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« Je pense que l’insurrection nous a tous libérés », dixit Laurent Poda, procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou

Publié le lundi 13 juillet 2015 à 02h43min

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« Je pense que l’insurrection nous a tous libérés », dixit Laurent Poda, procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou

Sous l’impulsion du parquet général, les assises de la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou ont pu se tenir et ont pris fin le 30 juin dernier, après quinze jours d’audiences. Et le chef dudit parquet, le procureur général Laurent Poda, n’entend pas s’arrêter là avant la fin de l’année en cours. De ces assises criminelles et de l’appareil judiciaire dans sa nouvelle dynamique vis-à-vis du peuple burkinabé, M. Poda nous en parle dans cet entretien réalisé le 3 juillet dernier. Sans détours et dans un style de ‘’monsieur tout le monde’’, le procureur général énonce, révèle, explicite, démontre, et rassure… Lisez plutôt !

M. Le procureur général, les assises criminelles de Ouagadougou ont pris fin le 30 juin dernier après une quinzaine de jours d’audiences. Pouvez-vous rappeler et préciser le rôle que le parquet général dont vous êtes le premier responsable, a joué dans le cadre de ces assises ?

Avant de répondre, je voudrais remercier la presse qui fait un travail remarquable d’information de notre peuple qui a soif de savoir ce qui se passe. Ce peuple veut qu’il soit rendu compte de la mission qui est confiée à nous autres serviteurs de l’Etat.
Ceci étant, pour en revenir à la question, je voudrais d’abord dire que le ministère public dans l’organisation de la session de la Chambre criminelle, joue un rôle primordial. D’abord, c’est le parquet qui, au regard des dossiers, fait la programmation des dossiers qui sont en état d’être jugés. C’est donc le parquet qui pose les premiers actes obligatoires pour la tenue de la session criminelle. Bien entendu, c’est avec le siège qu’on fait cela. Mais le rôle primordial revient au parquet.
Pour cette année, ce que nous pouvons dire, c’est que nous avons engrangé une victoire sur ce qui s’est passé. Vous savez, en 2014, il n’y a pas eu de session de la Chambre criminelle parce que justement le Barreau et la Cour d’appel ne se sont pas entendus. Cette année, Dieu merci, nous avons réussi à nous asseoir sur la même table et à échanger pour que dorénavant, les sessions se déroulent normalement. Et je crois que la victoire qu’il faut saluer, c’est celle-là : le Barreau et la Cour sont parvenus à un consensus par rapport à l’organisation de la session. Que ce soit la transmission des dossiers, que ce soit la désignation des avocats, la prise en charge des avocats commis d’office, toutes ces questions ont fait l’objet de consensus.
Pour la tenue de la session, je pense que c’est déjà quelque chose d’important que de faire sortir des dossiers qui sont en état de recevoir un jugement. Pour nous, c’est déjà une victoire que des dossiers soient sortis des armoires et que des accusés soient fixés sur leur sort. Cela contribue aussi à désengorger nos juridictions. Et je pense que ce départ ne va pas être la fin.
Globalement, c’est ce rôle que nous avons joué, à savoir faire sortir les dossiers, et surtout de parvenir à ce que le Barreau et la Cour puissent s’entendre pour que plus rien ne puisse entacher le déroulement normal des assises criminelles.

Mais au cours des audiences, on vous a également vu intervenir. A quoi se rapporte votre rôle à ce niveau précis ?

