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« On a intérêt à être optimiste, on n’a pas le choix, nous sommes Burkinabè », Me Prosper Farama dans « Le Grand déballage » de Burkina Info du 24 avril 2016

Publié le samedi 3 septembre 2016 à 00h12min

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« On a intérêt à être optimiste, on n’a pas le choix, nous sommes Burkinabè », Me Prosper Farama dans « Le Grand déballage » de Burkina Info du 24 avril 2016

Burkina Info : Bonjour Maître ! On vous appelle l’avocat des pauvres, des démunis. Qu’est-ce que cela vous fait quand vous entendez ça, ce sobriquet qu’on vous a donné finalement au fil du temps ?

Maître Farama (Me Farama) : ça finit par me faire sourire. Je ne suis ni l’avocat des pauvres ni l’avocat des démunis. Je suis simplement un citoyen, comme tout autre (comme vous), qui essaie de faire au mieux ce qu’il peut pour aider les autres et, n’oubliez pas que je suis de profession avocat. Donc, je gagne ma vie, par cette profession.

Burkina Info :Un avocat qu’on applaudit après un procès, il n’y en a pas beaucoup. Il y a quelques jours on vous a vus, des travailleurs d’une société minière de la place qui vous ont soulevé, qui étaient très contents du verdict. Après quand vous rentrez, vous avez le sommeil tranquille ; vous vous dites : j’ai fait œuvre utile pour la société, éventuellement !

Me Farama : N’oubliez pas que ceux qui m’ont applaudi étaient mes clients ! Je ne suis pas sûr que l’autre partie, enaurait fait autant. Mais non, vous savez, après plus de quinze ans de barre, je m’habitue et j’essaie de me mettre au-dessus des émotions. Mais je peux comprendre que mes clients soient aussi satisfaits et qu’ils puissent m’ovationner ; ça fait partie de l’ordre des choses dans ce métier.

Burkina Info :Est-ce qu’être un avocat est un sacrifice, un sacerdoce qu’il faut accepter, subir, pour bien faire son travail, éventuellement ?

Me Farama : Oui, dans un pays comme le Burkina, et en général dans un continent comme l’Afrique, être avocat, il y a forcément une part sacerdotale qu’il faut vivre. Si cette profession n’est pas uniquement conçue comme un métier, un gagne-pain, les gens nous voient comme des porteurs d’eau pour la société, des porte-paroles (comme vous l’avez dit tout à l’heure) de la veuve et de l’orphelin. Donc, ils voient en nous, une sorte de magistère. Partant de là, on ne peut pas se permettre de faire notre métier, comme si nous étions par exemple dans une société occidentale, où tout le monde a des moyens de se payer un avocat au prix, je dirais, qu’on le jugerait utile.

Burkina Info :Il y a également le président du syndicat des avocats qui a clairement dit que vous n’avez pas fait vœu de pauvreté (quand il s’est agi de parler de cette prise en charge des détenus qui n’avaient pas les moyens au cours des audiences ….) !

Me Farama : Oui, ça il faut être clair. Je vous l’ai dit, comme vous, vous êtes journaliste moi, je suis avocat. C’est par ce métier que je nourris ma famille. Donc, je n’ai pas fait vœu de pauvreté. Mais, c’était pour répondre (je pense) à une situation, à une question qui lui avait été posée. Mais je puis vous assurer, au-delà de ma personne, 99% sinon 100% des avocats font au moins (croyez-moi), 1% ou plus, d’œuvres caritatives dans l’exercice de leur fonction. Vous n’avez pas le choix ; vous recevez des gens, qui sont dans l’impossibilité de vous payer quoi que ce soit mais vous êtes touché par leur cause et cela vous amène à plaider pour eux gratuitement. Malheureusement, tous les avocats ne sont pas aussi médiatiques que moi, donc ça ne vous permet pas de savoir que de nombreux avocats font des œuvres caritatives pour la société.

Burkina Info :Est-ce que souvent quand on le fait, on est dans la logique de la redevabilité éventuellement ; parce qu’on sait qu’on est dans une société où les gens ne sont pas souvent reconnaissants après ?

Me Farama :On ne pense pas tellement à cela. Si on devrait œuvrer dans l’œuvre sociale et caritative en pensant à la reconnaissance, je pense que dans un pays comme le Burkina, personne n’agirait. Quand on opte pour un métier, quand on choisit d’agir pour une noble cause, je pense qu’on doit s’élever au-dessus de ces considérations.

Burkina Info :On se rappelle également qu’il y a quelques jours, ce sont ceux-là qui étaient au-devant de la lutte pour l’insurrection populaire qui sont aujourd’hui voués aux gémonies. Quand vous regardez tout cela, vous vous dites peut-être on va sûrement décourager ceux-là qui ont été les fervents défenseurs de la démocratie ou peut-être dans la durée, on ne pourrait plus avoir des gens aussi déterminés comme ce qu’on a connu en 2014 !

Me Farama :Ce ne devrait pas être le cas. Vous savez, les luttes des sociétés, comme des hommes, sont des luttes forcement sur un long temps avec (on va dire) des frustrations. Mais, je pense que quand on lutte pour son peuple, on doit s’attendre à prendre des coups. Mais, on doit s’élever au-dessus de ces considérations et aussi, il faut savoir que le désintérêt dans la lutte doit nous conférés une sorte de carapace qui puisse nous permettre de résister à ces situations-là. C’est aussi pour cela que dans les luttes, si nous sommes au-devant, nous devons avoir à l’esprit que ceux qui sont derrière, la grande masse, nous regardent, nous scrutent, au moindre détail et nous devons être très prudents.

Burkina Info :C’est le cas aujourd’hui de ces organisations de la société civile ; quand vous regardez un peu tout ce qui se dit d’elles, on a l’impression que finalement.., il y en a qui regrettent d’avoir mené ce combat (parce qu’ils voulaient véritablement la démocratie) !

Me Farama : Ils ne devaient pas le regretter, je pense. Comme je le dis, et je le répète, quand on agit pour la cause noble, il faut le faire à son âme et conscience, en étant prêt à ne pas recevoir des lauriers, à plus prendre des coups qu’à recevoir des félicitations. Avant nous, des gens ont lutté, après, nous d’autres lutteront.

Burkina Info :…En 1966, on ne se rappelle plus de qui a mené la lutte pour faire tomber Maurice Yaméogo par exemple !

