LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

État des barrages de Ouagadougou : Manifestation visible d’une politique d’urbanisation en panne

Publié le vendredi 13 novembre 2015 à 12h25min

PARTAGER :                          
État des barrages de Ouagadougou : Manifestation visible d’une politique d’urbanisation en panne

Tous ceux qui ont côtoyé en fin octobre les rives des barrages de Ouagadougou ont pu constater dans quel état se trouvent ces retenues d’eau. Les eaux sont presque entièrement recouvertes par un tapis de plantes aquatiques dont la fameuse jacinthe d’eau, une plante aquatique qui compte parmi les plus envahissantes. Cette couche verte qui se déroule en tapis devant vous lorsque vous longez le barrage ne laisse deviner qu’en dessous se trouve une masse d’eau avec une vie aquatique en péril. C’est ce phénomène que les scientifiques nomment eutrophisation. C’est un phénomène qui survient surtout dans les plans d’eau à écoulement lent, peu profonds qui reçoivent trop de nutriments (phosphore et azote surtout).

Au niveau des barrages de Ouagadougou, ce phénomène est devenu récurent. Chaque année à la même période (Août –Octobre) depuis maintenant un certain temps, on assiste presque impuissant à ces blooms végétatifs. Chaque année aussi des équipes de piroguiers, d’hommes et de femmes membres d’une association se livrent à un combat acharné d’arrachage manuel de ces plantes sans que le phénomène ne consente à dire son dernier mot. Quelques temps après leur passage, comme par enchantement, « le phœnix » renait de ces cendres. Cette année encore, ces hommes infatigables ont engagé avec toute leur énergie le combat de Sisyphe contre ce phénomène.

On peut donc se poser légitimement les questions suivantes : les autorités en charge de la gestion de ces barrages, ont-elles pris toute la mesure de la gravité du phénomène sur nos ressources en eau ? Quels sont les risques encourus par ces milieux aquatiques ? La santé des populations humaines est –elle menacée ? Les mesures de ripostes mises en place sont- elles en adéquation avec la gravité du phénomène ? Et enfin, quelles places occupent les questions d’assainissement dans le développement urbain au Burkina Faso ?

Dans ce bref essai, je tenterai de faire le point sur le phénomène d’eutrophisation pour faire ressortir les causes et les conséquences afin de rappeler la pleine mesure du drame qui se joue à nos portes (dans notre environnement immédiat) au niveau des barrages de Ouagadougou presque dans l’indifférence générale. Par la suite, j’analyserai la pertinence des mesures prises pour stopper le phénomène. Je terminerai par énoncer les attentes dans le domaine de l’assainissement urbain en termes de défi à relever pour un développement durable. Je voudrais exprimer, dès à présent, mon sentiment profond d’inquiétude lorsque j’ai pris connaissance de l’ampleur du phénomène cette année et projeté les conséquences dramatiques qui pèsent sur nos ressources en eau.

1) L’eutrophisation, causes et conséquences

Les cours d’eau ont de tout temps été des réceptacles pour les déchets de tout genre (eau usées, déchets solides, excrétât…). L’eutrophisation est une forme de pollution, résultat d’une contamination des eaux de surface par des substances nutritives essentielles pour le métabolisme et la croissance des plantes en l’occurrence, les phosphates et les nitrates. Le phénomène se manifeste par une croissance excessive (prolifération) des plantes aquatiques (algues, macrophytes…) pouvant aboutir à la mise en place d’une masse végétale en tapis créant alors un écran qui empêche la lumière solaire de passer. En conséquence, l’activité photosynthétique se trouve réduite à quelques mètres de la surface, l’oxygène se raréfie avec la profondeur (phénomène accentué par la décomposition des végétaux morts). Cela entraine la disparition progressive des êtres vivants. Les espèces animales et les bactéries aérobies meurent asphyxiées. Au bout d’un certain temps, les bactéries anaérobies, seules survivantes de ces milieux sans oxygène provoquent la libération des gaz nauséabonds et produisent des toxines nuisibles aux poissons, au bétail et aux humains. L’accumulation de la matière organique morte non dégradée au fond des eaux (par débordement) peut conduire à la mort des écosystèmes aquatiques en très peu de temps (quelques décennies, voire quelques années). De nombreuses sources concourent à l’apport des nutriments dans les milieux aquatiques mais de façon générale, l’agriculture intensive est responsable des hauts niveaux de nitrates et de phosphates dans les plans d’eau de même que les effluents d’élevage (déjections animales au sein des fumiers et lisiers) et domestiques.

