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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

Publié le jeudi 18 décembre 2014 à 13h36min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

C’est la nouvelle règle du jeu politique au Burkina Faso. Il ne s’agit pas seulement pour le gouvernement de décider, il lui faut aussi expliquer et, très bientôt, il lui faudra justifier ses décisions et accepter de commenter ses explications. Normal dès lors que le chef du gouvernement, à la façon de Thomas Sankara, entend être, tout à la fois, à la Primature et dans la rue. Ce qui se comprend dès lors qu’il tient son pouvoir de cette même rue. Sauf que Sankara, c’était il y a trente ans, qu’il n’y avait pas de téléphones cellulaires (et même pas de téléphone du tout) ni de sites d’information accessibles en un clic sur internet.

Mais il y avait un programme d’action, le fameux DOP, le Discours d’orientation politique du Conseil national de la révolution (CNR) prononcé par Sankara le 2 octobre 1983, que les Comités de défense de la révolution (CDR), qui se voulaient les « vraies organisations de masse mobilisant le peuple », vont se charger de faire respecter tandis que l’Inter-CDR, fondée notamment au lendemain de la diffusion du DOP par Assimi Kouanda (ex-ministre d’Etat chargé de mission à la présidence du Faso et patron du CDP, le parti présidentiel) et Marin Ilboudo (actuel maire de Ouagadougou), va organiser la lutte contre le courant « déviationniste, liquidationniste, contre-révolutionnaire ».

Actuellement, c’est au jour le jour et en réponse aux objurgations de l’opinion publique que le gouvernement semble prendre ses décisions. Stigmatisation des anciens responsables politiques et révocations de directeurs généraux d’entreprises publiques et de hauts fonctionnaires de l’administration au lendemain de la mise en place des nouveaux « hommes forts » du régime ; annonce de nationalisations avant-hier ; suspension des partis de l’ex-majorité présidentielle hier.

Cette dernière décision est, incontestablement, la plus étonnante de la transition. Hier, lundi 15 décembre 2014, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité, en l’occurrence le colonel Auguste Denise Barry, a publié un arrêté aussitôt diffusé par le Service d’information du gouvernement (SIG) via internet. En application de la loi 32-2001, deux partis de l’ex-majorité présidentielle, le CDP et son allié l’ADF/RDA sont suspendus pour « activités incompatibles avec la loi ». Cette mesure frappe également le FEDAP/BC*.

Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise, est dans le collimateur du nouveau pouvoir. Normal. Il a été le vecteur du clientélisme politique, sous cet intitulé ou d’autres (notamment ODP/MT fondée en 1989 pour être un cadre unitaire en faveur du Front populaire), pendant près de trois décennies. L’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) est l’héritière du plus emblématique des partis voltaïques issus du RDA. Son congrès ordinaire, les 14-15-16 mars 2014, avait fait le plein des partis « libéraux » d’Afrique.

Les Ivoiriens étaient venus en force : RDR, PDCI-RDA, UPDCI ; Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, avait délégué son représentant spécial chargé de demander aux Burkinabè « de privilégier le dialogue afin de ne pas vivre ce que son pays a vécu ». Zéphirin Diabré, leader de l’UPC et chef de file de l’opposition, était monté à la tribune pour proclamer : « Lutter contre la révision de l’article 37 de la Constitution, ce n’est point se battre pour l’opposition, mais c’est se battre pour le triomphe des idéaux de la République ».

On évoquait alors un rapprochement ADF-RDA/UPC au sein du groupe des « libéraux ». Le leader de l’ADF-RDA, Gilbert-Noël Ouédraogo, avait affirmé : « Ce qui est important au Burkina, ce n’est pas être de l’opposition ou de la majorité. Ce qui est important, c’est d’être avec le peuple ». Le parti dira donc être contre la modification de l’article 37 de la Constitution et pour la limitation du mandat présidentiel. Finalement, l’ADF-RDA virera de bord. « Une erreur politique » reconnaîtra la direction du parti au lendemain de l’adoption de la « charte de la transition ». Le parti souhaitait alors être « pris en compte dans le processus qui est en cours ». Manifestement, ce n’est pas le point de vue du gouvernement qui a décidé de « suspendre » l’ADF-RDA tout comme le CDP.

