LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

La perception de l’assainissement autonome dans le village de Guirgo, commune urbaine de Kombissiri

Publié le vendredi 22 janvier 2016 à 00h59min

PARTAGER :                          
La perception de l’assainissement autonome dans le village de Guirgo, commune urbaine de Kombissiri

L’un des objectifs à atteindre par les Objectifs du Millénaire pour le Développement OMD était de créer les conditions pour l’accès des populations à l’eau potable et aux services d’assainissement de base. Dans le cadre de l’atteinte de cet objectif, l’Etat burkinabè, premier et principal intervenant, a été appuyé par des Organisations Non Gouvernementales, des Institutions Internationales et des Partenaires Techniques et Financiers (PTF).

C’est ainsi que, en décembre 2006, le gouvernement du Burkina Faso a adopté, le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement (PN-AEPA). Ce programme visait à « réduire de moitié d’ici 2015 la proportion de personnes en milieu rural n’ayant pas un accès adéquat à l’eau potable et au service de base de l’assainissement ». Le défi, en d’autres termes, était de fournir l’eau potable à « 4 millions de personnes supplémentaires » dans le milieu rural, permettant de passer d’un taux de 60 % en 2005 à 80 % en 2015. Dans le même temps, le PN-AEPA visait à « faire passer le taux d’accès à l’assainissement de 10 % en 2005 à 54 % en 2015 », soit 5,7 millions de personnes.

En milieu urbain, le PN-AEPA s’est fixé pour objectif « la fourniture d’un accès adéquat à l’eau potable à 1,8 million de personnes sur le périmètre des 56 centres qui seront gérés par l’ONEA à l’horizon 2015 » tandis que l’accès à l’assainissement devait concerner 2,1 millions de personnes, soit 57 % en 2015 alors que ce taux était de 14 % en 2005.

Outre sa contribution dans la mise en œuvre des OMD, le PN-AEPA bénéficie de facteurs favorables que sont : l’adoption du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté ; celui du Programme d’actions pour la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (PAGIRE), la signature en janvier 2007 du Mémorandum d’Entente entre le Gouvernement et les PTF/Eau et Assainissement pour soutenir la mise en œuvre du PN-AEPA , l’adoption en juillet 2007 du document de politique et stratégies nationales d’assainissement ; l’approche partenariale avec tous les acteurs du secteur pour la mise en œuvre du Programme, l’adoption d’un Plan stratégique de communication en matière d’hygiène publique en 2007, l’adoption de la Politique nationale de communication pour le développement (PNCD) en 2000, le renforcement des capacités des acteurs du secteur privé dans le domaine de l’eau potable et de l’assainissement, la volonté de se doter d’un Plan Sectoriel de Communication sur le PN-AEPA.

Malgré ces textes juridiques et réglementaires, les multiples efforts du gouvernement et l’accompagnement des Partenaires Techniques et Financiers et des ONG dans le domaine, les Objectifs du Milliaire pour le Développement (OMD) dans le secteur sont loin d’avoir été atteints à l’échéance de 2015.
Les disparités sont surtout beaucoup plus perceptibles en milieu rural où l’assainissement familial est demeuré un phénomène plus que marginal.

De la première enquête nationale sur l’accès des ménages aux ouvrages d’assainissement familial (ENA- 2010) qui avait pour objectif général d’obtenir des données statistiques fiables sur l’accès des ménages aux ouvrages d’assainissement familial au niveau national, régional et provincial, il ressort que seulement 3.1% des ménages au niveau national ont accès aux ouvrages d’assainissement familial. Ce taux, inférieur aux estimations faites jusqu’à présent, masque une importante disparité selon le milieu d’habitation. Ainsi, près de 10% de ménages urbains et moins de 1% de ménages ruraux ont accès à l’assainissement familial.

L’utilisation de la nature comme lieu d’aisance est une pratique répandue au Burkina Faso. Elle concerne 6 ménages sur 10. La situation est cependant radicalement différente selon le milieu d’habitation. En milieu rural, 8 ménages sur 10 n’utilisent pas de latrines. Par contre, en milieu urbain, le phénomène est inverse car ce sont près de 9 ménages sur 10 qui utilisent une latrine quel que soit le type de technologie considéré. Bien que la pratique de défécation dans la nature subsiste en milieu urbain, elle est essentiellement rurale. La défécation à l’air libre, la non adoption des latrines pose de fait un problème de santé publique, lié qu’il est à des préoccupations environnementales. Ces problèmes de santé publique, qui se manifestent par toutes sortes de maladies hydriques et diarrhéiques, peuvent avoir des origines structurelles, politiques, économiques, mais elles sont avant tout des raisons culturelles.

