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Le Togolais Edem Kodjo, « sage » de l’UA, à la peine dans la prévention et la résolution des conflits (2/3)

Publié le mercredi 3 juin 2015 à 22h35min

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Le Togolais Edem Kodjo, « sage » de l’UA, à la peine dans la prévention et la résolution des conflits (2/3)

L’affaire du Sahara occidental, dans laquelle Edem Kodjo aura été sans doute plus qu’il ne faut volontariste (il me confiera par la suite que la présidence de l’OUA, en 1980-1981, assurée par Siaka Stevens, président de la Sierra Leone, ne lui a pas facilité la tâche sur ce dossier particulièrement délicat) va tendre ses relations avec Gnassingbé Eyadéma. Après avoir quitté Addis Abeba, il prendra le large, s’installera à Paris où ses « amis » vont lui confier des tâches de consultant.

Dans la capitale française, il ne peut avoir ni le même train de vie, ni le même standing social que ceux auxquels il était habitué. Il est, par ailleurs, professeur invité à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il assurera des cours aux étudiants de troisième cycle. Mais il n’est qu’un « ex » en exil : ex-ministre, ex-secrétaire général du RPT, ex-secrétaire général de l’OUA. Il vivra mal son expatriation en France et son éloignement du terrain politique togolais. Il n’est pas, non plus, sans craindre les foudres des nomenklaturistes du régime pour qui, ayant été le « chouchou » du patron, il tend à devenir, « off Lomé », l’homme à abattre.

Plusieurs tentatives seront menées pour réconcilier Eyadéma et Kodjo. En vain. Mais le chef de l’Etat togolais est parfois moins buté qu’on ne le dit. Quand, au début de l’année 1989, Kodjo lui fera parvenir un texte d’analyse des dangers d’implosion politique qui menacent le RPT, toujours l’unique parti au Togo, et le régime d’Eyadéma, le chef d’Etat n’hésitera pas à convoquer son auteur. Et Kodjo, quant à lui, n’hésitera pas à se rendre à Lomé. Une page allait se tourner. Pour Kodjo et pour le Togo. Qui va entrer dans une période tumultueuse.

A la fin des années 1980, Kodjo passe, dans les milieux francophones, pour l’incontestable leader de l’opposition au président Eyadéma. Une opposition soft, qui ne s’affirme pas au-delà de la critique et qui fédère les « intellectuels » togolais qui ont choisi, depuis de longues années, de faire carrière en France en surfant sur la dénonciation des tares et des dérives du régime togolais ; mais ils sont à des années lumières des attentes des populations togolaises. Le Togo est encore sous la férule du RPT selon le principe du Parti-Etat. Entre Eyadéma et Kodjo, la rupture n’est pas totale ; ils ont des contacts assumés par des « petits télégraphistes » ; ils se rencontrent parfois. Kodjo se trouve, par ailleurs, au sein d’une nébuleuse de chefs d’Etat qui écoutent ses conseils sans pour autant les suivre mais ne sont pas sans rendre compte à Lomé. Kodjo a mis en place, à Genève, un Institut panafricain des relations internationales (IPRI) qui aura bien du mal à fonctionner ; cet institut édite la revue Afrique 2000 (dont la ligne éditoriale s’inscrit dans le droit fil de son ouvrage « Et demain l’Afrique » publié en 1985).

Au début des années 1990, le multipartisme est à l’ordre du jour. Pas pour Eyadéma. Il pense gagner du temps en affirmant le principe de la séparation du Parti et de l’Etat. Au Togo, la population a une autre vision des choses. Manifestations, répression, Conférence nationale nomination d’un Premier ministre de la « transition », etc. Eyadéma paraît en mauvaise posture. C’est la ruée des « politiques » pour conquérir le pouvoir. Dans le plus absolu des désordres ; ils sont une dizaine à penser qu’ils ont un destin national. Kodjo est rentré au Togo à la fin du mois de mars 1991. Quelques jours plus tard, le 8 avril 1991, il fonde l’Union togolaise pour la démocratie (UTD), participe à la Conférence nationale, mais doit se cacher pendant les affrontements armés dont Lomé va être le théâtre à la fin de l’année 1991.

L’année 1992 ne sera pas meilleure : séquestré (avec les membres du HCR, l’organe législatif de la transition), battu, humilié, Kodjo va avoir bien du mal à s’imposer face à la nouvelle vague des leaders politiques plus hard qu’il ne l’a été ; s’il se trouve dans le camp de l’opposition, il a été, de longues années, dans celui du pouvoir et on ne manque pas de le lui rappeler. Ce qui peut apparaître comme un handicap est aussi un avantage : Kodjo a le contact avec Eyadéma qui, tout au long de la période, va demeurer l’incontournable chef de l’Etat. Kodjo, qui n’est pas un inconnu, reçoit par ailleurs le soutien de Paris et de Ouagadougou. Blaise Compaoré s’implique dans la recherche d’une solution à la crise politique togolaise en organisant dans sa capitale des rencontres entre les représentants du chef de l’Etat et ceux de l’opposition, dont le chef de file est Kodjo ; elles déboucheront sur les « accords de Ouagadougou ».

