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Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

Publié le mardi 29 novembre 2016 à 22h30min

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Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

Kroh… se rapporte à « l’incroyable » en langue bobo et, par extension, à une exclamation qui exprime le « fantastique » ou encore « l’inédit ». Tout le charme de l’œuvre repose, en effet, sur son originalité et son degré d’imprévisibilité.

Kroh répond à la logique de l’écriture en tant que l’expression d’une culture, et au-delà, d’une civilisation. De prime abord, par son ancrage culturel dans la ville mythique de Sya, l’œuvre apparaît comme une véritable fresque de la vieille cité aux silures sacrés, gardiens des traditions séculaires, garants de l’harmonie sociale et symbole fort de la continuité de la vie harmonieuse chez les Bobo-Dioula. Le doyen Bakoroba édifie sur le mythe créateur de ladite communauté, plonge le lecteur dans un voyage initiatique à la recherche de la vérité bleue. Le bleu, dans la symbolique des couleurs, se rapporte à l’univers illimité et éternel (ciel et océans) mais aussi, c’est une couleur qui forme un Tout entre les forces primordiales de la création. La vérité bleue est, par conséquent, celle-là qui transcende l’apparent et l’existant, parce qu’elle fusionne le sous-réel, le réel et le surréel, autrement dit, elle participe de l’équilibre du monde. La parabole du caméléon est tout aussi édifiante dans la genèse de l’humanité. Très éclectique, philosophe érudit, le vieux Bakoroba est le prototype de l’intellectuel en société traditionnelle, parangon de la vertu, dépositaire des savoirs immémoriaux.

Kroh se traduit également par la mise en scène de personnages atypiques, mais aussi de deux mondes dans une dualité existentielle : d’un côté, l’on apprend à découvrir une société versée dans l’orthodoxie, et de l’autre, un « soleil nouveau » avec ses progrès et ses avatars.

Yembraogo et Pousga représentent l’autorité parentale, et incarnent par ailleurs un système de valeurs profondément ancré dans les mœurs africaines : l’honneur et la dignité sont maîtres-mots dans le clan Nacanabo. Sentant son honneur bafoué, Yembraogo dont la famille est établie au Ghana, n’admet point la grossesse impersonnelle de sa fille Rihanata. Il la renvoie au bercail, en Haute-Volta d’alors, où elle devrait purger sa peine auprès de son oncle Pousga. Il s’agit là d’un mélodrame, où le géniteur cherche à « tuer » dans son esprit sa propre fille par l’éloignement, tandis que le père adoptif devra veiller à la rééduquer, synonyme d’une éventuelle « renaissance » en vue de sa réhabilitation dans le cercle familial.

Cette tension existentialiste révèle le rôle primordial de la femme par une médiation de premier ordre. Gompoko est l’archétype de la femme africaine, téméraire et imposante. Elle s’oppose à la décision tyrannique de son frère Yembraogo de bannir Rihanata. L’argumentaire redoutable qu’elle développe, la sagesse de ses propos, l’humilité dont elle fait montre, viendront à bout de Yembraogo. Vivement ébranlé par la ténacité de sa sœur, le géniteur de Rihanata tente un dernier baroud d’honneur pour ne pas perdre la face dans une société fortement machiste : le rapatriement de sa fille fautive.

Bafanta, la mère adoptive, s’arroge le devoir de « mère courage », mais soumise aux dures lois de la tradition. Elle est entièrement dévouée à son foyer et à son époux polygame, qui aurait réussi l’intégration parfaite, selon l’impertinent chauffeur de taxi, Boulouzôma, en se mariant à une femme guinéenne, voltaïque, malienne et ivoirienne !

Dans ce mélodrame, Djéliba le griot est un intermittent. Certes, la fonction traditionnelle du griot, homme de caste, n’est pas d’être au cœur du système, mais d’en être plutôt la vue, l’œil et l’oreille, et de la façon la plus noble qui soit, la mémoire ou encore le médiateur social. Djéliba est donc dans l’entracte d’une trame romanesque à rebondissements. Il se porte garant de lancer des diatribes à la société en déperdition. Sa mission est délicate car il n’a aucun pouvoir dans les soleils nouveaux où la jeunesse ne croit plus à la morale médiévale. Aussi assiste-t-il impuissant aux sarcasmes débités contre lui, sinon qu’il apparaît comme un bouffon, un chroniqueur controversé et chahuté à chacune de ses apparitions. La parole de Djéliba est donc à l’image de sa déchéance morale vis-à-vis d’une société en perte de repères, une société qui ne lui permet pas d’assurer sa pitance quotidienne en déployant son talent de griot.

