voir comment appuyer, accompagner et coordonner les différentes cultures.

S. : Vous avez été ministre à plusieurs reprises dans votre pays. Comment s’est fait votre entrée dans la fonction publique internationale ?

M.N.K. : Chez nous, la Promotion de la femme et l’Action sociale appartiennent au même ministère. J’étais dans ce ministère et après, à celui de l’Agriculture. Dans ma carrière, j’ai toujours voulu avoir d’autres expériences de travail dans d’autres pays, que le mien. Ma présence au niveau du Burkina m’a rapporté beaucoup, dans ma vie et dans ma carrière. J’ai constaté que dans les pays où les ressources sont limitées, les gens savent se battre pour survivre et le Burkina Faso en est un exemple. Beaucoup de gens reconnaissent que les Burkinabè sont des travailleurs. Le Burkina a mis l’accent sur la formation de ses cadres si bien que ce pays ne souffre pas de problème de manque de cadres que beaucoup de pays africains connaissent. Et déjà rien que ces deux éléments, la richesse en ressources humaines et l’ardeur au travail sont suffisants et je crois que c’est cela qui fait le Burkina. En matière de gestion de l’eau, j’arrive à mieux comprendre la situation parce que j’étais dans un pays où il pleuvait à peine, une fois tous les deux (2) ans ou tous les trois (3) ans. Au Cap-Vert, il ne pleut pas. Et comme au Burkina, nous avons la pluie, je suis convaincue que nous avons encore des ressources qui méritent d’être exploitées. Donc, avec le concours de mes collègues, nous sommes en train de réfléchir ensemble au bureau et faisons des propositions de certaines initiatives à nos partenaires. Initiatives qui se confirment à travers des programmes sur le terrain. Mon entrée à la FAO était conditionnée par cela. J’ai essayé l’UNICEF, le PNUD, la FAO. J’ai essayé pendant cinq (5) ans et puis, un jour, j’ai eu la chance d’être retenue.

S. : Que gardez-vous de votre passage dans les départements ministériels et au Cap-Vert ?

M.N.K. : Si vous voyez notre passeport qu’on appelle « laissez- passer », on ne met pas notre nationalité. C’est pour dire que lorsque vous êtes dans le système des Nations unies, vous êtes coupés de l’aspect politique. Nous sommes une instance neutre, que ce soit dans notre pays d’origine ou dans le pays où nous travaillons. Notre politique consiste à lutter contre la faim et pour le développement durable. C’est ça notre politique. Quand nous initions une action et qu’il y a des lectures politiques derrière cette action, nous trouvons que les gens ne comprennent pas encore bien le sens des activités que nous menons. Mais, en tant que Centrafricaine, je suis aussi comme tout le monde, ce qui se passe en Centrafrique. C’est un pays qui a beaucoup souffert des troubles militaires et sociopolitiques etc. Il va falloir qu’un jour ce pays retrouve la stabilité, pour l’avenir de la population. Quand il y a des troubles, c’est la population qui en souffre. Entre-temps, nous avons constaté que les troubles ou problèmes militaires en Afrique ont, à un moment donné, consommé au moins 70% des aides prévues pour l’agriculture. Ces 70% ont servi à régler des problèmes d’instabilité dus à des troubles politico-militaires. Ainsi, nous pensons que la paix est la première chose qui conditionne tout.

S. : Votre discours, lors de la Journée du paysan, semblait être politique. Qu’en dites-vous ?

M.N.K. : Je ne sais pas si vous avez la copie de mon discours de Gaoua. Si vous l’avez, je souhaiterais que vous me souligniez les parties qui ont trait à la politique et là, je pourrai vous répondre. Vous savez, pour nous, c’était plutôt une occasion au moins de montrer tout ce qui se fait dans ce pays, compte tenu du fait que la FAO n’a pas un programme autre que celui du pays, du gouvernement, des ONG et de la société civile. Et beaucoup de choses passent inaperçues dans ce pays. La Journée nationale du paysan était donc une occasion pour nous d’en parler, surtout que nous venons de couronner avec succès, la mise en place des Chambres régionales d’agriculture, une initiative de la FAO qui a appuyé le gouvernement dans le processus.

Concernant la Confédération paysanne du Faso, la FAO a été la première agence à mettre à la disposition de cette structure, un projet à hauteur de presque quatre cents (400) millions pour le renforcement des capacités. La Journée nationale du paysan a été soutenue par la FAO. Elle s’inscrit en droite ligne dans notre mandat et nous avons soutenu cette initiative. Donc c’était vraiment une occasion de présenter ce qui se fait dans ce pays, avec le gouvernement, la Confédération paysanne, les Chambres régionales d’agriculture, la pêche... Il fallait présenter tous ses résultats. Je profite pour vous dire que je suis dans ma cinquième année au Burkina. Et comme notre mandat tourne autour de cinq ans, au moins d’ici à là que j’ai un remplaçant, on saura ce qui a été fait, pendant cinq ans à la FAO. C’était ça la lecture qu’il fallait faire de ce discours qui avait pour but de faire connaître la FAO et ses résultats au niveau du Burkina qui est un exemple pour la FAO. Mon discours n’a rien à voir avec la politique. Mais si nous ne disons pas ce qu’il faut faire pour les paysans, je ne vois pas qui d’autre pourrait le faire.