Kodjo sera le candidat unique de l’opposition réunie au sein du Collectif de l’opposition démocratique (COD) à la présidentielle de 1993 ; mais, au dernier moment, le COD appellera au boycott. Kodjo n’en n’est pas partisan ; mais il doit subir la loi de ses partenaires. Il va le payer lors des législatives qui suivent : son parti subit un échec retentissant : sur 81 sièges attribués, l’UTD ne remportera que 7 sièges contre 36 pour le CAR de Yao Agboyibo. Pour Eyadéma, c’est une triple victoire. Il est un président de la République plébiscité (plus de 96 % des suffrages exprimés !) ; Kodjo, un genou à terre, est apte à devenir un Premier ministre dont les ambitions seront nécessairement limitées ; l’opposition, qui attendait la nomination de son leader, Agboyibo, à la primature, est du même coup divisée. Le 23 avril 1994, Eyadéma nomme effectivement Kodjo au poste de premier ministre ; le CAR va refuser de participer au gouvernement considérant que « Kodjo a trahi ».

Le gouvernement formé le 25 mai 1995 traduira donc, comme le soulignera perfidement la présidence, « la refondation du pacte Eyadéma-Kodjo ». L’alliance du cheval et du cavalier aurait dit Balla Keïta. Huit portefeuilles seront attribués à des proches du chef de l’Etat, huit à des « personnalités indépendantes » et trois à des membres de l’UTD. Il n’y avait pas, pour autant, au sein de ce gouvernement de personnalités de premier plan. Il est vrai qu’au lendemain de la dévaluation du franc CFA il fallait un gouvernement « convenable » ; Lomé avait besoin, plus que jamais, du concours des bailleurs de fonds ! Dix-huit mois plus tard, le 29 novembre 1995, Eyadéma va renforcer son emprise sur le gouvernement Kodjo. Quelques nomenklaturistes du RPT y occupent des ministères de souveraineté. C’est le cas de Barry Moussa Barqué, ancien conseiller spécial d’Eyadéma, nommé ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, de Gnagninime Bitokotipou, ambassadeur à Paris, nommé ministre de la Défense nationale, d’Esso Solitoki, attaché de presse pendant dix ans à la présidence de la République et chef de cabnet d’Eyadéma, nommé ministre de la Culture et de la Communication, etc.

Amnistie, sécurité (« Il n’y a plus, comme par le passé, d’assassinats politiques » soulignait Kodjo), Etat et état de droit, respect des droits de l’homme, rapatriement volontaire des réfugiés togolais au Ghana et au Bénin, institutions démocratiques, redémarrage économique, etc. le bilan de Kodjo sera ce qu’il sera après des mois de grève générale et des années de troubles politiques et sociaux. Mais, globalement, la cohabitation entre Eyadéma et Kodjo, va fonctionner (avec comme missi dominici entre les deux hommes, l’homme d’affaires Alexandre « Alex » Mivedor), même si Kodjo est pieds et poings liés face au chef de l’Etat qui n’a rien abdiqué de son pouvoir (surtout pas militaire et sécuritaire).

Ce sera la cause de la rupture entre les deux hommes ; peu à peu, Eyadéma va marginaliser Kodjo, y compris lors des conseils des ministres (il voudra nommer les hauts cadres de l’administration). Sur cette cohabitation, Jacques Foccart, dans ses entretiens avec Philippe Gaillard, précisera : « Eyadéma mène le jeu politique, mais il a eu besoin de Kodjo, qui a mis à contribution ses relations internationales pour faciliter le rétablissement de l’aide de la France et des autres pays européens, bloquée depuis 1993 […] En dépit des tensions, il y a donc eu, entre les deux hommes, une collaboration réelle, dont le résultat est apparu dans la reprise de l’économie ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 4 juin 2015 à 13:35 En réponse à : Le Togolais Edem Kodjo, « sage » de l’UA, à la peine dans la prévention et la résolution des conflits (2/3)

    Si "Le Togolais Edem Kodjo, « sage » de l’UA, à la peine dans la prévention et la résolution des conflits", cela est tout a fait normal. car, en la mati_ère on en s’improvise pas Médiateur. Aussi, on ne s’autodéclare pas "sage". En Afrique, il y a des sage mais il n’y a jamais de concours visible pour être considérée comme sage. Pour moi, Edem n’est connu qu’au Togo. comment sera t-il accepté comme médiateur ? Aussi je en suis pas sure qu’il soit vu comme un sage. Par ailleurs, pour être un bon médiateur, soit il faut être sage, soit on provoque le conflit, on soutient chacune des parties dans le conflit et après on fait la médiation. dans l’une ou l’autre de ces conditions on peut avoir des résultats. Edem ne répond à aucun de ces critères. Edem, ne connais tu pas l’histoire de ces sapeurs pompiers d’un village qui n’étaient pas du tout populaire ? eh bien pour le devenir, ils se sont cachés incendiés le marché du village. quand celui-ci à pris feu, la population a accouru pour alerter les pompiers. ils sont arrivés et ont neutraliser le reste du feu. depuis ce jour, ils sont devenus populaires. Demande aux grands médiateurs qui ont passés leurs temps à négocier pour libérer les otages. ils savent qu’il faut être en amont pour être à l’aval. n’est pas médiateurs qui veut. en cas de crise dans un pays, il faut sourire avec l’opposition il faut sourire avec le parti au pouvoir. vois tu, lors de la crise au Burkina Faso avant l’insurrection populaire, ADO et Soro (de la RCI) n’ont pas pu être de bon médiateur, car ils ne savaient pas sourire avec l’opposition. ET pourtant lors de la crise en RCI, notre Blaiso savait sourrire avec Gbagbo et savait sourire avec ses opposants. en conclusion, un bon médiateur n’est pas loin d’un bon hypocrite. J’espère ne rien t’apprendre

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