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Exclusion de 500 policiers stagiaires : Légalement défendable, humainement déplorable

Publié le mercredi 16 mars 2005 à 07h19min

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Autant une société perpétuellement en crise n’est pas digne de ce qualificatif, autant celle qui ne connaît jamais de crise ne mérite pas non plus l’appellation de société.

Ce constat est encore plus évident si on se situe dans le cadre des formes modernes d’organisation de l’Etat : la Somalie dans le premier cas et la Corée du Nord dans le second témoignent, de notre point de vue, de la véracité de nos propos ; en effet, qui de la Somalie ou de la Corée du Nord peut-on considérer comme un Etat démocratique moderne ? Aucune, même si le nombre de pays qui peuvent mériter ce qualificatif se compte sur les doigts d’une seule main.

C’est donc dire qu’au Burkina, que le cours de l’histoire soit ponctué par des crises sociales, politiques ou économiques est un mal nécessaire, car la recherche de solutions idoines à ces crises constitue un moment de dépassement qui solidifie les fondements de la vie sociale.

Perçue ainsi, la crise est, à une entité sociale, ce que le vivifiant est au béton : il empêche celui-ci de se solidifier alors qu’il n’a pas encore été coulé là où il faut.

Ainsi, s’il y a lieu de regretter voire de condamner le bilan humain de notre récente tumultueuse histoire, on peut se consoler de ce que les crises qui en ont été les causes et celles qui en ont été les conséquences ont permis de savoir jusqu’où le pouvoir, l’opposition et la société civile peuvent aller en temps de crise.

Non pas que cela puisse éviter les conflits, mais imposer à des moments précis le compromis. Le Burkina de ces derniers temps entre-t-il dans cette catégorie ou s’inscrit-il dans cette logique ?

On a des raisons de se poser la question et de comprendre que certains citoyens aillent jusqu’à en douter. Car après la fermeture de cette école professionnelle du fait des revendications certes maximalistes et impertinentes, voilà que cinq centaines d’agents de police en devenir sont mis à la porte pour avoir mené un mouvement social (désobéissance, marche, etc.) afin de réclamer de meilleures conditions de vie et de travail.

Il n’est un secret pour personne que les flics, surtout au Burkina, sont loin d’avoir un niveau de vie enviable en dépit du fait qu’ils sont chaque jour et chaque heure exposés au danger, pour que nous autres puissions dormir du sommeil du juste et nous déplacer en toute quiétude. Sur le plan du principe, ils ont sans doute raison dans la mesure où :

• chacun de nous aspire chaque jour à de meilleures conditions de vie sociale ; • pour l’amélioration de ces conditions de vie, on ne peut se contenter de ronronnement, de murmures et de conciabules interminables. Autrement dit, à un moment donné, il faut obliger les interlocuteurs à vous écouter ; • nous sommes en République et le droit est reconnu à chacun de manifester son mécontentement s’il estime que la gestion des affaires de l’Etat ne va pas dans le bon sens.

Au nom de la cohésion et de la discipline...

D’où vient-il que le gouvernement décide d’exclure les élèves-fonctionnaires et les fonctionnaires-élèves de police ? : pour les premiers, c’est l’espoir de mettre le pied dans la Fonction publique qui s’évanouit et pour les seconds c’est celui de l’avancement qui s’estompe.

Selon les maigres connaissances que nous avons du sujet, autant en tant que citoyens, ces stagiaires ont des droits constitutionnels et inaliénables quant à la manifestation de leur mécontentement, autant leur statut actuel de stagiaires limite ces droits.

Effectivement, si en tant que loi fondamentale, la constitution a énoncé des droits généraux, les lois, décrets et arrêtés sont des règles de droit qui traitent des applications spécifiques de ces droits.

Or ces règles de droit, dans le cas des stagiaires et singulièrement des corps para-militaires (dont la police fait partie), sans parler de l’armée (gendarmerie y comprise), sont suffisamment restrictives du fait que le respect de la discipline et l’exécution sans hésitation ni murmure des ordres sont deux des principaux fondements de la force de ces corps. Dans un milieu où manipuler les armes est un jeu d’enfant, qu’y a-t-il de plus que la discipline stricte pour éviter d’éventuels débordements susceptibles de mettre en péril toute la communauté ?

Ce n’est pas un fait du hasard si les nouvelles recrues sont "manœuvrées" à souhait pour tuer les velléités de rébellion et de contestation héritées de la vie civile et qui sont autant de menaces contre la cohésion et la discipline des forces de défense et de sécurité . A priori, on ne peut pas faire grief au gouvernement d’avoir réprimé ceux qui ont tenté de remettre en cause le sacro-saint principe du respect de l’ordre et de la discipline au sein des hommes en uniforme.

Autre raison à considérer : c’est quand même l’Etat. Autrement dit, chacun peut avoir son avis sur la décision d’exclusion des policiers stagiaires, mais elle est tout de même le fait de personnes qui incarnent notre volonté à tous pour les avoir élues, et de ce fait pour les avoir mandatées pour agir et parler en notre nom à tous.

... Mais tout de même

Si la légalité de la décision d’exclure les policiers stagiaires n’est pas discutable, il nous semble par contre qu’elle ne brille pas par sa pertinence sur les plans humain, politique et économique. Le légalement justifiable n’est pas systématiquement synonyme de politiquement défendable.

D’abord parce qu’après avoir exclu les élèves-professeurs et fermé l’institut dont nous parlions tantôt, c’est autour de cinq cents (500) stagiaires d’être mis à la porte de l’Ecole nationale de police. Comme si le gouvernement n’a d’autres méthodes de gestion des conflits que la force. Or, si la force est un élément important dans la conduite des affaires de l’Etat, elle ne doit servir que de moyen de dissuasion, qui n’est mis en œuvre que quand toutes les autres solutions se révèlent inopérantes.

En a-t-il été ainsi pour ces stagiaires ? Nous n’en sommes pas si sûr.

Ensuite, le recours à la rigueur de la loi peut apparaître comme une solution de facilité pour des dirigeants qui ne veulent pas que les humeurs de quelques "poulets"* en devenir troublent leur quiétude. Diriger, c’est aussi accepter d’écouter les complaintes et les plaintes justifiées ou non de ceux qui vous ont confié leur destin. Le recours au casse-tête pour abattre son chien dès le premier forfait de celui-ci peut être perçu comme un prétexte pour se débarrasser d’un animal de compagnie ou d’un garde du corps dont on ne veut pas des services.

Enfin, économiquement cela va coûter cher au budget de l’Etat en ce sens que les dépenses faites depuis la préparation et l’organisation du concours d’une part et la formation qui avait déjà commencé d’autre part sont assimilables à de l’argent jeté par la fenêtre. Il faut donc recommencer à zéro.

C’est pourquoi, il n’est pas souhaitable qu’il y ait d’autres exclusions dans d’autres centres de formation ou de fermeture de centres de formation, même si derrière les grèves et marches peuvent être tapis des politiciens, dont les troubles font le bonheur. Par ailleurs, il serait malheureux et dommage que ce qui s’est passé ralentisse la dynamique de réhabilitation administrative, professionnelle et financière de la police. D’un autre côté, il va sans dire que les premiers intéressés, à savoir les stagiaires, doivent chercher à être au fait des textes et faire preuve de retenue.

En attendant, il y a eu un et comme il n’y a pas un sans deux, il y a eu deux ; espérons que la prédiction selon laquelle il n’y a pas deux sans trois sera démentie.

Z.Kafando
L’Observateur

* En argot français, "poulet" signifie policier

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