C’est David Schindler de l’Université du Manitoba (Canada) qui, dans une expérience inédite grandeur –nature (en macrocosme) démontra pour la première fois en 1970, (par addition de faibles quantités de phosphore à une portion de lac), l’importance du phosphore dans la croissance excessives des algues et l’eutrophisation. Cette expérimentation a stimulé la législation contrôlant les apports de phosphore aux plans d’eau.

Le cas des barrages de Ouagadougou : partie visible d’un « Iceberg » de pollution

M’appuyant sur une étude que nous avons conduite en 2009 et qui a concerné une dizaine de plans d’eau au Burkina Faso y compris les barrages no2 et no3 de Ouagadougou, je peux affirmer sans ambages que les barrages de Ouagadougou sont fortement contaminés notamment en substances nutritives (nitrates, sulfate,…). Pour ce qui est des nitrates par exemple, il faut rappeler qu’en l’absence de toute contamination, la teneur en nitrates des eaux naturelles est de 2-3 mg/l. Nous avons rapporté des niveaux de nitrate et de sulfate de deux ordres de grandeur (soit plus de 100 mg/l) plus élevés que cette concentration de base dans les barrages 2 et 3 de Ouagadougou en 2009 (Ouédraogo et Amyot, 2013). Dans les mêmes plans d’eau, les teneurs en mercure et arsenic (deux éléments chimiques d’intérêt écotoxicologique majeur) dépassaient les moyennes nationales. L’entreprise la plus laborieuse pour nous a été de trouver des poissons pour des analyses chimiques. On s’est contenté de quelques alevins de carpes. La surpêche mais aussi la mauvaise qualité des eaux sont de potentiels facteurs de cette rareté des poissons. Malgré cela, la teneur en contaminants analysés chez ces juvéniles rivalisait avec celles d’adultes de même espèce habitant d’autres plans d’eau. Avec la prolifération des plantes aquatiques (Jacinthe d’eau surtout) observée depuis un certain temps au niveau de ces barrages, il est devenue évident que ces plans d’eau sont eutrophisés. Les ressources halieutiques sont donc fortement menacées de disparition et les utilisateurs de ses ressources s’exposent à des risques sanitaires graves. Le vieillissement de ces barrages (comblement) est perceptible et l’on peut craindre leur disparition prochaine.

Quelle est l’origine des substances nutritives dans ces barrages ?

La teneur élevée en nitrate est indicateur de pollution anthropique c’est à dire liée aux activités humaines. Pour ce qui est des barrages de Ouagadougou, en dépit de l’existence d’autres sources on peut aisément pointer du doigt les effluents domestiques drainés par les différents caniveaux de la ville de Ouagadougou mais aussi agricoles (cultures maraichères qui se pratique à même le lit du barrage pendant les périodes d’étiage). La contribution relative de chacune de ces sources peut être établie par des études plus poussées. C’est le lieu d’attirer l’attention de tous que toutes les ressources en eau y compris les nappes d’eau souterraines situées dans le bassin versant de ces barrages sont potentiellement menacées par la contamination qui ne se limite pas seulement aux substances nutritives sus - dessus citées. Je n’ai pas connaissance d’études rapportant des niveaux d’autres contaminants dans ces barrages, mais il faut en convenir (sur la base de la littérature scientifique existante), que l’eutrophisation, n’est que la ‘partie visible de l’iceberg’ car de nombreux autres contaminants sont également apportés en même temps que les nutriments. Ce sont entre autres substances, les métaux lourds, les résidus de pesticides, les pilules hormonales, les médicaments…, dont certaines ont la faculté d’induire chez les animaux (y compris l’homme) des cancers, des perturbations du fonctionnement des glandes endocrines etc. En somme, une réelle menace pour la santé environnementale et humaine.

