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Djibrill Y. Bassolé, ancien ministre d’Etat burkinabè : « A partir de maintenant, je suis libre de m’engager en politique » (2/4)

Publié le mercredi 25 mars 2015 à 23h21min

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Djibrill Y. Bassolé, ancien ministre d’Etat burkinabè : « A partir de maintenant, je suis libre de m’engager en politique » (2/4)

Le dimanche 11 janvier 2015, un appel est lancé par des groupements de jeunes en faveur d’une candidature à la présidentielle 2015 du général de gendarmerie, ancien ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, Djibrill Y. Bassolé. Le jeudi 22 janvier 2015, Bassolé répond aux questions de Cyriaque Paré, patron du site lefaso.net (cf. LDD Burkina Faso 0489/Mercredi 18 mars 2015). Le samedi 21 février 2015, à Dédougou (dans le Mouhoun) s’est tenu un forum national de la jeunesse sur l’employabilité des jeunes (préparé par un cabinet d’études). 1.500 jeunes venus des treize régions du pays. « Parrain » de la manifestation : Djibrill Y. Bassolé.

Dans l’entretien accordé à Paré, Bassolé avait déjà affirmé que « l’employabilité des jeunes constitue un défi majeur ». Il avait cité Voltaire (« Le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin »*) et appelé à prendre en considération les « aspirations légitimes et les attentes » d’une jeunesse qui « a besoin d’emplois plus décents et plus gratifiants ». A Dédougou, Bassolé (présent alors qu’il n’était pas à la Maison du Peuple lors de « l’appel du 11 janvier ») a poursuivi sa politique de prise en compte de la jeunesse : « Je suis particulièrement réjoui de voir que vous avez eu la lucidité de vous rassembler pour parler de ce qui vous concerne ». Prendre leur destin en main ; exiger que les gouvernants les écoutent ; améliorer leurs conditions de vie et de travail ; en finir avec le chômage, l’insécurité et la corruption… Pour le reste, Bassolé a promis aux jeunes qu’il ne tarderait pas à répondre à « l’appel du 11 janvier » ; ce sera à Ouaga, a-t-il dit, afin de leur présenter « le rêve que j’ai pour vous ».

Tout cela semble bien orchestré, crescendo**. Adama Kiéma, « coordonnateur national des comités des structures et réseaux de soutien à la candidature de Djibrill Bassolé », était aux anges : « Nous sommes une jeunesse engagée qui repart comblée de joie parce que son Excellence*** nous a dit qu’il [sic] allait répondre favorablement à notre appel ». C’est, dans cette opération, l’élément le plus troublant. Je parle, bien sûr, d’Adama Kiéma comme « coordonnateur national ». Certes, le griotisme est une composante de la culture africaine****, mais il serait temps d’être, en cette matière également, en « rupture ». « C’est Dieu qui a donné Djibrill aux Burkinabè. Saisissons cette chance ». Kiéma avait dû penser, aussi, que « c’est Dieu qui a donné Blaise aux Burkinabè ».

Il aurait été, dit-on, à Ouaga, formé par Salif Dolbzanga qui s’est illustré comme président des Amis de Blaise Compaoré (ABC) après avoir créé le 30 octobre 1987, les Inconditionnels de Blaise Compaoré (IBC) ; Dolbzanga désignait systématiquement le chef de l’Etat comme son « Grand ami » (« Nous aurons toujours confiance au sens élevé de responsabilité de notre Grand ami. La modification de l’article 37 est un faux débat, parce que notre Grand ami ne l’a jamais abordé ni personnellement ni publiquement »). Kiéma, dit-on toujours à Ouaga, aurait à son tour formé Alpha Yago, membre du secrétariat exécutif du CDP, ex-parti présidentiel, présenté dans les médias comme « le bon petit de François Compaoré », le frère de l’ex-président du Faso. Et si Dieu a donné Blaise et Djibrill aux Burkinabè, il a aussi donné Alassane aux Ivoiriens. Car Kiéma est par ailleurs président du Cercle des amis d’Alassane Dramane Ouattara au Burkina Faso (CADO) créé en 2006 « pour fédérer tous les sympathisants de ce grand homme ».

Peu importe Kiéma, à la recherche, dit-il, « d’un père et d’un repère ». La vie politique, en Afrique comme ailleurs, est faite de ces hommes et de ces femmes qui s’efforcent de surfer sur la notoriété des autres et, n’étant que geai, entendent se parer des plumes du paon. Jean de La Fontaine a déjà raconté leur lamentable***** histoire au XVIIè siècle.

