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Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (2)

Publié le mardi 5 janvier 2016 à 21h59min

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Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (2)

Mardi 29 décembre 2015. Jeudi 31 décembre 2015. Le timing de cette fin d’année étant ce qu’il est, au discours d’investiture de Roch Marc Christian Kaboré succède aussitôt le message à la Nation du nouveau président du Faso à l’occasion du nouvel an 2016. Il va falloir s’habituer désormais à la « célébration » en boucle, par les élus, des 30-31 octobre (« insurrection populaire ») et du 16 septembre (« putsch » ou « coup de force » selon Kaboré) ; occasion de célébrer « la force d’un peuple » apte « à surmonter ses propres contradictions », et son « niveau de maturité […] dans la construction de la paix et de la démocratie ».

Ceci étant dit et redit, Kaboré est passé quand même à autre chose : « C’est le lieu pour moi de saluer la bravoure, le patriotisme et le professionnalisme de notre armée qui a su prendre ses responsabilités aux côtés du peuple pour le prémunir des périls qui menaçaient la stabilité et l’unité du pays ». Occasion de prôner « une armée républicaine et apolitique ». Sans évoquer les questions qui fâchent : le RSP qui, malgré sa dissolution, garde sa capacité de nuisance ; les généraux et officiers supérieurs détenus à la MACA.

Autre évocation de Kaboré : « le dialogue social » qu’il veut « voir aboutir ». Mais pas un mot sur la situation économique et… sociale ; juste un appel à « chacun » à œuvrer à la « construction d’un Burkina nouveau » pour lequel les Burkinabè sont invités à « y mettre du [leur] pour sa réalisation, dans l’intérêt supérieur de notre Nation ». Mais la situation, manifestement, n’est pas bonne ; dans son message à la Nation comme dans son discours d’investiture, Kaboré a « lancé un appel vibrant pour une solidarité internationale plus agissante en faveur du peuple burkinabè ».

Cinq jours s’étant écoulés depuis l’investiture de Kaboré, et les fêtes de fin d’année étant du passé, on pouvait espérer connaître le nom du nouveau premier ministre. Yacouba Isaac Zida et son gouvernement ont démissionné le lundi 28 décembre 2015 ; et depuis que Kaboré a été proclamé vainqueur de la présidentielle, il a eu le temps de penser à qui sera PM. Mais le premier week-end de l’année s’achève sans que le nom de l’heureux (en ce début d’année, on ne peut que lui souhaiter du bonheur) élu ne soit rendu public. « Nous ferons en sorte que ce soit le plus tôt possible, parce qu’il faut que le gouvernement soit mis rapidement en place pour permettre de démarrer le travail », a pourtant affirmé Kaboré à l’issue de l’audience accordée le jeudi 31 décembre à son prédécesseur, Michel Kafando. Qui n’a pas manqué de souligner qu’il y « aura beaucoup à faire [car] il y a beaucoup de dossiers en instance […] Nous sommes dans une situation d’incertitude. Ce n’est pas grave, mais il faut s’en préoccuper ».

C’est le gouvernement de la Transition qui expédie les affaires courantes jusqu’à la mise en place de la nouvelle équipe dirigeante. Nouveauté au Burkina Faso où, jusqu’à présent, les « intérimaires » étaient les secrétaires généraux des ministères que la « révolution » de 1983 (les ministres changeant chaque année) avait institués hommes-clés de l’administration publique afin d’assurer la continuité de l’Etat. Une pratique qui est désormais jugée comme relevant « davantage des régimes d’exception », le « souci » étant désormais « de préserver l’esprit de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui constitue désormais un socle inébranlable sur lequel les Burkinabè se baseront pour construire le Burkina Faso nouveau ».

Faut-il penser qu’il y a blocage concernant la désignation du premier ministre ? Pas au niveau de l’exécutif mais à celui du législatif. L’article 63 de la Constitution, depuis la révision du 11 juin 2012, stipule que, dans les trente jours suivant sa désignation, le Premier ministre fait une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale et que celle-ci doit recueillir une majorité absolue pour que le PM soit investi.