Me Farama : Absolument ! Mais, ça n’a pas découragé d’autres générations qui sont venues après, pour aller à la lutte. Comme ce ne devra pas décourager les générations à venir pour continuer à lutter. Rappelez-vous, on parle uniquement de ceux qui sont au firmament. Mais, dans les luttes de tous les peuples, il y a ceux qui sont dans l’ombre. On se souviendra toujours de celui peut-être qui a fait voler un avion mais on parlera rarement de ceux qui sont morts pour que cet avion vole. Mais c’est ainsi la vie, il faut accepter et se dire que si vous avez de la détermination, il faut le faire.

Burkina Info :ça semble un phénomène tout à fait africain !

Me Farama : Et peut-être humain aussi ; parce que je ne suis pas sûr que si vous prenez l’histoire de l’Europe, on ne puisse pas trouver ce genre de situations. Mais peut être oui, un peu particulier à notre culture. Les vrais héros, en Afrique (je pense) sont ceux qui meurent dans l’anonymat. Et je pense que les peuples, peut-être, intègrent cet état d’esprit et pensent que nul n’a le droit de se prévaloir d’être le héros suprême dans une lutte, aussi noble soit-elle.

Burkina Info :L’actualité au Burkina, ce sont les 100 premiers jours du Président Roch Marc Christian Kaboré à Kosyam, vous avez également votre lecture de ce qu’il a pu faire en 100 jours. Est-ce que vous pensez que c’est suffisant pour quantifier les actions qui doivent tenir sur cinq ans ?

Me Farama : Non, absolument pas. Cent jours ne suffisent jamais, pour quantifier l’action d’un Président. 100 jours permettent peut-être d’apprécier les schémas-directeurs qui sont posés, si tant tels qu’il y en a. 100 jours, qu’est-ce qu’on a vu ? On a vu que ce pouvoir essaie de mettre en place, peut-être, son programme, on se plaint tous ; parce qu’on n’a pas vu d’actions et d’actes, de décisions, de signaux très forts qui nous permettent de voir venir… Mais on ne demandait pas à ce régime, en 100 jours, de dérouler tout un programme de cinq années.

Burkina Info :Est-ce que les excuses viendraient du fait que le pays a connu un attentat en janvier 2016 et on se rappelle également de cette histoire de ces mouvements de groupes d’auto-défense, une histoire venue de nulle part, qui a pourri l’atmosphère pendant plusieurs semaines au pays…

Me Farama :Non, cela ne peut pas être une excuse. Je pense que gouverner, dans son principe déjà, c’est prévoir. On ne gouverne pas en eaux calmes. Non, quand on accède au pouvoir, ce à quoi on doit s’attendre (en mon sens, dans la gouvernance), c’est le pire. On vient pour partir de nulle part, du pire pour aller vers le meilleur. Donc, des attentats, si ce gouvernement, en arrivant, ne s’est pas dit qu’il pouvait rencontrer des difficultés de ce genre, c’est qu’il n’était pas prêt à gouverner. Donc, cela ne peut donc pas être une excuse. Je pense qu’il faut peut-être, à leur décharge, dire qu’ils arrivent dans une situation déjà assez difficile mais aussi, à leur charge, dire qu’ils ont déjà gouverné pendant près de 20 ans. Donc, ils ne sont pas des novices de la gouvernance ; ils ne devraient pas être surpris par des phénomènes, aussi ponctuels et conjoncturels que des attenants ou ce que vous appelez le phénomène des « Koglwéogo ».

Burkina Info :Justement, au sujet des groupes d’auto-défense,finalement,on se dit ouf, les acteurs de la justice doivent être satisfaits, vous entre autres ; parce qu’on avait une justice parallèle et qui ne vous arrangeait certainement pas, les avocats et autres ! Ce sont vos potentiels clients qui étaient jugés et condamnés en même temps !

MeFarama : Cette question des mouvements d’auto-défense, il faut la regarder avec un peu plus de profondeur. J’ai tendance à dire, et je le répète souvent à des amis sur cette question, quand un phénomène apparaît dans une société, il faut l’analyser dans sa profondeur. Quand on veut soigner une maladie, il ne faut pas s’en prendre à ses symptômes. C’est une erreur toujours que de juger un phénomène par ses effets, par ses conséquences et non par sa cause. La question fondamentale qu’on devrait se poser est : comment on en arrive à cette question de groupes d’auto-défense ? Il faut savoir que dans l’histoire, même très récente, ce n’est pas propre au Burkina. Si vous suivez l’actualité, déjà en 2014, le problème était posé au Mexique. Rappelez-vous, l’Etat mexicain a fini par accepter et légaliser les groupes d’auto-défense qui se sont installés dans certains Etats du Mexique.

Burkina Info :La tournure des évènements au Burkina diffère quand même des exemples que vous venez de prendre ! LeMexique…, il y a également un pays comme l’Ukraine, mais dans ces pays, souvent la différence est qu’on attrape un présumé délinquant et on va le remettre aux agents de sécurité. Mais chez nous, ce n’était pas le cas !

Me Farama : Oui, mais ça c’est vous qui le voyez ainsi. Comme je le disais, la vision que vous en faites, quand vous dites qu’il faut prendre un délinquant, aller le remettre aux agents de sécurité, en fait, vous faites des groupes d’auto-défense, des supplétifs des forces déjà existantes, qui sont critiquées. A mon avis, le problème est mal posé. Laissez-moi vous dire ce que je pense, très sincèrement. Ce phénomène en soi n’est pas mauvais. La sécurité fait partie des pouvoirs régaliens de l’Etat. Donc, ils sont la souveraineté de l’Etat. Mais, quand on critique ces groupes d’auto-défense, on fait comme si le pouvoir de la défense ou de la sécurité, ne pouvait être exercé que directement par l’Etat. Mais c’est faux ! Souvenez-vous, au Burkina, il y a des sociétés de gardiennage et de sécurité qui pullulent par dizaines.

La sécurité, c’est le pouvoir régalien de l’Etat. Pourquoi des groupes privés peuvent-ils assurer la sécurité d’autres personnes ? Donc,ceux qui ont les moyens, peuvent à avoir droit à plus de sécurité par exemple que les plus pauvres. Quand des gens, dans une localité, s’organisent pour assurer leur propre défense,je ne vois pas qu’est-ce qu’ily a de mal en cela.

Burkina Info :Il y a un mal tout de même ! On parle de « présumé délinquant » ; vous-mêmes, vous êtes un avocat, vous savez qu’on ne peut pas condamner quelqu’un sans l’avoir jugé (je ne vous apprends rien là-dessus) ! Juste pour dire que, normalement, quelqu’un ne peut pas se lever du jour au lendemain, sans avoir même une reconnaissance officielle, pour arrêter quelqu’un pourdire, parce que c’est un délinquant, on va le juger, on va le condamner, lui faire payer des amandes et tout ça.