L’article 30 de la loi 32-2001 stipule que « en cas de violation des lois et règlements de la République par un parti ou une formation politique et en cas d’urgence ou de trouble de l’ordre public, le ministère chargé des libertés publiques peut prendre un arrêté de suspension de toutes activités du parti concerné et ordonner la fermeture de son siège. L’arrêté de suspension doit être motivé et comporter la durée de suspension qui ne peut excéder trois mois » (les autres sanctions prévues par la loi sont l’avertissement et la dissolution). La suspension des deux partis politiques de l’ex-majorité a été prononcée par le ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité (MATDS) ; est-il chargé des « libertés publiques » ainsi que stipulé par la loi ou cette charge est-elle celle du ministère de la Justice, des Droits humains et de la Promotion civique ?

On notera par ailleurs que la durée de suspension n’a pas été précisée. Cette annonce a suscité une telle interrogation au sein de la classe politique et dans les chancelleries que le ministère a dû se fendre, dans la foulée du décret, d’un communiqué pour « informer l’opinion nationale et internationale de ce que ces structures se sont rendues coupables d’activités incompatibles avec les textes et lois en vigueur dans notre pays ». Il ajoute : « Avant même que la nation ne réponde à leurs demandes de pardon, ces formations politiques se sont livrées au vu et au su de tous à des activités de tous ordres sur le terrain. Ce regain d’activisme politique de leur part indigne les populations qui les considèrent comme des actes de défiance ».

« Un regain d’activisme politique », des « populations indignées », des « actes de défiance » sont-ce là des modes de fonctionnement qui ne respectent pas les articles 20 et 21 de la loi sur le « fonctionnement des partis et formations politiques » ? Ces articles établissent que « les partis et formations politiques doivent tout mettre en œuvre pour éviter les incitations, les appels ou les recours à la violence. Ils s’abstiennent de répandre des opinions ou d’encourager des actions qui, d’une manière ou d’une autre, portent atteinte à la souveraineté, à l’intégrité et à la sécurité du Burkina Faso » (article 20) ; « Les partis et formations politiques doivent s’interdire toute diffamation et toute atteinte à l’honneur et à la vie privée d’autrui » (article 21). Dans le communiqué du MATDS, aucun élément ne vient étayer la thèse de « coupables activités incompatibles avec les textes et lois en vigueur ». Tout laisse penser, au contraire, que le ministère se drape dans la toge du juriste alors qu’il prend prétexte du « peuple » pour une décision dont la finalité n’est pas évidente.

D’ores et déjà, des commentateurs redoutent un « populisme » gouvernemental qui mettrait à mal la volonté de « réconciliation nationale » affirmée par la « charte de la transition » qui a formalisé, par ailleurs, la présence de 10 représentants des partis de l’ex-majorité au sein du Conseil national de transition (CNT). Enfin, le CDP et l’ADF-RDA ont soixante jours pour contester la décision de suspension et le Tribunal administratif a trente jours calendaires pour examiner la requête. Tout cela laisse penser que la « transition » aimerait être une « révolution » mais n’en n’a pas les moyens politiques et humains (et encore moins diplomatiques). A défaut de couper toutes les « vieilles » têtes, elle bâtit une « usine à gaz » au sein de laquelle le gouvernement va perdre de vue les priorités.