Sur cet aspect, il importerait de cerner les logiques des acteurs, leurs rapports avec la nature et les latrines, le lien qu’ils établiraient avec les logiques sociales et les problèmes de santé. Après le diagnostic, le but est de dégager les solutions possibles avec les populations. Ce faisant, imaginer des solutions avec les populations locales à propos de problèmes les concernant, c’est comprendre et mettre en évidence les approches participatives dans ce genre de processus.

Une étude de terrain menée en 2015 montre que les populations rurales dans leur majorité sont conscientes du lien entre l’utilisation de la nature comme lieux d’aisance et de nombreuses maladies notamment diarrhéiques telles la dysenterie et le choléra. Elles reconnaissent que ces maladies ont des conséquences sur la santé de l’homme. Les dangers que représente l’utilisation de la brousse comme lieux d’aisance sont également notés par certains enquêtés qui reconnaissent les risques qu’ils prennent en faisant cela. Il s’agit surtout de ceux liés aux morsures de serpent. En plus de cela, les populations rurales se rendent compte que la nature n’est pas infinie. Sous l’effet des aléas climatiques, mais surtout des actions anthropiques, la nature ou plutôt la brousse est en train de finir, elle recule de plus en plus. Les abords des villages ne constituent plus la brousse d’à côté où l’on peut se cacher pour des besoins comme la défécation. Pour cela, cette pratique devient de plus en plus difficile en raison du fait que l’intimité qu’offrait la brousse devient impossible, notamment pendant le jour.
Pourtant il y a de la résistance quant à l’utilisation des latrines. La raison de cette non utilisation est liée à la honte par rapport au regard de l’autre. Ils éprouvent de la honte de rentrer dans une latrine au sein de la concession ou à côté pendant que tous les autres membres de la famille ou de la société les regardent. Cette honte devient encore plus grande lorsqu’il s’agit des latrines publiques (photo 1).

Cependant ils reconnaissent que se retrouver à découvert dans une brousse qui ne cache plus pose de fait le même problème de la honte. Entre deux maux, le choix des latrines qui malgré tout cache la nudité constitue une alternative et une perspective pour que les populations rurales adoptent les règles et normes en matière d’assainissement autonome. Pour autant, la prise de conscience de la question sous l’angle de la honte et de la santé publique n’occasionne pas une adoption automatique des règles. Cette prise de conscience constitue seulement une opportunité, une condition favorable de réception de tout discours de changement. Ce qui nécessite le recours à la communication comme possibilité de construire des schèmes intellectuels et culturels, porteurs de sens afin de justifier et légitimer les nécessités de changement.

A l’heure actuelle, les processus de communication autour de l’assainissement autonome en milieu rural au Burkina Faso passent par la mobilisation d’acteurs stratégiques, avec les moyens et les mécanismes de bord.

Les acteurs de premier plan dans les processus de développement rural sont les acteurs traditionnels dans tout processus de transformation sociale. Ce sont généralement les leaders d’opinion, les chefs traditionnels coutumiers, les chefs religieux, les conseillers villageois de développement (CVD), les agents des structures déconcentrées de l’Etat, les groupements et associations diverses, les ONG, mais aussi, pour le cas de l’assainissement autonome, les chefs de concessions et/ou de familles, de ménage. Chacun de ces acteurs a un rôle important à jouer dans le domaine de l’assainissement.

C’est ainsi que les ONG ont un rôle dans la sensibilisation, la formation et l’accompagnement des populations rurales dans le processus de développement qui est mis en évidence. Il est vrai qu’autour des ONG, il se développe souvent une culture de l’assistanat. En discutant avec les populations de Guirgo, on a l’impression que la plupart des latrines disponibles dans le village sont le fait de partenaires extérieurs, par le fait de dons aux populations (cf. photo 2 ) ; avant de regretter que de telles initiatives ne se renouvellent régulièrement.

Pour cela, ils ont coutume d’incriminer, dans leurs résistances au changement, le manque ou la faiblesse des ressources financières quand bien même, ils ont conscience que la survenue d’une maladie liée à l’hygiène et l’assainissement leur ferait dépenser beaucoup plus d’’argent.