Me Farama : Faisons la différence entre l’acte de juger et de condamner et l’acte d’existence des groupes d’auto-défense. Au départ, ça ne part pas d’une question de volonté de juger, ça part de la volonté d’assurer sa propre sécurité. Vous ne pouvez pas refuser aux masses populaires,la possibilité de s’organiser et de se défendre ; parce que vous le savez, parce que déjà, nos forces de défense et de sécurité ne peuvent pas, ont montré après toutes ces années, après 50 ans d’indépendance, qu’elles ne peuvent pas assurer la sécurité de tous les Burkinabè dans les hameaux les plus profonds du Burkina.

Vous à Ouaga ici, appelez la police au secours, si vous avez des difficultés dans votre quartier, vous entendrez quelques fois vous dire que ‘’on ne peut pas se déplacer parce qu’on n’a pas de carburant’’. Pas que c’est leur faute, mais évidemment, face à telle situation qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes obligé de vous organiser pour vous défendre. Comprenons-nous très bien ; il ya des dérives forcement dans cette mise en place des groupes d’auto-défense. Mais, ces dérives ne peuvent pas nous faire dire que ces groupes d’auto-défense n’ont pas le droit d’exister. Dire qu’elles n’ont pas le droit de porter atteinte à l’intégrité morale et physique des personnes qu’elles interpellent, oui j’en suis parfaitement d’accord. Je suis le premier à condamner des exactions qui pourraient être faites à des personnes qui sont atteintes dans leur intégrité physique et morale.

Mais, une chose est de dire cela, et une autre est de dire aux populations : restez-là, attendez, on viendra assurer votre sécurité, qui n’est jamais assurée. Soyons clairs, le Président du Faso, lorsqu’il était-là, avait unRSP (ex-Régiment de sécurité présidentielle) pour sa protection, 2000 personnes hyper-armées qui assuraient sa sécurité. Nos ministres, ils ont une garde prétorienne pour assurer leur sécurité. Vous et moi, nous avons peut-être les moyens de nous payer… ; moi, j’ai unvigile chez moi à la maison. Mon oncle au village, il n’a ni vigile, ni RSP. Et dans mon village peut-être qu’il ya quatre policiers pour assurer la sécurité de 27 villages. Quand il arrive un jour que les populations sont enfermées par des délinquants, il faut qu’elles réagissent, elles ont le droit de réagir. Moi, je vais vous dire, la solution à ce problème, ce n’est pas la peine de tergiverser ; le jour où il y aura la crédibilité des Forces de défense et de sécurité et la justice dans la population, personne ne mettra en place un groupe d’auto-défense appelé koglowéogo ou quoi que ce soit.

Burkina Info :Ça, c’est la solution que vous préconisez mais aujourd’hui, on trouve que les koglowéogo sont rentrés dans la République ; parce qu’ils ont clairement dit : « nous n’allons plus embastiller quelqu’un, on va le prendre et le remettre aux Forces de défense et de sécurité ». Tout est bien qui finit bien, pourrait-on dire finalement sur le dossier ?

Me Farama :Si votre problème, c’était sur le fait qu’ils embastillaient et jugeaient, vous pouvez le dire…

Burkina Info :Rappelez- vous de ce qui a irrité l’ensemble des populations concernant un monsieur comme François Compaoré ; c’est quand on avait vu les tortures corporelles qu’avaient subi…. rappelez-vous ces images qui avaient été attribuées au RSP. En son temps, la population avait ‘’détesté’’ le RSP pour toujours parce qu’on se disait : on ne va jamais accepter des tortures de cette nature. Et les premières images qui avaient été diffusées par le MBDHP concernant les koglewéogo, c’était des images de sévices corporelles graves, inadmissibles dans un Etat de droit, tout de même !

Me Farama :Sur ce plan, vous et moi et tous les Burkinabè, y compris les koglwéogo, on est unanime et clair dessus.Les exactions, tortures de toutes natures que ce soient, sont condamnables, sont à condamner et moi, je les condamne. Maintenant, est-ce que ça veut dire que leskoglwéogo, de ce fait-là, n’ont plus le droit d’exister ? Moi, je suis avocat.Tous les jours que Dieu fait,je reçois des gens dans mon cabinet… ; si vous croyez qu’à la gendarmerie, à la police, il n’y a pas d’exactions, vous vous trompez. Mais, ils existent, les policiers !

Burkina Info :Vous avez reçu beaucoup de plaintes de tortures dans les commissariats, dans les brigades de la gendarmerie, aujourd’hui à votre niveau ?

Me Farama :Vous-même, qui êtes journaliste, vous n’avez jamais vu des reportages faits sur des gens morts dans les brigades de gendarmerie ou dans les commissariats ? Mais est-ce qu’on a demandé la dissolution de ces structures pour cela ? Non ! Il y a un fait qui est là,qui est constant ; c’est qu’il y a des exactions dans les groupes d’auto-défense qu’il faut,à mon sens combattre. Une autre chose, qui essentielle ; je suis gêné quand j’entends parler des groupes d’auto-défense, comme s’ils étaient un groupe à part et nous à part. Et ça, c’est l’erreur.

Vous savez, cette erreur, les gens l’ont commisesous la Révolution avec les CDR. Quand on organise des groupes au nom du peuple, parce que ces koglwéogo prétendent agir au nom des populations dans les villages où ils s’organisent. Si vous et moi, en petits intellectuels que nous sommes, nous restons à l’écart et regardons les gens, alors que ces groupes qui sont constitués sont ouverts à tout le monde pour assurer notre auto-défense, ne nous étonnons pas que demain, des gens, qui ont peut-être moins de qualifications que nous, prennent des décisions qui nous choquent. Nous devons plutôt, je pense, au nom de la légitimité que doivent avoir ces groupes, nous y impliquer, surtout si dans un village fdes groupes s’organisent pour l’auto-défense du village, j’ai le devoir de m’y impliquer : que je sois instituteur, avocat,cultivateur, etc. La défense de la sécurité, ce n’estpas que pour les paysans.