Vous savez, la société est organisée de telle sorte que certaines règles sont érigées en infractions. Cela veut dire que si vous faites ceci, eh bien, c’est une infraction. Or, l’infraction c’est la violation d’une règle qui est sanctionnée par une peine d’emprisonnement ou d’amende. Et là, la société a désigné quelqu’un pour la représenter. Et ce quelqu’un, c’est le ministère public qui est représenté au niveau des Tribunaux de grande instance par le procureur du Faso, et au niveau de la Cour d’appel par le procureur général et ses substituts. Et notre rôle est de traduire les gens qui ont commis une infraction devant les juges pour leur dire, ‘’messieurs les juges, ce monsieur a enfreint à la règle qui a été fixée par la société ; et voici pourquoi nous l’amenons devant vous pour qu’il se justifie et pour que vous puissiez décider de son sort’’. Notre rôle, c’est donc de traduire ceux qui violent la loi que la société a fixée.
C’est pourquoi, on nous appelle l’accusation. Nous traduisons les gens devant les juridictions. Si c’est devant le Tribunal de grande instance, il s’agira de prévenus et ils vont répondre d’infractions qualifiées délits. Et si c’est devant la Chambre criminelle, ce sont des accusés et ils devront répondre d’infractions qualifiées crimes. Et notre rôle c’est d’apporter la preuve qu’ils ont commis telle ou telle infraction, et de demander à la juridiction lorsqu’elle est convaincue qu’effectivement l’intéressé qui est devant elle a commis l’infraction qui lui est reprochée, de prononcer la peine. Nous demandons à la juridiction de bien vouloir prononcer telle peine à l’encontre de tel individu ; bien entendu, au regard des infractions commises. Toujours est-il qu’il revient à la Chambre d’apprécier, après que nous ayons développé les charges que nous estimons être établies contre l’accusé.
Il y a aussi les avocats qui constituent une partie au procès. L’avocat, lui, est la défense. Son rôle, c’est de venir dire que ‘’non, ce que le procureur dit, ce n’est pas vrai’’. Et c’est à lui aussi d’apporter les éléments pour contredire l’accusation. La défense va naturellement demander à la Chambre d’acquitter son client parce qu’il n’a rien fait.

Peut-il y avoir une contradiction entre le parquet et la Chambre par rapport à la qualification des actes en cause ?

Ce que je tiens à préciser d’abord, c’est la particularité de la Chambre criminelle. La loi dit qu’on ne va pas demander des comptes aux membres de cette Chambre par rapport à leur décision. La loi leur demande de suivre l’accusation dans les charges que le ministère public développe contre l’accusé. Et éventuellement aussi, les moyens de défense qui sont développés par l’avocat. Et à partir de tout cela, de se faire une intime conviction.
Ce n’est pas la même chose devant la Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance qui juge les infractions qualifiées délits. Le juge de cette Chambre correctionnelle est obligé de justifier, de motiver sa décision, de dire sur quoi il s’est fondé pour décider dans tel ou tel sens. C’est différent de ce qui se passe devant la Chambre criminelle. Les arrêts de la Chambre criminelle ne sont pas motivés ; il est simplement dit aux juges de cette Chambre d’interroger leur conscience à partir des arguments développés par le parquet et ceux avancés par la défense. Et c’est par un vote mécanique des membres de la Chambre, que la culpabilité ou non sera décidée.
Pour revenir à votre question, il peut arriver que les membres de la Chambre se laissent convaincre par les charges évoquées par l’accusation, ou au contraire par les arguments de l’accusé et de sa défense.

La décision de la Chambre criminelle est donc le fruit de l’intime conviction qui doit tout de même être assise sur la sérénité et aussi sur la compréhension du droit. Or, on sait que les jurys de cette Chambre criminelle sont constitués, en plus de juges professionnels, de jurés. Etant donné que ces derniers peuvent ne pas être des connaisseurs du droit et qu’ils doivent voter sur la base de leur seule intime conviction, n’y a-t-il pas risque sentimentalisme qui sous-tende la décision de la Chambre criminelle ?