Cela ne posait pas de problème avec un CDP hégémonique au sein de l’Assemblée nationale et un PM issu de ses rangs. Mais ce n’est pas le cas du MPP, le parti de Kaboré, qui ne dispose que de 55 sièges. Salif Diallo, vice-président du MPP, a ainsi été élu le mercredi 30 décembre 2015 à la présidence de l’Assemblée nationale, avec 78 voix alors que son challenger, Adama Sosso, candidat de l’UPC (dont il est le secrétaire général*) de Zéphirin Diabré, n’en obtenait que 43 tandis que 125 députés ont voté**. Mais pour l’emporter, Diallo a reçu le soutien de 14 députés appartenant à sept partis politiques*** qui ont rejoint la mouvance présidentielle.

Mais cette alliance, notamment avec l’UNIR/PS de Me Bénéwendé Stanislas Sankara, un parti « sankariste » qui compte 5 députés (cf. LDD Spécial Week-End 0711/Samedi 12-dimanche 13 décembre 2015), contraint Kaboré & Diallo à prendre des engagements qui ne sont pas nécessairement sur leur feuille de route initiale, même si Diallo affirme que l’UNIR/PS et le MPP « sont de la même famille idéologique avec des variantes » et que chacun sait que Me Sankara est proche de Kaboré. Parfois, quand le partage du pouvoir est en jeu, les « variantes » peuvent peser lourd dans la balance idéologique ! D’où, peut-être, cette difficulté à se mettre d’accord sur le nom d’un PM. Bissiri Joseph Sirima semblait tenir la corde, mais son image de metteur en place du Programme d’ajustement structurel (cf. LDD Burkina Faso 0541/Lundi 14 décembre 2015) pourrait être rédhibitoire pour les « sankaristes ».

Diallo, dans son premier discours de président de l’Assemblée nationale, a joué à fond la carte du parlementarisme, dont il est un actif propagandiste : « Votre mission est terrible mais noble […] Nous avons un fonds commun : l’aspiration de notre peuple. Et nous devons transcender nos divergences pour voter des lois en faveur de notre peuple ». Et comme le populisme ne nuit pas, il a affirmé que les députés représentent « le peuple travailleur du Burkina Faso, la majorité pauvre […] Nous ne devons pas sortir d’ici en des bourgeois repus et apaisés, mais avec la marque du peuple. Si le peuple évolue dans ses intérêts, nous pourrons évoluer dans nos intérêts […] Nous devons mener ce travail en nous collant le plus près possible des aspirations populaires. Si notre auguste assemblée venait à se démarquer des intérêts populaires, nous connaitrons un sort plus triste que celui de nos devanciers »****. « Nous ne devons pas faillir, a-t-il dit encore. Pour des divergences politiques ou idéologiques, nous ne devons pas gâter la sauce pour notre peuple ».

* Adama Sosso, qui avait pensé pouvoir proposer une alliance MPP-UPC, a une vision parfois étonnante de la finalité de son action politique. « Pour nous, dit-il (226 Infos. Les Infos du Burkina Faso – 31 décembre 2015), la conquête du pouvoir n’est pas une fin en soi. Et à chaque fois que nous partons à une compétition, si nous gagnons tant mieux et si nous perdons nous nous mettons à la disposition de celui qui a gagné ».

** Sur les 127 députés, il y avait deux absents, détenus à la MACO pour présomption d’escroquerie. Il s’agit de Lamine Bayiré (député du MPP) et Amadou Hall (député du MDA).

*** Cette coalition qui est venue soutenir le MPP a pris pour nom Burkindlim (« intégrité »). Elle regroupe les sept partis suivants : MDA (1 député), NTD (3), ODT (1), PAREN (2), PDS/METBA (1), RDS (1) et, bien sûr, UNIR/PS (5), soit quatorze députés qui affirment vouloir « [accompagner] les actions de développement du nouveau pouvoir, avec responsabilité et bonne foi et [œuvrer] à la stabilité du pays et des institutions en favorisant une gouvernance apaisée, porteuse d’espoir et de bien être pour le peuple ». Trois des partis de cette coalition (NTD, PDS/METBA et RDS) avaient soutenu la candidature de Roch Marc Christian Kaboré lors de la présidentielle 2015 ; UNIR/PS et PAREN avaient chacun présenté un candidat, en l’occurrence Me Bénéwendé Stanislas Sankara et Tahirou Barry.

**** Il ne faut pas oublier que l’image la plus symbolique de « l’insurrection populaire » des 30-31 octobre 2014 est le saccage et l’incendie de l’Assemblée nationale ; c’est dire que les députés vont devoir fournir des efforts considérables pour que l’institution parlementaire retrouve l’éclat qui était le sien lors de la restauration de la démocratie (la première législature de la IVè République a été ouverte le 17 juin 1992).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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