S. : On vous attribue la « paternité » de la mise en place de l’alliance nationale contre la faim. Avez-vous eu raison d’œuvrer à la création de cette structure au Burkina ?

M.N.K. : Je ne sais pas si c’est à tort que l’on m’attribue cette paternité. En fait, après le bilan du « sommet mondial plus cinq ans » qui a eu lieu à Rome, certains responsables de grandes entreprises américaines, canadiennes, italiennes, etc. se sont retrouvés et ont dit qu’à l’allure où les pays mènent la lutte contre la faim, d’ici à 2050, ils ne réduiront même pas de moitié les huit cent millions (800 000 000) de personnes qui meurent de faim à travers le monde, s’ils gardent le même rythme. Cinq ans après le sommet, le chiffre était à deux cent millions (200 000 000) alors qu’il était censé être à quatre cent millions (400 000 000) : au moins la moitié de huit cent millions (800 000 000). C’est la raison pour laquelle ces chefs d’entreprise ont décidé de la création d’une alliance forte qui lutte contre la faim. L’alliance n’a pas de barrière politique ni de conditionnalité. Elle est autonome et peut intervenir partout où il y a la faim. Ils n’ont pas à se soumettre à des décisions politiques, à des institutions ou à des Etats. L’alliance apporte sa contribution à la lutte contre la faim, pas seulement sur le plan financier mais aussi sur le plan technique et autres. Lorsque l’alliance a été initiée, on nous a envoyé des messages pour les pays membres et nous avons distribué les copies à tout le monde. Il se trouvait qu’à l’époque, la FAO venait de signer un accord de partenariat avec une ONG, la Caritas. La Caritas était disposée à travailler avec la FAO pour essayer de mettre en place cette structure d’alliance. Ainsi, la Caritas avec les clubs services, les ONG, l’association des consommateurs, la Confédération paysanne du Faso et autres se sont retrouvés et créé une alliance nationale.

Depuis que l’alliance nationale a été mise en place, ils ont déjà effectué deux missions. L’alliance a été retenue pour représenter l’association à la Francophonie, a été à Rome puis à Porto Alegre pour débattre des problèmes de la société civile du Burkina, dans le cadre de la lutte contre la faim. L’alliance a aussi été accueillie par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui veut s’inspirer de son expérience et œuvrer à ce qu’elle soit une réalité dans tous les pays membres.

S. : On vous dit battante au point que vos collaborateurs vous vouent plus que du respect, de la crainte. Qu’en est-il exactement ?

M.N.K. : (Rires). Mes collaborateurs sont là et ils sont mieux placés pour vous répondre. Je fais de mon lieu de travail un cadre familial. Nous sommes au bureau du matin jusqu’au soir et lorsqu’un problème survient, en dehors du travail, c’est d’abord avec les collègues qu’on échange. Partout où j’ai travaillé, je fais toujours de mes collaborateurs des parents, des frères et sœurs. Peut-être que vous ne l’avez pas remarqué mais, inconsciemment, tout à l’heure quand je voulais boire, j’ai invité mes collaborateurs et ils ont dit qu’ils n’avaient pas soif. Dans un cadre familial, on ne peut pas semer la terreur quand on est chef de famille. C’est plutôt l’esprit de famille qu’il faut. Mais vous savez aussi que dans une famille, tout le monde n’est pas au même rythme. Il y en a qui sont plus avancés que d’autres, au niveau des activités. Et souvent, nous sommes tenus à l’obligation de résultats. Nous sommes là pour servir le Burkina et il faut des résultats. Notre siège, chaque jour, nous envoie des centaines de messages, il nous faut communiquer, donner des informations et initier des actions. Nous avons des contraintes et il arrive que tout le monde ne soit pas au pas, ce qui peut impliquer des frustrations. Mais cela ne veut pas dire que c’est la terreur. Nous devons avancer au même rythme car ceux qui traînent risquent de retarder les autres et c’est le Burkina qui va nous demander de rendre compte. Je suis une Africaine convaincue et je me sens chez moi, ici au Burkina Faso. Si on m’envoie dans un autre pays africain, je serai toujours chez moi. Et par conséquent je travaille au Burkina Faso comme si j’étais chez moi en Centrafrique.

