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Politique énergétique : « Si le Président prête une oreille attentive…, l’énergie ne sera plus un luxe pour les Burkinabè », dixit Carl Frank Nikiéma de Gad General Electric

Publié le vendredi 15 avril 2016 à 10h00min

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Politique énergétique : « Si le Président prête une oreille attentive…, l’énergie ne sera plus un luxe pour les Burkinabè », dixit Carl Frank Nikiéma de Gad General Electric

Sur la question récurrente de l’énergie, le nouveau pouvoir a annoncé des « mesures fortes » pour faire face, un tant soit peu, au calvaire des populations et lors de son bilan des 100 jours, le Président du Faso a remis au goût du jour, la nécessité de faire face au défi. Sur le sujet, l’ancien pensionnaire du Lycée technique de Ouagadougou et de l’Université polytechnique de Cotonou, l’Electrotechnicien, Franck Carl Nikiéma, promoteur de « Gad General Electric » apprécie les mesures annoncées du gouvernement et jette un regard global sur le secteur de l’énergie au Burkina.

Lefaso.net : Lors de son bilan des 100 jours à la tête du pays, le Président Roch Kaboré a annoncé que la Banque mondiale a accepté d’appuyer la SONABEL sur le plan de la maintenance ; toute chose qui va occasionner un gain de 30 MW de plus. Cette solution peut-elle être efficace au stade actuel des besoins en énergie de la SONABEL ?

Carl Frank Nikiéma : Il est heureux de constater que le Président du Faso accorde une place de choix à l’énergie et à l’étape actuelle, même si c’est un mégawatt de plus, il faut le faire. Parlant de maintenance, il faut la comprendre dans son ensemble. C’est un diagnostic et dire qu’on gagne 30 mégawatts de plus implique que le diagnostic est déjà fait. La maintenance va permettre d’améliorer le rendement des machines. L’idéal du rendement d’une machine doit être égal à 1. Mais si on a 0,8 à 0, 9%, c’est bon. Donc, c’est ramener les groupes à l’état neuf à 90%. Si ça a été proposé, c’est que le diagnostic est certainement déjà fait par des techniciens avisés. Ce sera une bouffée d’oxygène.

Lefaso.net : Le gouvernement annonce également la construction d’une centrale solaire dans chaque région, les années à venir. Est-ce une bonne option ? Si oui, quelles sont les mesures qu’il faut prendre pour que cela réponde effectivement aux besoins ?

Carl Frank Nikiéma : On peut se réjouir que le gouvernement ait compris que sans énergie, pas de développement. Et en optant pour cela, le gouvernement a certainement fait des études. Doter chaque région d’une centrale permet de pouvoir gérer les différents réseaux. Cela permet aux différentes régions d’avoir une autonomie d’énergie et les avantages sont énormes avec un tel dispositif. A titre illustratif, Ouagadougou était souvent sous l’obscurité parce qu’un câble est coupé quelque part entre Bobo-Dioulasso et Ouagadougou. Les villes sont interdépendantes, de sorte que cette panne se répercute sur les zones servies. Alors qu’une telle situation peut être évitée, si les centrales sont faites par localité. Un autre avantage est lié au fait qu’au niveau des localités, les consommations ne sont pas les mêmes, de sorte que si la production est locale, ça va permettre une gestion rationnelle que si l’on y injectait. Un autre avantage immédiatement visible est que cette politique va permettre une électrification rapide des localités.
Ce qu’on souhaite maintenant, est que les entreprises nationales, l’expertise nationale soit mise à contribution parce que dans ce genre de réalisations, on a vraiment tendance à voir les travaux confiés aux multinationales. Les entreprises locales se contentant seulement de l’exécution à travers la sous-traitance. Et là également, les contrats de sous-traitance avec les multinationales ne sont pas encore bien encadrés par les textes dans notre pays. Pourtant, sans des textes qui encadrent, les entreprises nationales sont à la merci de ces multinationales.

