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Salif Diallo : "Le prix du pain va baisser pour tous"

Publié le mercredi 16 mars 2005 à 07h32min

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Dormir sur la natte d’autrui, c’est dormir par terre, énonce un proverbe bien de chez nous. Au Burkina, des expériences du "consommons burkinabè" ont échoué.

D’autres ont été couronnées de succès, à l’instar de la gomme arabique qui procure aujourd’hui, selon le ministère de l’Environnement, des revenus substantiels à des centaines de Burkina.

Mais, en fonction de l’évolution du commerce mondial et des besoins nationaux, il faut toujoursprendre des initiatives et savoir où se trouve le bon filon.

C’est ce flair qu’a eu le ministre d’Etat Salif Diallo, chargé de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques. Son challenge actuel n’est ni plus, ni moins que d’offrir du pain moins cher, d’ici à 2007, à tous les Burkinabè. Le processus est tout simple : fabriquer du pain à partir de la farine de froment obtenue grâce à du blé cultivé chez nous, notamment dans la Vallée du Sourou. Cette "audace agricole" contribuera à la baisse du coût du pain, mais donnera aussi des opportunités d’emplois à des milliers de Burkinabè.

A travers cet entretien, le ministre d’Etat parle des avantages de la production de blé dans la Vallée du Sourou et évoque au passage l’assainissement impérieux du secteur du commerce dont le ministre en charge doit maintenant "défendre les producteurs de riz".

Le Pays : Le Burkina a décidé de produire du blé dans la vallée du Sourou. Le pari en vaut la chandelle mais n’est-il pas trop osé ?

Salif Diallo (MAHRH) : Le constat aujourd’hui, c’est que les pays du Nord, non seulement achètent nos matières premières à vil prix, mais aussi concurrencent nos propres matières premières sur leur terrain. Ils imposent des barrières non tarifaires sur certains de nos produits tel que le haricot vert (frais de transport exorbitants par exemple) et se permettent même le rejet de notre haricot vert pour des questions de normes, disent-ils. Il y a une tendance à l’étouffement général de nos marchés.

Dans ce contexte, il nous faut améliorer notre balance commerciale. C’est pourquoi le Burkina Faso a, dans un élan souverain, décidé de produire du blé dans la Vallée du Sourou à cause de ses implications socio-économiques favorables. Le blé et ses sous produits constituent une partie de l’alimentation de base des populations à travers une consommation accrue du pain, du couscous, des pâtes alimentaires, des pâtisseries, etc.

Notre pays est tributaire des importations qui sont de l’ordre de 25 000 tonnes de blé par an, occasionnant ainsi des sorties de devises d’environ 15 milliards F CFA. Compte tenu de l’expérience passée de la production du blé dans cette zone du pays, ayant permis d’établir des paquets technologiques de culture, le gouvernement a décidé au mois de juin 2004 de relancer la production du blé avec l’appui du Royaume du Maroc dont je salue au passage l’exemplarité de la coopération.

Y a-t-il des objectifs économiques précis visés par la promotion de la culture du blé au Sourou ? Si oui, lesquels ?

La promotion de la culture du blé aura pour première conséquence souhaitée la baisse du prix du pain au consommateur et contribuera à terme à la consolidation des paramètres économiques du pays. Sa production entraînera principalement au plan national la suppression des importations à l’échéance 2007-2008 avec l’exploitation de 3500 ha de blé et une économie de devises d’environ 15 milliards de F CFA, soit une influence positive sur notre balance commerciale largement déficitaire.

Un des atouts importants est le développement potentiel d’activités génératrices de revenus tant en amont qu’en aval de la production du blé. Plus précisément la création d’emplois rémunérateurs pour de nombreux paysans producteurs en amont, et en aval une intensification des activités de transformation au niveau des minoteries, des boulangeries, des pâtisseries, etc.

Dans ses missions, votre ministère oeuvre pour la réduction de la pauvreté en milieu rural. Ce programme blé du Sourou répond-il à cette démarche ?

Oui, car chaque producteur du Sourou aura à gérer 3 ha de culture et engrangera des revenus supplémentaires par an pour ce travail, hors hivernage. Nous envisageons plus tard, à travers cette production, de rendre le pain accessible aux nombreuses populations du Burkina Faso, tant en zone urbaine grande consommatrice de pain, qu’en zone rurale. La culture du blé va permettre par ailleurs de combler le déficit enregistré sur le coton et les produits du cru.

Comme vous le voyez, l’émergence d’une nouvelle filière agricole blé constitue un potentiel porteur d’initiatives en matière de lutte contre la pauvreté à travers la création d’unités de transformation, de nouveaux produits, et surtout l’occupation de milliers de producteurs agricoles, car environ 3000 familles seront concernées. L’opportunité est offerte pour une responsabilisation des populations rurales concernées en tant qu’acteurs de développement. La production du blé permettra également un renforcement de la sécurité alimentaire.

Un fait notoire est la mise à contribution des paysans dans le processus. Pourquoi avoir choisi cette formule ? Est-ce une façon de dire à l’ensemble des acteurs de la filière que cette culture du blé c’est "notre chose à nous tous" ?

La première tentative de culture du blé a été faite sans une implication des paysans. C’était une production en entreprise initiée par la SOMDIA dans les années 80. Aujourd’hui, en octroyant 3 ha de blé à chaque paysan pour l’entretien et le suivi, nous formons en même temps nos paysans à une nouvelle méthode de production qui leur procure des revenus sûrs en saison sèche. La contribution des paysans à la gestion de cette production est en rapport direct avec le mode d’exploitation. Nous avons voulu un mode d’exploitation en paysannat, mode à travers lequel l’investissement humain devient considérable et permet ainsi de réduire les coûts de production.

Produire du blé au Burkina Faso relève à première vue d’une audace. Avez-vous pris en compte les conditions climatiques qu’exige la production de cette denrée ?

En liaison avec la recherche, notamment l’INERA (Institut de l’environnement et de recherches agricoles, ndlr), et sur la base des premières expériences, la Vallée du Sourou se révèle être une région agro-climatique très favorable pour la culture du blé dans notre pays. Cette production ne peut se réaliser qu’à partir des mois de novembre et décembre, période obligatoire pour les semis à cause de la fraîcheur, car le blé exige un climat relativement tempéré pour germer et la récolte a lieu au mois de mars.

C’est dire qu’un paquet technologique très précis existe pour la production du blé au Sourou. Donc il ne faudra pas aller tenter la culture du blé au Yatenga ou dans le Gourma, cela ne réussira pas. Du reste, nous avons, au cours d’un atelier national, évalué toute la problématique et les difficultés que peut rencontrer une telle ambition.

A terme notre pays pourra-t-il devenir exportateur de blé ?

Bien sûr. Nous avons l’ambition et les moyens de produire ; alors, si nos besoins nationaux sont satisfaits, il y va de soi que nous puissions commercialiser avec les pays voisins qui pourront être attirés par la qualité du blé et les prix de revient intéressants.

Dans notre pays on parle beaucoup de production. Finalement c’est là qu’on réussit le plus. Mais le tout n’est pas de produire, il faut assurer la commercialisation. Quelle stratégie de commercialisation avez-vous envisagée ? Avez-vous pensé à un accord avec les associations de meuniers, boulangers et pâtissiers, pour l’enlèvement du produit et la fixation des prix sera-t-elle respectée dans la durée ?

Sans maîtriser la commercialisation, il est tout à fait inutile d’entreprendre cette activité de production du blé. C’est pourquoi dès le début, nous avons associé les meuniers, les syndicats des boulangers et certains industriels qui ont pris la décision ferme d’enlever toute la production de ce blé qui sera produit dans les conditions requises demandées par leurs métiers respectifs.

Au début de chaque campagne, les différents acteurs devront se retrouver pour fixer les prix d’achat aux producteurs, prix qui ne devront en aucun cas, atteindre celui de la tonne à l’importation. Et il nous faut, tenant compte des différents facteurs de production, réussir des prix défiant toute concurrence à la tonne. Ainsi, non seulement nous assurons la continuité de ce programme, mais aussi la baisse du prix du pain au consommateur.

Quelles sont les obligations des différentes parties signataires du protocole multipartite ?

Tout est clair. Les producteurs avec la structure d’encadrement qui est l’AMVS (Autorité de mise en valeur de la Vallée du Sourou, ndlr) s’engagent à produire le blé en quantité et qualité requises pour les meuniers. Ces derniers à leur tour s’engagent à enlever toute la quantité produite bord champ, les prix étant fixés de commun accord en début de chaque campagne en liaison avec les cours mondiaux, et le compte d’exploitation présenté par les producteurs. Si les transformateurs potentiels achètent le blé à des prix incitateurs sur le territoire burkinabè, ils économisent sur les coûts de transport et à terme, cela doit entraîner une baisse des prix aux consommateurs.

Une ombre plane cependant et prend la forme de la fermeture des Grands Moulins du Burkina (GMB) depuis quelques années, suite au processus de privatisation. Quelle alternative avez-vous envisagée en l’absence d’une telle structure dont le rôle était capital dans la production de froment ?

Les productions de la campagne présente vont être absorbées par les minoteries existantes et fonctionnelles, avec lesquelles un accord est signé. Il est vrai qu’à la longue, avec l’extension des superficies de blé, il sera indispensable de procéder à la réouverture des GMB. Il est temps que le gouvernement, à travers le Ministère du commerce, prenne ses responsabilités en assainissant la situation au niveau des Grands Moulins du Burkina qui sont un exemple d’échec en matière de privatisation.

De même, il est temps pour le Ministère du commerce de défendre les intérêts des producteurs de riz en imposant les quotas d’importation favorables à l’enlèvement de la production nationale. Le libéralisme n’est pas une carte blanche donnée à certains opérateurs pour ensevelir notre production nationale. Du côté du commerce, il est temps de prendre des décisions claires et précises à ce sujet.

Propos recueillis par Morin YAMONGBE

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