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La mort du général Tiémoko Marc Garango, emblématique ministre des finances burkinabè (2/2)

Publié le dimanche 15 mars 2015 à 18h31min

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La mort du général Tiémoko Marc Garango, emblématique ministre des finances burkinabè (2/2)

Du long passage (dix ans) de Tiémoko Marc Garango au portefeuille de ministre des Finances, il reste, à jamais, un mot : la « garangose »*, expression de l’austérité imposée par les militaires au pouvoir**. La pauvreté érigée en vertu. Une démarche que reprendra Thomas Sankara moins de dix ans plus tard mais difficile à tenir aujourd’hui. Quand il quittera le gouvernement, début 1976 (cf. LDD Burkina Faso 0484/Mercredi 11 mars 2015), le régime de Sangoulé Lamizana a encore cinq ans à vivre mais la classe politique voltaïque, qu’elle soit civile ou militaire, est retombée dans les errements du passé.

Garango va passer toutes ces années à l’étranger. Il sera d’abord ambassadeur*** en République d’Allemagne (1977-1981) puis aux Etats-Unis (1981-1983). Dans le même temps, il a gravi les échelons de la hiérarchie militaire : intendant militaire de première classe (colonel) à compter du 1er janvier 1976, il a été promu intendant général de deuxième classe (général de brigade) le 1er janvier 1979 et intendant général de première classe (général de division) le 1er avril 1981.

En 1980, le colonel Saye Zerbo a pris le pouvoir et c’est un Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN) qui gouverne. Peu de temps. En 1982, il devra céder le pouvoir au Conseil du salut du peuple (CSP) du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo. L’avènement du CSP, le 7 novembre 1982, n’aura pas été chose facile. Saye Zerbo était parvenu à faire l’unité des différentes tendances qui traversaient l’armée voltaïque. Deux ans plus tard, celle-ci fera son unité contre lui sans réussir, cependant, à s’unir sur le choix du nouveau chef. Provisoirement, dans l’urgence, les chefs militaires s’étaient mis d’accord sur le nom de Ouédraogo. Mais il leur faudra « voter » pour le confirmer à son poste.

Face au médecin-commandant se trouvaient alors en concurrence le colonel Yorian Gabriel Somé, ancien aide de camp du président Maurice Yaméogo et nostalgique des années 1960, soutenu par son neveu, Jean-Claude Kambouélé, patron des blindés de Ouagadougou, et… l’intendant-général Garango, alors ambassadeur aux Etats-Unis, dont la candidature avait été proposée par le commandant Fidèle Guébré, patron des paracommandos de Dédougou. C’est finalement Ouédraogo qui l’emportera. Peu de temps, là encore. Le 17 mai 1983, Gabriel Somé parviendra à ses fins. Les militaires « progressistes » seront exclus du jeu politique au profit des « réactionnaires ». Jusqu’au triomphe de la « Révolution » du 4 août 1983. Le 9 août 1983, le colonel Yorian Gabriel Somé et le commandant Fidèle Guébré seront exécutés dans le cadre du « Conseil de l’Entente », QG au cœur de Ouaga du Conseil national de la révolution (CNR). A l’instar des autres personnalités des « anciens régimes », Garango va, lui, se retrouver interné administratif.

Nous sommes en 1983. Il a 56 ans. Et le général, ancien ministre, ancien ambassadeur, va entamer une longue traversée du désert. Il faudra les événements du 15 octobre 1987 et la mise en œuvre du processus de « Rectification », pour que l’on reparle du général Tiémoko Marc Garango. L’instauration du « Front populaire » et le retour à l’Etat de droit vont lui redonner droit de cité au cours de la décennie 1990, même si, après les affres de la période « révolutionnaire », bien peu de Burkinabè se souviennent alors que le père de la « garangose » est toujours vivant, et bien vivant.

On redécouvrira Garango lors de la 1ère Conférence annuelle de l’administration publique (CAAP) à la Maison du Peuple (27 au 30 septembre 1993). Youssouf Ouédraogo était premier ministre. Garango était un des participants à cette formidable manifestation au lendemain du retour du Burkina Faso à l’Etat de droit. La ministre Juliette Bonkoungou dira, dans son discours d’ouverture : « J’ai un rêve, le gouvernement a un rêve, le peuple burkinabè tout entier a un rêve […] Ce rêve est celui d’un Burkina Faso nouveau, un Burkina Faso de l’excellence, c’est-à-dire un Burkina Faso uni, un Burkina Faso de justice et de tolérance, un Burkina Faso du travail, démocratique et prospère ». Discours des jours nouveaux que l’on oublie les jours d’après.