Kroh, c’est le soleil de Zeus et consorts. Zeus rappelle bien ce dieu de la mythologie grecque qui tua son père Cronos pour devenir la divinité suprême de l’Olympe. À la sauce africaine sous la plume de Yacouba Traoré, Zeus est un Don Juan, un coquelet « ensemenceur » qui a l’exploit de mettre enceinte une fille tous les deux mois, foi de Djéliba ! Le « soleil de Zeus » apparaît comme celui des extravagances et de l’insouciance : « Dieu a maudit Zeus depuis le ventre de sa mère », professe Djéliba.

Djélika Wèrè Wèrè, la sulfureuse, est cette fille impudique dont l’arrogance reflète un caractère libertin et sauvage. Ce genre de personnage imprévisible de caractère, est l’incarnation de la conscience noire, c’est-à-dire que Djélika est le miroir des avatars d’une société en proie à ses propres contradictions, mais qui peine à s’en défaire. Elle est comparable à Calamity Jane, personnage excentrique de Dupuis dans la série Lucky Luke.

Enfin dans la ronde actantielle, Rihanata est cette fugueuse mais ambitieuse fille adoptive. La canéphore candide et insoumise se présente comme le dramatis personae de l’oeuvre, autrement dit, celle par qui l’intrigue se noue et celle qui fera l’objet de l’épilogue de Kroh, par sa rédemption au purgatoire sur la terre de ses ancêtres, et par sa réussite au baccalauréat, synonyme de sa maturité d’esprit et de son entrée triomphale dans le monde nouveau.

Sur le plan stylistique, l’originalité de l’œuvre est à l’aune de la plume du communicateur passionné de télévision qu’est Yacouba Traoré. Par une technique narrative bien maîtrisée, les cinq (5) chapitres de l’œuvre sont des gros plans sur des personnages, des vues panoramiques sur la cité de Sya, avec des fondus enchaînés sur des situations où alternent l’émotionnel et le rationnel, le lyrisme et l’onirisme, le satirique et le comique.

Subtilités d’écritures en vases communicants et riches en images, l’auteur fait de sa plume une instance d’interpellation du lecteur. Kroh convoque en effet la conscience individuelle et collective sur des faits historiques ou de société : le peuplement de la cité mythique de Sya, la préservation des valeurs qui fondent nos sociétés, la nécessaire ouverture au monde extérieur.

Le référent linguistique donne à l’œuvre de Yacouba Traoré une dimension exceptionnelle. Certes, d’illustres devanciers et auteurs classiques africains tels Ahmadou Hampâté Ba et son homonyme ivoirien Ahmadou Kourouma se sont essayés à cet exercice fastidieux. Mais Kroh a la prouesse d’être un creuset linguistique où sont en présence une langue internationale (le français), régionale (le dioula) et locale (le mooré). Le lecteur ne s’y perd pas, bien au contraire, le glossaire en annexe est suffisamment renseigné. L’auteur fait ainsi preuve de son talent de communicateur dans la manipulation de la langue d’écriture qui s’accommode des subtilités de l’oralité africaine pour rendre vivant le récit.

En outre, les cantiques scandés et les louanges chantées, tout au long du texte, consacrent la dimension esthétique, poétique et spirituelle du roman…

Dr Dramane KONATE
Président de la Société des Auteurs, des Gens de l’Ecrit et des Savoirs (S A G E S)
Bureau d’intelligence culturelle (ICRA)

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Vos commentaires

  • Le 29 novembre 2016 à 21:24, par Citoyen En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

    Félicitation Monsieur Konaté pour votre roman. Par ailleurs moi j’aimerais savoir comment adhérer à la S.A.G.E.S. La société a-t elle une page facebook ?

