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« Le sourd n’est pas muet, c’est nous les entendants qui sommes sourds et muets à son égard », Aoua Carole BAMBARA/CONGO, nouvelle docteure en psycho-linguistique et didactique

Publié le jeudi 5 novembre 2015 à 02h36min

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« Le sourd n’est pas muet, c’est nous les entendants qui sommes sourds et muets à son égard », Aoua Carole BAMBARA/CONGO, nouvelle  docteure en  psycho-linguistique et didactique

Le vendredi 09 octobre 2015, Aoua Carole Bambara Née Congo s’est soumise à l’ultime exercice académique en vue de l’obtention du grade de docteur : la soutenance de thèse. Chercheuse au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique, Mme Bambara a effectué ses travaux sur la problématique de l’enseignement / apprentissage du français dans les écoles primaires inclusives de sourds au Burkina Faso. L’exercice s’est déroulé à l’amphi Jean Pierre Guingané de l’école Doctorale des lettres, Sciences Humaines et Communication de l’université de Ouagadougou.

Pour évaluer cette thèse, le jury était composé purement d’éminent professeurs africains : Pr Moussa Daff, professeur titulaire de classe exceptionnelle, Université Cheick Anta Diop de Dakar ; Pr Ondo Mébiame Pierre, professeur titulaire, Université Omar Bongo de Libreville ; Pr Alou Kéita, professeur titulaire, Université de Ouagadougou. L’impétrante a travaillé sous la supervision du Pr Abou Napon, professeur titulaire de l’Université de Ouagadougou.

Tout travail de recherche ayant pour fondement une interrogation, un questionnement, la question suivante a été le point de départ du volumineux document présenté au jury : « que faire pour faciliter l’enseignement/apprentissage de la langue française dans les écoles primaires inclusives de sourds du Burkina Faso ? ». En posant cette interrogation et en se lançant dans le processus de recherche, l’objectif de la candidate au titre de docteur était d’analyser la situation psycholinguistique et didactique du processus d’enseignement/apprentissage de la langue française dans les écoles inclusives de sourds au Burkina-Faso. Il s’agit plus précisément entre autre, d’étudier la langue 1 des écoliers sourds en tant que langue de référence et facteur déterminant de la psycholinguistique de l’apprentissage du français, langue apprise et langue des apprentissages et, d’ analyser le matériel didactique au regard des effectifs des classes, des besoins et capacités cognitives des écoliers.

Des résultats

Au terme de sa recherche qui a, selon les membres du jury, respecté la méthodologie de recherche en sciences sociales, Dr Bambara Congo a abouti aux résultats suivants, entre autres :

La première langue

- Les parents, généralement surpris par la surdité de leurs enfants, ne maîtrisent aucune langue des signes pour communiquer avec eux. Les enfants sourds ne sont pas exposés très tôt à une langue de signes harmonisée et documentée. Les prémices et les éléments de communication sont absents au bas âge. L’alternative en milieu familial est la pratique de familiolectes mimogestuels qui combinent les mimes, les gestes, le pointage et une grammaire caractéristique de la communication visuo-corporelle.

- La lecture labio-faciale soutient la communication de la personne sourde. Cependant, moins d’un quart des messages en français est capté par les écoliers sourds au cours de cette communication car les sosies labiaux brouillent la réception et le décodage des messages. L’enseignant de sourd est confronté à une bi-phonologie : la phonologie du français et la chérologie (synonyme de la phonologie des langues verbales) que Dr Bambara a aussi appelé « la mimogestématique ». L’insuffisance de connaissance de cette phonologie du langage signé par les enseignants rend les apprentissages linguistiques des écoliers sourds lacunaires.
- Les gestes mentaux sont désordonnés chez les apprenants sourds. Un de ces gestes, la mémorisation visuelle qui permet aux enfants sourds d’activer leurs capacités mnésiques pour comprendre, retenir et utiliser les nouveaux acquis est alors une stratégie importante utilisée avec difficultés mais désespérément par les écoliers sourds car cette mémorisation visuelle est hypothéquée par l’absence de stratégies et outils didactiques visuelles efficaces, dans la quasi-totalité des écoles inclusives.

La syntaxe

- Par rapport à la syntaxe du français, la structure de la langue française pose d’énormes difficultés aux écoliers sourds. Les écoliers ont du mal à comprendre et à utiliser l’ordre des mots tel qu’imposé par la norme grammaticale de la langue française alors que la norme grammaticale de la langue des signes est différente. On note alors une bi-syntaxe soutenue par une bi-grammaire : une syntaxe linéaire de la langue française et une syntaxe non linéaire de la langue des signes. La linéarité du français s’oppose à la non linéarité de la langue des signes. Cette non linéarité s’observe dans les productions des apprenants sourds par l’absence de connecteurs temporels. Elle s’observe ensuite dans l’utilisation limitée des temps de la conjugaison car les enfants sourds utilisent une ligne spécifique du temps. Cette ligne se limite à trois temps : le passé, le présent et le futur. L’utilisation des temps verbaux par les apprenants sourds est incohérente. Elle s’observe enfin par l’absence de connecteurs logiques dans les productions. L’organisation syntaxique des phrases est donc hasardeuse.

