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l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière : 70 ans de présence au Burkina

Publié le lundi 2 mai 2005 à 09h19min

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1936-2005. Cela fait quasiment 70 ans que l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière fait son chemin dans la voie de la solidarité et du développement. Au nombre des bénéficiaires des pays du Sud, le Burkina où l’OSEO est implantée depuis 1974.

En près de 35 ans de présence, l’OSEO diversifie son action, son partenariat au point d’occuper une place de choix.

Son représentant dans notre pays, Paul Taryam Ilboudo, titulaire d’un Diplôme d’études approndies en sciences de l’éducation et linguistique a accordé un entretien à Sidwaya Plus, où il parle des activités de l’OSEO, sa philosophie etc.

Sidwaya Plus (S.P.) : Qu’est-ce que l’OSEO ?

Paul Taryam Ilboudo (P.T.I.) : L’OSEO est l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière. C’est une ONG suisse, créée en 1936 par le Parti socialiste suisse et les syndicats. Deux raisons essentielles ont motivé la création de cette ONG. La première, ce sont les affres de la guerre d’Espagne qui mettaient dans la rue des veuves, des orphelins. Il fallait se solidariser de ce peuple qui souffrait. La deuxième raison est interne. En Suisse, comme dans la plupart des pays européens, il y avait la grande crise des années 30. Aussi y avait-il la famine, la maladie, la pauvreté. Ainsi, dès sa création, l’OSEO s’est positionnée comme un mouvement de solidarité, sur le plan national et sur le plan international. L’OSEO est l’une des quatre grandes œuvres d’entraide de Suisse. La partie suisse s’occupe du chômage. Il y a également, les réfugiés. L’OSEO s’occupe de leur accueil, leur insertion dans la société suisse mais également de leur préparation au retour dans leur pays d’origine. L’alphabétisation en Suisse est aussi l’un des domaines d’intervention de l’ONG ainsi que la lutte contre l’illétrisme.

A l’étranger, l’OSEO a opté de travailler dans les pays les plus pauvres où elle se positionne auprès des publics vulnérables. En Amérique latine, l’OSEO travaille au Nicaragua, au Salvador, en Bolivie. En Afrique, il y a le Burkina Faso, le Mozambique et l’Afrique du Sud. En Europe de l’Est, l’OSEO travaille en Roumanie, au Kossovo, en Bulgarie, en Macédoine. Tout dernièrement, des programmes sont nés en Asie, au Sri-Lanka, en Inde, etc.

S.P. : Quelles sont les sources de financement d’une telle ONG et comment arrive-t-elle à coordonner ses activités à travers le monde ?

P.T.I. : En ce qui concerne la coordination, l’OSEO a, dans chaque pays, un bureau de coordination qui s’occupe des activités du programme. Nous avons deux volets dans la coopération internationale : le volet aide au développement et celui de l’aide d’urgence. Le plus important de ces deux est celui de l’aide au développement. Au Burkina, nous appliquons le volet aide au développement. D’autres pays appliquent l’aide d’urgence. Surtout dans les pays victimes de catastrophes naturelles ou humaines : les guerres, les tremblements de terre, les inondations... Quant aux sources de financement, comme toute œuvre d’entraide, la première source de financement est la cotisation de ses membres. Il y a également l’aide que nous recevons de la Confédération helvétique. Dans la plupart des pays développés, le gouvernement soutient le travail des œuvres d’entraide en finançant une partie de leurs activités. Nous recevons aussi des financements des cantons suisses et d’un certain nombre de personnes de bonne volonté, sensibles aux idéaux de l’OSEO. En plus, nous bénéficions du soutien d’un certain nombre de pays voisins tels que le Centre Liechtenteinois de développement.

Dans des pays comme le Burkina, il y a des coopérations qui sont très sensibles à la qualité de certains de nos programmes et qui décident de nous soutenir. C’est l’exemple de l’éducation bilingue au Burkina avec l’ambassade royale des Pays-Bas, Oxfam-Belgique, qui s’engagent aux côtés de l’OSEO avec des volumes financiers pour aider à l’avancée de cette question préoccupante. L’Eglise catholique s’est aussi engagée et finance d’une manière ou d’une autre, son programme à travers la construction d’écoles, la rémunération de ses enseignants, etc. A l’intérieur des pays, il y a d’autres sources de financement complémentaires à nos programmes.