Mais, j’ai l’impression que la petite classe intellectuelle que nous sommes, considérons que ce sont des sauvageons, venus de nulle part avec leurs fusils de chasse, qui parlent de sécurité, c’est leur problème, nous, nous sommes à part. Mais évidemment, si vous faites cela, ce qui arrivera demain ou un jour, c’est qu’il y aura dans ces organisations, des groupes minoritaires, qui vont, au nom de la majorité, poser des actes. Et ça, c’est l’erreur grave. Nous devons plutôt adhérer à ces groupes et faire en que sorte que les décisions qui seront prises, le soient au nom de toute la collectivité. C’est en cela qu’onévitera des exactions comme celles qu’on a pu voir ça et là, au sein de certains groupes d’auto-défense.

Burkina Info :Toujours est-il que, apparemment, les choses sont en train de rentrer dans l’ordre ; parce qu’il n’y a plus d’exactions (apparemment, c’est ce qu’on a comme images, véhiculées aujourd’hui). Revenons donc sur les 100 jours du Président Roch. De façon globale, une appréciation d’ensemble. Vous pensez que les débuts sont satisfaisants, encourageants pour la suite, éventuellement ?

Me Farama : Vous savez, je préfère juger un pouvoir au pied du mur,sur des actes. Ce que je dis aujourd’hui, rien ne me permet de dire que ce sera satisfaisant ou pas. Je constate qu’on est dans une période de flottement. Je pense qu’il faut leur concéder que c’est la période de grâce, il faut leur permettre de se mettre en place. Mais comme je dis, ma seule déception, c’est que tout ce groupe n’est pas néophyte du pouvoir. Ils ont été dans les sérails du pouvoir pendant 20 ans. Donc, à titre personnel, je m’attendais à mieux que cela. J’aurais compris ce tâtonnement, si c’était des nouveaux, de nouvelles têtes qui arrivaient, qui n’avaient jamais gouverné et qui avaient besoin d’un minimum d’expériences pour mettre en place quelque chose. Mais après 20 ans, voire 25 ans de gouvernance, je suis un peu déçu qu’ils continuent de tâtonner.

Burkina Info :100 jours de pouvoir avec des revendications syndicales qu’on a enregistrées, on se rappelle, il ya eu les magistrats qui sont allés en grève à deux reprises et qui ont obtenu gain de cause. Pensez-vous que la satisfaction des revendications des magistrats pourrait être aujourd’hui des prémices importantes qu’on peut avoir au Burkina pour plus d’indépendance de la justice ; parce que là, c’est ungros dossier qui toucheà la bonne gouvernance et à la démocratie au Burkina.

Me Farama :J’ai toujours dis, mais souvent je n’ai pas été entendu par certains dans ce sens. Les questions comme celle de l’indépendance, ce n’est pas une question de slogan. Il y a quelques mois de cela, nous avions les états généraux sur la justice. Souvenez-vous, j’avais ma position sur la question, en disant que c’était un folklore de plus. On m’avait dit : « vous êtes un peu extrémiste, attendez, vous verrez ». Il ya eu un pacte signé. J’ai été donc étonné de voir, que quelques mois après la signature de ce pacte, que les acteurs principaux de la justice, notamment les magistrats, se trouvent en grève. Les greffiers et les gardes de sécurité pénitentiaire également.

Alors, la question que je me suis posé est : que devenaitce pacte, qu’on nous avait tant chanté ? Mais, qu’à cela ne tienne. Pour rappeler qu’il faut être concret sur des choses concrètes. Je n’ai rien contre la revendication des magistrats. Comme tous les corps sociaux, ils ont le droit de revendiquer de meilleuressituations, de meilleures conditions de vie et de travail, c’est toujours nécessaire. La seule critique que j’ai toujours faite, c’est de dire, je ne suis pas d’accord, qu’on mettre en parallèle la situation matérielle d’un magistrat avec son intégrité. Qu’on me dise qu’on a besoin de plus d’argent pour être son indépendant, je regrette…

Burkina Info :Malheureusement, c’est le cas au Burkina, quand on constatetout ce qui se fait comme revendications, on lie systématiquement l’intégrité aux conditions de vie et de travail !

Me Farama :D’abord, c’est une insulte à l’intégrité, cette façon de présenter les choses. C’est faire croire aux gens…

Burkina Info :Malheureusement, c’est ce qu’on donne comme impression, ce n’est pas parce ce qu’on interprète !

Me Farama : Il faut le réfuter. Moi, je pense que beaucoup de personnes aussi, je le réfute. Ce n’est pas que malheureux mais ce ne doit pas être la présentation qu’on fait de l’intégrité et de la dignité. Présenter les choses ainsi, c’est faire insulte à la dignité, c’est faire croire que lorsqu’on est pauvre, on est forcément malhonnête et lorsqu’on est riche, on est honnête. Je ne pense pas que les choses se présentent aussi parallèles qu’ainsi. Pour moi, on est intègre de par une posture morale personnelle. On peut être pauvre et être intègre, on peut être pauvre et être malhonnête tout comme on peut être riche et être intègre, être riche et être pourri.
Si on pose en terme d’argent, j’ai envie de dire, c’est donner un prix à la dignité. Dites-moi, à partir de combien…, la valeur, le prix de sa dignité, de son intégrité ? A partir de combien moi, Me Farama, par exemple, puisse quantifier mon intégrité, en disant que si je reçois cet argent-là, je suis sûr de pouvoir résister à la corruption. Non, je ne pense pas qu’on puisse présenter les choses ainsi.

Burkina Info :Mais, on se dit tout de même que si vous êtes à l’abri du besoin, vous êtes quand même bien placé pour bien dire le droit ! Si quelqu’un est dans le dénuement total et que vous l’amener devant un tribunal, souvent ce n’est pas évident, c’est peut-être là aussi le problème. Si vous avez un magistrat, qui ne peut pas bien se déplacer, qui dort dans des conditions assez difficiles, qui n’a pas de bon salaire, il est facilement corruptible !

Me Farama :Cela me fait sourire, quand j’entends ça. Est-ce que vous pensez-vous que chez les milliardaires, il n’y a pas de corrompus ? Pensez-vous qu’un milliardaire est plus intègre qu’en pauvre ? Moi, la société dans laquelle j’ai été éduqué, on ne m’a jamaisapprisque ma résistance à la corruption,mon intégrité, l’honnêteté que je devais présenter était fonction de ce que je gagnais. Non ! On m’a toujours enseigné que c’était toute une question d’éducation, une question de vision, une question de valeur et que je dois me mettre au-dessus de certaines visions matérielles pour assumer un certain degré d’intégrité. Ecoutez, si vous parlez d’argent, combien faut-il payer à un douanier pour que le commerçant ne le corrompe pas ? Dites-moi, combien devrait-on payer par exemple à …

Burkina Info :Mais là, on a trouvé des mécanismes ; on parle aujourd’hui de Fonds communs, il y a des montants qui leur sont reversés, parce qu’on voudrait quand mêmeéviter la corruption !