Le problème que vous posez est réel et actuel. Il y a un débat qui est actuellement posé. C’est celui de savoir s’il faut, dans notre contexte, continuer, au regard de tout ce qu’on a pu voir de par le passé, à l’occasion des sessions de Chambres criminelles, de maintenir la présence des jurés. Sur la question, les voix sont divisées. Il y a ceux qui estiment que le travail de la Chambre criminelle est très complexe ; surtout que certains des jurés ne sont pas imprégnés des problèmes juridiques sur lesquels ils devront pourtant trancher. Vous verrez qu’à l’audience, ils ne font que suivre, sans rien dire.
Toujours est-il que dans la plupart des pays voisins, la décision a été prise de ne plus recourir aux jurés. Non seulement cela rend lourd le déroulement des audiences, mais il y a aussi une question de responsabilité morale de la décision qui se pose. Si ce sont des juges professionnels, ils assument les décisions qu’ils prennent. Mais dès lors qu’il y a des jurés dans la composition de la Chambre, surtout que dans notre cas, ils sont plus nombreux en ce sens qu’ils sont quatre contre trois juges professionnels, il se peut que ces gens votent contre une décision qui devrait normalement être prise. Et on n’y peut rien, si cela arrivait.
C’est pourquoi, vous allez voir des décisions qui peuvent choquer l’opinion publique qui s’attendait à ce que telle ou telle décision soit rendue. Cela peut arriver.
Si vous me demandez mon point de vue personnel, je dirai que je suis de ceux qui pensent qu’il vaut mieux se passer des jurés pour faire accélérer les dossiers. Le recours aux jurés rend la procédure très lourde. Car, il faut les convoquer à des délais, leur demander de prêter serment au cours d’une cérémonie solennelle ; il faut les héberger, les prendre en charge. Alors qu’actuellement, il importe d’accélérer les procédures afin de faire juger le maximum de dossiers qui sont dans des tiroirs. Pour moi, on peut faire l’économie de ces jurés pour aller vite.

Le fait que ces jurés soient au nombre de quatre avec seulement trois juges professionnels, est-ce la résultante d’une pratique, ou la consécration d’une disposition légale ?

Cela résulte d’une disposition légale. C’est la loi 51-93 du 16 décembre 1993 portant organisation et fonctionnement de la Chambre criminelle qui a imposé cette composition. Il s’agit de quatre jurés titulaires et de deux jurés suppléants avec trois juges professionnels. Mais le jury criminel est présidé par un des juges professionnels. Cette composition résulte donc d’une loi ; et on n’y peut rien tant que cette loi n’est pas relue.

Revenons aux assises criminelles qui ont pris fin le 30 juin dernier. Pouvez-vous nous rappeler les infractions sur la base desquelles vous avez fait comparaître des accusés devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou ?

Il y’a eu des infractions de meurtre, de parricide, d’assassinat qui relèvent de la catégorie de crimes de sang. Les auteurs de ces deux dernières infractions, parricide et assassinat, ont été chacun, condamnés à la peine de mort.
Il y a également des cas de corruption, de détournement de deniers publics, d’abus de confiance, qui sont de la catégorie de crimes économiques. Divers autres crimes ne relevant pas de ces deux catégories, ont aussi été retenus. Il s’agit entre autres, de la détention illégale d’armes à feu, de la vente de drogue, de vol qualifié.
Il y a eu des condamnations dont la peine de mort à l’encontre de deux des accusés, des emprisonnements à vie, et des condamnations à la prison ferme allant de cinq à vingt ans avec mandat d’arrêt parce que ces gens n’ont pas comparu. Il y a également eu des peines avec sursis.

La peine de mort a été, à vous écouter, prononcée comme sanction aussi bien à l’infraction d’assassinat qu’à celle de parricide. Parlez-nous de cette dernière. De quoi s’agit-il, et que s’est-il passé ?

En vérité, je ne suis pas monté à l’audience au jugement de cette affaire. Je pense qu’il s’agit globalement d’un meurtre commis sur son papa. Sur cette infraction, la loi est très claire. Lorsque quelqu’un est reconnu coupable de parricide, la seule sanction que la loi prévoit, c’est la peine de mort. Il n’y a aucune alternative. Et donc, la sanction ne pouvait être autre que la peine de mort, car s’impose là, une application stricte de la loi. Et cette loi n’a pas entendu faire des concessions par rapport à l’infraction de parricide.
Quant aux faits proprement dits, c’est vrai que j’ai parcouru le dossier, mais ce que je retiens, c’est que c’est un individu qui a donné la mort à son papa. Et il a été reconnu coupable.

Parlant justement de la peine de mort, qu’en est-il de l’effectivité de son exécution dans notre pays ?

Je dois d’abord préciser que notre code pénal prévoit cette peine. Et la procédure de sa mise en œuvre y est également prévue.
Mais ce qu’il faut aussi dire, c’est que depuis un certain nombre d’années, des personnes condamnées à la peine de mort, n’ont jamais été exécutées, de sorte qu’on pourrait dire qu’il y a un moratoire sur l’exécution de ces peines. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existe pas dans le code pénal ; elle y est bien prévue.
Du reste, je crois savoir que le CNT (Conseil national de la Transition, ndlr) a introduit une proposition de loi ou en tout cas devrait l’introduire, pour que cette peine soit supprimée. On constate également que différentes associations sont en train de se battre pour soutenir cette initiative. Et si les choses évoluent dans ce sens, la peine de mort ne sera plus une peine applicable au Burkina Faso.

On peut donc présager que celles qui viennent d’être prononcées, ne trouveront pas à être exécutées ?

Ce n’est pas ce que je veux dire. Je dis simplement que j’ai fait une observation depuis les années 1980, qu’on n’a plus mis en exécution une peine de mort. Pourtant, elle a été prononcée dans plusieurs affaires. Moi-même, j’ai prononcé des peines de mort à Dédougou, j’en ai prononcées à Gaoua. Mais elles n’ont jamais été mises en exécution. Et les personnes ainsi condamnées purgent la peine d’emprisonnement à vie.

Des dossiers soumis à la Chambre criminelle au cours des assises qui viennent de prendre fin, quels étaient selon vous, ceux qui étaient les plus attendus par la société burkinabè au nom de laquelle vous avez demandé à la Chambre de juger des gens ?

Il y’a le dossier relatif à l’assassinat de cette jeune fille qui avait toute sa vie devant elle. Cet assassinat a ému beaucoup de gens, à commencer par les membres de sa famille. La manière dont cela s’est passé, a révolté plus d’un. Et je pense que si on devrait classer les dossiers qui ont été soumis à la Chambre criminelle, ce dossier viendrait en tête. C’est un procès beaucoup plus éducatif pour les personnes qui détiennent des armes par devers eux. Que ces gens sachent que ce sont tous les citoyens, y compris ceux vers qui ces armes sont malheureusement pointées, qui ont contribué à les acheter. Pour aucun motif, ces armes ne doivent être retournées contre une personne.
Le deuxième dossier, c’est naturellement le dossier Guiro. Moi, comme je l’ai déjà dit, j’ai été choqué de savoir que dans un pays comme le Burkina Faso qui tend la main tous les jours à l’étranger pour avoir de l’argent, un individu dépose chez lui à la maison une telle somme, pas parce qu’il l’a eue par héritage ou de façon légale, mais simplement des gens lui auraient fait des dons, des cadeaux en tant que directeur général des douanes.
Je dis, et je maintiens que c’est de la corruption. Et les textes sur la douane interdisent ces dons et cadeaux. D’ailleurs, la Chambre n’a pas dit le contraire ; elle l’a reconnu coupable de la corruption. Maintenant, c’est sur les sanctions qu’on peut discuter. Peut-être que là où la décision de la Chambre a choqué les gens, c’est parce qu’on ne l’a pas mis en prison pour que tous ceux qui seraient tentés de se remplir les poches en usant de leur position au niveau de l’Etat, sachent que cela n’a pas tolérable.
Quand vous vivez dans une société, il faut que le fruit de l’économie soit réparti de façon équitable pour que tous les citoyens puissent en bénéficier. Et je pense que c’est vers cela que nous devrons tendre. C’est l’objectif de nous autres parquetiers, quand on a un dossier comme ça. Un Etat corrompu ne peut pas se développer. Je pense que ces deux dossiers ont retenu l’attention de la société.

A l’audience de ce dossier Guiro où l’infraction de corruption a été reconnue par la Cour, on n’a pourtant pas vu comparaître un corrupteur, et la défense vous a reproché d’avoir manqué d’apporter la preuve de la culpabilité de son client. Comment doit-on finalement comprendre le fait que la Cour ait dit que le sieur Guiro est coupable de corruption ?