Le Burkina Faso, alors que la dévaluation du franc CFA se profilait à l’horizon, avait décidé d’appliquer un Programme d’ajustement structurel (PAS). La rigueur, ce n’était pas pour déplaire à Garango. C’était un pragmatique. « Telle époque, telles mœurs, telle est la loi de la succession. Aujourd’hui, c’est la mode de la libéralisation économique et du désengagement de l’Etat par la privatisation des entreprises », rétorquera-t-il quand il sera interrogé sur l’évolution de la politique économique burkinabè****. Il ajoutait : « La doctrine économique ayant changé, nous ne devons pas ressentir son application comme une entreprise de démolition, mais comme une opération d’ajustement aux nécessités de l’heure qui met, au contraire, en valeur l’œuvre d’édification nationale réalisée par les devanciers ».

Quand mon ami Pascal Zagré, ancien ministre du Plan et de la Coopération, mort beaucoup trop tôt, publiera « Les Politiques économiques du Burkina Faso. Une tradition d’ajustement structurel » (éd. Karthala, Paris, 1994), il consacrera sa deuxième partie à la « garangose », « un PAS avant la lettre », et demandera à Garango de préfacer son livre. On y retrouve les obsessions des deux hommes : la « pratique d’une gestion saine et rigoureuse, fondée sur un style et un train de vie compatibles avec les moyens du pays » au profit de « son peuple façonné dans les contraintes quotidiennes et dans le dur labeur au milieu d’un environnement défavorisé sinon hostile ».

Garango remontera au créneau, vingt ans plus tard, contre « le manque de consistance adéquate du projet de Sénat » dont « l’utilité sociale n’est pas évidente » (L’Observateur Paalga du vendredi 13 au dimanche 15 septembre 2013). Un an plus tard, le régime en place depuis le 15 octobre 1987, qui avait permis le retour à l’Etat de droit et aux pratiques démocratiques, allait sombrer pour n’avoir pas voulu entendre le vieil homme (Garango avait alors 86 ans) qui avait accepté, pourtant, d’être le premier médiateur du Faso de 1994 à 2000.

* On doit aussi à Tiémoko Marc Garango, mais cela semble bien oublié, la création de la Société nationale voltaïque de cinéma (Sonavoci) qui a pris en charge, à compter du 1er janvier 1970, l’exploitation des salles de cinéma gérées jusqu’alors par Comacico et Secma. Garango avait appris que ces deux sociétés venaient de décider de fermer les salles de cinéma qu’elles exploitaient, refusant de payer les taxes exigées par le gouvernement et réclamant de pouvoir augmenter le prix des places. Garango va demander la réunion d’un conseil des ministres extraordinaire pour étudier cette question. Le premier Festival du cinéma africain, qui préfigurait le Fespaco, avait été organisé un an auparavant à Ouagadougou (1er-15 février 1969).

** Sangoulé Lamizana après avoir instauré un régime militaire (1966-1971) – tout en admettant des civils dans le gouvernement (décrit comme « un gouvernement civil avec participation militaire » ) – sera l’instigateur de la IIè République. Gérard Kango Ouédraogo, le leader du RDA, sera alors nommé premier ministre à compter du 19 février 1971 et le restera jusqu’au retour au régime militaire (1974-1978). Kango Ouédraogo va mettre en cause Tiémoko Marc Garango dans le « complot à visage militaire » qui va torpiller la IIè République. Les militaires, au sein du gouvernement, refusaient de se considérer sous la tutelle d’un civil, en l’occurrence le Premier ministre. De la même façon, ils n’étaient pas enclins à accepter la tutelle de l’Assemblée nationale, notamment lors du vote du budget. Ils considéraient ne devoir rendre compte qu’à Lamizana. Ce sera le cas lors de l’examen du budget 1972. Garango et les 4 autres ministres militaires vont, du même coup, faire grève et suspendre leur participation au conseil des ministres des 5 et 12 janvier 1972 ; ils ne participeront au conseil des ministres du 19 janvier 1972 qu’après une longue et pénible négociation à laquelle participeront Lamizana et les chefs militaires face à Kango Ouédraogo.

*** Tiémoko Marc Garango avait été nommé en 1966 ambassadeur non-résident en Chine, actuelle République de Chine-Taïwan que l’on appelait alors « Chine nationaliste ». Les relations entre la Haute-Volta et Taïwan avaient été établies le 14 décembre 1961 et dureront jusqu’en septembre 1973. Taipeh l’emportera à nouveau sur Pékin à compter du 2 février 1994.

**** Entretien avec Césaire Pooda pour le n° 0 daté du mardi 28 septembre 1993 de Le Journal dont je ne sais pas s’il y a eu d’autres numéros par la suite.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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