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Jean Ouédraogo, professeur de littératures francophones à New York

Publié le vendredi 13 mai 2005 à 11h43min

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Titulaire d’une maîtrise d’Anglais (1989)de l’Université de Ouagadougou et d’un Ph.D (1997)en Langues romanes de l’Université de Géorgie(Etats-Unis),Jean Ouédraogo est spécialiste de littératures et cultures francophones d’Afrique et des Caraïbes qu’il enseigne comme professeur associé à la State University of New York à Plattsburk.

Auteur de plusieurs ouvrages, il vient de publier « Cinéma et littérature du Burkina Faso. De la singularité à l’universalité ».

Qui est, d’une façon plus précise, Jean Ouédraogo et quel est votre parcours ?

Je suis professeur de littératures et de cultures francophones d’Afrique et des Caraïbes, mais avant tout mon enseignement porte sur la langue française, langue étrangère. Il y a maintenant cinq ans que je suis en poste dans le système Universitaire de l’État de New York ou SUNY, le plus grand système du genre puisqu’il compte 64 campus et plus de 410.000 étudiants.

Heureusement, j’évolue au campus de Plattsburgh, à l’extrême nord-est de l’État, qui compte environ 6.000 étudiants. Avant de m’y retrouver, j’ai enseigné pendant deux ans dans une université en Virginie Occidentale.

Il y a deux volets à ma formation universitaire qui pour l’essentiel s’est jouée à l’Université de Ouagadougou (1985-1989), et The University of Georgia (1989-1997) à Athens.

À l’UO, j’ai fait une maîtrise d’anglais option littéraire sous la direction du Dr. Yoda Lalbila. Un coup de chance m’a permis d’aller à l’Université de Géorgie où je devais enseigner le français aux étudiants débutants pour pouvoir payer mes études en littératures comparées. Finalement, j’ai dû revoir l’approche et rester dans le département de Langues Romanes. En 1992, je complétais un Master of Arts qui devait me permettre d’envisager des études au niveau doctoral vu que la Maîtrise de l’UO ne me garantissait pas ce saut. C’est en 1997, que j’obtiens mon Ph.D. en Langues Romanes, avec la spécialisation mentionnée plus haut.

Une version révisée de ma thèse a été publiée en 2004 chez Peter Lang sous le titre Maryse Condé et Ahmadou Kourouma : Griots de l’indicible. À cheval entre ces deux derniers diplômes, j’ai aussi suivi des cours de traduction à Georgia State University à Atlanta. Cela m’a permis d’obtenir un certificat de traducteur en 1993. En 1997-8 j’ai enseigné à plein temps pour mon ancien département avant de me trouver un premier poste.

Après tout ce que je viens de dire, je devrais ajouter que je suis aussi le produit d’une éducation formelle dont les racines reposent du côté de Boussé et s’étendent au Lycée Philippe Zinda Kaboré (1978-85). Cependant j’ai bénéficié de nombreuses influences déterminantes notamment au sein de ma famille, de nombreuses personnes connues et étrangères qui, en croisant mon chemin, m’ont inspiré par leurs mots d’encouragement, leur disponibilité, leur enthousiasme, leur optimisme, mais bien souvent par leur scepticisme aussi. À quarante ans, je suis marié et père d’une fille.

Depuis quand résidez-vous aux États-Unis d’Amérique et qu’y faites-vous ?

Je vis aux États-Unis d’Amérique depuis septembre 1989. C’est dire que j’y ai passé plus du tiers de ma vie jusque-là, le plus clair de ma vie d’étudiant, et la totalité de ma jeune carrière professionnelle dans l’enseignement universitaire. Quelque part, je me considère autant chez moi ici qu’au Burkina. Je connais mieux l’organisation universitaire américaine pour y avoir évolué en tant qu’étudiant et maintenant enseignant.

Par conséquent, je me sens nettement intégré ici que je ne le serai ou pourrais espérer être au pays. Est-ce par adaptation au système ou par l’ouverture de celui-ci ? Je ne saurais vous le dire. Ce qui est sûr, je m’y retrouve et apprécie hautement le côté prévisible pour ne pas dire scientifique de la bureaucratie ici.