Mais revenons, stricto sensu, à Djibrill Y. Bassolé. « A partir de maintenant, je suis libre de m’engager en politique ». Cette déclaration, le dimanche 15 mars 2015, traduit l’évolution de sa situation réglementaire vis-à-vis de l’armée, certes, mais est aussi l’expression du sentiment de liberté que doit éprouver, depuis les événements des 30-31 octobre 2014, celui qui a été, pendant près de quinze ans, le ministre (et non des moindres) de Blaise Compaoré, après avoir été, à moins de quarante ans, le commandant de la gendarmerie, et donc dépositaire de biens des secrets (pour ne pas dire des mystères) de la « Révolution », de la « Rectification » et de la démocratisation.

Dans aucun de ses récents entretiens, Bassolé ne fait référence à son ex-patron. Il est resté à Ouaga, sans avoir à se réfugier où que ce soit, quand tout le monde (ou presque) a pris la fuite au village ou à l’étranger. A-t-il évoqué avec Blaise ses velléités de lui succéder (avec quel bilan à proposer des « années Compaoré » ?). Paré, lorsqu’il l’a interviewé, a évoqué la rumeur sur l’opposition de la « famille Compaoré » à sa candidature mais n’a pas parlé de l’actuelle relation entre l’ancien président du Faso et son homme de confiance. Même chose en ce qui concerne une OPA de Bassolé sur le CDP (qui demeure le seul parti politique structuré dans la totalité du milieu rural burkinabè, les événements des 30-31 octobre ayant été exclusivement urbains).

Bassolé n’a jamais été dupe de l’ambiance qui régnait dans l’entourage, familial et politique, du président du Faso. Il s’est efforcé, quand il le pouvait, d’infléchir le comportement des uns et des autres. Aujourd’hui, il a les mains libres. Totalement libres ?

* Il n’est pas certain que cette citation, extraite du « Candide » de Voltaire corresponde à la situation de la jeunesse au Burkina Faso. « Le travail éloigne, etc. » vise l’oisiveté d’une « noblesse arrogante » inapte à « cultiver son jardin », autrement dit à sortir du « conservatisme social ». « Candide », édité pour la première fois en 1759, l’a été trente ans et six mois avant la prise de la Bastille. C’était la dénonciation du laxisme d’une classe dirigeante qui ne voyait pas que le monde avait évolué sans elle. Nous sommes loin de la situation que connaissent les jeunes Burkinabè où, même quand ils travaillent, ils sont soumis, de la part de trop d’employeurs, « à l’ennui, au vice et au besoin ».
Quant à citer Voltaire, j’eusse préféré que l’on rappelât l’ambition qu’il avait formulée, depuis Berlin, le 18 décembre 1752, de rédiger « un petit dictionnaire à l’usage des rois » afin de faire comprendre que « Mon cher ami veut dire vous m’êtes plus qu’indifférent ». C’est drôle et ce n’est pas faux.

** Dans L’Observateur Paalga du lundi 23 février 2015, Dramane Sougué écrit au sujet de cette manifestation : « Les 1.500 places assises de la salle n’ont pu contenir le monde, à telle enseigne que les organisateurs ont dû recourir à des haut-parleurs géants placés hors de l’édifice pour permettre à ceux qui n’avaient pas eu la chance d’obtenir une place à l’intérieur de suivre les débats ». Il évoque par ailleurs un « événement historique qui restera à jamais gravé dans les annales de l’histoire du Burkina ».

*** Je conseille fortement aux adeptes de l’emploi « servile » du qualificatif « Excellence », la lecture des explications (lefaso.net du samedi 7 mars 2015) de Mélégué Traoré, docteur en science politique, ancien président de l’Assemblée nationale burkinabè, président du Centre parlementaire panafricain, qui dénonce « l’inflation – fâcheuse – de ce vocable […] servi à toutes les sauces et appliqué de manière inappropriée ». Il ne manque pas de souligner que « les dirigeants africains se couvrent de ridicule avec une telle pratique dont se gaussent – souvent dans les coulisses – leurs interlocuteurs ».

**** A l’occasion de la IXè édition des Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO), du 20 au 23 novembre 2013, le ministre de la Communication, Alain-Edouard Traoré, avait envisagé l’organisation d’une « nuit des griots » considérant que le griot était « plus proche de la population locale que le journaliste ». Ce qui, bien sûr, avait provoqué une levée de boucliers de la part des journalistes (cf. LDD Burkina Faso 0392/Vendredi 1er novembre 2013).

***** Interrogé par Jules Tiendrébéogo, le 3 février 2015, sur comment il a « réussi à mobiliser, en si peu de temps, 11 millions pour la caution de votre candidat », Adama Kiéma répond : « Nous avons réussi à mobiliser à la Maison du Peuple plus de 4.000 personnes. Prenez 4.000 personnes, vous divisez par onze millions, vous allez voir qu’on n’a pas même besoin de mille et quelques francs pour avoir cette somme ». Kiéma ajoute : « C’est pour vous dire que ce n’est pas une somme qui est énorme. Je suis un petit chef d’entreprise, j’ai pas mal d’amis autour de moi ». Espérons qu’il a dans son entreprise ou parmi ses amis un vrai comptable… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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