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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (31)

Publié le dimanche 15 février 2015 à 15h05min

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La journée du mercredi 4 février 2015 restera dans les annales de la transition au Burkina Faso. Yacouba Isaac Zida, Premier ministre, lieutenant-colonel, ex-numéro deux du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP), ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, a été contraint de se réfugier, pour échapper aux foudres de ses anciennes troupes, dans le « palais » du Mogho Naaba, le chef traditionnel des Mossi, et d’y prendre langue avec un… pasteur évangélique promu médiateur. Du même coup, le conseil des ministres a été purement et simplement annulé (cf. LDD Spécial Week-End 0667/Samedi 7-dimanche 8 février 2015).

Toute la journée du mercredi 4 février 2015, les rumeurs vont parcourir la capitale sans que l’on sache véritablement de quoi il en retourne. Le communiqué publié ce soir-là par Mathieu Tankaono, directeur de cabinet du président du Faso (et non pas par son service de communication) ne sera pas plus explicite. On y apprend que le président du Faso a rencontré à Kosyam, au palais présidentiel, « les principaux responsables militaires de l’armée ». Objet de la rencontre : « échange de vue sur les principales divergences qui sont nées au niveau du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) et ayant essentiellement trait à des questions de redéploiements et à des affectations et autres revendications ». Autrement dit, des broutilles. Sauf que le conseil des ministres n’a pas pu se tenir et que le premier ministre a dû se réfugier chez le Mogho Naaba. Et que le président du Faso a décidé de la création d’une commission qui aura pour mission de « se pencher sur le rôle futur et le fonctionnement du RSP ». Le pouvoir exécutif n’en n’est donc plus à gérer des broutilles mais bel et bien à se poser la question de ce que doit être le RSP, jusqu’à présent une armée dans l’armée ; et le risque de déstabilisation qu’il incarne. Le communiqué évoque même une « crise » qui nécessite l’organisation d’une réunion entre les chefs de l’armée et le premier ministre. Compte tenu que celui-ci est un officier supérieur et le ministre de la Défense nationale, on mesure l’ampleur du problème.

Et tout le monde, bien sûr, va vouloir en prendre la vraie mesure. Les partis politiques membres de l’ex-CFOP (« chef de file de l’opposition politique » dans le jargon burkinabè, autrement dit Zéphirin Diabré) vont rappeler, dès le jeudi 5 février 2015, que les organes de la transition « ont été mis en place sur la base d’un consensus soigneusement obtenu entre les composantes du peuple ». Et pour l’ex-CFOP, ces composantes sont « les partis politiques, la société civile et les forces de défense et de sécurité ». C’est donc dans le cadre des institutions définies par la Charte de la transition que les différends doivent être réglés. Or, en ne respectant pas cette règle, « une partie des forces de défense et de sécurité » a provoqué « une crise au sommet de l’Etat ». L’ex-CFOP condamne donc « fermement » toutes les déviances, réaffirme son soutien aux autorités de la transition et entend « contrer toute initiative de restauration du système anti-démocratique de l’ancien régime par des nostalgiques à l’intérieur et à l’extérieur de notre chère patrie ». Du côté des organisations de la société civile (OSC), le ton est plus radical : le RSP, « dans sa forme actuelle, constitue un véritable danger pour la démocratie, la stabilité de nos institutions de la transition et même de l’après transition […] Ce régiment doit être dissout et son personnel redéployé ».

C’est que, pour beaucoup de Burkinabè, la fronde du RSP est l’expression des tentatives menées par le clan Compaoré pour pourrir la transition. « Le RSP a convaincu les plus sceptiques qu’il n’est nullement au service du peuple burkinabè, mais plutôt au service d’un régime qui n’existe plus […] Il n’est nul doute que ces revendications cachent la volonté de créer un chaos pour favoriser le retour au-devant de la scène politique des anciens barons du régime déchu »*. A Ouaga, on accuse également les « compaoristes » de Côte d’Ivoire d’être « hantés par les démons de la vengeance ».

De son côté, le RSP a tenu à rappeler le rôle qu’il a joué dans les événements des 30-31 octobre 2014 « afin d’éviter un bain de sang ». Il a réaffirmé « qu’il n’est pas en marge de la transition voulue par le peuple burkinabè » et qu’il « est engagé pour une issue heureuse du processus et du calendrier de la transition qui permettrait de mettre en place un pouvoir légitime issu des élections démocratiques ». On notera que le communiqué du RSP qui a été diffusé par les services officiels de la présidence du Faso ne correspond pas à celui repris par une partie de la presse burkinabè. Le communiqué officiel évoque des décisions « d’ordre organique » d’où des « dysfonctionnements » qui « ont été signifiés à son Excellence Monsieur le Premier ministre, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants dans le souci de faire rétablir l’ordre hiérarchique normal ».

Selon le communiqué diffusé par la presse, on n’évoque plus des décisions « d’ordre organique » mais des décisions « inappropriées ». Il est alors précisé (ce qui n’est pas fait dans le communiqué officiel) que « ces dysfonctionnement ont été signifiés au Premier ministre en vue de leurs corrections et ce depuis décembre 2014. Promesse en a été faite sans suite jusqu’à la date du 4 février 2015. Nous tenons à rappeler à l’opinion nationale que le Premier ministre est un officier issu de notre corps dont il connaît bien les missions et le fonctionnement ».
Le communiqué officiel souligne que « les concertations avec la haute hiérarchie militaire, sur instruction du Président de la transition, chef suprême des armées […] ont abouti à un résultat satisfaisant ». Le communiqué repris par la presse évoque seulement des « concertations avec le président de la Transition » et, surtout, qu’elles sont « en voie d’aboutir ». Pas de « résultat satisfaisant » pour ce communiqué. J’ajoute que dans le communiqué officiel, le RSP réaffirme son « appartenance à l’ensemble des forces armées nationales » tandis que le communiqué repris par la presse fait l’impasse sur cette phrase.
Notons que ces communiqués sont signés par le capitaine Abdoulaye Dao, porte-parole du RSP.

Washington et New York vont réagir rapidement à cette « crise » au sein de la transition. L’ambassadeur des Etats-Unis, Tulinabo Salama Mushingi, en tournée dans le grand Ouest, va le dire sans ambages : « Nous, les Etats-Unis, nous n’allons pas tolérer une division dans le peuple burkinabè […] L’intérêt d’un seul groupe ne nous intéresse pas. On doit se battre pour l’intérêt général pas pour l’intérêt d’un groupe […] L’essentiel pour nous est que le dialogue continue. L’essentiel pour nous est qu’on ne dérange pas la population avec d’autres crises dont on n’a pas besoin. Tout le monde sait qu’on a huit mois pour arriver aux élections. On doit se mettre ensemble pour arriver à ces élections. L’équipe actuelle peut être parfaite ou pas. Mais il faut le savoir, il n’y a aucune équipe parfaite dans le monde ».

Le diplomate américain Jeffrey Feltman, secrétaire général adjoint des Nations unies, chargé des affaires politiques, quant à lui, a été reçu en audience par Kafando dès le mercredi 4 février 2015, dans la soirée. Il était opportunément en visite dans la région avec Mohammed Ibn Chambas, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest. Son message a été particulièrement ferme : « La communauté internationale ne tolèrera aucune entrave à la transition […] Ceux qui menacent la transition doivent savoir que la communauté internationale les observe et les tiendra pour responsables ».

* Communiqué du Réseau d’action pour la démocratie (RAD) signé de son président, le député Casimir Sawadogo, Ouagadougou, 5 février 2015.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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