A quand remonte votre dernier séjour au Burkina ?

Mon dernier séjour au Burkina remonte au premier trimestre de 2003. J’y étais dans le cadre du FESPACO, mais aussi pour réaliser un certain nombre d’entretiens avec des écrivains et cinéastes nationaux en anticipation de mon livre Cinéma et littérature du Burkina Faso. De la singularité à l’universalité. J’avais pu passer un mois entier à Ouagadougou grâce à la générosité de mon université qui avait bien accueilli l’idée du projet et m’avait autorisé un congé sabbatique d’un semestre en plus d’un soutien financier. Outre ma participation au FESPACO, j’avais réalisé cinq entretiens pendant mon séjour. Une façon d’allier l’utile à l’agréable.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre et à qui le destinez-vous ?

Cinéma et littérature du Burkina Faso. De la singularité à l’universalité se veut un hommage aux artistes burkinabè qu’ils soient écrivains ou cinéastes. Or pour que cet hommage retrouve vraiment sa juste mesure, il faut que le public burkinabè y participe en découvrant mieux ces créateurs.

Aussi, j’aimerais inviter les fidèles lecteurs et tous ceux qui s’intéressent aux différents aspects de la Culture au Faso de prendre connaissance du texte. En grande partie, c’est le public burkinabè qui peut en priorité attester de la valeur du livre. Cependant, il n’en a pas le monopole, car nos artistes ont une légitime aspiration à être reconnus hors des frontières nationales ; d’ailleurs beaucoup le sont et font la fierté du pays.

La co-édition du livre chez les Éditions du CIDIHCA (Montréal) et les Éditions Sankofa & Gurli (Ouagadougou) répond à cet impératif et à la nécessité pour moi de voir sa diffusion se faire tant en Amérique du Nord qu’en Afrique de l’Ouest, à commencer par le Burkina. On parle souvent d’impérialisme culturel sans trop penser à une forme de riposte. Il nous faut savoir imposer des éléments de nos cultures chez les autres en suivant la méthode, car à voir de plus près il existe des possibilités d’échanges. L’Occident n’est pas sourd à la manifestation de d’autres cultures, loin s’en faut.

La genèse de l’ouvrage remonte au début 2001, j’avais obtenu une bourse de l’Association Américaine des Professeurs de Français (AATF) et du gouvernement du Québec pour un séminaire en culture québécoise ; c’était une expérience unique pour moi. Je continue d’ailleurs à faire de la recherche dans le domaine. Je me suis rendu compte qu’au fil des ans, mes intérêts académiques s’éloignaient progressivement du pays.

Hormis, mon mémoire de Master of Arts en 1992 qui portait sur les questions d’identité culturelle, socio-politique dans trois romans burkinabè, mon itinéraire m’avait conduit à l’exploration de la littérature du moyen âge français, aux siècles successifs pour ensuite se focaliser sur le vingtième siècle et s’ouvrir à la francophonie. C’est dans le souci de me reconnecter à la production littéraire et cinématographique nationale, et en même temps de la promouvoir à une échelle plus large, que j’ai formulé le projet.

C’est en décembre 2001 que le premier entretien a été réalisé à Ottawa, suivront un entretien à Montréal en avril 2002 en marge de Vues d’Afrique, cinq en mars 2003 à Ouaga, deux à Montréal en mai 2003, un à Boston en novembre 2003, et deux en avril 2004 à Montréal ; soit un total de 12 entretiens avec d’importants piliers du monde culturel burkinabè à l’instar de Jacques Prosper Bazié, Gaston Kaboré, Kollo Daniel Sanou, Ansomwin Ignace Hien, Dani Kouyaté, Fanta Régina Nacro, Mathias Kyelem, Saint Pierre Yaméogo, Adama Roamba, Idrissa Ouédraogo, Pierre Rouamba et Marie-Ange Somdah.

Le professeur Opportune Zongo de Bowling Green State University, dans l’Ohio, a accepté d’écrire l’introduction au livre une fois que je lui en ai parlé. Je dois ici dire que chacun des réalisateurs et écrivains a fait preuve d’une générosité à mon égard en se montrant disponible. Au finish, ce sont les efforts conjugués de mes éditeurs, Frantz Voltaire (CIDIHCA) et Jean-Claude Naba (Sankofa & Gurli) qui ont imprimé la forme finale du livre.

