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TICAD version 6.0 : Que sommes-nous allés chercher à Nairobi ?

Publié le mardi 6 septembre 2016 à 17h25min

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TICAD version 6.0 : Que sommes-nous allés chercher à Nairobi ?

La semaine dernière se tenait la 6e Conférence Internationale de Tokyo pour l’Afrique (TICAD VI), et ce pour la première fois en Afrique. Première fois en Afrique pour flatter l’ego d’un continent qui se réveille enfin, se découvre des pouvoirs de séduction, et aime bien à être caressé dans le sens des poils ? Allons savoir.

Pendant cette rencontre une annonce phare : le Japon prévoit 30 milliards de dollars (17,000 milliards de FCFA) sur 3 ans pour l’Afrique. Il est à noter que des 30 milliards, 10 seulement sont directement mobilisables pour être investis dans les infrastructures et l’énergie. Le secteur privé nippon est prié de s’activer sur la terre des ancêtres pour investir 20 milliards.

M. KABORE, ou je ne sais plus, peut être M. DIABRE, proposait en 2015 un plan quinquennal de développement pour le Burkina estimé à 15,000 milliards de FCFA. Si nous faisons abstraction du fait que les 30 milliards des Japonais dépendent beaucoup d’un secteur privé qui n’ouvrira les vannes que si les intérêts immédiats ou à long terme sont assurés, et pour fixer les idées, si nous oublions donc que c’est un fait aléatoire, 30 milliards de dollars ça fera à peu près à 300 milliards de FCFA pour chaque pays en 3 ans. Sinon si le capitalisme ne répond pas, on se contentera de 100 milliards chacun. Nous sommes bien loin des 15,000 milliards dont le président ou le candidat malheureux, au fond peu importe, a besoin pour faire bouger les lignes. C’est mathématique ! Ou pas tant que ça. Mais enfin, je me demande : pourquoi ce ballet de plus de 30 présidents a Nairobi pour rencontrer le bon « samaritain » Abe Shinzō ?

Cela rappelle vaguement, quant au plus fort de la crise migratoire en 2015, les Européens gendarmes du monde promettaient à la sortie d’une réunion de crise avec les présidents Africains (encore !) la rondelette somme de 2 milliards d’Euro pour aider à lutter contre la pauvreté - « endiguer la crise ils disaient » - afin qu’ils gardent leurs jeunes chez eux. Pour qu’ils n’envahissent pas le métro de Paris, Bruxelles, ou les rues pavées d’Helsinki aux imposants buildings centenaires, aux couleurs marbre non assorties aux teints un peu trop bronzés.

Bref ! On peut raisonnablement objecter en s’imaginant que les pays Africains ne comptent pas sur le seul Japon pour renflouer les caisses, mais considérant le bruit autour de cette conférence, on peut tout aussi raisonnablement imaginer que les autres pays « développés, pourvoyeurs d’aide » ne feront pas beaucoup mieux. Apres on peut aussi se dire : pourquoi refuser un « don », aussi infime soit-il, sous prétexte que ça ne suffit pas à résoudre nos grands problèmes, quand on sait bien que c’est petit à petit que l’oiseau fait son nid…

En attendant, c’est dire que les à peu près 100 milliards qui reviendront peut être à chaque pays des poches du Japon ne sont finalement que dérisoires à l’échelle de nos besoins. De surcroit quand on compte ce qui repartira vers l’orient en coût d’expatriés nippons qui viendraient prétendre mieux connaitre les problèmes de l’Afrique mieux que les Africains eux-mêmes (parce que eux ont fait des études de sociologie en fait ! et de développement humain aussi)… Ou mieux, en nombre de Toyota que les projets financés seront obligés d’acheter pour respecter les clauses du bailleur... Tout cela ressemble à du recyclage !

La bonne vieille sagesse qui veut que l’on apprenne à celui qui a faim à pêcher au lieu de lui donner du poisson, a en de pareilles circonstances un sens. Et donc, si les présidents africains se sont tous (à 30 au moins) déplacés à Nairobi pour écouter le grand frère, honorable « Premier » faire de grandes annonces, au moins que cela serve de façon concrète des secteurs structurels comme la recherche, l’éducation ou la santé.

Que l’on arrête le supplice de nos chercheurs qui ont besoin de ressources pour trouver les innovations qui nous sortiront de la faim et du sous-développement technologique. Que l’on finance une éducation de qualité pour permettre aux descendants des « présidents alignés » de refuser de faire ce que leurs devanciers font aujourd’hui, c’est à dire tendre la main à chaque pays qui a « réussi » de l’autre côté de l’océan. Enfin que des services primaires de santé permettent aux milliers d’enfants et de mères qui meurent chaque année de vivre.

Car chaque individu qui vient au monde en bonne santé est un potentiel innovateur pour sa société. Une tête de plus, capable de produire des idées qui résoudront un des millions de problème de sa nation, même dans le cadre aussi restreint que la cellule familiale. Encore faut-il que nous réussissions à former tous ces enfants pour qu’ils fassent raisonnablement usage de leurs esprits. Quand nous auront failli à faire cela, nous auront échoué. Les 30 se sont alignés les mains tendues en notre nom, qu’ils nous garantissent que c’est pour nous défendre de tendre les nôtres demain.

Cette valse du Japon n’est pourtant pas anecdotique, les fondations et autres philanthropes ne font souvent pas mieux pour l’Afrique. Quand un Bill and Melinda Gate Foundation (BMGF) flirte avec les OGM dont les cotonculteurs Burkinabè on fait la triste expérience ; quand Microsoft achète du tungstène des mines de sang du Congo, contribuant à alimenter une guerre sans fin qui a déjà fait 6 millions de morts, et prétend lutter contre le paludisme en nous distribuant des moustiquaires imprégnés ; il faut se faire violence pour ne pas imaginer que des enfants sont arrachés des griffes du paludisme au profit des mines qui en cas de mauvaise chance tiennent lieu de fosses communes. Ainsi, ils auront servi a quelque chose avant de disparaitre, pensent- ils ?
Le tableau est peu reluisant. Mais nos alternatives sont encore réelles, nos possibilités énormes. Alors qu’attendons-nous ?

Et pour illustration juste au hasard, le PNUD publiait le 28 aout dernier son rapport sur le développement humain en Afrique, édition 2016. Que n’y trouve-t-on pas quand on parle de développement et genre ? Le PNUD assure que rien qu’à cause de l’inégalité de genre, l’Afrique subsaharienne perdrait 95 milliards de dollars par an, en n’exploitant pas assez le potentiel de son autre moitié. « Les pertes économiques annuelles dues aux écarts entre les genres en Afrique subsaharienne pourraient dépasser, entre 2010 et 2014, 90 milliards de dollars, culminant à près de 105 milliards de dollars en 2014 ».
On n’est pas obligé d’être « féministe » ; mais voici une piste qui porte ses promesses.

Pour ceux qui pensent que égalité n’est pas raison, oublions les divergences de position et analysons les chiffres à froid. C’est mathématique encore ! Pour ceux qui ont de sérieuses réserves sur certains rapports des agences onusiennes, comme moi, adoptons le même comportement. Et retenons que au-delà de la femme, et bien au-delà des estimations économiques incertaines basées sur des indices douteux, c’est bien la problématique de l’importance de l’éducation, la formation que ce rapport pose. C’est surtout le besoin de compter sur nos ressources pour sortir de la nuit que cette idée proclame. Et la première des ressources est certainement humaine. Ce qui reste douloureux c’est que ce n’est pas une idée nouvelle.

Priva KABRE
Citoyen burkinabè

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