2) Les mesures pour stopper l’eutrophisation des barrages de Ouagadougou

Depuis l’apparition de la jacinthe d’eau sur les plans d’eau au Burkina Faso, sachant le haut pouvoir régénératif de cette plante aquatique, la communauté scientifique s’en était inquiétée et de nombreuses mesures avaient été prises à l’époque pour stopper le phénomène. Déjà en 1995, nous étions un petit groupe d’étudiants à épauler des chercheurs du CNRST pour arracher ces fameuses plantes tout au long du canal de Bangrewéogo, C’est le lieu ici de rendre hommage à ces pionniers de la lutte contre la jacinthe d’eau au Burkina Faso que sont les Drs Moussa OUÉDRAOGO et Louis OUÉDRAOGO du CNRST.

Aujourd’hui, 20 ans après, le phénomène s’est accentué au niveau du barrage mais aussi au niveau du canal de Bangrewéogo (fig.1). C’est toujours cette méthode d’arrachage manuelle qui a cours, malgré les résultats mitigés. Un marché d’arrachage aurait même été passé entre les autorités en charge de la gestion de ces barrages et une association. Une course s’est donc engagée entre cette association et cette plante aquatique qui compte parmi les plus envahissantes. Il faut saluer le travail inlassable que mène cette association chaque année sur le terrain dans le but d’enrayer le phénomène (fig. 2). Le barrage sera certainement débarrassé de cette plante cette fois-ci encore mais pour combien de temps ? Quelques échanges avec des responsables de ladite association présents sur le terrain des opérations au niveau des barrages nous a permis de déceler chez eux un certain pessimisme grandissant quant à leur capacité à contenir le phénomène. La motivation financière en serait la cause. Mes interlocuteurs expriment aussi leurs inquiétudes (que je partage) sur les conséquences dramatiques d’une possible propagation de cette plante au niveau des grands barrages du pays.

Il existe une panoplie de mesures pour lutter contre l’eutrophisation des milieux aquatiques. La méthode d’arrachage manuelle ne peut à elle seule suffire. Comme je l’ai rappelé plus haut, le bloom végétal n’est qu’une conséquence visible d’une pollution qui mérite d’être attaquée à la racine. On ne soigne pas le paludisme en faisant baisser seulement la fièvre. Il faut s’attaquer à la cause du paludisme. Les causes de cette singulière pollution qu’est l’eutrophisation des barrages de Ouagadougou sont bien connues et le tâtonnement n’est plus acceptable. Même si on parvenait à se débarrasser de la jacinthe d’eau (ce qui est très improbable car un seul bulbe ignoré dans la vase est capable de restaurer en peu de temps une forêt de cette espèce), on aurait pas pour autant résolu la question des apports de substances nutritives : Tant que les barrages recevront les eaux usées non traitées de la ville de Ouagadougou, tant que les berges et même le lit de ces barrages serviront de zones agricoles il faut craindre que le phénomène ne perdure et même ne s’aggrave. Le portrait de ces barrages aujourd’hui n’est –il pas la manifestation visible d’une politique d’urbanisation en panne ?

3) Repenser la politique d’urbanisation en conformité avec le développement durable.

Si de tout temps les milieux aquatiques ont été le réceptacle des eaux usées et des déchets en tout genre (matières fécales et organiques notamment), les taux de pollution des milieux aquatiques se seraient accrus avec l’urbanisation croissante et l’industrialisation et l’agriculture intensive dans la seconde moitié du 20e siècle (CNRS, évolution des causes de pollution depuis un siècle). Fort heureusement, le développement de plus en plus généralisé au niveau des pays industrialisés, de l’assainissement des eaux usées et des effluents industriels tend à progressivement limiter certains dommages causés aux milieux aquatiques.