Les faiblesses ou l’insuffisance des ressources financières sont avancées pour expliciter là où sont les priorités des populations rurales. Investir dans une latrine alors qu’habituellement, c’est la nature, la broussaille qu’offre la nature qui tient lieu de lieux d’aisance, devient comme une dépense qui porte atteinte aux dépenses utiles du ménage.

A côté des ONG, ce sont les associations qui constituent, au niveau local, une interface nécessaire et utile d’information, de formation, de sensibilisation, entre les populations, les ONG, l’administration et les politiques. Elles sont porteuses de projet de changement social, mais aussi de pratiques concrètes dans lesquelles la communication tient une place centrale. Elles sont dotées d’une expertise et d’une compétence à agir dans la durée, et qui leur permettent d’assurer la mobilisation des acteurs autour d’intérêts spécifiques et divers. Pour ces acteurs principaux, il y a lieu de les accompagner par un plan de communication adapté et participatif.

Les outils utilisés dans les différents processus de communication sont certes divers, mais concernent les outils classiques dans la communication en milieu rural : le bouche à oreille, le crieur public, les réunions, les causerie-débats, les causeries éducatives avec les groupes spécifiques…. Aujourd’hui, l’information en amont passe aussi par le téléphone mobile portable qui permet aux populations rurales de participer à ce processus de globalisation qu’offre la société de consommation.

La communication devient une variable déterminante pour assurer le changement. Dans ces conditions, toute communication autour de cette question devrait, en tant que communication pour le changement de mentalités et de comportements, avoir une finalité pratique à enseigner des bonnes pratiques autour des problèmes contemporains, afin que les populations modifient leurs logiques face aux défis de la santé publique et du développement. L’adoption de l’assainissement autonome en milieu rural constitue un défi d’actualité, une préoccupation contemporaine urgente. Elle est d’autant urgente qu’elle pose de fait la capacité de faire changer par la communication le rapport des populations aux normes contemporaines, alors qu’elles sont habituées à d’autres logiques et valeurs. On est dans la nécessité de construire les mécanismes adéquats de la mutation des rapports des populations aux normes alors que les normes qu’elles évoquent ou invoquent sont culturellement ancrées et constituent leurs repères et références. Or, l’adoption de ces normes nouvelles constitue un impératif, au point que toute communication en milieu rural devrait se fonder sur l’intériorisation et la généralisation de ces normes en matière d’hygiène et d’assainissement. La santé de chacun et de tous en est le prix à payer. Et cette santé n’a pas de prix, comme on peut le percevoir dans les propos des enquêtés eux-mêmes.

L’adoption de l’assainissement autonome en milieu rural, là où les pratiques ne se servaient que de la nature pour s’épanouir, constitue un défi d’actualité, une préoccupation contemporaine urgente. Elle est d’autant urgente qu’elle pose de fait la capacité de faire changer par la communication le rapport des populations aux normes contemporaines, alors qu’elles sont habituées à autre logiques et valeurs. Or, l’adoption de ces normes nouvelles constitue un impératif, au point que toute communication en milieu rural devrait se fonder sur l’intériorisation et la généralisation de ces normes en matière d’hygiène et d’assainissement. La santé de chacun et de tous en est le prix à payer. Et cette santé n’a pas de prix, comme on peut le percevoir dans les propos des enquêtés eux-mêmes.

Pour l’heure, cette communication, qui se fonde sur les outils classiques de communication en milieu rural est le fait de divers acteurs, avec le leadership des ONG et associations. Elle contribue progressivement à activer au niveau local les mécanismes de construction d’une demande locale en matière d’assainissement traditionnelle comme l’indique la photo 3 ci-dessous

Pour ce faire, c’est le rôle pédagogique de la communication qui mérite d’être davantage enraciné à travers une communication participative pour le développement.

Les dispositifs de cette communication devraient se fonder sur des processus multi-acteurs et pluri-outils pour assurer une approche participative de la question et l’enraciner dans une dynamique de concertation et de négociation dans un monde en perpétuel mutation. La combinaison de ces outils pour une même cause devrait se réaliser dans une approche intégrée où ils seraient dans une complémentarité et une interdépendance fonctionnelle plutôt que concurrentielle. Les acteurs, tous les acteurs concernés par la question se doivent de l’être dans une dynamique de co-construction de processus, de co-production de normes et de valeurs collectives, de co-décision et de mise en œuvre collective de ces décisions. C’est dans la capacité des acteurs locaux à considérer la question de l’assainissement comme un problème collectif et dont les conséquences concernent la société toute entière que doit se construire l’idée pertinente de la formulation d’une demande locale en infrastructures et en services adaptés en matière d’hygiène et d’assainissement. Tous les outils de communication doivent être mobilisés pour cela, avec des finalités pratiques : être des moyens de transmission et d’apprentissages de discours pertinents et performants, de valeurs communes, afin de forger ensemble et dans la durée, la culture de l’assainissement autonome en milieu rural.