* Si le CDP et l’ADF-RDA sont des partis, il en est autrement de la FEDAP/BC qui n’a été qu’une création de François Compaoré chargée de lancer une « OPA hostile » contre le CDP « à des fins de patrimonialisation du parti et, à travers le parti, le pouvoir d’Etat » (S. Moïse Kuiliga, L’Observateur Paalga, mercredi 6 juin 2012).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 18 décembre 2014 à 14:30, par togssida En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Belle analyse M. BEJOT.

  • Le 18 décembre 2014 à 15:45, par Yirmoaga_3 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Ce Monsieur Bejot nous parle à longueur d’articles, de transition "d’exception", comme pour souligner que ce qui se passe au Burkina depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 Octobre est "anormale", "illégale", "illégitime", ou que sais-je encore...
    Je n’ai pas souvenir que ce monsieur ait été aussi critique vis-à-vis du pouvoir despotique et corrompu du CDP et de son "homme fort", lequel n’a même pas le courage de rester sur place pour répondre de ses actes... Ce qui se passe au BF peut ne pas plaire à Béjot et à tous les partisans ou acteurs de la Françafrique. Mais qu’il sache que, pour une fois au Burkina, c’est le peuple qui a décidé et c’est tant mieux ainsi !
    A titre personnel, je suis même surpris qu’une association comme la FEDAP/BC ne se soit pas auto-dissoute, et plus encore que le CDP et l’ADF/RDA ne se soit pas sabordés : ces deux partis n’ont plus aucun avenir, ni aucune crédibilité au Burkina, après toute la désolation qu’ils ont causée. Sans vouloir être cynique, s’il n’y avait pas eu tant de morts, on aurait même pu les remercier d’avoir commis une "felix culpa" : ce qui a tout de même permit de mettre à bas le système Compaoré ! Et ce n’est pas rien : d’où les charges à répétition de ce Béjot !

  • Le 18 décembre 2014 à 16:06, par YA YOTO En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    QUAND PEUPLE PARLE ET AGIT ON GARDE SES ANALYSES UNITILES POUR SOIT M. BEJOT OU ETIEZ VOUS QUAND LE PEUPLE ETAIT DANS LA RUE ? LAISSEZ NOUS TRANQUILLE AVEC VOS ANALYSES QUI N’ONT RIEN A VOIR AVEC LA REALITE DU PAYS .

  • Le 18 décembre 2014 à 16:34, par Alexio En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    L ADF/RDA est vide de son sens par la famille Gerad Kango Ouedraogo. Heriter de son du Fils a papa Gibert Noel Ouredraogo. Quelle est l ambition de ce parti ? Quel model de societe ce parti a dans son carquois ? Rien les memes spetacles, trahison comme sport favorite. Chez Mamadou Caminade Bobo-Dioulasso, ou les complots internes avaient dechires le parti.

    Le Dr Ali Barraud et ses amis ont ete dribles par Gerard Kango Ouedraogo par le support de leur sponseur Houphouet Felix Boigny. Ma conclusion. La guerres des alliances ont crees un RDA servil a la cause des interets de la politique ivoirienne d Houphouet Boigny en Haute-volta le resevoir de la main d oeuvre ivoirienne. Grace a elle la Cote d Ivoire est devenue le premier producteur de cacao. Hormis la fuite des cerveaux vers cette zone qui etait le DISPLAY de la Francafrique.

  • Le 18 décembre 2014 à 18:47, par wendyam En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Denise c’est le nom d’une femme non ?

  • Le 18 décembre 2014 à 19:40, par Verdadeira En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Merci ! mr l’historien des bacs à sable Alexio qui a apparement oublié (voire jamais appris) le Français et ses règles !

    Quelle est le but de votre intervention vide de sens (littéralement) ?
    Pour commencer laissez reposer Gérard Kango OUEDRAOGO qui a compté pour ce pays.

    Gilbert Fils à papa ! Et alors ? Et vous ? Aspirez aussi à devenir quelqu’un afin de léguer un héritage à votre fils (si vous en avez un) !

    bien à vous !