Je dois dire que les juges n’ont pas eu tort de nous suivre dans les charges que nous avons développées contre Guiro. Sauf qu’il y a à discuter sur la peine.
Vous savez, le problème de la corruption, c’est la difficulté qu’il y a à attraper les gens, parce que ça se passe généralement sur la base de contrats occultes. Les gens se cachent pour le faire. Si voulez attraper les corrupteurs et les corrompus, à moins de mettre des caméras de surveillance partout.
Pour le cas Guiro, il dit qu’il a reçu des dons. Or, les textes sur la douane interdisent formellement aux douaniers de prendre des dons. Et si Guiro lui-même avoue avoir reçu des dons, c’est à lui de dire de qui il a reçu ces dons.
Du reste, nous avons trouvé trois noms dont un patronyme, en l’occurrence Kaboré, sans autre précision. Guiro dit qu’il ne se souvient plus de la personne. Un autre nom, c’est Watam SA, je pense que c’est une société de la place. Et le troisième nom, c’est Ouédraogo Boureima, PDG du groupe OBOUF, avec une lettre qui accompagne la somme de cinq millions.
Mais je dois dire une chose. L’œuvre humaine n’est pas parfaite. Sinon, le juge d’instruction aurait dû, en son temps, auditionner ces gens. Du reste, j’ai instruit le procureur du Faso pour que ces gens soient entendus. Mais le problème, c’est que le délai de prescription court à partir du moment où l’on a eu connaissance de ces faits, pour trois ans, étant donné que la corruption est un délit. Néanmoins, ils auront à s’expliquer sur ces actes.

Quand on sait que l’affaire Guiro a éclaté il y a plus de trois ans, la prescription faisant, est-ce à dire que le pourvoi que vous avez exercé contre la décision de la Cour d’appel est perdu d’avance ?

Non ; cela n’a rien à voir. Le pourvoi que j’ai exercé, concerne la procédure qui a été jugée. Avec ce pourvoi, ce n’est pas que la Chambre criminelle de la Cour de cassation va réexaminer l’affaire dans les faits. Il s’agira de voir s’il n’y a pas de violation de la loi par rapport au déroulement du procès.
Du reste, nous avons relevé un certain nombre de choses dans le cadre de ce pourvoi ; des choses que nous pensons n’être pas du tout normales, et qui pourraient amener la Chambre criminelle de la Cour de cassation à casser cet arrêt.
Cela n’a donc rien à voir avec les propos que j’ai tenus par rapport à l’audition de ceux qui pourraient être les corrupteurs de M. Guiro.

En termes courant, que voulez-vous dire quand vous présagez que la Cour de cassation pourrait casser l’arrêt de la Cour d’appel ?

Ce qu’il faut retenir, c’est que la Chambre criminelle de la Cour de cassation, contrairement à celle de la Cour d’appel, doit vérifier pour voir si les règles de procédure ou les règles de droit ont été appliquées dans la cause qui a été soumise à son appréciation. Et c’est en cela que nous disons que nous avons des éléments qui permettent de penser que des règles ont été violées. Déjà, je vous dis que j’ai confiance que la Cour de cassation va casser cette décision de la Cour d’appel.
Casser veut dire quoi ? Cela veut dire que la Cour de cassation va dire que les règles de procédure, les règles de droit, n’ont pas été respectées. Elle va donc annuler la décision de la Cour d’appel. Et elle va ensuite la renvoyer soit devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso, soit devant la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouaga, mais cette fois-ci, autrement composée.

Mais si cette Chambre criminelle de la Cour de cassation parvenait à la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu violation de la règle de droit, qu’adviendra-t-il ?

La décision serait que M. Guiro devra seulement verser 900 000 000 FCFA à l’Etat ; et les plus d’un milliard lui reviendront.

Les sanctions qui ont été prononcées par la Cour d’appel seront donc consolidées ?

Oui, bien sûr. Si mon pourvoi est rejeté, c’est la décision de la Chambre criminelle de la Cour d’appel qui sera valable.

Définitivement ?

Oui, définitivement. On ne pourra plus rien faire.