Me Farama :Donc vous en déduisez qu’il n’y a plus de corruption à la douane ?

Burkina Info :Ce n’est pas une déduction, mais c’est la réalité des faits. Revenons donc sur la question des magistrats, parce que pour vous aujourd’hui, quand on vous écoute, on a l’impression, Me Farama, que c’est une revendication qui n’avait pas forcement son sens parce que, j’ai reçu sur ce même plateau, un syndicat de magistrats et le débat était focalisé sur un aspect : est-ce qu’il faut impérativement demander qu’on vous donne de bons salaires alors que les tribunaux ne sont pas adéquats aujourd’hui pour accueillir de bons procès ?

Me Farama :Non, entendons-nous bien, je n’ai jamais dit que cette revendication n’était pas adéquate. C’est un débat et tous les juges connaissent ma position par rapport à cela. Je dis et je le répète, un magistrat, tout comme tous les autres corps sociaux ont le droit de revendiquer de meilleures conditions de travail. C’est un minimum pour tout le monde. Mais ce que je refuse, et ça, je le dis haut et fort à qui veut m’entendre, que de dire que c’est la condition sine qua non pour être honnête et intègre, c’est faux pour moi. Ça n’a aucun rapport. Celui qui estime que ça a un rapport, je le laisse avec sa conscience, avec sa vision de ses valeurs. Il l’assume seul ; pas avec moi. C’est ce que je dis. Maintenant, vous touchez à un autre point. Oui, je m’attendais par exemple, en dehors (ou en plus) des revendications salariales que formulent les magistrats,que d’autres questions soient posées.

Quand je vais au Palais et que je vois par exemple, les conditions matérielles dans lesquelles, les magistrats travaillent, quand je vois même les conditions dans lesquelles, les justiciables sont reçus au Palais, c’est inadmissible. Et ça, c’est de la revendication aussi des magistrats, des avocats, de tous les acteurs de la justice pour dire à l’Etat : écoutez, si tant soit peu, vous accordez de l’importance à la justice, il faut régler ces problèmes-là. Il n’est pas normal qu’à la justice par exemple, on n’ait pas de papiers, d’ancre pour imprimer les décisions de la justice et qu’on demande à la justice d’être indépendante, qu’elle soit efficace et bien vue par le commun des mortels. Ce n’est pas acceptable et cela doit se dire encore par les acteurs de la justice eux-mêmes.

Burkina Info :Là, c’est un gros problème parce que les magistrats aujourd’hui disent clairement qu’ils représentent un pouvoir ; qu’ils doivent bénéficier des mêmes conditions que les pouvoirs législatif et exécutif. Mais est-ce qu’un pouvoir (un autre débat de fond) a-t-il le droit d’aller en grève ? Le gouvernement, les députés peuvent-ils aller en grève, comme l’ont fait les magistrats aujourd’hui ?

Me Farama : Pour moi, la question de la justice doit se poser autrement. Que la justice soit un pouvoir ou une autorité, moi, ça ne me gêne pas. Ce n’est pas qui me gêne Je pense qu’il ya un débat fondamental qu’on doit poseraujourd’hui par rapport à notre justice. Est-ce que nous avons une justice qui est adaptée à notre situation, à notre contexte social ? Nous avons hérité d’une justice coloniale, donc nous pratiquons aujourd’hui une justice néo-coloniale. D’ailleurs, j’ai un ami qui aime me dire qu’il ne comprend pas pourquoi nous adoptons des textes ; nous aurions dû prendre juste une loi qui dit que tout texte adopté en France a systématiquement valeur au Burkina dans les quinze jours qui suivent. Quand vous regardez nos textes, ce ne sont que des copiesconformes, souvent même non-conformesdes textes français. Aujourd’hui, c’est de se poser la question suivante : quelle justice faut-il pour notre pays ? Je prends un cas très simple, vous allez à la justice, on vous dit : « Nul n’est censé ignorer la loi » ; dans un pays où plus de 50% de personnessont analphabètes. Ils ne savent même pas lire, encore moins parler ou écrire français.

Même nous qui sommes capables de comprendre ce que disent les textes de loi, croyez-moi, ce n’est pas évident. Un paysan arrive, on lui dit : « nul n’est censéignorer la loi ». Ce sont des questions qu’il faut résoudre dans le fond. Quelle loi nous devons adapter qui s’adaptent à notre contexte ? Regardez aux Etats-Unis par exemple, les juges, dans beaucoup d’Etats, sont élus. Ils considèrent que tout comme le pouvoir législatif et exécutif, ils doivent avoir une légitimité. Et cette légitimité, qui la confère ? Seul le peuple peut conférer la légitimité. Donc, ils décident, eux, d’élire les magistrats chez eux ? Chez nous, les magistrats font une école, passent un examen... Il faudra donc que nous nous posions ces questions.

Burkina Info :Faut-il également faire des procès en langues locales, parce que vous avez parlé de contextualiser notre justice par rapport à nos réalités aujourd’hui ?

Me Farama :Absolument ! C’est gênant aujourd’hui, quand vous allez par exemple dans un village, et que vous voyez que 90% des acteurs présents dans la salle parle par exemple mooré et qu’il n’ya que les avocats et les magistrats qui parlent français. Bien souvent, on est obligé de chercher un traducteur. Dieu merci, il n’arrive pas tous les jours que parmi les 60 langues que nous avons, des gens soient au palais et ne comprennent pas une des langues principales. Sinon, imaginez-vous si nous avons 60 langues devant les juridictions, je ne suis pas sûr qu’on trouverait 60 interprètes. C’est une question fondamentale et intéressante que vous posez.

Burkina Info :Parlons des problèmes de justice au Burkina Faso, il y a souvent également, ces incompréhensions entre les avocats et les magistrats. On a l’impression que vous vous détestez mutuellement. C’est un sérieux problème !

Me Farama :On devrait dire peut être qu’on se déteste cordialement. Vous savez, ce n’est pas propre au Burkina. Si vous regardez dans tous les pays du monde, il ya quelque fois une sorte de confrontations entre magistrats et avocats. C’est peut être lié au fait qu’il y a un manque d’interaction, un manque de communication. Il n’ya pas un cadre de communicationnel entre magistrats et avocats.