Lefaso.net : Il y a le fait qu’on reproche aux entreprises nationales, certaines insuffisances …

Carl Frank Nikiéma : Voilà pourquoi je parlais plus haut de textes pour encadrer et c’est de façon globale. Le secteur n’est pas encadré au Burkina, de sorte que quiconque a de l’argent, peut se payer un contrat et s’ériger en entreprise d’énergie. Pour s’en convaincre, prenez les appels d’offres. Ces appels mettent l’accent sur les chiffres d’affaires des entreprises de sorte qu’il faut avoir un certain poids financier pour pouvoir postuler. Alors que nous pensons que les critères devaient être basés plutôt sur les qualifications, l’agrément, le nombre de spécialistes dans l’entreprise (il y a des agréments pour la construction électrique par exemple). Bref, les aspects techniques et de compétences devraient, à notre avis, être mis en avant. Pourtant, quand on parle d’expertises en la matière, le Burkina est l’un des meilleurs dans la sous-région. Nous avons fait les mêmes écoles de formation et même lors des séminaires internationaux lorsqu’on se rencontre, les Burkinabè honorent par leur rang. Et pour se convaincre également de cette expertise nationale, faites un tour dans la sous-région, et regardez comment est fait le réseau électrique ; vous constaterez que celui du Burkina est bien différent, de par même l’esthétique (les poteaux de conduite de l’électricité et autres pylônes).
En réalité, quand les multinationales arrivent ici, ce ne sont pas elles qui travaillent ; elles sous-traitent avec les entreprises nationales qui, elles, exécutent le travail. D’ailleurs, quand ces sociétés arrivent, en général, elles ne dépassent pas (en personnel) quelques personnes (souvent, le chef de projet, leur technicien chargé du contrôle, un magasinier, un comptable, un cuisinier). C’est donc dire que l’expertise nationale y est. Il faut seulement une politique nationale d’accompagnement et de valorisation des compétences nationales.Et c’est d’ailleurs parce qu’on a une expertise qu’on est sollicité dans la sous-région pour réaliser des études en matière d’énergie, des audits énergétiques, etc. !

Lefaso.net : Revenons à l’existant. Avec le solaire, l’on constate que de nombreux citoyens se plaignent de la qualité, de l’efficacité du jus fourni. Où est-ce qu’il faut situer le problème : le matériel et/ou la compétence technique ?

Carl Frank Nikiéma : Les citoyens qui se plaignent sont en réalité victimes de gens qui s’improvisent installateurs. Avant de faire une installation solaire, il faut faire appel à des spécialistes, qui vont faire un dimensionnement de votre besoin. Le dimensionnement consiste en une sorte d’évaluation de ce que la personne possède comme matériel électronique. Et sur la base de ce recensement, on cherche à comprendre ce que la personne a comme bourse à injecter dans son projet. Sur cette base, on fait ce qu’on appelle une installation optimale. Donc, l’installation se fait en fonction des besoins actuels de la personne et en ouvrant une possibilité pour une extension à souhait, parce qu’on se dit que certainement, la personne aura besoin d’améliorer ses installations au fur et à mesure qu’elle acquiert du matériel électronique. Souvent, on voit des propositions affichées en matière d’offres et qui donnent des garanties de 50 ans, pourtant les plaques elles-mêmes ont une durée de vie moyenne de 25 ans. Même le leader mondial des accessoires électriques ne donne pas 50 ans de garantie. Les gens doivent donc prendre le soin d’avoir les informations qu’il faut avant de faire leurs installations.

Lefaso.net : Il y a certainement le facteur coût aussi qui fait que les gens se rabattent sur le plus accessible !

