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De quoi une loi d’amnistie est-elle le nom ?

Publié le mardi 22 septembre 2015 à 14h30min

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De quoi une loi d’amnistie est-elle le nom ?

L’amnistie pour les crimes du RSP est politiquement incohérente et juridiquement non-pertinente. Elle est politiquement incohérente avec la grande tradition des médiations menées depuis près de vingt ans par la CEDEAO et l’ONU. Dans les différents accords de paix conclus sous l’égide de ces organisations internationales, une disposition prévoyant la non-amnistie pour les crimes internationaux est toujours prévue. Nous nous contenterons de donner deux exemples.

L’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali conclu il y a quelques mois, prévoit en son article 46 « la non-amnistie pour les auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’humanité et violations graves des droits de l’homme (…) ». En 1998, l’Accord de Lomé pour la fin de la guerre civile en Sierra Leone, conclu sous l’égide de Gnassingbé Eyadema, président en exercice à l’époque de la CEDEAO, prévoyait également une telle disposition, d’ailleurs reprise dans la résolution 1315 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Si la CEDEAO venait donc à entériner cette amnistie, elle serait en contradiction avec sa pratique diplomatique mais aussi avec ses propres textes juridiques et ceux de l’Union africaine relatifs à la lutte contre l’impunité, la répression des crimes internationaux et la prévention des conflits. En rappel, l’article 22 du Protocole additionnel de la CEDEAO de 2002 sur la démocratie et la bonne gouvernance dit très explicitement que « l’usage des armes pour la dispersion de réunion ou de manifestations non violentes est interdit ».

L’amnistie pour les crimes du RSP est également juridiquement non-pertinente pour les plusieurs raisons.

Au Burkina, même si une loi d’amnistie venait à être adoptée, elle n’empêcherait pas que des poursuites puissent être engagées contre les membres du RSP au niveau national. Il suffira pour le Procureur du Faso de procéder à une requalification des faits poursuivis : il passerait ainsi d’une qualification de « meurtres » et « coups et blessures volontaires » à une qualification de crimes contre l’humanité. En effet, sans entrer dans les détails, les exactions commises par le RSP depuis la tentative de putsch tombent sous le coup de l’infraction de crime contre l’humanité. Or, selon l’article 14 de la loi 052-2009/AN du 3 décembre 2009 portant détermination des compétences et de la procédure de mise en œuvre du Statut de Rome relatif à la CPI par les juridictions burkinabè, les crimes contre l’humanité comme d’ailleurs tous les crimes internationaux « ne sont susceptibles ni d’amnistie ni de grâce ». La qualification de crime contre l’humanité aurait d’ailleurs aussi le mérite d’englober les meurtres et exactions commis par le même RSP les 30 et 31 octobre 2014.

Hors du Burkina, une loi d’amnistie n’aurait aucun effet ni devant les juridictions des autres Etats ni devant une juridiction pénale internationale telle que la CPI.

Les crimes contre l’humanité font partie des crimes pour lesquels une compétence universelle est prévue en droit international. Les Etats dont les législations ont prévu ce chef de compétence peuvent donc parfaitement poursuivre des soldats du RSP. Imaginons un soldat du RSP qui se rendrait en stage de perfectionnement dans un tel pays : il pourrait être poursuivi par les juridictions répressives de cet Etat pour peu qu’une plainte soit déposée par les familles des victimes ou des ONG. Même s’il ne se rend pas dans un tel pays, imaginons qu’il transite (dans le cadre d’une mission de maintien de la paix par exemple) par un pays qui a conclu un accord d’extradition avec un Etat dont la législation prévoit la compétence universelle. Il pourrait être arrêté et extradé vers ce dernier pays.

Enfin, le Burkina ayant ratifié le Statut de Rome, les membres du RSP pourraient parfaitement être poursuivis par la Cour pénale internationale. En effet, une loi d’amnistie enverrait le signal que le Burkina ne veut pas poursuivre les présumés auteurs de crimes contre l’humanité ce qui donne la possibilité à la CPI d’engager de telles poursuites. Par ailleurs, c’est une règle bien établie du droit international qu’il ne peut y avoir d’amnistie pour les crimes internationaux. Il suffira que le Président élu du Burkina à l’issue de la transition fasse discrètement comprendre à Mme Fatou Bensouda qu’il ne s’opposera pas à de telles poursuites. Les éléments de preuve réunis par la société civile et les officiers de police judiciaire burkinabè faciliterait grandement la tache de la Procureure de la CPI en mal de pensionnaires dans sa prison de Scheveningen.

En conclusion, les membres du RSP ne le savent peut-être pas encore, mais ils seront bientôt traqués sans répit comme des bêtes par la justice, qu’elle nationale, internationale ou étrangère : aucune loi d’amnistie ne pourrait leur permettre d’échapper à ce destin. Quant à la CEDEAO, elle gagnerait beaucoup à demeurer cohérente avec ses propres textes et principes : elle en sortirait grandie.

Dr Sanwé Médard Kiénou
Enseignant-chercheur à l’Université Polytechnique de Bobo-Dioulasso

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Vos commentaires

  • Le 22 septembre 2015 à 19:08, par Jeunedame seret En réponse à : De quoi une loi d’amnistie est-elle le nom ?

    CEDEAO et miltaires RSP...rien que des moelles épinières. Arrêtons de les idéaliser.

  • Le 22 septembre 2015 à 22:17, par Aly Ibrahim NAGARBA En réponse à : De quoi une loi d’amnistie est-elle le nom ?

    cher Dr, très bien commenter !!!!!!!

    A la lecture, nous voyons que vous avez démontrez de A à Z,
    sinon de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud que le peuple burkinabé sera, tôt ou tard, soulagé car le R S P ne pourra jamais bénéficier d’aucun pardon.

    Vous démontrez également que la C E D E A O se contredirait en acceptant cette amnistie.
    Si seulement toute la nation pouvait lire cette publication !!!!!!!

    Cher Dr je suis fier de vous et d’être parmi vos étudiants.
    II nous faut de tel homme comme vous dans la gestion des affaires du pays.

    Grand merci a vous et bonne chance dans votre carrière.

  • Le 23 septembre 2015 à 08:52, par kafando En réponse à : De quoi une loi d’amnistie est-elle le nom ?

    Merci pour ces eclairessicement m. Kienou. C’est limpide.

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