S. : Comment arrivez-vous à concilier vie familiale et vie professionnelle ?

M.N.K. : Vous savez, c’est difficile, parce que ce n’est pas évident de concilier la vie de famille et le travail. Quelque part, on se laisse emporter par l’un ou l’autre. Personnellement, parfois, je m’oublie moi-même, par rapport à mon travail. C’est souvent difficile mais quand je vois les femmes du Burkina, qui, à 5 h du matin, pédalent leurs vélos pour aller à trente (30), quarante (40) kilomètres acheter des légumes pour les revendre en vue de tirer des bénéfices, je me demande si j’ai assez fait. Et cela me pousse à m’investir davantage car je vois plus ces femmes que mes sœurs et mes enfants qui sont à la maison et dont le repas quotidien est assuré. Mes enfants vont à l’école et je suis leurs travaux car les week-ends, je suis à la maison.

S. : Et vos loisirs ?

M.N.K. : Il faut toujours joindre l’utile à l’agréable. De temps en temps, je vais danser. Je crois que ce n’est pas interdit au Burkina.

Je pratique plus le sport. J’aime le basket-ball. J’ai créé une équipe ici. Elle joue tous les jeudis au Centre de sécurité sociale.

Je ne lis pas beaucoup les journaux et je vois les conséquences de ce manque de lecture. Car plus j’avance en âge, plus j’ai des difficultés de communication.

S. : Savez-vous faire des plats burkinabè ?

M.N.K. : En dehors du tô de maïs, je ne sais pas encore faire les plats burkinabè. Mais je serai disposée à apprendre aux Burkinabè les recettes centrafricaines. On peut organiser une session de démonstration de cuisine.

S. : Lors de vos sorties en province, l’animateur en mooré, M. Ambroise Tapsoba vous taquine parfois. Lorsqu’on vous traduit ces propos, comment les prenez-vous ?

M.N.K. : Je ne comprends pas le mooré mais on me le traduit. De plus, j’ai fait la vulgarisation agricole et en matière de vulgarisation il ne faut pas être rigide dans la communication pour mieux se faire comprendre . Parfois l’on est obligé de passer par des blagues pour détourner un peu l’attention afin de mieux la capter après.

Je suis de nature à bien accepter les blagues. Et en plus, j’ai toujours étudié parmi les garçons et je suis habituée aux blagues des garçons et des hommes surtout à l’école d’agriculture. J’ai été la première femme à embrasser cette carrière et j’ai eu toutes les misères du monde parce qu’on disait que c’était un travail d’homme. J’ai été l’unique femme parmi quinze (15) hommes pendant trois ans de formation. Je sais encaisser les blagues et je sais les retourner aussi.

S. : Quelle appréciation faites-vous de la presse burkinabè ?

M.N.K. : Lorsque j’ai dit que je ne lis pas beaucoup, je parlais des romans. Sinon, je ne peux pas passer une journée sans lire les journaux.

Nous restons au bureau de 12h30 à 14h. Ce sont les meilleurs moments, pour nous, de lire les journaux, avant la reprise. Pour nous, c’est très important parce qu’on y trouve les informations dont nous avons besoin. Et même si je suis sur le terrain, on m’envoie les journaux à la maison. Les informations importantes, nous les envoyons à notre siège, pour publication. Nous avons un travail d’information à faire et c’est ce qui nous oblige à lire les journaux. J’apprécie les vertus de la presse burkinabè. Les hommes de médias disent ce qu’ils pensent. C’est très important pour la liberté d’expression. Et c’est très formateur parce qu’il est utile pour tout être humain de s’approcher de la personne qui lui dit ce qu’elle pense de lui. Celui qui vous dit ce qu’il pense de vous ne vous fera jamais de mal. Mais celui qui ne vous dit pas ce qu’il pense de vous peut vous nuire. Donc, la liberté de la presse au Burkina est vraiment salutaire. Pour ce qui concerne Sidwaya, j’ai beaucoup apprécié tous les efforts qui ont été faits, d’abord, le passage en couleur est vraiment captivant. Les Africains aiment beaucoup la couleur, je ne sais pas si cela est lié à notre nature, maisquand il y a la couleur quelque part, ça attire plus que le noir et blanc. J’apprécie également la neutralité des informations que Sidwaya donne. Dans certains pays, on arrive à faire la différence entre les journaux : ceux de l’opposition et du pouvoir en place. Or au niveau du Burkina, c’est difficile de pouvoir faire la différence, si l’on prend le temps de lire et d’accepter les critiques qui sont constructives.

S. : Combien de temps, un représentant-résident passe dans son pays d’accueil ?

M.N.K. : Au début, c’était trois ans ; maintenant, c’est cinq ans par pays. Donc à partir de la cinquième année, on peut être affecté. Mais je ne dis pas que je vais quitter le Burkina car les décisions ne sont pas entre mes mains. Il reviendra à mon directeur général et au gouvernement du Burkina de décider.

