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Coton africain : Le temps des désillusions

Publié le lundi 14 mars 2005 à 06h41min

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Après Bamako en 2003 et Dakar en 2004, Ouagadougou a accueilli, du 10 au 12 mars dernier, les journées annuelles de l’Association cotonnière africaine (ACA).

Elles réunissaient environ 400 participants venant de vingt pays et de quatre continents (Afrique, Amérique, Asie et Europe) qui appartiennent à au moins 80 compagnies et sociétés de divers secteurs liés au coton.

Comme il fallait s’y attendre, les participants à cette rencontre se sont penchés sur le problème récurrent de la dépréciation de cette matière première. Dépréciation due essentiellement aux subventions à la production et à l’exportation accordées par les pays du Nord à leurs cotonculteurs. Toutes choses qui hypothèquent dangereusement l’avenir de plusieurs millions de paysans du Sud.

Les conséquences dramatiques de ces échanges inégaux, en termes de pertes de devises pour les producteurs du Sud, donnent le vertige. Un seul exemple : entre 2001 et 2003, les pertes subies par les producteurs de coton africains se sont élevées à 400 millions de dollars. Cette menace est d’autant plus inquiétante pour les pays concernés que certains de leurs décideurs se sont laissé séduire par une certaine propagande des pays riches vantant les vertus de cette culture de rente au détriment des cultures vivrières.

Privée à la fois des devises qu’ils étaient en droit d’attendre de la manne cotonnière et incapables d’atteindre l’autosuffisance alimentaire du fait de l’abandon partiel des cultures vivrières, l’Afrique gère avec amertume sa défaite en s’engageant dans une aventure qui broie les humbles et fait le bonheur de ceux qui tiennent tous les leviers de cette jungle du commerce international.

La rencontre de Ouagadougou, qui vient après tant d’autres et après le plaidoyer de Blaise Compaoré (mandaté par certains de ses pairs) en faveur du coton africain auprès de certaines instances internationales, doit être un moment de ressaisissement pour les Africains. Le salut de l’Afrique est dans cet ultime sursaut si elle ne veut pas continuer de mener une vie de sacerdoce privée des deniers du culte.

Les décideurs et experts qui étaient au chevet du coton africain à Ouagadougou ont pris acte du verdict de l’OMC (Organisation mondiale du Commerce) en faveur du Brésil qui avait déposé une plainte contre les largesses accordées par les USA à leurs agriculteurs et qui plombent la compétitivité du coton africain. Mais, si on peut se féliciter de cette victoire morale des faibles sur les grands, il n’en demeure pas moins que certaines victoires sonnent comme des défaites.

En effet, selon certains milieux compétents, le verdict de l’OMC n’est pas applicable à l’Afrique, étant donné qu’elle n’a pas porté plainte contre les Etats-Unis. Par conséquent, la décision l’OMC ne saurait balayer les appréhensions des Africains.

Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis sont pris en flagrant délit de mépris des lois internationales, même celles auxquelles ils ont souscrit. Les Etats-Unis ont toujours eu la capacité de rebondir, de trouver des entraves et des artifices juridiques pour se soustraire à certaines injonctions quand bien même elles sont fondées.

La première entrave provient du fonctionnement même de l’OMC dominée qu’elle est par les pays du Nord qui n’hésiteront pas à multiplier les procédures de recours afin de gagner les plus faibles à l’usure. C’est une constante chez les pays riches. Plutôt que de se plier au droit international, ils cherchent toujours à s’engouffrer dans les failles de ce droit pour pérenniser leurs intérêts.

Chaque fois qu’ils veulent se débarrasser d’un produit des pays pauvres, ils savent le faire avec des morceaux bien choisis et avec des termes bien appropriés distillés par un lynchage médiatique. C’est ainsi qu’après avoir vanté les qualités du coton africain, de plus en plus, des voix s’élèvent en Occident pour le décrier tout en entonnant des hymnes aux vertus du coton transgénique . On les voit venir. Le message est on ne peut plus clair.

L’Afrique devrait résolument réorienter sa politique en matière de gestion de l’or blanc ou continuer à accepter ce diktat des groupes d’intérêts occidentaux. Dans cette dernière hypothèse, elle devrait s’attendre à des jacqueries et des troubles sociaux traduisant le ras-le-bol des paysans (ces sans-culotte) endettés jusqu’au cou dans ce marché de dupes.
Ce qui arrive actuellement au coton africain procède aussi de la gestion maladroite de l’Afrique de ses ressources.

Concernant le coton, ce n’est pas la galaxie des organisations qui le défendent qui empêcheront la chute vertigineuse de son cours actuel. L’Afrique continuera de filer du mauvais coton tant qu’elle n’aura pas compris son erreur. Celle d’avoir démantelé ses unités industrielles de textiles qui, bien gérées et conçues dans une vision intégrationniste et de complémentarité, auraient évité aux économies nationales tous ces déboires.

Le commerce international, faut-il le rappeler, est une jungle où tout angélisme est suicidaire. La levée des subventions n’est pas forcément la potion magique à même de donner au coton africain toute la considération voulue. D’abord parce que les pays riches ont suffisamment d’imagination pour inventer d’autres mécanismes qui leur éviteraient de "dépendre" de notre coton.

Par ailleurs, des produits de substitution (tissus synthétiques) pourraient constituer une alternative pour les pays riches. A cela, il convient d’ajouter l’arrivée des tissus du géant chinois sur les marchés occidentaux et africains. L’Afrique risque, dans ce cas, d’être "mangée" à la sauce des apôtres de l’ultralibéralisme sauvage et sans frontières.

Tout en comprenant le combat des Africains pour plus d’équité dans le commerce international, ils devraient se garder d’être focalisés sur ce qui semble être un combat contre des moulins à vent. Il faut avoir le courage d’admettre que le coton n’est pas une denrée stratégique au même titre que le pétrole qui suscite des convoitises dans le monde et qui régule aujourd’hui les rapports de force entre les Nations développées.

Faute d’avoir regardé la réalité en face et manqué de capacité d’anticipation, l’Afrique va devoir subir des situations qui ne font que la retarder.

Le Pays

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