  • Le 18 décembre 2014 à 20:34, par sanogo En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    L’analyse est bonne et mérite respects .
    d’ailleur je tiens à préciser que ce q s’est passé le 31 c’est un cout d’Etat en non un soulèvement populaire.
    quant au pertes d vies humaines tout le monde est coupable. chaqu’un devra assumer ses responsabilités surtout le politiciens qui ont manipulé le peuple.
    nous savons tous que la majorité de Ouagalais est sortie le 30 pour le retrait de la loie ce que a été obtenue. héroïquement ,
    donc si y a justice il faudrait mettre en cause tous les politiciens et certaines OSC.

    Pour les interdiction CDP et ADF/RDA le ministre denise/zida doit laver la suspension sans conditions.
    Et dissoudre immédiatement FEDAP/BC.

  • Le 18 décembre 2014 à 20:38, par sanogo En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    L’analyse est bonne et mérite respects .
    d’ailleur je tiens à préciser que ce q s’est passé le 31 c’est un cout d’Etat en non un soulèvement populaire.
    quant au pertes d vies humaines tout le monde est coupable. chaqu’un devra assumer ses responsabilités surtout le politiciens qui ont manipulé le peuple.
    nous savons tous que la majorité de Ouagalais est sortie le 30 pour le retrait de la loie ce que a été obtenue. héroïquement ,
    donc si y a justice il faudrait mettre en cause tous les politiciens et certaines OSC.

    Pour les interdiction CDP et ADF/RDA le ministre denise/zida doit laver la suspension sans conditions.
    Et dissoudre immédiatement FEDAP/BC.

  • Le 19 décembre 2014 à 00:47, par revolution En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Au faso,il ya trop d’intelectuel.continuer a faire des analyse ki vont rien servir,aver vous deja respirer du gaz lacrymogéne ou de l’eau chaude ?svp si vou naver rien a dir taisser vou ok.

  • Le 19 décembre 2014 à 06:56 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Ce Monsieur là nous insulte et insulte les familles endeuillées.

  • Le 19 décembre 2014 à 07:43, par Ouédraogo Wendimi En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Acceptons que l’attention des autorités soit attirée sur ce qui ne va pas, si nous ne voulons pas allés droit dans le mur.. A moins de vouloir retomber dans les mêmes travers. La transition ne devra pas être gérée avec passion, ni sur la base de copinage, encore moins avec des coreligionnaires. Ne sont-ce pas ces mêmes maux qui ont été reprochés à Compaoré et sa meute de clients ?

  • Le 19 décembre 2014 à 09:09 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    N° 6 Heureusement que nous avons des intellectuels dans ce pays qui ont un sens de l’analyse sinon on court vers la catastrophe. On ne peut pas écouter que les tam-tam vides comme Mr l’historien du N° 4 avec son message vide de sens. Ou était-il quand tout le Burkina honorait ce homme mort il y a 4 mois ? arrêtons d’insulter les gens qui ont été quelque chose pour ce pays. Acceptons l’analyse de tous les burkinabé c’est ainsi qu’on construit. waze

  • Le 19 décembre 2014 à 12:44 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Très pertinente comme analyse. Le peuple burkinabè doit savoir ce qu’il veut !

  • Le 19 décembre 2014 à 14:09, par SORE MOUSSA En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Nous sommes très fatigués de lire de telles analyses médiocres . Merci Mr l’intellectuel

  • Le 19 décembre 2014 à 14:25, par SORE MOUSSA En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    Nous sommes très fatigués de lire de telles analyses médiocres . Merci Mr l’intellectuel

  • Le 19 décembre 2014 à 15:36 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    monsieur BEJOT même si c’est une révolution déguisée quel est votre problème si cela fait notre affaire ?

  • Le 19 décembre 2014 à 15:39 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (26)

    monsieur BEJOT même si c’est une révolution déguisée quel est votre problème si cela fait notre affaire ?

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