S. : En tant qu’Africaine engagée, quelle lecture faites-vous de la situation politique au Togo ?

M.N.K. : Puisque nous ne faisons pas de la politique, comment vous répondre ? Mais ce qui nous intéresse au Togo, c’est de leur apporter des aides humanitaires et de secourir la population qui est sous le choc. Quand il y a des troubles, c’est toujours la population qui en souffre. Ce sont précisément des femmes et des enfants qui courent avec des baluchons sur la tête. Et notre mission consiste d’abord à secourir cette population. D’ailleurs, il y avait une mission conjointe du système des Nations unies, qui avait effectué une mission de terrain samedi dernier pour voir si des Togolais n’avaient pas quitté leur pays pour nous permettre de nous préparer à les accueillir. C’est surtout cet aspect qui nous intéresse. L’autre aspect appartient à la souveraineté de l’Etat togolais.

Tout ce que nous souhaitons et demandons, c’est qu’il y ait la paix et une bonne démocratie dans les pays et surtout, une bonne gouvernance.

S. : Nous allons faire de la politique fiction. Quel rêve avez-vous pour la Centrafrique, ce pays qui nous a donné un empereur ?

M.N.K. : Si vous étiez à l’anniversaire de la Reine des Pays-Bas, l’ambassadeur avait dit, que pour eux, la Reine est un honneur et que leur pays est content et fier de leur Reine. Chaque pays peut en faire de même. Peut-être que le Centrafricain dira que l’empereur Bokassa a fait son honneur. Et puis, entre les informations qu’on reçoit de l’extérieur et la réalité du pays, il y a parfois des discordances, voire une grande différence. C’est pour cela que j’apprécie le niveau de la presse burkinabè parce que vous donnez des informations qui sont vérifiables. On peut fouiller et être convaincu que ce qui a été dit est vrai. La presse ne grandit pas à travers des montages. Si l’on met les escaliers les uns sur les autres sans un ciment solide, ça peut s’écrouler. Mais je souhaite que la Centrafrique puisse connaître un envol socioéconomique car c’est un pays qui a des ressources. Peut-être que le Burkina pourra envoyer une partie de ses ressources humaines pour aider la Centrafrique à décoller, pourquoi pas ?

S. : La Marche mondiale a commencé à Beijing. Est-ce que vous serez disposée à marcher le jour J ?

M.N.K. : Je vous dirai qu’à l’époque, c’est moi qui avais conduit la délégation de la Centrafrique à Beijing. Si au jour de la marche, je suis ici au Burkina, je marcherai avec les femmes, plus pour attirer l’attention du monde sur l’équité des problèmes du genre, mais pas parce que nous sommes féministes. En réalité, quand on isole le problème de la femme, ça se complique et ça lui crée plus de problèmes et ça n’apporte pas de solutions.

S. : Avec votre profil, peut-on s’attendre à ce que vous regroupiez les femmes autour d’une organisation de mise en valeur de cultures vivrières ?

M.N.K. : C’est mieux de toujours placer la femme dans son milieu et d’apporter la solution à son problème, en tant que femme dans son milieu. Il ne faut pas l’isoler pour lui apporter des solutions. J’ai eu des expériences amères et je ne suis pas prête à recommencer. Lorsque je suis sortie de l’école, toute jeune, j’avais initié un projet spécifique pour soulager la souffrance des femmes rurales. Il s’agissait pour moi, d’appuyer ces femmes en appliquant tout ce que nous avons appris à l’école. L’Allemagne, à travers le projet GTZ a financé ce projet et après deux ans, aucune femme n’a eu un résultat à présenter. Avec nos théories universitaires, nous nous sommes dit qu’il fallait acheter leurs produits pour aller vendre puis nous avons voulu les initier au travail à la chaîne. Mais aucune femme n’a pu vendre un produit durant les deux ans parce que leurs maris ont refusé qu’elles se lancent dans de telles activités, en bloquant les produits. Vous voyez, il ne faut pas isoler la femme, même quand on veut l’aider. Il faut agir en fonction de l’aspect genre.

La FAO est chef de file pour ce qui concerne l’approche socioéconomique genre en milieu rural. Nous avons eu un atelier à cet effet, il y a deux mois, à Kaya. Je vous remercie de nous avoir invitée. La FAO n’est pas la grande agence et même parmi les femmes, je ne suis pas la meilleure au niveau du Burkina mais vous avez porté votre choix sur la FAO et sur moi.

Donc, au nom de mes collaborateurs, je remercie vivement votre journal. Nous allons continuer à implorer le ciel et le Bon Dieu pour que vous fassiez longue route et que vous puissiez toujours nous donner toutes les informations qui pourraient nous aider à améliorer notre travail et à construire ce pays qui est aussi le mien. J’aime bien votre pays.

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique