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Loi sur la ‘’dépénalisation’’ : Les professionnels des médias renvoient le ‘’ colis ’’ à son propriétaire, le gouvernement !

Publié le mercredi 9 septembre 2015 à 23h42min

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Loi sur la ‘’dépénalisation’’ : Les professionnels des médias renvoient le ‘’ colis ’’ à son propriétaire, le gouvernement !

Quatre jours après le vote de la loi portant dépénalisation des délits de presse au Burkina, les professionnels des médias ont du mal à accepter le ‘’gros cadeau’’ à eux offert par le gouvernement de transition, à savoir les lois portant régime juridique de la presse écrite, de la presse en presse en ligne et de la presse audiovisuelle du Burkina. A travers leurs organisations, ils l’ont de nouveau fait savoir au cours d’une conférence tenue dans l’après-midi de ce mardi 8 septembre 2015 à Ouagadougou. Ce fut également l’occasion pour eux de dévoiler les actions à venir pour contrecarrer ces mesures « suicidaire » et « liberticide ».

Au niveau des organisations professionnelles des médias, l’on ne tarit donc pas d’interrogations sur les « motivations réelles » du gouvernement de transition d’« assassiner » la liberté de presse, alors même que tout concourt à un élargissement de la liberté d’opinion de façon générale et particulièrement de la liberté de presse. En clair, il était ‘’plutôt’’ attendu du gouvernement de transition qu’il pose les jalons d’une démocratie réelle à travers notamment le renforcement de la liberté de presse et d’opinion. Mais, constatent les professionnels, au lieu d’espérer mieux, c’est plutôt à une remise à plat des acquis qu’on assiste. « Comment la Transition a eu le courage de proposer des peines aussi sévères à la presse que ce que même le dictateur Blaise Compaoré que nous avons chassé n’a pas fait ? », prennent-ils pour témoignage, cet agacement d’un « député » face à ces mesures, lors de la plénière.

Une fois encore, les organisations professionnelles des médias ont été claires : il ne s’agit nullement pour les journalistes de réclamer une quelconque prime à l’impunité mais plutôt de veiller à ce que, à défaut d’avoir mieux, les nouvelles mesures ne viennent pas remettre à plat les acquis.
Dans cette lutte, les professionnels des médias ne sont pas seuls ; à leurs côtés, l’Unité d’Action Syndicale du Burkina (UAS) représentée à la conférence par le président de mois des Centrales, Bassolma Bazié.

Le projet de relecture des textes n’est pas d’aujourd’hui, il date du régime de Blaise Compaoré

C’est avec regret que les organisations professionnelles des médias ont rappelé aux inspirateurs de ces nouvelles lois que le code de l’information de 1993 avait plafonné les peines pécuniaires à un million de franc CFA, à l’exception de l’amende pour offense à Chef de l’Etat qui pouvait atteindre deux millions. Mieux, précisent-elles, les amendes étaient graduelles selon le délit et leur planché se situait à 10.000F CFA. Ce qui n’est pas le cas avec les lois qui viennent d’être adoptées qui ne prévoient aucune graduation des peines.

Aussi, ont-elles relevé que l’initiative de relire le code de l’infirmation est un projet qui date du régime de Blaise Compaoré et que le dernier gouvernement dirigé par Beyon Luc Adolphe Tiao était d’ailleurs très avancé sur ces projets de lois qui avaient déjà pris en compte la dépénalisation des délits de presse mais sans incidences sur les quantums des amendes.

« La survenue de l’insurrection en octobre dernier a été vécue comme un vent nouveau de démocratie et de liberté par tous les Burkinabè. Dans ce sens, la reprise du processus de relecture du code de l’information annonçait déjà d’importants progrès en matière de liberté de la presse et de démocratie ainsi que la préservation et le renforcement des acquis avec une plus grande implication des organisations professionnelles des médias. Les lois sur la presse étant des lois spécifiques à une profession, la contribution des professionnels concernés est d’une nécessité incontournable. Cependant, le gouvernement de la Transition reprenant à son compte la relecture des textes sur la presse n’a fait que narguer les acteurs de premier plan que sont les média », a déploré le porte-parole des organisations professionnelles des médias à la conférence, Lookman Sawadogo.

Selon les animateurs de la conférence, après avoir associé les organisations professionnelles aux ateliers de concertations entamés depuis le mois de février 2015 à Koudougou en vue d’obtenir des textes consensuels et justes, le gouvernement a fini par tailler une « loi en solo », sans tenir compte des avis et propositions des professionnels et contre les intérêts du secteur des médias.

La dépénalisation n’est pas un cadeau à la presse !

Les professionnels des médias indiquent avoir donc été surprises de constater que les différentes rencontres n’ont abouti à rien, « si ce n’est à légitimer une forfaiture entreprise par le gouvernement de Transition ». Ils ont également noté une certaine ‘’propagande’’ du gouvernement de transition autour de cette loi, tendant à présenter la présenter comme étant non seulement son initiative mais également un cadeau fait à la presse. Ce qui n’est pas le cas car la dépénalisation est ‘’recommandée’’ par l’environnement sous-régional et international ainsi que par des partenaires.

Ils ont également perçu que le gouvernement n’a donné aucun argument pertinent en justification de cette hausse pécuniaire des sanctions. Dans cet élan, ils battent en brèches les arguments du gouvernement selon lesquels, le Burkina s’est inspiré de la sous-région, en ce sens que, si comparaison il devait y avoir, elle doit tenir compte de tous les aspects ; pas seulement des sanctions.
« Si le gouvernement peut avoir un tel comportement vis-à-vis de la presse, on se demande ce qu’il peut avoir à l’endroit des citoyens anonymes », se sont-ils interrogés.

Pour les organisations des médias, par trois fois, le gouvernement de transition a porté atteinte à la liberté de la presse : suspension des émissions d’expressions directes (suspension jusque-là en vigueur, juridiquement), interdiction de la couverture médiatique des activités politiques (« campagnes déguisées ») et cette mesure qui vient ‘’assassiner’’ la presse. Une mesure qui va entraîner la disparition de médias et favoriser la naissance d’autres canaux tels que les tracs et autres moyens de communication qui pourraient se révéler plus fatals pour toute la société.

Sur le manque de professionnalisme de certains journalistes brandi comme motif, les professionnels répliquent qu’on ne peut prendre la partie pour le tout ; c’est-à-dire se tabler sur des exceptions pour condamner toute la presse. Ce, d’autant que le professionnalisme et l’assainissement du milieu constituent une préoccupation majeure pour les organisations de médias qui comptent entreprendre des actions dans ce sens. « Quelle preuve le gouvernement peut-il faire que tous les ministres sont plus responsables que les journalistes ? », se sont-ils interrogés avant de souligner que ce n’est nullement une fierté pour eux de compter dans leurs rangs, des brebis galeuses.

Selon eux, le journaliste n’a pas demandé l’immunité, comme le juge et le député qui ne peuvent pas être poursuivis pour leurs opinions (le journaliste n’a demandé qu’on lui permette de faire efficacement son travail). Alors que pour ses opinions, le journaliste est susceptible de poursuites... Pour une erreur judiciaire, le magistrat ou l’avocat ne sont pas condamnés. Pourtant, soutiennent-ils, une erreur à leur niveau peut causer autant de dégâts, voire plus, qu’une diffamation dans la presse.

Apportant son soutien à la lutte, l’Unité d’Action syndicale du Burkina a averti …

Selon les conférenciers, tout le monde, à commencer par les autorités, est ‘’unanime’’ à reconnaître, depuis le régime passé, que la presse burkinabè est une presse responsable. De ce fait, elle ne mérite pas le sort qui lui a été réservé par le gouvernement de transition à travers ces mesures aux conséquences lourdes pour les médias (perte de la qualité de production, autocensure, asphyxie financière, perte d’emplois, etc.) et pour l’ensemble de la société.
« On préfère donc que le journaliste aille en prison que de tuer l’organe de presse ; on le dit en désespoir de cause », a émis le porte-parole, Lookman Sawadogo.

Pour cela, les organisations professionnelles des médias, tout en dénonçant avec vigueur ces lois portant régimes juridiques de la presse, lancent « un appel urgent au Président du Faso à ne pas promulguer cette loi qui se révèle suicidaire pour les organes de presse et liberticide », « demandent au Président de la Transition d’user de ses prérogatives pour demander une seconde lecture de la loi dans le sens de faire ramener les amendes au niveau qu’elles étaient dans l’ancien code ».

Tout en saluant « le rôle significatif des députés de la Transition qui ont désavoué la loi à travers une suspension de la plénière et un vote très mitigé », les organisations professionnelles des médias appellent tous les démocrates, les députés, les partis politiques, les intellectuels, les organisations des droits de l’Homme, les défenseurs de la liberté d’expression et de presse, les syndicats des travailleurs et estudiantins, les organisations de jeunes et de femmes, à se mobiliser pour faire échec à cette velléité manifeste de musèlement et de liquidation de la presse burkinabè.

D’ores et déjà, elles bénéficient du soutien de l’Unité d’Action syndicale du Burkina (UAS) qui avait déjà, à travers un communiqué, donné sa position sur le projet en indiquant être contre toute action gouvernementale (ou venant de tout autre milieu) qui viendrait mettre la presse au pas. Pour Bassolma Bazié, la liberté d’expression n’a pas été donnée par les politiques ; « c’est un acquis arraché de haute lutte ». L’UAS trouve en cette loi, un contenu de « trahison » car, elle ne reflète pas le consensus issu des travaux des acteurs pendant les ateliers à Koudougou. Elle revêt également, selon elle, une forme « d’assassinat » (tant l’assassinat peut être physique que par l’interdiction à l’expression). Toujours dans la même dynamique, l’UAS estime que la loi va contre la morale au regard de la contribution de la presse à l’éducation des populations et à l’éveil des consciences.

C’est pourquoi, joint-elle sa voix à celle des organisations professionnelles des médias en lançant un « appel fort » à ce que cette loi ne soit pas promulguée. Toutefois, avertit-elle, si cette loi venait à être promulguée, il lui sera réservé le même sort que celui qui avait été réservé à la taxe de développement communal (TDC).

Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net

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