Carl Frank Nikiéma : Le coût, c’est relatif parce que réellement, ceux qui ne sont pas du domaine et qui s’improvisent coûtent encore plus chers. Ils vont vous dire qu’ils vont faire le travail à un prix que vous estimez bas mais en réalité, vous allez en souffrir. Pire, vous serez toujours obligé de débourser de l’argent à tout moment pour vous dépanner. Donc, non seulement votre matériel est exposé, vous ne pouvez pas non plus en faire une bonne utilisation mais également, vous êtes condamné à dépenser fréquemment. Au finish, vous vous retrouvez avec une somme colossale que si vous aviez fait appel à un vrai spécialiste.
Cette situation de vulnérabilité du consommateur est aussi due au fait que le secteur n’est pas sécurisé ; nous n’avons pas une structure au Burkina qui régule, qui vérifie l’authenticité des acteurs (comme on le voit dans d’autres secteurs d’activités, comme la ligue des consommateurs). Au Burkina actuellement, il suffit d’avoir les moyens financiers et vous partez fabriquer n’importe quelle marque pour la vendre sur le marché. On voit des plaques solaires sur lesquelles sont portées certaines informations…, alors qu’elles ne répondent en réalité à aucune norme. Quand on prend les normes européennes, les plaques ont une durée de 25 ans de vie. Ces mêmes nous reviennent ici en « France Au-revoir » et après quinze ans d’usage par exemple, et dans des conditions de transport qui laissent souvent des fissures sur les plaques. Donc, on ne peut plus, logiquement, dire que ces plaques ont une durée de vie de 25 ans ; puisqu’elles ont déjà été utilisées ! Mais on voit toutes ces plaques vendues ici et avec les informations de départ. Ce n’est pas juste et ce n’est pas honnête. D’où la nécessité de consulter des spécialistes qui peuvent vous fournir les vraies informations et faire une installation fiable en fonction de votre bourse et avec possibilité d’extension au fur et à mesure.

Lefaso.net : L’Etat n’a-t-il pas une part de responsabilité dans la situation actuelle, lorsqu’on sait qu’un contrôle du matériel peut être envisagé ?

Carl Frank Nikiéma : On dit communément que l’Etat est une ‘’poubelle’’. C’est dire qu’il reçoit tout et c’est à lui de faire le tri. Quand on tombe dans le fatalisme, on regarde l’Etat. Or, quoi qu’on dise, l’Etat ne peut pas tout faire. Mais, il peut accompagner les acteurs, les professionnels reconnus par les structures compétentes de l’Etat et qui exercent normalement. Il faut que l’Etat accompagne ces entreprises afin qu’elles soient viables. Ce qui suppose qu’il y ait une concertation entre l’Etat et les acteurs afin d’assainir le milieu. Cela va même aider l’Etat. Il faut dans ce sens des structures de contrôle de conformité.
En Côte d’Ivoire par exemple, une structure de contrôle de conformité existe. Dans certains pays anglophones, il y a même une police spéciale pour le contrôle des installations. Certainement que l’Etat burkinabè y pense, parce qu’il a toutes les compétences pour cela. A l’image de la ligue des consommateurs, il faut aussi une structure de ce genre pour contrôler le matériel entrant. Il faut trouver des spécialistes au niveau de la Douane et autres services frontaliers (aériens et terrestres) pour contrôler le matériel qui entre. Sinon, aujourd’hui, vous trouverez sur le marché, des câbles électriques constitués de fer. Et comme cela, quand vous branchez votre matériel, ça se chauffe et ça provoque des désagréments parce que le fer n’est pas conseillé comme conducteur ; c’est plutôt le cuivre qui est indiqué. Vous verrez aussi des câbles où c’est écrit 1,5 mm alors qu’en réalité, c’est autour de 0,75 mm tandis que sur certains, c’est écrit 16 mm alors qu’en réalité, c’est 4 mm. Tout cela, pour dire que le secteur n’est pas protégé et cela rend victime, le consommateur. Il faut donc trouver un cadre qui va regrouper l’Etat et des spécialistes qui vont aider dans le contrôle. Donc, l’Etat doit aider à l’aider. C’est impératif. Je vous donne un exemple : aujourd’hui, les élèves des lycées professionnels sont en train de faire des grèves pour demander en réalité, le b.a.-ba. Ils demandent des appareils de mesures qui sont les fondamentaux. Mais, si ces appareils manquent dans leur établissement, ils vont sortir dire qu’ils sont qui, de quelle spécialité ? Dire qu’ils sont des électriciens alors qu’ils ne sont même pas à mesure de lire la courbe de l’électricité, de calculer les ondulations, etc. ! Comment peuvent-ils être des spécialistes, si de simples appareils de mesures manquent ? Un Etat qui veut émerger doit bien former ses enfants. Si l’Etat forme mal ses jeunes, c’est normal qu’on dise après que les nationaux ne sont pas qualifiés et qu’il faut faire appel à l’expertise internationale ; parce qu’il sait lui-même que leur formation n’est pas à la hauteur ! Il faut donc, pour combler ces lacunes, penser à trouver un cadre de perfectionnement, de formation continue des techniciens pour qu’un jour, nos politiques puissent aussi dire que le Burkina est fier de présenter une telle technologie.

