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Crise ivoirienne : lettre ouverte du Tocsin

Publié le mercredi 10 décembre 2003 à 10h15min

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Excellences,
Depuis le 19 septembre 2001, la Côte d’Ivoire est confrontée à
des troubles militaro-politiques sans précédent. Sous-estimée
au départ par les autorités ivoiriennes, la crise s’est enracinée
pour devenir une guerre qui consacre de fait la partition du pays
en trois entités militaires. Si le sud est sous la responsabilité
des forces dites loyalistes, le nord est contrôlé par le MPCI,
tandis que l’ouest est sous la coupe du MPIGO et du MJP.

La crise, qui au départ s’est présentée comme une mutinerie
d’une partie de l’armée ivoirienne, a été présentée par les
autorités ivoiriennes comme une rébellion dirigée par le général
Guei. Les forces loyalistes, après être parvenues à réduire
l’offensive des mutins (ce qui a occasionné de nombreux morts
parmi les éléments de la gendarmerie), ont lancé une opération
punitive qui s’est soldée par l’extermination du général Guei et
de sa famille.

Par la suite, les autorités politiques ont qualifié la
crise de tentative de coup d’Etat orchestré par des forces
rebelles en provenance du nord avec le soutien de pays du nord.
Les médias, se faisant l’écho de tels propos, ont contribué à
exacerber un potentiel xénophobe que la politique de l’ivoirité a
savamment entretenu depuis les différents régimes qui ont
succédé à Félix Houphouët-Boigny, père de l’Etat moderne de
Côte d’Ivoire.

Le président Laurent Gbagbo, dans un langage guerrier, de
retour de son voyage en Italie, a personnellement invité les
forces de l’ordre à poursuivre les assaillants en détruisant les
quartiers précaires d’Abidjan. C’est ainsi que des militaires, des
policiers et des gendarmes ivoiriens, appuyés par des milices
(dont certains groupes d’étudiants de la FESCI) ont détruit, pillé,
saccagé les demeures, les ateliers et autres lieux de commerce
des étrangers, considérés désormais, sans discernement,
comme étant des assaillants.

Expulsés de Tabou

Parmi la forte communauté
étrangère de la Côte d’Ivoire, seuls seront concernés par la
chasse à l’homme ainsi ouverte, par ordre d’importance, les
Burkinabè, les Maliens, les Nigériens et les Sénégalais. Les
membres de ces communautés, désormais considérés comme
des ennemis, sont soumis à toutes les formes de violences :
humiliations, arrestations, tortures, rackets, expulsions,
mutilations, viols, assassinats. De nombreux Burkinabè ont
même été enrôlés de force pour servir de chair à canon lors de
l’offensive menée par les forces loyalistes contre la ville de
Bouaké.

Un lourd silence

Au gré de l’évolution de la situation politique et militaire, les
étrangers burkinabè et maliens paient individuellement et
collectivement le prix le plus fort de la crise ivoirienne. Des villes
et des villages, des milliers de Burkinabè et de Maliens ont été
chassés de leurs habitations, souvent de nuit. Les malheureux
sont systématiquement dépouillés et leurs habitations et
plantations soumises à la proie des flammes. La haine contre
les étrangers burkinabè et maliens conduit les milices à
empoisonner même les puits ou à faire subir le supplice du
collier ou du lavement à l’acide aux ressortissants de ces pays,
pour peu que l’on retrouve sur leurs corps des amulettes.

Excellences,
En dépit des cris de désespoir d’une partie de votre peuple et
de l’indignation de la communauté internationale, après les
premiers moments d’émotion, vous avez gardé un lourd silence
qui a été compris par les autorités ivoiriennes comme une invite
à poursuivre dans l’horreur. Certes, vous avez dû employer les
mécanismes de la diplomatie. Pour quels résultats ?
Devons-nous rappeler que les consulats de l’ambassade du
Burkina ont été saccagés et les employés violentés !
Devons-nous rappeler, que toute diplomatie cessante, les
autorités ivoiriennes n’ont cessé de formuler des accusations
directes quant à l’implication de vos deux pays dans la situation
de guerre que connaît la Côte d’Ivoire. A chaque fois, de telles
accusations sont suivies par une montée de fièvre qui se traduit
par de multiples exactions et des centaines de morts au sein de
la communauté malienne et burkinabè.

Les différents charniers
découverts à Monoko Zohi, à Daloa et à Gagnoa sont remplis de
Maliens et de Burkinabè. D’autres charniers sont à découvrir !

A. Ouédraogo <BR> Président du Tocsin

Excellences,
Le fait d’avoir fait affréter des cars pour ramener les rescapés
dans leurs pays respectifs est certes salutaire. Mais quelles
mesures sont prises pour réparer les préjudices subis ou pour
rendre justice aux morts, aux veuves et aux orphelins ? Combien
d’opérateurs économiques prospères maliens et burkinabè
devront être tués par les escadrons de la mort afin de provoquer
un sursaut régional pour arrêter la catastrophe humanitaire en
cours ?