  • Le 29 novembre 2016 à 22:42, par Mechtilde Guirma En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

    Roman très intéressant et passionnant que je ne manquerai pas de lire dès que j’aurai l’occasion.

    Mais j’aimerai ici expliquer quelques points sociologiques que soulève l’auteur. L’action des différents protagonistes. Lors de mes investigations pour mon mémoire en Sciences politiques (il y a déjà de cela plus de trente ans) pour « le rôle de la femmes dans la vie politique de nos sociétés traditionnelles », des explications de mes tantes et oncles sur ces cas d’espèce m’avaient laissée pantoise. C’était à peine si j’y croyais. En effet alors que nos sociétés étaient déjà mises aux bans de la mondialisation et leurs valeurs présentées comme néfastes, les valeurs des sociétés occidentales étaient encore à l’époques les typologies confessées, enviées, proposées et présentées comme les meilleures par le courant féministe. C’était sans compter avec la face hideuse et cachée des leurs. Bien cheminons ensemble pour que vous la découvriez vous-mêmes :

    La fille a pris une grossesse alors qu’elle est encore chez son père. L’explication qu’on m’avait donnée donc à l’époque était à juste raison.

    En effet si le père l’accueillait sous prétexte que c’est sa fille qu’il aimait et gnan-gnan-gnan, il pouvait être lui-même « accusé d’inceste ». Ce qui aurait posé des problèmes au sein de la société, il pouvait même être chassé pour avoir été le pire exemple dans le village (il y a également d’autres cas semblables mais nous n’en sommes pas là). D’où sa réaction apparemment violente car la coutume lui reconnaît une alternative honorable. C’est celle qui permet la fille de trouver refuge chez sa tante la sœurs de son père (qui l’acueille sans poser de question jusqu’à son accouchement et s’informer de l’auteur). Et pourquoi ? Parce qu’elle a la même autorité que le père qui est en quelque sorte son double (pugd= suivre ou après, ensuite ba=père, donc Pugdba en moré. Les gens de l’Est, Koupèla et autres disent carrément bapoko=père femme). Donc l’autorité de la tante paternelle est aussi puissante que celle du père, mais en contre pouvoir. Une sorte de régulation qui va permettre à toute la famille des tractations et des concertations pour trouver une solution qui soit satisfaisante pour tout le monde.

    Dans le cas du garçon en cas de faute grave également, lui il trouve refuge chez le frère de sa mère (yesba, ou encore chez les koupéléens maraogo de ma=mère, raogo=mâle). Donc la mère-homme. Et toujours dans la même logique que le père-femme, ce mère-homme incarne la figure de la miséricorde, du pardon. Et comme le mariage chez les africains est l’alliance de deux familles, par le fait d’un homme et d’une femme dans le concret, visible pour tout le monde, spirituellement la tante paternelle qui représente la famille de son frère pour toute question d’importance capitale, et l’oncle maternelle qui, lui, représente la famille de sa sœur pour les mêmes questions capitales. deviennent alors des époux spirituels qui font UN comme « Esprit de Famille ». C’est pourquoi on ne peut plus me convaincre, que la femme africaine n’est pas considérée, qu’elle est bafouée, qu’elle ne joue pas de rôle politique, que les décisions lui sont imposées par le poids des traditions et qu’elle devrait en être libérée des coutumes néfastes, rétrogrades et tutti-quanti. Or, je le pense bien que, de nos jours, on peut les actualiser et les rendre conformes au temps, aux époques. Ne dis-t-on pas que le linge sale se lave en famille ? Il en est de même sur le niveau national et politique.

    • Le 30 novembre 2016 à 08:13, par Sara En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

      Franchement chapeau à vous, vous avez tous dit. Dans nos coutumes c’est souvent la severité dans les prises de decisions et les actions qui sont critiquables.Un cas aujordh’ui que les gens trouve anormale c’est quand une femme qui son mari ; pour nous aujordh’ui elle ne plus revenir chez son mari c’est le divorce consommé alors que dans nos coutumes elle peut quitter son mari et aller faire des enfants et retourner un jour chez son ex mari par le bia des ces premiers enfants. Donc nos sociétés etaient bien organisées avec des loi et des solutions au contrevenant de ces loi.