Burkina Info :Est-ce que ce n’est pas un conflit de compétences qui ne dit pas son nom ?

Me Farama : Je ne pense pas qu’il puisse y avoir un conflit de compétences entre les magistrats et les avocats. Mais, il est évident que dans l’exercice de la fonction, il peut avoir des couacs entre les magistrats et avocats. Mais vous savez, le manque de communication fait que quelque fois, on a des préjugés les uns sur les autres. Les avocats pensent quelque fois que lesmagistrats sont, pour certains, très incompétents, pour d’autres très corrompus et les magistrats à leur tour pensent que certains avocats sonttrès hautains, arrogants et quelque fois même incompétents. C’est peut être un manque de communication, qui fait que nous en arrivions là parce qu’au-delà de ce que nous pouvons penser les uns des autres, pour l’œuvre de la justice, nous devrions pouvoir être au-dessus et agir conformément à ce que dit la loi.

Burkina Info :Est-ce que ce ne sont pas tous ces soucis-là qui font qu’aujourd’hui il n’ya pas véritablement une indépendance, que le droit n’est pas dit à tous les niveaux ? On se dit qu’on a plutôt une justice favorable aux riches qu’aux pauvres.

Me Farama : Ce n’est pas lié à cela. Si un magistrat n’aime pas la tête de Me Farama, je ne vois pas pourquoi il devrait rendre…

Burkina Info :… il va se dire que Me Farama, comme il parle beaucoup, je vais lui montrer qu’il ne peut pas remporter un procès devant moi, par exemple (ça peut être humain, comme on l’a dit à l’introduction) !

Me Farama :ça peut arriver mais je ne pense pas que ce soit-là le niveau, la dimension à laquelle on pourrait mettre nos magistrats.

Burkina Info :Parce qu’il y a des avocats qui avancent souvent un argument, on a également l’intime conviction du magistrat qui est mise en avant. Donc, quand on tombe dans l’intime conviction dans le jugement d’un dossier, ça veut dire tout simplement que c’est l’homme, l’être humain lui-même qui juge souvent, au-delà même des textes !

Me Farama : Non, il ne faut pas faire un amalgame. L’intime conviction, c’est une expression, un concept, qui n’est utilisé qu’en matière d’assises. C’est-à-dire en matièrescriminelles. Dans les procès courants qu’on connaît, l’intime conviction ne remplace pas la preuve. Moi, je pense que quand on exerce une fonction comme celle des magistrats, il faut avoir de la grandeur d’esprit parce que juger, c’est une œuvre quelque part divine, comme diraient les croyants. Donc, quand vous avez cette fonction entre vos mains, vous devez pouvoir être au-dessus des petites considérations, en de bas étages et agir en homme de grandeur.

Burkina Info :Parlons, naturellement, des grands dossiers qui vous intéressent le plus aujourd’hui ; le putsch manqué, on se rappelle également l’insurrection, depuis lors pas de justice pour les personnes qui sont tombées, dossiers Norbert Zongo, Thomas Sankara. Sur ces questions de justice, 100 jours et rien à bouger. Est-ce que vous qui êtes un avocat, qui s’intéresse à ce genre dedossiers-là, vous êtes un peu déçu, de la lenteur de la procédure judiciaire ?

Me Farama : Je ne pense pas être le seul à être déçu, je pense que la majorité des Burkinabé doivent l’être. Depuis l’avènement de l’insurrection, on avait espéré mieux pour ces dossiers. Encore plus du passage de la transition à la mise en place des nouvelles autorités. Mais on a l’impressionque rien de fondamentale ne bouge, rien ne change. On est reparti encore dans les méandres de juridisme qu’on avait connu sous le régime de Blaise Compaoré. Il y avait ce slogan majeur qui tendait à dire : « la justice suit son cours ». Comme un long fleuve sans fin.

Burkina Info :Parlez des dossiers épineux, Thomas Sankara, c’est un dossier assez lourd !

Me Farama :Biensûr ! Tous les dossiers qui sont à la justice, à mon sens, sont lourds au regard du contexte que nous avons vécu, au regard du contexte dans lequel nous nous trouvons et au regard des aspirations des populations. Aucun de ces dossiers, à mon sens, n’avance de façon satisfaisante. Prenons le cas des dossiers de l’insurrection, nous avons déposé des plaintes avec le MBDHP, rappelez-vous que les martyrs (ceux qu’on a glorifiéspendant l’insurrection), je ne connais pas (sauf si je suis sous informé) de procédures qui aient avancé suffisamment pour nous dire qui et pourquoi ces personnes-là ont été tuées, les 30 et 31 octobre, voire, 2 novembre.

Burkina Info :Il ya aussi les dossiers du 15 septembre 2015, le putsch

Me Farama : Pareillement ! Aujourd’hui, on entend dire ça et là dire qu’il ya eu des inculpations pour les dossiers, au moins, du putsch. Mais ça et là dire aussi qu’il y a des libérations qui interviennent.

Burkina Info :Le dégel également des avoirs. Vous qui êtes avocat, aujourd’hui, êtes-vous pessimistequand vous voyez l’évolution de la situation sur ces dossiers ?

Me Farama :Même si je ne suis pas pessimiste, disons que là, je suis dans la circonspection ; parce que je m’attendais à mieux que cela. Depuis la chute de Blaise, nous entrons pratiquement dans la deuxième année…, nous nous attendions à des actions plus fortes que celles qu’on avait vues jusqu’aujourd’hui.

Burkina Info :Renouveau sur quel dossier, Thomas Sankara, Norbert Zongo, DaboBoukary, entre autres ?

Me Farama : Sur tous les dossiers, notamment sur les dossiers pendants. La gestion de ces dossiers pendants, à notre avis, aurait déterminé la gestion même entière de la justice. Par ces dossiers, relancer la vision que nous avons de la justice, rasseoir des bases solides de notre justice pour que ce peuple croie à quelque chose de nouveau relativement à sa justice.

Burkina Info :Les événements d’octobre 2014, on se rappelle également, vous, vous avez été l’un des fervents ‘’opposants’’ contre Yacouba Isaac Zida ; parce que vous vous êtes dit, ce monsieur-là ne mérite pas d’être à la tête du Burkina Faso. Au vu du déroulement des événements, vous dites :l’histoire m’a donné finalement raison sur lui !