Il nous faut ici saluer la réaction du président Abdoulaye Wade
qui, aux premières heures du drame, n’a pas hésité à affirmer
ceci : "En ce moment, les Burkinabè subissent en Côte d’Ivoire
ce qu’aucun Africain ne subit en Europe". Mal en a pris à certains
membres de sa communauté ! Mais il l’a dit et l’histoire lui saura
gré un jour de l’avoir fait.

Excellences,
En dépit de tous les sommets consacrés à la crise ivoirienne
(Lomé, Marcoussis, Kléber, Abidjan, Accra), la situation des
étrangers dans ce pays continue de se dégrader, surtout dans
les régions contrôlées par les forces loyalistes. Nous voulons
pour preuves les derniers événements survenus, dans la
deuxième quinzaine du mois d’octobre, à Gagnoa (fief du
président Laurent Gbagbo) où des milices ont saccagé les
habitations des Burkinabè, des Maliens et des ressortissants
du nord de la Côte d’Ivoire afin de s’emparer de leurs biens.

Les
sinistrés ont été chassés et leurs biens pillés. Tous les parents
qui ont voulu, dans les villages avoisinants, leur apporter de la
compassion, en les abritant, ont subi le même sort. Les
dernières tournées du président Gbagbo au Burkina et au Mali
ne doivent pas faire illusion.

Droit d’ingérence humanitaire

Excellences,
Comment expliquer que suite à l’assassinat du journaliste Jean
Hélène, le président de la République française soit monté au
créneau et que RFI ait consacré toute une journée entière à
l’événement alors que des milliers de Burkinabè et de Maliens
tombent en Côte d’Ivoire sans que vous ne marquiez
l’événement de manière aussi forte ! Est-ce à dire que la vie d’un
français a plus de valeur pour la République française que ne
l’est la vie d’un Malien ou d’un Burkinabè pour la République
malienne ou le Faso ! Nous osons croire le contraire !

Aussi,
Excellences, nous tarde-t-il de vous voir défendre de manière
plus visible et engagée la cause de vos compatriotes en Côte
d’Ivoire, car personne d’autre ne le fera à votre place. Au
lendemain du déclenchement de la crise ivoirienne, les
autorités des USA, d’Allemagne et de France ont procédé aux
rapatriements de leurs ressortissants, abandonnant les autres
étrangers à leur sort. Les Africains peuvent se massacrer à
loisir. Il s’agit-là d’un de leurs atavismes !

Excellences,
Le TOCSIN, tout en saluant votre attitude qui consiste à ne pas
complique davantage la situation en Côte d’Ivoire, vous invite,
au nom du droit d’ingérence humanitaire, à ne pas laisser
violenter et massacrer impunément vos ressortissants en Côte
d’Ivoire. Les générations à venir et l’Histoire ne vous le
pardonneront pas. La présence des Maliens et des Burkinabè
en Côte d’Ivoire s’explique par l’histoire, la géographie et la
culture. Ils ne sont aussi étrangers en Côte d’Ivoire, comme
l’idéologie de l’ivoirité veut le faire croire. Il nous faut rappeler
que même les étrangers restent et demeurent des humains ; à
ce titre, ils ont des droits que tous les Etats se doivent de
reconnaître et de garantir.

La forte communauté de Burkinabè en
Côte d’Ivoire a d’abord été le fait de la politique de déportation
menée par la République française en vue d’approvisionner en
main d’oeuvre la colonie de Côte d’Ivoire ! Une telle politique
s’est poursuivie avec le président Félix Houphouët-Boigny qui,
en tant que président du syndicat des planteurs de Côte d’Ivoire,
a encouragé le trafic de la main d’oeuvre voltaïque.

Excellences,
Il vous incombe d’assurer, par tous les moyens légaux, la
protection de vos compatriotes de l’extérieur, tout comme vous le
faites pour ceux de l’intérieur. Il vous revient, au pire, de rompre
les relations diplomatiques avec un Etat qui ne respecte ni la vie
humaine de vos ressortissants ni les accords de libre
circulation de personnes et de biens reconnus par la CEDEAO
et l’UEMOA. Les Burkinabè et les Maliens de l’intérieur vous
sauront gré de refuser de cautionner une politique contraire au
droit

Le Tocsin

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Vos commentaires

  • Le 10 décembre 2003 à 21:38, par AK En réponse à : > Crise ivoirienne : lettre ouverte du Tocsin

    Le tocsin a ici explicité en détail tous les sentiments de tous les peuples qui souffrent de cette barbarie des autorités ivoiriennes. Il n’ya aucun dessin supplementaireà faire de cette situation. Combien de temps allons nous continuer à subir cela ? Prenons notre courage en main et sauvons nos frères ivoiriens et immigrés.
    MERCI AU TOCSIN POUR SON ANALYSE .

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