Un livre de cette nature finit toujours par être un travail collectif, aussi j’aimerais saluer Vincent Ouédraogo dont le batik sert de photo d’illustration de la couverture et le professeur Karim Traoré qui après lecture de l’ouvrage a fourni le texte de la 4è de couverture.

Où peut-on se le procurer ?

Sorti en fin avril 2005, le livre est disponible chez les Éditions CIDIHCA (edition@cidihca.ca) et sur place à Ouagadougou dès la mi-juin aux Éditions Sankofa & Gurli.

Y a-t-il des étudiants burkinabè dans l’université ou vous enseignez ?

Non, il n’y a pas en ce moment d’étudiants burkinabè à SUNY Plattsburgh. Je crois savoir qu’il y en a 7 dans l’ensemble du système SUNY. Peut-être le fait que mon université n’offre pas de cours de 2è et 3è cycles dans la vaste majorité des programmes et son éloignement des grands centres expliquent cela.

Nombreux sont les jeunes Burkinabè qui rêvent de poursuivre leurs études aux États-Unis. Quelles conditions faut-il généralement remplir pour pouvoir le faire dans de bonnes conditions ?

On devrait distinguer en la matière deux groupes : les étudiants bénéficiaires de bourses de coopération inter-États (AFGRAD, USAID, etc.) et ceux comptant sur des fonds personnels ou des Teaching/Research Assistantships (étudiants de 2è cycle mettant à la disposition de leur département d’accueil un savoir dans l’enseignement ou la recherche et bénéficiant de ce fait d’une réduction de frais d’inscription et d’une pension). Des voix plus autorisées se chargeront d’instruire les candidats du premier groupe. Mon expérience relève de la deuxième catégorie.

Il me semble néanmoins que la réussite scolaire aux USA est fonction de sérieux ajustements au niveau de l’approche, de la compréhension même du système, et d’un sens aigu de l’organisation du temps. Le plus tôt on effectue ces ajustements, le mieux les chances de succès. La formation étant très pratique, la nature même des rapports entre professeurs et étudiants s’en trouve modifiée qualitativement.

Par contre la plus grande responsabilité revient à l’étudiant dans sa progression académique et dans ses réalisations. C’est qu’il/elle dispose objectivement des conditions propices d’accès au savoir (bibliothèques, laboratoire, etc.).

Le strict respect des consignes dont est assorti votre visa spécifique est de rigueur si on veut éviter des complications inutiles par la suite. Le bureau chargé du suivi des étudiants internationaux donne des sessions d’orientation au début de chaque trimestre, mais aussi tout le long de l’année. En plus des rendez-vous individuels sont toujours loisibles pour discuter de sa situation spécifique. Les universités restent très accueillantes et luttent pour s’affirmer telles depuis ces trois dernières années.

Peut-on travailler pour avoir de quoi vivre et étudier en même temps ?

Le gros des postes temporaires au campus sont assurés par les étudiants. À ce niveau la plupart des étudiants, même étrangers, peuvent travailler de la bibliothèque au restaurant universitaire, on peut être laborantin ou plongeur, coller des contraventions aux véhicules mal stationnés ou apprêter et nettoyer le stade avant ou après un match de football.

Personnellement j’ai travaillé dans les restaurants universitaires, à la bibliothèque, et même au stade en sus de l’enseignement que j’assurais comme Teaching Assistant. Mais on ne doit pas compter sur ces salaires pour assurer ses frais d’inscription. Ils suffisent souvent à peine à payer les fournitures et la nourriture.

Chaque campus a un bureau qui recense les vacances de postes étudiants et qui les publie à l’intention des étudiants. C’est dire que les renseignements sont toujours disponibles et peuvent vous guider quant à la nature du boulot, ses contraintes (nombre d’heures, salaire horaire, expérience, etc.) avant que vous n’alliez postuler pour quelque chose qui ne cadre pas avec votre emploi du temps ou votre expérience.

