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Pacte national pour le renouveau de la Justice : La création de l’Autorité de mise en œuvre « participe d’une démarche originale », selon Abdoul Karim Sango

Publié le mardi 28 avril 2015 à 23h47min

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Pacte national pour le renouveau de la Justice : La création de l’Autorité de mise en œuvre « participe d’une démarche originale », selon Abdoul Karim Sango

Les états généraux de la Justice ont accouché le 28 mars dernier, d’un « Pacte national pour le renouveau de la Justice ». Un mois après, qu’en est-il de l’érection des mécanismes de sa mise en œuvre effective ? Autour de cette question, nous avons réalisé un entretien – à distance – avec le juriste Abdoul Karim Sango (hors du pays). Avec M. Sango, il a en effet, été question de la dynamique actuelle – tenant compte du pacte - de fonctionnement de l’appareil judiciaire, et de l’Autorité de mise en œuvre dudit pacte. Lisez plutôt !

On sait que vous avez été consulté comme personne-ressource dans le cadre des états généraux de la justice. On vous connaît également comme fin observateur de la Justice burkinabè. Alors, qu’est-ce qui, selon vous, a changé dans la dynamique de fonctionnement de l’appareil judiciaire, un mois après la signature du pacte pour le renouveau de la Justice burkinabè ?
Merci de me donner la parole pour revenir sur ma participation à l’organisation des états généraux. En effet, la ministre de la justice a bien voulu m’associer à ce temps fort de réflexion sur notre système judiciaire en me confiant la présidence de la commission thème. Personnellement, j’ai été surpris du choix porté sur ma modeste personne pour au moins deux raisons.
Dès l’annonce des états généraux, j’avais écrit un post sur ma page Facebook pour m’interroger sur l’opportunité de l’organisation d’une telle activité en raison des précédents en la matière ; par ailleurs, il y avait des personnalités dans ma commission dont je suis loin d’avoir l’expérience dans le domaine de la justice. Je peux citer par exemple l’ancien médiateur du Faso, l’actuel président du conseil constitutionnel, le directeur de l’UFR/SJP… Pleines de modestie, ces personnalités se sont investies pour permettre à notre commission d’atteindre ses objectifs qui, globalement, consistaient à concevoir au plan intellectuel, la préparation des différentes phases des états généraux en mettant notamment à la disposition des participants qui sont venus d’horizons divers, le matériau devant servir pour les discussions. Le pacte qui reste le document phare des états généraux, a été élaboré avec les engagements pris dans les ateliers thématiques qui étaient au nombre de cinq. Au final, je pense que l’exercice a été très utile, si je m’en tiens aux réactions des citoyens, des hommes politiques et des médias…
Un mois après la signature du Pacte, peut-on raisonnablement s’attendre à un changement dans la dynamique de la justice ? Je crois que c’est complètement démagogique de penser que des habitudes - de mauvais fonctionnement du système judiciaire - acquises en une vingtaine d’années devraient changer par un coup d’épée magique. Mais, on peut noter que certains engagements connaissent un début de mise en œuvre quand on voit ce qui se passe avec la Haute cour de justice.
Ce sont les états généraux qui ont recommandé au gouvernement de faire juger les anciens dignitaires qui ont commis des infractions graves dans le cadre des institutions actuelles. Certains avaient proposé la mise en place d’une cour spéciale ; nous avons dit non aux états généraux. Nous avons aussi insisté pour dire que les juges doivent être indépendants dans l’application de la loi. La preuve, nous en a été donnée par la mise en liberté des anciens ministres qui ne sont justiciables que devant la Haute cour de justice pour les infractions commises dans l’exercice de leur fonction.
Une partie de l’opinion n’a pas apprécié cela ; mais il faut qu’on explique que l’indépendance du juge, c’est pour tout le monde. Je ne suis pas entrain de dire que tout se passe comme je l’aurais souhaité ; mais je note de façon objective, des changements. Par exemple, j’ai entendu dire que certains ministres ou dignitaires de l’ancien régime avaient subi des traitements inhumains et dégradants visant à les humilier ; ça, ce n’est pas une bonne chose ! Mais je ne suis pas sûr que cela se soit passé devant le juge.
D’autres choses peuvent être faites aussi très rapidement. Je pense en particulier à l’environnement de travail des juges. Je ne sais pas si c’est compliqué de mettre des postes de téléphone fixe dans les bureaux des juges et qu’ils ne soient pas obligés d’utiliser leur téléphone portable pour appeler les justiciables. On peut les doter d’un système de connexion internet haut débit pour faciliter la recherche, cela peut contribuer énormément à améliorer la qualité des décisions de justice. Ce sont là, les quelques petites mesures que la transition peut et doit régler.