      • Le 30 novembre 2016 à 11:21, par Mechtilde Guirma En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

        Absolument Sara, et ce sont les belles soeurs qui prennent les devants de la démarche, en rendant plusieurs visites à la femme. Ensuite quand elles sentent que la voie est balisée, c’est le tour des beaux frères accompagnés du doyen de la famille, d’aller s’humilier devant la femme pour demander pardon aux beaux-parents et le retour de l’épouse, même avec ses enfants qui deviennent de facto les enfants légitime de la famille, car ils seront tous et toujours désignés par le prénom de leur mère puisqu’ils sont utérins (notons en passant que dans une famille même les enfants de même père n’ont pas toujours le même nom de famille comme de nos jours). La délégation est conduite par une tante des beaux-frères.

        Un homme qui refuse d’emprunter cette voie, la réconciliation devient impossible. Et si la femme s’obstine et prend le risque de s’entendre seulement avec le mari, elle rend sa situation pire, car si son mari la tue, il n’y a pas de voie de recours possible même pour sa propre famille.

        dans les temps très anciens, la famille récupère alors la femme et elle a le droit de choisir parmi les petits frères du mari, le plus digne et le plus avenant capable de la soigner et qui va mieux la traiter à la grand honte de son grand frère.

        Cette solution vise l’harmonie et la cohésion de la famille et le bien être des enfants, eux qui sont innocents et n’ont pas demandé à venir au monde dans ces conditions. De toute façon tous les enfants sont éduqués par la grande famille et par toute la société.

  • Le 30 novembre 2016 à 02:51, par Tarin Tarin Zongo En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

    Tres belle revue, Dramane. Mais comment tu justifies cette phrase grammaticalement ? "Subtilités d’écritures en vases communicants et riches en images, l’auteur fait de sa plume une instance d’interpellation du lecteur". "Subtilites..en images,", a quoi se rattache cette expression facultative sur le plan de l’ analyse syntaxique ? Ou je manque de comprendre quelque chose ?
    Un membre de SAGES

  • Le 30 novembre 2016 à 08:36, par OUOBA En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

    Félicitations à vous Dr KONATE, mon valeureux préfacier, pour cette belle analyse. Bon vent à l’auteur...

  • Le 30 novembre 2016 à 09:16, par Sabari San En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

    Ca c’est du "commentaire composé" comme on nous a appris au secondaire ; ce texte n’est pas une revue critique de l’oeuvre à laquelle un esprit bien formé s’attend.

    Dans une critique, l’auteur prend ses distances et montre au moins un ou deux aspects que l’auteur - le vrai - pourrait améliorer (forme, fond, etc.). Ici rien de tel. On est dans un griotisme plat et pédant. Encore que certaines tournures grammaticales alambiquées ne respectent pas l’orthodoxie, comme déjà remarqué par un membre de SAGES. Je lis par ailleurs : "Enfin dans la ronde actantielle"... "les cantiques scandés et les louanges chantées"... Et puis encore ! Si vous vous sentez l’âme d’écrivain, écrivez donc votre oeuvre cher Docteur !

    Sans méchanceté et dans l’esprit de servir l’intérêt général !

  • Le 30 novembre 2016 à 17:29, par Athènes En réponse à : Plume critique du Dr Dramane Konaté : Kroh ! Les femmes ont déserté la maison (roman de Yacouba Traoré).

    Methilde, merci pour ton éclairage. Comme quoi, il faut chercher le sens profond de nos pratiques traditionnelle avant de vouer aux gémonies. Je ne suis pas moaga, et j’avais toujours trouvé la pratique consistant à renvoyer la fille en ceinte du domicile paternelle sévère, et disons-le inhumaine. Les mossis à qui j’ai demandé les raisons d’une telle pratique n’ont pu me donner de réponses satisfaisantes. En conclusion, à mesure que nous nous éloignons des sources de nos traditions par le temps et la mémoire, il y a l’impérieuse nécessité de rappeler aux générations nouvelles le sens profond des pratiques ; autrement, elles seront chargées, si elles ne le sont déjà, d’autres significations à distances des premières qui, elles, sont nobles. Merci ma soeur.

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