En attendant l’issue du pourvoi que avez exercé, quels enseignements peut-on retenir de ce procès Guiro ?

Le premier enseignement à mon avis, c’est que les pouvoirs publics sont interpellés. En effet, lorsque vous analysez les droits légaux qui sont accordés aux agents des douanes, on se rend compte qu’il y a une catégorie de travailleurs qui bénéficient plus que les autres corps de l’administration publique. C’est vrai que chaque corps a ses risques spécifiques. Mais lorsqu’en une opération on peut se faire des millions, c’est-à-dire des sommes d’argent qui dépassent le montant de ses salaires accumulés jusqu’à la retraite, il y a quand même à s’interroger. Je pense qu’il y a là, un problème. Et je pense que les pouvoirs publics doivent se saisir de la décision sur l’affaire Guiro, pour procéder à une redistribution équitable des fruits de la croissance. Je ne dis pas de ne pas accorder des avantages à un corps, mais je pense qu’on doit en mesurer au mieux les proportions.
Le deuxième enseignement est que le jugement de cette affaire Guiro a pu être effectif. C’est vrai que la Chambre a reconnu la culpabilité de Guiro, mais on aurait souhaité, pour donner l’exemple, qu’il soit emprisonné. Comme ça, chaque fois qu’un fonctionnaire est en mesure de prendre de l’argent, qu’il médite sur le cas de Guiro. Moi, je ne connais pas Guiro. Mais je dis que sa condamnation ferme serait l’exemple qu’on pouvait donner dans la lutte contre la corruption.

L’on se rappelle que dans cette affaire, vous avez demandé à la Cour de déclarer M. Guiro coupable aussi d’enrichissement illicite. Mais là, vous n’avez pas été suivi. Avez-vous compris pourquoi ?

L’enrichissement illicite c’est quoi ? M. Guiro a bien dit qu’il faisait des interventions, il faisait convoyer des marchandises de sorte que des marchandises qui devraient être normalement bloquées, ne le soient pas. Là déjà, il y a un problème.
Ensuite, le personnel qu’il utilise pour faire ces opérations. C’est quand même les moyens humains de l’Etat qui se trouvent ainsi utilisés. Et en retour de tout cela, on lui donne de l’argent. Mais on nous dit de ne pas considérer cela comme utilisation détournée des moyens de l’Etat. Je dis non. Les escortes qu’il faisait faire, c’est avec usage des véhicules de l’Etat, avec du carburant de l’Etat. En retour, ceux qui auront bénéficié de cette escorte, viennent lui donner des enveloppes d’argent. Malgré tout cela, on nous dit qu’il n’y a pas eu d’enrichissement illicite. Mais c’est quoi alors ?
Vraiment, je ne comprends pas pourquoi la Cour dit que l’enrichissement n’est pas constitué. Franchement, je ne comprends pas. Mais comme c’est l’intime conviction, je ne peux pas entrer dans le secret de cette décision.

L’on se rappelle également qu’au troisième jour des audiences consacrées à l’affaire Guiro, les représentants de l’Agence judiciaire du trésor (AJT) se sont plaints de ce qu’ils auraient été menacés. Mais à la suite du président de la Cour qui a opté de ne pas tirer long sur cet incident, vous avez laissé entendre que vous vous réservez le droit pour la suite à en donner. Alors, avez-vous engagé des poursuites, ou qu’envisagez-vous entreprendre comme action ?

Je dois d’abord préciser que la police des audiences appartient au président de la Cour. C’est à lui d’interpeller, s’il estime qu’il y a eu des manquements à la sérénité des gens à l’audience, pour les faire juger sur-le-champ ou à une autre audience.
Pour ce cas spécifique, ceux qui ont été indexés comme auteurs de ces menaces, ont expliqué qu’ils n’avaient pas l’intention de faire du mal. M. Guiro a dit qu’il s’en excuse.
J’ai pensé que si le président qui assure la police des audiences n’a pas estimé nécessaire de les juger, nous estimons aussi, dans la mesure où le dossier est déjà passé, qu’il n’y a pas lieu à en rajouter.
Mais cette situation me permet, lorsqu’il y aura des audiences, de requérir que les gens puissent se réserver parce qu’on n’est pas là pour se faire la bagarre.
Oui, j’ai dit que je me réserve le droit de décider de la suite ; mais pour le moment, je pense que ce n’est pas la peine. Je préfère qu’on laisse cette histoire comme ça. Comme ils ont dit qu’ils s’excusent, on va prendre cela comme ça. Du reste, il faut que les gens sachent que la police de l’audience revient au président de la Cour.