Les différentes suggestions en matière de communication insistent sur l’intérêt de la communication dans le processus de changement de mentalités et de comportements des populations rurales autour de l’assainissement autonome. Cette communication devrait se fonder sur la nécessité d’une prise de conscience collective des populations car, l’assainissement autonome constitue certes au départ un problème d’intimité, mais il implique des conséquences en termes de santé publique, et sur l’environnement. C’est cette prise de conscience collective qui assure dans la durée l’ancrage des processus et le refus de toute résistance aux innovations en milieu rural. Dans ces conditions, ce qui devient pertinent et déterminant, c’est la construction d’un processus de communication participative pour le développement. Elle se fonde sur la mobilisation de tous les acteurs afin qu’ils s’engagent en connaissance de cause des tenants et aboutissants de l’assainissement autonome en milieu rural. Elle nécessite que cette mobilisation sont le fait des ONG, des associations locales, mais aussi des leaders locaux, chefs coutumiers, religieux, mais aussi des fonctionnaires travaillant dans les villages, et les ressortissants des villages en ville. Ces derniers constituent autant des relais d’opinion, mais aussi des soutiens effectifs, matériels et financiers, qui peuvent par leurs discours contribuent à expliciter la nécessité de l’assainissement autonome auprès de leurs proches dans les villages.

1. Cette enquête a été conduite par la Direction générale de l’assainissement des eaux usées et excréta (DGAEUE) du Ministère de l’Agriculture et de l’hydraulique (MAH) avec l’appui de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), de la Direction Générale des ressources en eau (DGRE) et de l’Office Nationale de l’eau et de l’assainissement (ONEA).

COMPAORE J.
Attaché de recherches, INERA, 03 BP 7192 OUAGADOUGOU 03, Burkina Faso
Mail : jcompaore2003@yahoo.fr

Bibliographie indicative
Baudrillard J. [1970]. La société de consommation. Paris, Denoël.
Blundo G., Olivier de Sardan J.-P., Pratiques de la description, Paris, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2003.
Bouzon A., ‘‘La communication organisante dans les systèmes à risques’’, Revue Communication. Vol. 21 N° 2, Information, médias, théories, pratiques, Quebec, Editions Nota bene, 2002.
Callon M., Lascoumes P. et al. [2001]. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. Paris, Le Seuil.
De Munck J., Verhoeven M. [1997], Les mutations du rapport à la norme. Un changement dans la modernité ? Paris Bruxelles, De Boeck Université.
Friedberg E. [1993]. Le pouvoir et la règle. Dynamiques de l’action organisée, Paris, Seuil.
Giraud C. [1993]. L’action commune. Essai sur les dynamiques organisationnelles, Paris, L’Harmattan.
Lazarev Grigori et Arab Mouloud, Développement local et communautés rurales. Approches et instruments pour une dynamique de concertation, Paris, Karthala, 2002.
Mucchielli A., Corbalan J.-A., Fernandez V. [1998]. Théories des processus de la communication, Paris, Armand Colin.
Olivier de Sardan J.-P. [1995]. Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, APAD-Karthala.
Olson M. [1978]. La logique de l’action collective, Paris, PUF.
Reynaud J.-D. [1997]. Les règles du jeu : l’action collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin.
Sebahara P., Pluralisme institutionnel et politiques de développement communal, dans Laurent P.-J., Nyamba A., Dassetto F., Ouedraogo N. B., Sebahara P. [2004]. Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso Faso. Le cas de Ziniaré, Paris, L’Harmattan-Bruylant Academia.
Strauss A. [1992]. La trame de la négociation, Sociologie qualitative et interactionnisme, L’Harmattan.
Teisserenc P., dir. [2006]. La mobilisation des acteurs dans l’action publique locale. Au Brésil, en France et en Tunisie, Paris, L’Harmattan.

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Changement climatique : La planète envoie des signaux