S.P. : En quoi se résume la philosophie de l’OSEO ?

P.T.I. : Pour l’OSEO, on se développe, on ne développe pas. Nous sommes conscients que dans les pays où nous coopérons, nous sommes incapables de promouvoir le développement. Le développement est un processus endogène. Prenons l’exemple de la graine de haricot. La graine de haricot a besoin seulement d’un peu de terre, quelques gouttes d’eau et des rayons du soleil. Et c’est la graine qui va germer, pousser des racines, des fleurs, des feuilles et fructifier. Pour nous, c’est cette vision du développement qui prévaut. L’OSEO estime qu’elle ne peut qu’accompagner le processus de développement des pays dans lesquels nous sommes implantés. A cet effet, nous coopérons avec les structures étatiques, mais surtout avec la société civile : les ONG, les associations, les mouvements de défense des droits humains... Cela est extrêmement important. Ces structures sont capables de promouvoir le développement dans les pays où nous travaillons. De ce fait, nous nous positionnons comme source d’appui. Nous accompagnons les efforts de développement. Pour nous, ces associations, ces ONG, ces structures étatiques connaissent leurs besoins, sont capables de les identifier, de les traduire en objectifs, de formuler les activités nécessaires en vue d’atteindre les objectifs et produire l’impact de changement. Ce qui leur manque quelquefois, c’est peut-être la formation, la qualification des hommes et des femmes, l’équipement, les financements, etc. C’est là que nous nous positionnons pour apporter notre appui sur le plan de la formation, de l’appui-conseil, du financement, de l’équipement. Mais il revient d’abord aux hommes et aux femmes de ce pays de s’organiser pour s’en sortir. C’est la seule voie, personne ne peut aider les gens à s’en sortir. C’est pourquoi, l’OSEO refuse d’avoir des programmes directement sur le terrain. Nous travaillons en partenariat avec les structures étatiques ou la société civile.

S.P. : Quelles sont les lignes directrices de l’OSEO internationale ?

P.T.I. : L’OSEO internationale a ses lignes directrices qui sont relues en fonction des réalités de chaque pays. Au Burkina Faso, nous avons quatre (4) lignes directrices qui guident notre coopération. La première est l’éducation de base : formelle et non formelle. Nous sommes convaincus que l’éducation est le soubassement du développement. Elle est un puissant levier du développement. Quand nous parlons d’éducation formelle et non formelle, nous essayons de réfléchir avec les partenaires burkinabè sur comment éduquer mieux et autrement. Nous proposons des innovations éducatives pour améliorer la qualité de l’éducation, mais aussi réduire les coûts qui sont un paramètre très important dans des pays à revenu modeste.

La deuxième ligne directrice est le développement rural avec un accent mis sur l’appui aux Activités génératrices de revenus (AGR). De ce fait, il faut accompagner par des activités qui permettent de créer des revenus de façon à ce que les associations, les ONG qui œuvrent avec nous puissent créer leurs propres richesses et ainsi se substituer au fur et à mesure à nous pour prendre en charge leur développement.

La troisième ligne directrice est l’appui à la promotion des droits humains. Le Burkina est l’un des pays où il y a des lois très progressistes. Prenez le code des personnes et de la famille. Il est l’un des textes les plus avancés, j’allais dire même au monde. Mais le problème qui se pose est que ces lois qui protègent le citoyen sont doublement étrangères par la langue et le langage. Par la langue, parce que ces lois sont en français et il n’y a que 11% de francophones et 1,09% de francophones confirmés selon l’étude de Yaro et Bareto. Les gens n’y ont pas accès parce que la grande majorité ne comprend pas la langue de ces lois. Il y a aussi le langage. Parce que même vous et moi, peut-être vous, mais pas moi (rire) qui comprenons un peu le français. Est-ce que nous comprenons le langage juridique ?