En somme, selon Dr Bambara Congo, les effets de la surdité sur l’organisation cognitive des enfants, les limites morphosyntaxiques de la langue des signes, la non-explicité de la communication pédagogique, l’insuffisance d’outils didactiques spécifiques et le caractère non naturel des acquisitions linguistiques sont les principales sources des difficultés syntaxiques observées chez les apprenants sourds.

La sémantique

Pour Dr Bambara Congo, le lexique des écoliers en inclusion est pauvre à tous les niveaux d’apprentissage en milieu scolaire inclusif, et encore plus prononcé chez les écoliers sourds. Selon elle, « pour utiliser un mot il faut en avoir la représentation mentale du sens or les écoliers, surtout sourds, qui sont confrontés à la langue étrangère qu’est le français sont peu outillés par leurs enseignants, eux-mêmes peu outillés par les gestionnaires scolaires pour donner des enseignements adaptés. La conscience phonologique développée par les enfants entendants et qui leur permet de percevoir, de découper et de manipuler les unités sonores du langage que sont par exemple le phonème, la syllabe, le monème, etc. est difficilement acquise par les enfants sourds. Ceux-ci essayent alors de la remplacer par une conscience chérologique, mimogestématique, qui leur permet de percevoir, de découper et de manipuler les unités visuelles du langage que sont le chérème, le gestème, le mimème et le visème. Cette mimogestématique relève actuellement du développement personnel de l’écolier sourd car elle n’est ni maîtrisée, ni enseignée par les enseignants ».

La formation des enseignants
Pour Dr Congo, la formation des enseignants des écoles inclusives de sourds est très insuffisante, surtout dans le secteur privé.

Analyse et proposition

Après son analyse, elle retient que langage des écoliers sourds est dégradé par l’insuffisance ou l’absence d’audition. Les cris en sont la principale caractéristique. Pour celle qui défend la dignité des enfants sourds, la représentation courante du sourd en tant que muet est erronée. Pour elle, la perte d’audition n’est pas synonyme de perte de langage. La personne sourde émet de la voix. Elle s’exprime par le cri, les gestes, le regard, en somme, par son corps entier. Selon elle, ce sont là des canaux de transmission de messages dans le processus de communication. Elle affirme donc que, « tout comme la communication non verbale (utilisée depuis la nuit des temps, surtout par les entendants pour exprimer des sentiments divers et diversifiés) n’est pas synonyme de mutité, le sourd n’est donc pas muet. En ne faisant pas l’effort de comprendre la communication du sourd et en n’y répondant pas, ce sont plutôt les entendants qui sont sourds et muets à son égard. »

Avant de boucler son travail, l’impétrante a présenté quelques propositions dans le sens d’une meilleure prise en compte des enfants sourd ou malentendants dans les écoles inclusive. Elle a prôné l’utilisation de la grammaire visuelle du français (GVF), la médiation scolaire et la médiatisation des apprentissages, une guidance parentale participative et active.

Autres propositions faites :

-  l’étude et la documentation des familiolectes mimogestuels et signes Burkinabè en tant que L1 des apprenants sourds,
-  le renforcement de la formation professionnelle des enseignants d’enfants sourds et entendants en inclusion, entre autres en psycholinguistique, en psychodidactique et en sémiotique, pour un meilleur décryptage des contours linguistiques et cognitifs du langage non verbal mais aussi pour une meilleure prise en charge didactique et pédagogique des apprenants sourds.

Pour Dr Bambara Congo, cette prise en charge doit nécessairement tenir compte des capacités cognitives, des besoins spécifiques et de l’environnement des apprenants. Les enseignants et les apprenants ont, en outre, besoin d’outils spécifiques innovants et adaptés pour conduire un bon processus d’enseignement/apprentissage.

Tout en recevant la mention académique Très Honorable et les félicitations du jury, Dr Aoua Carole Bambara née Congo a souhaité que les fruits de sa recherche puissent servir à la communauté scientifique et aux responsables de l’éducation inclusives qui pourraient traduire en réalité les propositions qui y sont contenues. A travers sa thèse, celle qui a été sensible aux difficiles conditions d’apprentissages des enfants sourds dans les écoles inclusives ambitionne de lancer un plaidoyer pour une éducation inclusive humanisante et de qualité pour tous les enfants vivant avec des déficiences sensorielles.

Jonas Bazié
Collaborateur

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