Me Farama : J’aurais préféré ne pas avoir raison, croyez-moi. Je n’ai rien contre la personne de Yacouba Isaac Zida. L’appréciation que je faisais, comme beaucoup d’autres Burkinabè, c’était par rapport à des éléments objectifs, ce n’était pas des éléments subjectifs, ni émotionnels. L’émotion ne conduit nulle part, il faut à un moment donné, sur la base de sa raison, faire des analysesconcrètes et objectives.

La question que moi, comme beaucoup d’autres Burkinabè, étions posé était à savoir si Yacouba Isaac Zida, en tant que numéro2 du RSP, qui fut l’un des maillons forts de la chaîne de pouvoir de Blaise Compaoré, pouvait-il assurer ce qu’on appelait une révolution au Burkina ? Comment peut-on faire une révolution contre soi-même ? Non ! Naturellement, je ne pouvais pas y croire, beaucoup de Burkinabène pouvaient pas y croire. Parce que ce n’était pas contre la personne de Blaise Compaoré que nous luttions, souvenez-en. Nous étions contre le système implanté pendant 27 ans et Yacouba Isaac Zida faisait partie entière de ce système, parce quependant quinze ans, il a été au RSP, il a assuré la sécurité de ce régime. C’est grâce à ce RSP d’ailleurs que le régime a pu tenir pendant 27 ans et lui, il en a été le numéro 2. Donc,on ne pouvait pas me dire que ce monsieur pouvait faire la révolution contre lui-même, contre le système auquel il a appartenu.

Burkina Info :Donc, Me Farama n’est pas du tout surpris des faits qui lui sont reprochés ? Tout ce qui se dit autour de sa personne, vous n’êtes pas surpris, vue son origine !

Me Farama : Moi, rien ne me surprend, pour être franc. Je ne sais pourquoi, ce que quelqu’un a fait pendant quinze ans ou 25 ans durant, il le changera en une année. C’est vrai que le miracle est possible. Mais, moi, je préfère des gens qui ont euune vision, des valeurs, des positions que j’ai connues pendant 25 ans pour me convaincre qu’ils peuvent nous apporter quelque chose de nouveau, plutôt que de me dire que oui, des gens ont fait des choses pendant 25 ans mais pourquoi pas, ils pourraient faire quelque chose de neuf.

Burkina Info :Donc vous n’êtes pas du tout optimiste à ce niveau-là. Est-ce que vous pensez aujourd’hui, en tant qu’avocat, que les faits qui sont reprochés à l’ancien Premier ministre sont suffisamment graves pour qu’il soit inculpé dès qu’il mettra pieds au Burkina ?

Me Farama :D’abord, de quel fait précis vous parlez ?
Burkina Info :On parle de problèmes de parcelles, d’abus de pouvoir, on parle également d’un certain nombre de faits qui lui sont reprochés

Me Farama : Je n’ai pas la chance, comme vous les journalistes, d’avoir la primeur de l’information exacte sur ces dossiers. Je suis l’actualité, je ne vois que les éléments que la presse me présente. Donc, vous ne m’en voudrez pas si je ne me prononce pas, j’allais dire, de façon technique sur des questions dont je n’ai pas les éléments exacts.Par contre, ce qui me choque dans cette histoire de parcelles…, je ne parle même pas d’un point de vue juridique. Moi, le légalisme, je m’en méfie. Ceux qui pensent qu’on devra être gouverné uniquement par les lois, sans tenir compte de certaines valeurs morales, sociales et politiques, je dis toujours que c’est une erreur. Si on ne tenait compte que des lois, Blaise ne partirait pas parce que, selon la loi à mon sens, il pouvait rester. Si on ne tient compte que des lois, l’insurrection n’aurait pas eu lieu ; parce qu’il aurait fallu aller aux élections contre Blaise Compaoré et Dieu seul sait s’il serait parti. Si on tient compte des lois, l’apartheid serait resté. C’est pour cela je dis qu’à un moment donné dans la vie d’une société, il faut qu’on s’élève au-dessus des lois, et qu’on apprécie moralement,qu’on apprécie les actes que nous posons d’un point de vue de nos valeurs sociales. Ecoutez, quand nous combattions Blaise Compaoré, l’une des règles que nous lui demandions d’appliquer et qu’il refusait, c’était la transparence ; c’était ce que certains avaient appelé lutter contre la patrimonialisation de l’Etat. Refuser de faire en sorte que les biens de la République soient pour lui et ses amis, d’utiliser les positions qu’ils avaient, lui et ses amis, pour s’enrichir.

Quand nous faisons une insurrection dans ce contexte, et que de jeunes gens meurent, et que ceux qui prennent le pouvoir et qui viennent vous dire qu’ils sont révolutionnaires (Yacouba Isaac Zida vient à la place de la révolution et clame il est adepte de Thomas Sankara, un homme très respectable et respecté dans ce pays qui est mort dans un dénuement, rappelez-vous. Je ne connais du seul bien immobilier qu’on m’a présenté de lui, sa bicoque dans son village) ; quand on vient au nom de ces valeurs-là et que l’une des choses qu’on fait, c’est de s’octroyer des parcelles et des milliers de mètres carrés pendant que des millions de Burkinabè veulent un lopin de terre, un petit lopin de terre, même 100 m2, pour pouvoir asseoir de quoi s’abriter contre la pluie… Je dis : c’est indécent. Ce n’est pas moral. C’est condamnable. Ceux qui essaient de trouver des excuses à cela, c’est inélégant et c’est dangereux pour notre sécurité.

Burkina Info :Parlons à présent de ce retour à l’intégrité qui est le fondement même du programme de société Roch Marc Christian Kaboré. Depuis qu’il a pris le pouvoir, les 100 jours, on a vu qu’il y a beaucoup de remises en cause des symboles de l’Etat, des commissariats ou des brigades de gendarmerie qui sont attaqués brûlés par des populations en colère, le cas le plus patent, c’est celui de Nagaré où des élèves s’en sont pris au drapeau national. Quand vous avez appris ces événements, quelle a été votre réaction à chaud ?

Me Farama : On est toujours affecté par ce genre de situations. Je vais le dire très sincèrement, comme je le ressens. Est-ce qu’on doit condamner ces actes ? Oui,il faut les condamner. Ce n’est pas bien, quand dans une société des élèves en arrivent à brûler le drapeau national, à molester leurs enseignants, c’est condamnable et moi je le condamne. Par contre, quand je vois des condamnations par ci par là…,il ne faudra pas que nous nous arrêtions uniquement à des condamnations, il faudra que nous recherchions les causes profondes de ces situations. Comment on en arrive dans une société ; parce qu’on parle de ces élèves comme si c’était des extra-terrestres venus d’ailleurs, mais ce sont nos enfants, nos petits frères, nos neveux. Comment avons-nous fait ?

