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Patrimoine culturel : Komber Pademba se meurt

Publié le vendredi 1er avril 2005 à 07h59min

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Le baobab multicentenaires qui a vu naître Ouagadougou, dans les envions de l’hôpital Yalgado, se meurt.Komber Pademba, c’est ce baobab qui est situé non loin de l’hôpital Yalgado-Ouédraogo, précisément au croisement des routes Ouaga-Kaya (allant vers l’hôtel Silmandé) et Ouaga-Koupéla (allant vers Nioko).

Dans notre ancienne rubrique "Si Ouagadougou m’était conté", nous écrivions : "Malgré son grand âge, il continue de défier les cieux de ses branches en forme de doigts géants".

Malheureusement, on constate ces temps-ci des signes annonciateurs de sa mort très prochaine. Premièrement : il n’a pas fleuri en 2003 ni en 2004. Deuxièmement : les abeilles qui y avaient élu domicile l’ont déserté. Troisièmement : depuis fin février, ses branches tombent au moindre coup de vent. Or, Komber Pademba n’est pas un baobab comme un autre ; il y a donc lieu d’agir, et dans les meilleurs délais, si on veut le sauver.

Il est en effet des arbres autour desquels se brodent mythes et légendes : il s’agit des caïlcédrats, des fromagers, des tamariniers et bien sûr des baobabs. Qu’en est-il de Komber Pademba ? Dans les travaux d’études et de recherches ainsi que dans le dernier ouvrage édité par la mairie de Ouagadougou (Histoire de Ouagadougou, des origines à nos jours), il ressort que Komber Pademba a vu naître le toponyme Wogdogo, aujourd’hui déformé en Ouagadougou. Comment cela ? Pour le comprendre, un rappel historique s’impose.

Rappel historique

La cohabitation entre les Nînsi et les Yõnyonse dans la région de l’actuel Ziniaré n’était pas des plus enviables, il y a de cela 6 à 7 siècles. Les premiers, forgerons qu’ils étaient, utilisaient les seconds comme main-d’œuvre servile dans les travaux de réduction du minerai de fer. Etant aussi chasseurs, il arrivait que les Nînsi pillassent les Yõnyonse quand la chasse était infructueuse. Les Yõnyonse s’en furent solliciter l’intervention des Nakomse qui s’étaient installés dans la région de Tenkodogo et dont la réputation guerrière avait franchi leurs frontières.

Zungrana, le chef des Nakomse, promit de faire quelque chose et reçut des Yõnyonse une jeune fille du nom de Pogtoenga. Quelques années plus tard, Zungrana envoya Wubri, le fils qu’il eut avec Pogtoenga, régler le problème des Yõnyonse, ses yesramba (oncles maternels). Wubri et ses hommes se seraient installés dans les cases de ses oncles (actuel quartier Rabogzoughin de Ziniaré). De ce pied-à-terre, ils organisaient des équipées contre les Nînsi.

Plus tard, ils auraient décidé de s’attaquer à la région située à l’ouest de l’actuel Ziniaré. C’est ainsi qu’un jour, il fit une halte dans les environs du baobab objet de cet article. A la vue des guerriers de Wubri, à la fois nombreux et bien armés, les Nînsi jugèrent prudent de ne pas livrer bataille, sous peine d’aller à l’abattoir. Aussi, au lieu d’une offensive armée, ils entreprirent plutôt une offensive de charme. Ainsi, Wubri et sa troupe eurent de quoi étancher leur soif et de quoi manger. A ce qu’on dit, même les montures en eurent pour leurs besoins.

Un baobab vieux de 5 siècles

Ce serait alors après cette hospitalité inattendue que Wubri qualifia la localité de terre où l’on sait bien accueillir l’étranger. D’où le toponyme Wogdo, devenu Ouagadougou depuis la colonisation. Rappelons que selon certaines sources, l’ancien nom de la ville était Kombem-Tenga. L’arrivée de Wubri a été située au XVe siècle par les historiens.

De cette synthèse, on retiendra que Komber Pademba :
a vu Naaba Wubri, celui à qui on attribue la fondation du royaume de Wogdogo ;
a vu naître le toponyme Wogdogo (Ouagadougou) désignant la capitale de notre pays ;
est un arbre multicentenaire. Il dépasse 5 siècles d’existence, puisqu’à l’arrivée de Wubri, il était suffisamment grand pour abriter sous son ombre un chef de guerre et sa troupe. A cet âge, il existait lorsque Christophe Colomb arrivait en Amérique.

Un peu plus tard, quand Wogdogo est devenu capitale fixe du royaume, Komber Pademba était sollicité. C’est ce que nous fait savoir Assimi Kouanda(1) dans son mémoire de maîtrise : "Alors que dans tout le royaume, tout le monde se prosterne pour saluer le Moog-Naaba après s’être décoiffé et déchaussé, les Yarse sont, à la cour du roi, les seuls à ne pas le pratiquer.

Ceux qui, par oubli ou même par négligence, les portaient devant le souverain étaient sévèrement punis. La chose était si grave que tous les chefs de canton ou des villages situés à l’est du royaume, qui venaient à Ouagadougou, ôtaient leur bonnet de chef au niveau du baobab situé sur la route de Niamey, juste à l’entrée du Club de l’Etrier voltaïque. Ce baobab portait d’ailleurs le nom de Komber Padumba. Komber Padumba traduit ici le lieu où les chefs renoncent à leur pouvoir pour se soumettre à celui du Moog-Naaba".

Le vénérable Komber Pademba vit donc ses derniers instants. Que faire ? D’après les botanistes qui connaissent le baobab, à moins d’un miracle, c’en est fini de Komber Pademba. Il devrait s’écrouler d’ici la fin de la saison des pluies à venir. Le départ des abeilles semble être un signe prémonitoire. Le fait qu’il ne fleurit plus, également. Va-t-il tomber parce que trop vieux ? Possible. Mais il faut savoir que des baobabs deux ou trois fois plus vieux respirent toujours la pleine forme.

Parmi les causes de son état actuel, il ne faut pas écarter l’aridification de la zone, due au réaménagement en béton armé du canal qui traverse l’université. La mort de certains arbres des environs s’explique ainsi. A défaut de n’avoir pas su, de son vivant, faire de lui l’icône de Ouagadougou, comme les Français, les Belges et les Américains l’ont fait de la Tour Effeil, de l’Atomium et de la Statue de la liberté, il y a lieu d’explorer les possibilités qu’offre l’architecture pour en sauver ne serait-ce que la forme et l’emplacement, car la vraie mort, c’est quand meurt le témoin (pour en savoir plus, cf "Si Ouagadougou m’était conté" in L’Observateur du 2 avril 1993).

Lassina Simporé

Note (1) : Historien, ancien ambassadeur du Burkina au Maroc, et actuel directeur de cabinet du président du Faso.

Observateur Paalga

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