Alors, nous essayons à travers cette ligne directrice de traduire en français simple avec les juristes, bien sûr, ces lois. Mais aussi, d’aller plus en avant en traduisant dans les langues du Burkina, afin de rendre accessibles ces lois par la grande majorité. Toujours dans cette troisième ligne directrice, il y a la question des genres, l’équité entre homme et femme. Nous sommes également sensibles à la démocratisation de l’information. A cet effet, nous soutenons l’association des éditeurs, publicateurs de journaux en langues nationales, une collectivité d’une vingtaine de journaux. Ce, pour essayer de démocratiser l’information. Je vous félicite parce que lorsque nous vous lisons, nous sommes très contents mais, combien de personnes ont accès à ces journaux ? Il n’y a aucun quotidien dans l’une des langues nationales.

La quatrième ligne directrice de notre programme est l’appui au renforcement institutionnel et au développement des capacités. Nous travaillons dans une perspective d’auto-promotion. La réalisation de l’autopromotion est basée sur quatre piliers éssentiels. Le premier pilier et le plus important : la confiance en soi, c’est-à-dire croire en ses capacités de s’en sortir et de se développer. Le deuxième est le pouvoir qui décide des options fondamentales du futur. Ensuite, l’avoir et le dernier, non le moindre, le savoir.

S.P. : Depuis quand l’OSEO est installée au Burkina et quelles ont été ses actions ?

P.T.I. : L’OSEO travaille au Burkina depuis 1974. Cela fait 35 ans de coopération. Les premières actions de l’OSEO étaient la formation des artisans ruraux. A la demande du gouvernement burkinabè et en synergie d’action avec la coopération suisse, on formait les forgerons pour la production des charrues, des charrettes et des pièces détachées au niveau des villages dans le but de mécaniser l’agriculture. A l’issue de cela, le gouvernement a demandé à l’OSEO d’accélérer parce qu’il avait besoin de plus de charrues et de charrettes pour doter le monde agricole. D’où la naissance du Projet APICOMA (Atelier pilote de construction de matériels agricoles) pour la fabrication des charrues, des charrettes, des semoirs, etc. à Kossodo (secteur 25 de Ouagadougou). Quand l’OSEO a constaté que les Burkinabè étaient capable de faire fonctionner cette industrie moyenne, il y a eu une remise officielle à l’Etat de l’industrie et de son capital. Par la suite, l’OSEO a réalisé un autre volet de l’APICOMA qui est la fabrication des pompes INDIA. Une usine de fabrication d’une capacité de 900 pompes l’an. C’était en partenariat avec le ministère du Travail. En 1983, l’Etat burkinabè a sollicité à l’OSEO un appui pour le développement de l’alphabétisation et l’éducation des adultes. L’OSEO a installé à cet effet, l’imprimerie de l’alphabétisation de l’Institut national d’alphabétisation (INA) qui a permis de produire une centaine de milliers de manuels pour l’alphabétisation dans la vingtaine de langues au Burkina Faso.

Ensuite, l’OSEO s’est engagée avec la société civile : les ONG, les associations. Dans ces dernières, il y a trois types : les associations paysannes, mixtes ou d’opinion telles que l’Association des journalistes en langues nationales, les mouvements de défense des droits humains, les syndicats, etc. A partir de cet instant, nous avons commencé à mettre en œuvre les 4 lignes directrices dont j’ai fait cas tout à l’heure.

S.P. : Comment s’est opéré votre partenariat dans le cadre de l’éducation bilingue ?