Il faudrait néanmoins asseoir une certaine routine avant de se surcharger d’un boulot qui risque de vous couler académiquement. C’est dire qu’il faut justifier pleinement d’au moins d’une année de scolarité et de frais connexes avant de vraiment vouloir forcer les choses.

Y a-t-il d’autres Burkinabè autour de vous en dehors du campus ?

Il n’y a pas d’autres Burkinabè dans ma ville, hors de mon cadre familial. C’est du reste normal, parce que les petites villes n’attirent pas toujours les nouveaux immigrants ou les fonctionnaires internationaux. Je suis à environ 500 kms de la ville de New York ou se concentre l’essentiel des Burkinabè du nord-est des États-Unis.
Par contre, je suis en contact avec les collègues burkinabè qui sont dans l’enseignement. L’isolement géographique n’est pas synonyme de rupture.

Pour qui connaît ce vaste pays, l’isolement présente souvent des gains au niveau de la beauté naturelle, du relief et de la culture spécifique à la région. J’ai ici le luxe de voir un lac complètement géler, des températures hivernales constamment en dessous de 20 degrés, des montagnes majestueuses en hiver comme en automne, et d’entendre les accents de la francophonie nord américaine à ma porte.

Comptez-vous rentrer définitivement un jour au Burkina ?

Je n’ai jamais pensé que je quittais, à 24 ans, le Burkina définitivement. Maintenant, rien ne me prédispose à croire que j’y retournerai définitivement. Une vie est faite de revirements, d’imprévus, à manquer de flexibilité et de souplesse on ne connaît que la surface de qu’elle cache comme promesses.

Pour faire une légère digression, j’aimerais dire que des structures comme la SOCOGIB m’ont souvent fait penser que de ceux qui sont à l’étranger, elles ne veulent que l’argent sans autre forme d’explication. Alors même que nous cherchons à poser la pierre de notre continuité ou de notre retour au pays, des conditions de paiement draconiennes nous sont souvent imposées sans souci de transparence et sous prétexte que telle maison en voie d’acquisition sera forcément mise en location vu que l’acquéreur est à l’étranger.

Nous connaissons et respectons tous le fameux proverbe qui dit « qu’on ne jette pas une pierre au bayiri ou pays natal. » Il serait loisible que ceux qui sont partis ne deviennent pas la cible de jeteurs de pierres, fussent-ils les gardiens du zaka ou de la case. Collectivement, nous gagnerions plus à valoriser la contribution des uns et des autres, quelle que soit l’escale à laquelle leur parcours actuel les place.

En attendant d’avoir une réponse définitive à votre question, je peux dire que j’envisage continuer dans mon domaine d’expertise à entretenir cette flamme Burkina qui vit en moi et qui me permet de supposer qu’on peut vivre le Burkina sans vivre au Burkina.

Un débat fait rage en ce moment sur les campus burkinabè au sujet de l’opportunité d’une présence policière en milieux universitaires. Comment se présente la situation chez vous ?

Nous sommes entièrement dans des contextes différents et je dois avouer que j’ignore les détails de la situation au Burkina. Aux États-Unis, la plupart des universités mêmes quand elles sont dites publiques fonctionnent comme des entités autonomes. Ainsi, toutes les universités que j’ai fréquentées ou pour lesquelles j’ai travaillé disposent d’un service postal interne, de leur police, de leur propre système d’alimentation électrique.

Pourtant elles font partie de municipalités qui disposent de la même logistique. Naturellement, ces instances répondent à une chaîne de commandement interne à l’université et ne peuvent pas agir contrairement aux intérêts de la population estudiantine qui en dernière analyse paie de leurs frais en grande partie les salaires des employés de l’université. Dans ce cas de figure la police de l’université gère les questions de sécurité propre au campus, stationnement, surveillance des résidences universitaires, protection des biens contre le vandalisme, etc. Elle n’a pas pour mission de sévir, mais de servir.

Je pense qu’en associant franchement toutes les parties concernées aux débats, une décision idoine pourrait être trouvée pour les campus burkinabè.

Interview réalisée par Samuel Kiendrébéogo
Pour Lefaso.net

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