La session de la Chambre criminelle terminée, que peut-on encore attendre en termes de jugement de dossiers criminels courant 2015, dans le ressort territorial de la Cour d’appel de Ouagadougou ?

Nous envisageons tenir très prochainement, précisément du 13 au 16 juillet 2015, une session d’assises criminelles à Koudougou, et une autre du 20 au 31 juillet à Tenkodogo. Nous voulons tenir au moins trois sessions, au regard du nombre élevé de dossiers en état d’être jugés. Si nos programmations initiales avaient été suivies, à l’heure actuelle, on avait fini une centaine de dossiers. Malheureusement, on a été pris par le temps. Mais avec le bâtonnier, on a convenu qu’à la suite de Ouagadougou, on peut tenir une session à Koudougou parce que c’est plus proche. Et on attend la liste des potentiels jurés à Tenkodogo. Si on a cette liste, on pourra démarrer une session là-bas également à partir du 20 juillet pour terminer le 31 juillet 2015.
A Koudougou, on n’a pas beaucoup de dossiers, seulement sept. Mais quand même, il convient de les évacuer. Ils portent sur des crimes de sang, des crimes économiques et sur d’autres crimes. Pour la tenue de cette session, tous les actes nécessaires ont été notifiés. Nous pensons que c’est une session qui va se dérouler normalement. Mais à Tenkodogo, on a 19 dossiers. J’espère que ces dossiers seront aussi jugés.

Vous qui êtes une autorité judiciaire, quel message avez-vous, pour terminer cet entretien, à l’endroit du peuple burkinabé qui attend beaucoup de sa justice ?

Le message que j’ai pour le peuple du Burkina, c’est lui demander de nous faire confiance. Les magistrats, je pense qu’ils ont compris, surtout dans le cadre des assises nationales sur la Justice. La majorité a souffert, mais dans le silence.
Je pense que l’insurrection nous a tous libérés. Et madame la ministre de la justice a pris le problème de la justice avec le sérieux qu’il faut. Tout ce que nous demandons au peuple, c’est de nous faire confiance. Je crois que, quel que soit ce qui se passe, il y a lieu de nous faire confiance parce que la majorité des magistrats a beaucoup souffert. Et nous sommes en train d’aller vers une véritable justice indépendante, une justice qui va être débarrassée de beaucoup de tares.
Nous avons confiance au Conseil supérieur de la magistrature qui garantit cette indépendance. Nous pensons que cet organe va aller dans le sens de la restauration d’une véritable justice indépendante. C’est vrai, on est sorti des assises un peu frustré. Mais c’est peut-être la règle du jeu.
Nous allons faire ce qu’il y a à faire par rapport au dossier Guiro dont beaucoup attendent l’issue finale.
Je pense que les magistrats demandent au peuple de leur faire confiance. Nous avons aussi souffert dans le silence. Aujourd’hui, nous sommes prêts à nous battre. Nous allons prendre des résolutions qui fondent la prise de décisions qui permettent d’extirper de nos rangs, les brebis-galeuses, parce qu’il y en a. Nous savons que le peuple attend cela.
Il faut avoir espoir en la justice. C’est le dernier rempart. Mais ce dernier rempart, aux yeux du peuple, a perdu confiance. Tout sera mis en œuvre pour que cette confiance revienne. Dans ce sens, nous avons besoin de soutien. Je pense que les magistrats ont besoin d’être soutenus qu’auparavant. Je vis avec les magistrats, je connais le problème de la majorité des magistrats.

Entretien réalisé par Fulbert Paré
Lefaso.net

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