P.T.I. : En réalité, nous répondons à des besoins. Nous avons commencé avec l’un de nos partenaires : l’association Manegdbzanga qui veut dire développement pour tous en langue mooré. Cette association menait des activités d’alphabétisation liées au développement agricole et économique. Cette association, sachant lire, écrire, calculer, faire la comptabilité, les états financiers, les comptes d’exploitation et le bilan en mooré, nous a demandé de l’aider à apprendre le français afin qu’elle puisse communiquer avec ses partenaires français. Et même lire et comprendre les documents administratifs. Alors, des chercheurs burkinabè ont mis au point une méthode appelée méthode d’apprentissage de la langue française à partir des acquis de l’alphabétisation, la méthode ALFA. Ces personnes qui savaient lire en mooré ont pu apprendre le français en 96 jours. Après l’évaluation, la méthode a été améliorée et portée maintenant à 150 jours. Donc, avec n’importe quelle langue du Burkina Faso, si tu sais lire, écrire et calculer correctement dans cette langue, en 150 jours de formation, tu apprends le français et tu atteints le niveau le CM2. Les adultes, au vu de cette performance, se sont dit : "mais pourquoi ne pas apprendre aux enfants qui vont aux centres d’alphabétisation qui sont trop vieux pour aller à l’école et trop jeunes pour les centres d’alphabétisation " Il faut avoir 15 ans pour aller dans un centre d’alphabétisation. Donc, des enfants de 9 à 14 ans. Nous avons au vu du contexte, proposé une scolarité de récupération pour ces enfants. Et en 4 ans, ils ont fait un résultat qui a étonné et permis aux autorités de comprendre que cela peut être une voie de salut pour notre système éducatif. D’où l’avènement de l’éducation bilingue.

S.P. : Après 35 ans de présence au Burkina, quel bilan faites-vous de cette présence ?

P.T.I. : Théoriquement, ce n’est pas à nous de faire le bilan (rires). De notre côté, je pense que le bilan est positif mais, je crois que ce sont les autorités qui peuvent le dire. D’une manière générale, les autorités l’ont dit. L’OSEO a été décorée par le chef de l’Etat chevalier de l’Ordre du mérite burkinabè. Je pense que c’est une manière pour les autorités de reconnaître l’effort qui a été fait par notre organisation. D’autres organisations nous ont aussi manifesté leur intérêt. Le FAWE, l’Association des femmes éducatrices d’Afrique qui a son siège à Nairobi, la Francophonie, en plus du certificat de reconnaissance nous a déclaré la personnalité francophone de l’année 2005. Ce sont là, des indicateurs qui montrent que çà et là, un certain nombre d’acteurs de la société pensent que nous contribuons positivement à quelque chose. Cela nous va droit au cœur, mais nous interpelle à mieux faire.

S.P. : Qu’est-ce qui motive un bailleur de fonds à s’intéresser et à financer un projet ?

P.T.I. : Cela dépend de quel bailleur il s’agit. L’OSEO ne se positionne pas comme un bailleur. Nous nous positionnons comme un partenaire de coopération. Cela est très important parce que nous ne baillons pas seulement des fonds, nous baillons aussi des idées. Nous faisons avec le partenaire et ensemble nous sommes dans le même bateau pour réussir ensemble. Cette approche est un peu différente. Peut-être un an ou 2 ans pour voir si cela marché. Chez nous, c’est au partenaire de dire ce qu’il veut et on discute. Par la suite, nous pouvons les appuyer avec le financement. Mais étant donné que l’organisation du développement est une école, un apprentissage, nous essayons donc de voir quelle est la meilleure stratégie, les meilleures formations, les meilleurs chemins à emprunter pour atteindre les objectifs. Ce, afin de produire suffisamment d’effet et mieux atteindre un impact qui provoquera un changement positif dans la vie des individus et de toute l’organisation.

Il est important pour les pays en voie de développement que la société civile joue correctement son rôle auprès des autorités publiques. Selon ma modeste, personne il y a tellement à faire qu’il y a de la place pour tout le monde. Et il faut que tout le monde fasse un travail de qualité qui réponde aux besoins fondamentaux des bénéficiaires tels que définis par eux-mêmes. En travaillant dans la qualification des hommes et des femmes, en mettant l’accent sur l’éducation (qui ne se résume pas seulement à l’école), nous pouvons transformer nos réalités au profit de notre peuple.

Entretien réalisé par Daouda Emile OUEDRAOGO (ouedro1@yahoo.fr)
Sidwaya

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