Lefaso.net : Quand vous dites de soutenir les acteurs…., voulez-vous parler des attributions des marchés ?

Carl Frank Nikiéma : Je vous donne un exemple d’un marché qu’on a lancé et dans les critères, on demande que le soumissionnaire ait obtenu au minimum 100 millions de chiffres d’affaires ces trois dernières années, attestés par des impôts. On demande aussi d’avoir exécuté des marchés similaires. Ce qui est vraiment un obstacle pour les jeunes entreprises qui, bien qu’ayant toutes les compétences, ne peuvent pas postuler parce qu’elles ne remplissent pas les conditions financières posées. Dans ces situations, on ne peut pas concurrencer avec les personnes qui n’ont pas fait de formation dans le domaine mais qui ont la puissance financière ; puisque les textes permettent à qui a l’argent de constituer sa société et de prendre des marchés. Quitte à ce que l’exécution laisse à désirer ! Pour s’en convaincre, empruntez certaines voies éclairées avec le solaire, vous verrez l’état actuel ; on n’a pas besoin d’être un spécialiste pour comprendre qu’il y a problème. En l’espace de quelques mois seulement, les choses commencent à dégringoler. Alors que l’éclairage, c’est par intermittence. Donc, c’est la preuve que ces pratiques empêchent des professionnels qui, parce que n’étant bien solides financièrement, perdent les marchés. Les banques aussi n’accompagnent pas assez les jeunes entreprises, si fait que dans ces conditions, elles sont obligées de se focaliser sur la sous-traitance. Qui a l’argent dans ce pays crée son entreprise, paie le contrat et s’accapare le marché. C’est une insuffisance du milieu, cela est criard et pour de jeunes entreprises, c’est difficile. Pourtant, à notre avis, les critères devaient se focaliser sur les compétences techniques, l’agrément du ministère des mines et de l’énergie, etc. Mais, lorsqu’on fait une analyse financière sans qu’on vous demande si vous avez un agrément ou si vous êtes spécialisé pour…, ça pose problème.
Un autre élément très important est qu’on voit souvent au niveau des constructions des bâtiments, tous les lots sont attribués à la même entreprise de BTP (c’est-à-dire à l’entreprise de construction). Alors qu’il est conseillé d’éclater en lots dont celui de l’électricité à part. Et quand c’est ainsi fait, il y a des failles parce que le spécialiste en bâtiment n’a pas forcément les compétences requises pour le volet énergie. C’est pourquoi vous constaterez aujourd’hui que même des bâtiments administratifs sont sujets à des incendies un peu partout.

Lefaso.net : Si vous vous retrouviez à l’instant même face au Président Roch Kaboré, quelles pourraient être vos propositions pour une bonne politique énergétique les cinq années à venir ?

Carl Frank Nikiéma : Il y a un proverbe mossi qui dit que si un bœuf lape une meule de sel et qu’une chèvre vient encore pour laper, c’est qu’il cherche simplement le nom. Sinon, qu’est-ce qui peut rester encore après que le bœuf ait lapé ? Juste pour dire que le Président est déjà bien entouré. Son ministre de l’énergie est un spécialiste du domaine, un Professeur, qui était même son conseiller en énergie et quand on lit son programme en la matière, je pense qu’on ne peut rien réinventer. Le ministre a également des collaborateurs bien avertis à l’image de son directeur général à l’énergie conventionnelle, Monsieur Yanogo, qui est même un ancien de la SONABEL et qui est un ingénieur chevronné. Je pense que s’il prête une oreille attentive à tous ces spécialistes qu’il a autour de lui, ce sera une bonne chose pour le pays. Ils connaissent très bien le milieu et je pense qu’à la fin, il sera satisfait et l’énergie ne sera plus un luxe pour les Burkinabè.

Entretien réalisé par :
Oumar L. OUEDRAOGO
(oumarpro226@gmail.com)
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