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Tchad : La démocratie sacrifiée sur l’autel de la lutte contre le terrorisme ?

Publié le mercredi 20 avril 2016 à 23h39min

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Tchad : La démocratie sacrifiée sur l’autel de la lutte contre le terrorisme ?

Les tchadiens étaient appelés aux urnes le 10 avril pour élire leur président. Après des semaines de contestations de l’opposition et de la société civile, le scrutin a finalement eu lieu. Mais en début de semaine, le chef de file de l’opposition, Saleh Kebzabo, a annoncé la disparition d’une soixantaine de militaires qui n’auraient pas voté pour le président sortant Idriss Deby. Assiste-t-on au même scénario du 3 février 2008, lorsque l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh était enlevé par des militaires, et porté disparu depuis ?

L’avant élection avait été marqué par des manifestations et des tentatives de manifestations. Contre un 5e mandat du président sortant Idriss Déby, par des opposants et des leaders de la société civile. Pour la réinstauration des intégrations à la fonction publique, par les jeunes diplômés ‘’paumés’’, mais qui en toile de fond surfaient sur la vague de contestation de la candidature de Idriss Déby et sur une élection pliée d’avance.

C’est dans ce climat que les militaires, comme cela se fait sous nos cieux, ont voté la veille de l’ouverture officielle du scrutin, soit le 9 avril. Et à en croire Saleh Kebzabo, principal candidat de l’opposition à l’élection présidentielle, depuis, 60 militaires sont portés disparus. Ils n’auraient pas respecté la consigne de vote de l’armée en faveur du chef de l’État, Idriss Déby Itno.

Le témoignage de Pyrrhus Banadji, président de l’Association pour la promotion des libertés fondamentales au Tchad, indique qu’il y a bien anguille sous roche. « Nous avons été saisis par des parents de victimes qui ont allégué que lors du vote le 9, il semblerait que des chefs militaires s’étaient installés dans les isoloirs pour observer ceux qui ne votaient pas pour le président sortant et étaient arrêtés par la suite et torturés selon les témoignages que nous avons reçus ».

Le défenseur des droits de l’homme a de ce fait, exigé la libération des militaires « arrêtés et détenus dans des lieux secrets », tout en exigeant l’ouverture d’une enquête indépendante pour établir les responsabilités et sanctionner les auteurs de « ces actes inhumains et barbares ».

En tout, des hommes de tenue libérés par la suite ont témoigné de l’état de la situation plus ou moins confuse. Tout porte à croire que l’opposition n’a pas faux sur toute la ligne. En témoigne le cas de Didéo Honoré. Ce fonctionnaire de la police technique et scientifique, a affirmé avoir été détenu au commissariat central de N’Djamena pendant deux heures le 9 avril immédiatement après avoir voté. « Tous ceux qui n’ont pas coché le candidat n°2, IDI (Ndlr. Idriss Déby Itno), ont été emmenés. Nous étions treize. C’est le porte-parole de la police qui est venu nous libérer. Nous sommes aujourd’hui surveillés de près ».

Le gouvernement a balayé du revers de la main les accusations de l’opposition, sans véritablement convaincre. « Si un militaire est parti en mission et qu’il n’a pas l’audace ou la gentillesse d’informer sa famille c’est son problème », a réagi dans les médias tchadiens le ministre de la Sécurité publique, Ahmat Mahamat Bachir. Les disparus seraient donc en mission, visiblement très sécrète. Mais ce n’était pas le cas, de Didéo Honoré, cité plus haut.

Un silence coupable, au nom de la lutte contre le terrorisme ?

C’est dans ce contexte de déclarations et de contre-déclarations que le Tchad vit depuis le 10 avril, dans l’attente des résultats du scrutin. Les organisations régionales, l’Union africaine en tête, se murent dans un silence total. Pas de déclaration ou d’invite des autorités à tirer cette affaire supposée ou réelle de disparition, au clair.

On le comprend, puisque le président Déby, qui sauf tremblement de terre, sera réélu, est en première ligne de la lutte contre le terrorisme. Au mali, comme au Nigéria, les soldats tchadiens ont été ou sont en premières lignes. Bien entrainés et connaissant bien le terrain, ils se sont illustrés dans la traque des fous de Dieu, payant souvent le plus lourd tribut comme au Mali.

Au nom de cet engagement, l’Union africaine et les organisations sous régionales pourraient être tentées de fermer les yeux sur les dérives au Tchad. Sous d’autres cieux, on aurait assisté à une avalanche de critiques, de condamnations et de sanctions, aussi bien de pays africains que d’ailleurs. Mais, même en piètre démocrate, IDI est un partenaire sûr, sur le plan sécuritaire.

En plus le président tchadien est le président en exercice de l’Union africaine, un poste qui a été perçu par beaucoup comme une récompense de son acharnement contre les terroristes.

Tout cela mis ensemble, on comprend aisément que la situation au Tchad n’émeuve pas beaucoup. L’opposition qui a annoncé que certains corps de militaires disparus ont été « retrouvés, charriés par le fleuve » a intérêt à ce que cela soit vrai et que les enquêtes le confirment effectivement. Sinon, elle perdra toute crédibilité aux yeux de l’opinion publique tchadienne. Dans le cas contraire si les « soldats missionnaires » ne rentrent plus au bercail, les jours à venir promettent de ne pas être tranquilles.

On se rappelle que c’est ainsi que l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, porte-parole de l’opposition tchadienne était enlevé par des militaires tchadiens, après une attaque rebelle à Ndjamena. C’était le 3 février 2008. Et depuis, plus rien.

Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net

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