La Suisse par exemple a interdit en 1986 l’emploi des phosphates dans les lessives, une mesure qui a permis de diminuer l’eutrophisation du lac Léman très atteint depuis les années 1950. De nos jours elle explore d’autres produits de substitution aux phosphates comme le nitrilotriacétate, déjà utilisé depuis plus de 20 ans au Canada (CNRS, pollution par les phosphates).

Au niveau des pays en développement, des études rapportent que la pollution est en nette croissance (Feisthauer et al., 2004 ; Abd El-Gawad, 2014). En effet, à cause d’une démographique galopante et une urbanisation croissante (souvent anarchique), la situation de la pollution des eaux de ces pays est le plus souvent dramatique car les pollutions sont très importantes et les infrastructures de traitement des eaux d’alimentation ou de dépollution des eaux usées, le plus souvent inexistantes. Plus que le manque de moyens techniques et financiers souvent évoqué pour justifier la non prise en compte des questions d’assainissement dans le développement des villes il s’agit à mon sens d’une insuffisance de prise de conscience et de responsabilité dans ce domaine. Partout où la santé des populations est à la charge régalienne des États, on a très vite compris que ces investissements quoique souvent très onéreux permettent de limiter l’impact de certaines maladies et donc de réduire la facture des prises en charge.

Ainsi, pour stopper l’eutrophisation des barrages de Ouagadougou et des autres grandes villes du Burkina, il nous faudra envisager la mise en place d’infrastructures de dépollution des eaux usées. Il nous faudra également prendre des mesures d’interdiction de toute pratique agricole avec épandage de pesticides au niveau des berges ou du lit de ces cours d’eau. La législation en matière de suivi de la qualité des eaux doit se parfaire et s’opérationnaliser. L’éducation éco-citoyenne des populations doit s’intensifier pour les convaincre que le ‘paradigme de la dilution ’ comme solution à la pollution à fait son temps.

C’est seulement à ce prix que nous répondrons de façon pertinente au défi de notre temps. Il faut que le développement de nos villes soit accompagné de réels investissements en assainissement pour que ce développement soit durable. Beaucoup plus, on pourrait envisager un réaménagement de ces barrages pour leur donner plus de lustres en y créant des bases de loisir et d’éducation pour les populations citadines en tenant compte des considérations écologiques.
Comme nous sommes en pleine campagne électorale, j’espère que mes inquiétudes et attentes seront partagées par beaucoup de mes compatriotes qui apprécieront la pertinence des offres politiques en considérant comme un bon indicateur de pertinence, cette exigence de mise en place de structure d’assainissement de nos villes.

Ousséni Ouédraogo, Ph.D., toxicologie de l’environnement, enseignant-chercheur, Université de Ouagadougou, Tel : 70292349, courriel ousseno@yahoo.fr

Références citées

Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Évolution des causes de pollution depuis un siècle http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/degradation/02_evolution.htm

Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Les différents types de pollution : la pollution par les phosphates. http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/degradation/08_pollution.htm

Feisthauer, N., Sibley, P., Burke, S., Kaushik, N., 2004. A review of the toxicity of detergents and its formulation components on aquatic organisms. Int. J. Ecol. Environ. Sci. 28, 223–297.

Hanan S. Abd El-Gawad, 2014. Aquatic environmental monitoring and removal efficiency of detergent. Water science 28 : 51-64

Ouédraogo and Amyot, 2013. Mercury, arsenic and selenium concentrations in water and fish from sub-Saharan semi-arid freshwater reservoirs (Burkina Faso). Science of the Total Environment 444 : 243–254.

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Déchets plastiques : Ces « voisins » qui nous envahissent