Burkina Info :Mais nous avons tous été élèves mais on ne s’est pas comporté de cette manière !

Me Farama : Alors, posons-nous la question de savoir, comment avons-nous fait, nous, pour que nos enfants, nos petits frères, nos cousins en arrivent à cette situation ? Je vais vous dire ce que je pense que. Vous parlez de symboles de l’Etat qui ont été bafoués, c’est vrai, c’est grave. Mais, il n’ya pas que des élèves qui bafouent les symboles de l’Etat ; le drapeau, ce n’est qu’unsymbole de l’Etat ! Il y a des gens qui pillent même l’Etat, en direct. Pas le symbole. Qu’est-ce qu’on fait d’eux ? Rien. Vous savez, aujourd’hui, la valeur morale dont nous parlions tout à l’heure, l’intégrité dont nous parlions, mais, il faut la ramener à sa juste valeur.

Les Papas, qu’est-ce qu’ils font aujourd’hui ? Ecoutez, l’avocat est devenu malhonnête, le juge il est corrompu, le médecin est devenu affairiste, le douanier est devenu racketeur. Ça, vous ne pensez pas que c’est dangereux pour l’Etat, et que c’est l’Etat dans ses fondements même qui est atteint ? Si ! Donc, quand on est dans une société comme celle-là… J’en parlais la dernière fois avec un ami, au feu nous sommes arrêtés et puis on voit (excusez-moi l’expression), un vieillard quasiment très respectable au feu, qui s’arrête, qui regarde quelques secondes,impatient et puis après fait un geste dépit et il démarre sa moto et il s’en va. Mais, c’est ce que nous vivons tous les jours. Tous les jours que Dieu fait, vous et moi, nous constatons des faits concrets où l’Etat est bafoué. Non, ces petits enfants qui ont brûlé, qui ont fait ci, qui ont fait ça, c’est condamnable et il faut le condamner. Mais, rappelons-nous, si nous voulons que nos petits-frères, nos enfants, nos neveux, nos cousins ne fassent pas ça, nous devons donner le bon exemple et jusqu’à présent, nous n’avons pas donné.

Burkina Info :Vous parlez de bon exemple, vous parlez également d’actes concrets qu’il faut poser aujourd’hui. Selon vous, la meilleure thérapie, c’est quoi ? Faut-il ramener l’éducation civique à l’école, du bas-âge à l’université, éventuellement ?

Me Farama :Vous faites exactement ce que je dis être l’erreur. Vous vous en prenez aux conséquences et non à la cause. Non, ce n’est pas une question d’enseigner l’éducation civique aux gens. Vous pensez que les gens ne savent pas que c’est mauvais …

Burkina Info :… Donc, il faut la bonne gouvernance … ?

Me Farama : Le jour où on aura des dirigeants, qui, de par leur intégrité, par l’exemple concret de tous les jours, montrerons qu’ils sont intègres… Quand j’ai un patron de service, qui vient à 7 h, voire 6 heures 30 mn et que moi, je me permets d’arriver en retard à 7 h 30 mn et qu’il me fait des reproches, croyez-moi, deux jours après, je me mets dans l’ordre. Quand j’ai le premier responsable de la nation, qui vit dans la modestie et l’intégrité, tous ceux qui suivent ne peuvent pas faire autrement ; ils suivront l’exemple ou ils paieront. Mais, quand je me rends compte qu’on s’en prend à moi, alors que celui-là même qui vole des milliards n’est pas… J’entendais par exemple quelqu’un dire que lui, il pense que cette école où les événements sont arrivés, pour lui on doit fermer cette école pendant même trois ans. Je souriais, je disais mais, j’aimerais bien savoir ce que cette personne pense des gens qui ont pillé les milliards ; elle pense qu’on devrait les enfermer pendant combien de temps par exemple ? Donc, si vous donnez l’exemple, de façon rigoureuse, croyez-moi, le civisme dont vous parlez, l’intégrité, le respect de l’Etat et de ses symboles, reviendra naturellement ?

Burkina Info :Voilà qui est bien dit. Un mot peut être sur les cas sociaux, dans les maisons d’arrêt et de correction, beaucoup de gens qui sont détenus, qui n’ont jamais été jugés (qui, peut être,sont jugés et après se rendent compte que les faits qui leursont reprochés ne méritaient pas le temps qu’ils ont passé au niveau des maisons d’arrêt et de correction) ; que faut-il faire pour ces personnes ?

Me Farama :Il faut revoir la justice dans ses fondements ; c’est le disfonctionnement de notre appareil de justice. Il faut le dire, la prison aujourd’hui, on devramême se poser la question fondamentale ; est-ce que la prison règle leproblème aujourd’hui de la délinquance au Burkina ? On emprisonnedes délinquants, ça se multiplie, mais on ne voit pas que la délinquance baisse.

Burkina Info :… la question de la récidive aussi, qui revient de façon récurrente

Me Farama : Bien sûr ! Toutes ces questions devraient être mises dans le panier. Peut-être quedevrions-nous étudier fondamentalement qu’est-ce qu’il faut, comme alternative à la prison ; parce qu’on s’aperçoit que, finalement, ce qui est plus écœurant, c’est le plus faible et le plus pauvre qui paient le prix cher. Comme vous l’avez dit, le pauvre qui n’a pas les moyens de se payer un avocat, il ira en prison, il pourra être oublié et mourir sans qu’il n’y ait rien. Si vous êtes milliardaire, vous pourriez vous payer des dizaines d’avocats, voire faire venir des avocats de l’étranger puis, au bout de quelques mois (qui sait), avec même la pression populaire, vous serez dehors.

Burkina Info :Alors, beaucoup de défis à relever au Burkina ;est-ce que vous êtes optimiste pour l’avenir ?

Me Farama : On a le devoir d’être optimiste, on n’a pas le choix. Nous sommes Burkinabè, rappelez-vous ce que cela veut dire ; c’est le pays des hommes intègres. Au nom de notre intégrité, au nom de ce que nous devons laisser aux générations qui viennent après nous, au nom de ce que nous avons reçu de nos parents, en termes d’intégrité et d’espérance, c’est un devoir de combattre pour que ce pays-là, demain, ressemble, on va dire, au pays des hommes intègres, dans le sens le plus vrai du terme.

Retranscription :
Yvette MOSSE (Stagiaire)
Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net

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