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Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (4)

Publié le vendredi 8 janvier 2016 à 00h11min

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Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (4)

Il aura fallu attendre plus de huit jours entre l’investiture officielle de Roch Marc Christian Kaboré (mardi 29 décembre 2015) et la désignation du Premier ministre du Burkina nouveau. C’est aujourd’hui, mercredi 6 janvier 2016, en soirée, que le nom de celui-ci a été révélé. Et, cette fois, il semble bien que ce soit une nomination officielle et non pas une rumeur « made in MPP ».

Première surprise : ce n’est pas Rosine Sori-Coulibaly ni aucune des personnalités dont le nom a circulé jusqu’à présent (cf. LDD Burkina Faso 0543/Mardi 5 janvier 2016). Deuxième surprise : ce n’est pas une femme, alors que l’on s’attendait à cette innovation. Troisième et dernière surprise enfin : c’est un parfait inconnu, sauf à avoir fait carrière au sein de la BCEAO (qui, décidément, est devenue la pépinière des « hommes politiques » d’Afrique de l’Ouest*).

Cette nomination n’aura pas été chose facile dès lors que le MPP, le parti présidentiel, n’est pas majoritaire au sein de l’Assemblée nationale ; assemblée qui, dans un délai de trente jours, doit donner quitus au nouveau PM sur son programme de gouvernement. Kaboré & Diallo étant des « hyper-politiques », le PM n’aurait donc pas besoin d’être « politique ». Même si, dans l’esprit de l’actuelle Constitution, c’est parmi les leaders du MPP, premier parti politique représenté à l’Assemblée nationale, que devait être choisi le PM. Or, le nouvel élu est loin de ce profil. C’est, essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, un banquier central.

Paul Kaba Thiéba est né le 28 juillet 1960 à Kouy, entre Tougan, « capitale » du Sourou, et la frontière du Mali (ce qui équilibre le pouvoir entre les Mossi et les autres). Mais c’est à Ouagadougou, dans le cadre du lycée Philippe Zinda Kaboré, qu’il fera ses études secondaires, sanctionnées en juin 1979 par un bac C. C’est encore à Ouaga, qu’il va poursuivre ses études supérieures : licence « gestion des entreprises » en juin 1982 ; maîtrise en juin 1983. Il va alors rejoindre l’université des sciences sociales Grenoble II : DEA « monnaie, finances, banques », en juin 1984, et doctorat de 3è cycle « monnaie, finances, banques » en décembre 1987. Sujet de sa thèse : « Formation de l’épargne et financement de l’économie du Burkina Faso »**.

Nous sommes en 1987. Le Burkina Faso sort de sa période « révolutionnaire » au cours de laquelle les règles de fonctionnement de l’économie étaient quelque peu anachroniques. Auparavant, c’était la Haute-Volta, pas beaucoup plus structurée en matière de formation de l’épargne. Kaba Thiéba va ainsi s’intéresser, dans la première partie de sa thèse, à « l’évaluation du rôle du financement extérieur dans l’économie burkinabè : aide extérieure ; dette extérieure ; investissements directs ». « Cette évaluation, nous dit-on, permet de relativiser fortement la pertinence du schéma de financement extérieur ». C’était là une vision de développement autocentré, « d’auto-développement » en rupture avec l’économie mondiale, dans l’air du temps « sankariste ». Kaba Thiéba va alors proposer un système de financement reposant sur la formation de l’épargne après avoir identifié les imperfections et les déficiences structurelles mais aussi celles liées aux objectifs et aux instruments de la politique de l’épargne : spécialisation géographique et fonctionnelle ; inadaptation de l’instrumentation financière ; exclusion des zones rurales… C’est d’ailleurs dans les zones rurales que Kaba Thiéba va mener son enquête en vue de l’évaluation des performances des systèmes financiers ruraux.

Cette question était alors dans l’air du temps. Jean-Baptiste Améthier, initiateur des Caisses rurales d’épargne et de prêts (CREP) de Côte d’Ivoire, et qui a dirigé les plus importantes sociétés agro-industrielles de caoutchouc (il était connu comme le « Monsieur caoutchouc Afrique »), publiera en 1989 un livre intitulé « Mobilisation de l’épargne en milieu rural. L’exemple ivoirien » (éd. CEDA). Un livre qui sera, d’ailleurs, une des bibles de la Fondation Joseph Ki-Zerbo qui prône le développement endogène et dont le mot d’ordre est : « On ne développe pas, on se développe ».

Kaba Thiéba va débuter sa carrière professionnelle à Paris au sein de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), d’abord en tant que gérant de portefeuille chez Techniques de gestion financières (TGF) puis comme fondé de pouvoirs chez CDC Gestion ; il participera à la gestion de SICAV et de Fonds communs de placement et contribuera à la conception et à l’émission des premiers fonds communs de créances (titrisation) sur la place de Paris (décembre 1988-décembre 1991) puis à la conception technique de produits de placement destinés aux clientèles institutionnelles telles que les caisses de retraite et les compagnies d’assurances (janvier 1992-octobre 1993).