Quelles sont, selon vous, les limites de ce Pacte par rapport à la restauration effective de la confiance entre la Justice burkinabè et les justiciables ?
Le pacte ne présente pas plus de limites que les autres instruments juridiques. On met beaucoup l’accent sur le caractère non contraignant du texte. C’est vrai ; mais ça me semble un débat purement doctrinal et sans intérêt pratique. Le texte le plus cité et le plus respecté dans toutes les nations civilisées de nos jours, c’est bien la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948. Demandez aux juristes quelle est sa valeur juridique ? Vous connaissez le rapport du collège des sages de 1999. Au plan du droit, c’est moins important qu’un Pacte. Personne ne l’a ratifié, c’est un simple rapport !
Mais combien de fois l’avons-nous cité pour dire à Blaise qu’il n’avait pas le droit de lever la clause limitative du nombre de mandats présidentiels. Je ne peux pas vous dire le nombre de conférences que j’ai animées sur l’ensemble du territoire entre 2010 et fin octobre 2014. Pas une seule fois, je n’ai manqué de citer le rapport du collège des sages pour délégitimer l’initiative du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, ex-parti au pouvoir, ndlr) et de ses partis satellites. Et c’est tout cela qui a fragilisé le projet de révision de l’article 37 et favorisé l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre.
Le pacte sera ce que les Burkinabè voudraient qu’il soit ! Un document de plus, ou un document de transformation de notre système judiciaire pour le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit. Il me semble que le texte a été signé par les principaux leaders des partis politiques qui iront bientôt en campagne. Si un d’entre eux est élu, il suffira de l’inviter à mettre en œuvre le Pacte parce qu’il s’y est engagé. C’est cela le rôle des organisations de la société civile, des médias et des citoyens intellectuels engagés.
Il y a quelques jours, un syndicat des avocats a organisé un panel là-dessus, c’est ce genre d’initiatives qu’il faut encourager pour mettre la pression sur ceux qui ont la responsabilité de mettre en œuvre le pacte. Par exemple dans le pacte, il est écrit que le président du Faso ne doit pas être le président du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Il nous appartiendra de le faire inscrire dans la Constitution.
Mais en Afrique, les élites sont souvent comme les populations analphabètes. Elles ne suivent pas de façon efficace l’action des hommes politiques pour les obliger à respecter leur engagement. Il y a nécessité de mieux s’organiser et que chacun reste dans son rôle. Par exemple, en Côte-d’Ivoire, pendant la campagne présidentielle de 2010, Alassane Dramane Ouattara avait soutenu l’idée que le président de la République ne puisse pas être président du CSM dans son programme et lors du débat qu’il a eu avec Laurent Gbagbo. Où est ce qu’ils en sont avec cette promesse de campagne, et qui s’en préoccupe même ?
Je suis un peu inquiet par la façon dont certains acteurs, notamment de la société civile agissent et réagissent dans le Burkina post-insurrectionnel. Au lieu d’être « des chiens de garde de la démocratie », ils se mettent à la remorque des dirigeants du moment, ou des hommes politiques. Si nous voulons avoir une démocratie forte au service du bien commun, il faut redéfinir les rôles des uns et des autres. La société civile doit rester à équidistance des acteurs politiques en ne défendant que des principes et non des individus. Evitons le culte des individus, c’est trompeur et vous finissez par avoir des ambitions au-delà de vos capacités intellectuelles et morales.

Qu’en est-il de la mise en place de l’Autorité de mise en œuvre du pacte (AMP) pour le renouveau de la Justice burkinabè ?
Là, vous me demandez des choses qui dépassent mes compétences. Moi, je ne suis pas chargé de la mise en œuvre des conclusions des états généraux. Je ne suis même pas du cabinet de Mme la ministre ; je suis un simple enseignant de droit qui a été associé à la réflexion. Il faudra peut-être poser cette question à la ministre et comme elle me semble très disponible et ouverte, elle se fera le plaisir de situer l’opinion plus exactement.

Que peut-on véritablement attendre de cette Autorité ?
C’est un organe qui devrait avoir la personnalité juridique d’une autorité administrative indépendante, et chargée de veiller à la mise en œuvre des engagements contenus dans le pacte. C’est un peu un organe de veille qui pourra interpeller tous les signataires du pacte pour pousser à sa mise en œuvre. Les justiciables pourront la saisir pour dénoncer la mal administration de la justice. C’est un peu une sorte de médiateur du secteur judiciaire.
Je n’étais pas très favorable à cette idée d’Autorité, pour éviter les duplications fonctionnelles. Souvent dans nos pays, il y a trop d’institutions sans valeur ajoutée réelle, sauf à caser quelques amis. Mais au final, s’il y a de la volonté, elle pourra être très utile. En tout cas, sa création participe d’une démarche originale.

Qu’en est-il du calendrier de la mise en œuvre du Pacte ?
Je n’en sais rien. Il faut poser la question à Mme la ministre de la justice. Je peux simplement répéter que la mise en œuvre du Pacte doit démarrer sous la Transition, pour obliger les prochains gouvernants à aller dans la même direction.

Entretien réalisé par Fulbert Paré
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