C’est alors qu’il va rejoindre la BCEAO comme fondé de pouvoir au service du marché monétaire (novembre 1993-septembre 1998). Il a en charge la conception et la réalisation de la titrisation des concours consolidés, la mise en œuvre du marché monétaire approfondi, la gestion du dispositif des réserves obligatoires, la supervision du groupe d’experts commis pour réaliser les études et procéder au démarrage de la Bourse des valeurs d’Abidjan (BVA). Il va participer également à l’élaboration du cadre réglementaire régissant les émissions de bons du Trésor et autres titres de créances négociables dans la zone UMOA. De juillet 2000 à décembre 2006, il est adjoint au directeur des opérations financières, anime le comité d’investissement des réserves de changes et participe à la coordination administrative et technique des services (changes ; trésorerie ; suivi des risques de marché) tout en assurant la représentation du gouverneur au sein du comité des opérations de l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO).

En janvier 2007, il sera nommé directeur des opérations financières. Puis, en janvier 2009, il devient un des deux conseillers du directeur du département des affaires générales. En janvier 2012, il est conseiller du directeur général des opérations, participe à la définition et à la mise en œuvre des politiques de la BCEAO et représente le gouverneur au niveau du collège du Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (CREPMF). Depuis février 2014, il est administrateur délégué du Fonds de stabilité financière de l’UMOA, assurant ainsi la gestion administrative et financière de son Fonds de stabilité financière.

* Hormis Alassane D. Ouattara, qui a été gouverneur de la BCEAO, et qui préside actuellement aux destinées de la Côte d’Ivoire, on compte parmi les ex-BCEAO devenus hommes politiques Charles Konan Banny (lui aussi ancien gouverneur), ancien premier ministre de Côte d’Ivoire sous la présidence de Laurent Gbagbo, Daniel Kablan Duncan, premier ministre ivoirien sous Henri Konan Bédié et, actuellement, sous Alassane D. Ouattara. Le président du Bénin, Thomas Boni Yayi est, lui aussi, un ancien de la BCEAO tout comme Pascal Irénée Koupaki, qui a été son premier ministre (mais également directeur adjoint du cabinet de Ouattara quand celui-ci était premier ministre en Côte d’Ivoire). Au Mali, on peut citer Oumar Tatam Ly, ancien premier ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta. Et la liste n’est pas exhaustive.

** Le directeur de thèse de Paul Kaba Thiéba était Alain Euzéby, aujourd’hui professeur émérite à l’Institut d’études politiques de l’université Pierre Mendès-France à Grenoble, spécialiste des problèmes de la protection sociale et de son financement. Euzéby conteste aujourd’hui l’idée que c’est le retour à la croissance qui permettra de résoudre, partiellement, la question du chômage en Europe, « à moins, dit-il, d’être accompagné d’options vigoureuses en faveur, par exemple, d’une reconversion écologique ou d’une agriculture moins productiviste ». Et, il pose la question qui dérange bien des économistes : « Aujourd’hui, est-il vraiment possible, et même souhaitable, du point de vue de la qualité de l’environnement, de maintenir durablement des taux de croissance supérieurs à 2 % ou 3 % par an, alors que la natalité est beaucoup plus faible et que la production atteint des niveaux très élevés ? ». Il ajoute : « Il reste encore à envisager des transformations axées, notamment, sur le respect de l’environnement, sur le fait que la croissance de la production exige de moins en moins de travail, sur la prise en considération des liens entre le libre-échange et la désindustrialisation, ou sur le manque de protection des pays les plus avancés sur le plan social face à une concurrence internationale de plus en plus féroce et déloyale » (Le Monde daté du 30 juin 2013).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 7 janvier 2016 à 20:45, par Le Citoyen. En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (4)

    M. Le Premier Ministre,

    Des techniciens, rien que des compétences techniques pour mettre le Burkina Faso sur les rails du développement pendant les trois premières années pour une équipe choc afin d’essayer de rattrapper le retard de 27 années de gestion chaotique et clanique.
    Pensez aux burkinabè de la diaspora car vous-même êtes de la diaspora burkinabè de Dakar, donc vous comprenez bien la nécessité d’associer également les burkinabè de l’extérieur. Nous avons aussi les compétences, la preuve, vous êtes choisis pour être le Premier de ces ministres. La création d’un ministère des burkinabè de l’étranger doit être une de vos exigences.
    Sinon, vous risquez de repartir à Dakar comme vous êtes venus parce que les burkinabè de l’intérieur comme de l’extérieur ne sont pas forcément des enfants de coeur. Le Citoyen.

  • Le 7 janvier 2016 à 23:37, par Panga En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (4)

    Waou jai apris beaucoup de choses en lisant cet article. Thanks

  • Le 8 janvier 2016 à 14:52, par BEN En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (4)

    Bienvenu Monsieur le PM. Conseils pratiques à toi :
    - c’est de te départir des déclarations populistes en fustigent l’ancien régime ( dont un de ses anciens proche collaborateur vient de te nommer PM) ,
    - t’abstenir d’emboucher la même trompête que certains qui caresse les jeunes dans le sens des poils et poser plutôt des actes envers les jeunes et les femmes,
    - adapter tes pratiques libérales ( en tant que pur banquier ) et intégrer la dimension sociale ( ce n’est pas facile pour un banquier mais tu y parviendras),
    - rester à l’écoute de tes anciens amis et tes amis d’avant le poste de PM car, ils sont les seuls à pouvoir de donner des conseils pratiques et honnêtes dans tous les domaines afin que tu sortes d’ici quelques année par la grande porte ,
    - ne pas s’attarder sur certains dossiers comme le font certains théoriciens ( méthodologie, sondage , analyse ...) et avancer de manière pragmatique ,
    - s’entourer de très bon sociologues car dans les pays comme les nôtres, ces derniers sont souvent plus utiles que les économistes cartésiens .
    Bon vent Mr le PM.

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