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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (22)

Publié le dimanche 14 décembre 2014 à 21h42min

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Si je suis un lecteur assidu de la presse française, je fais l’impasse, chaque semaine, sur le supplément « Sport & Forme » du quotidien Le Monde. Je zappe, mais je tourne quand même les pages. Au cas où ! Dans l’édition d’aujourd’hui (datée du samedi 13 décembre 2014), je ne pouvais quand même pas rater le papier de Henri Seckel titré : « La Suisse en a marre de la corruption… à la FIFA ».

C’est épidermique. Je déteste non pas tant la FIFA (en fait, je ne porte aucun intérêt au football) que ce qu’elle représente (cf. à ce sujet ma « Dépêche » du Samedi 19-dimanche 20 octobre 2013 : « Après le FMI, la FIFA va-t-elle devenir la bête noire des peuples ? »). Et ce qu’elle représente c’est, justement, la corruption portée à son plus haut niveau. Je ne suis pas le seul à le penser. Le Parlement helvétique prépare d’ailleurs une loi sur le blanchiment d’argent que la presse et l’opinion publique ont baptisé « lex FIFA ». Ce qui veut tout dire. C’est que la FIFA, à l’instar d’une quarantaine de fédérations sportives, a son siège en Suisse. Or, « le Parlement et les gens en Suisse en ont assez de la corruption. Et ça, ils ne l’ont pas compris à la FIFA » explique le député Roland Büchel qui sait de quoi il parle puisqu’il a collaboré au service marketing de la FIFA de 1999 à 2002. Notons que association à but non lucratif, la FIFA a des réserves financières qui s’élèveraient à…. 1.157 millions d’euros !

Roland Büchel, conseiller national de l’Union démocratique du Centre (UDC), s’insurge donc contre l’image négative de la Suisse où siège la FIFA. « La Suisse est l’un des pays où il y a le moins de corruption, mais avec les histoires de la FIFA on a l’impression d’être dans un pays plus corrompu que le Burkina Faso ». Cette affirmation fait le tour de la planète internet.

« Plus corrompu que le Burkina Faso » ! On peut s’étonner de cette référence dès lors qu’en matière de corruption, le « Pays des hommes intègres » n’était pas, jusqu’alors, celui qui était montré du doigt, loin de là. Du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est du continent, il y a une flopée de pays où la corruption est non seulement récurrente mais institutionnelle et particulièrement visible. Les « affaires » et autres scandales y sont légion et ce n’est pas grâce à l’action des autorités ou de la justice mais, le plus souvent, du fait des luttes d’influence politique locales ou de l’attention portée par les organisations internationales qu’elles sont mises au jour. Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, sur 178 pays référencés dans le monde, le Burkina Faso n’appartient pas au Top 100 des « corrompus » ; et sur 53 pays africains pris en considération, quarante sont perçus plus corrompus que le Burkina Faso.

Mais bien sûr, « l’insurrection populaire » des 30-31 octobre 2014 et la démission de Blaise Compaoré ont propulsé le Burkina Faso à la « une » des médias mondiaux. Compaoré a été présenté, jour après jour, comme un tripatouilleur de Constitution et un chef de bande qui a mis l’économie nationale en coupe réglée. Tout n’était pas parfait au Burkina Faso, loin de là, les dysfonctionnements de l’administration publique étaient monnaie courante (et de plus en plus fréquents), mais de là à faire de ce pays le symbole de la corruption il y a un pas qui ne paraissait pas franchissable. Même pour un conseiller national suisse (qui a beaucoup roulé sa bosse et a eu l’occasion de travailler au Mali pour le compte des services consulaires dans le cadre du ministère des Affaires étrangères de Berne).

C’est le problème avec les révolutions. Quelle que soit leur positivité, elles sont toujours perçues comme une évolution négative de la société. Elles suscitent la suspicion. Et, en plus, elles mettent au jour les comportements du régime précédent ; nécessairement vilipendé, sinon la révolution n’aurait aucun sens*. Un observateur, je ne sais plus qui, en 1984, quand Thomas Sankara a décidé de changer la Haute-Volta en Burkina Faso, avait questionné le leader révolutionnaire : mais si ce pays est celui « des hommes intègres », quel sens, finalement, a votre révolution ? Les révolutions, comme les histoires d’amour, « finissent toujours mal ». Lénine en Russie, Mao en Chine, Um Nyobé au Cameroun, Castro à Cuba, Cabral en Guinée Bissau, Ben Bella en Algérie, Sékou Touré en Guinée, Neto en Angola, Ngouabi au Congo, Sankara au Burkina Faso, etc…

Mais on en attend toujours le meilleur ; jamais le pire. On en attend, surtout, une image valorisée : après tout, un peuple qui prend son destin en main et ose affronter la répression pour changer le monde mérite le respect. Sauf que pour justifier cet instant miraculeux où s’instaure le changement tant espéré, il faut dénigrer le passé et enjoliver l’avenir. C’est comme cela qu’un Suisse, qui a collaboré à la FIFA mais aussi à la CAF (nids de prévaricateurs parmi les plus redoutables dans le monde du foot qui, pourtant, n’en manque pas !), peut affirmer que la Suisse donne « l’impression d’être un pays plus corrompu que le Burkina Faso ». C’est beaucoup de naïveté de la part de l’élu d’un paradis fiscal qui n’a jamais été regardant quant à l’origine des fonds venus d’Afrique et d’ailleurs déposés dans ses banques.

Mais c’est surtout faire injure aux Burkinabè – et à ceux qui veulent œuvrer à une autre gouvernance – que de véhiculer une image de leur pays qui ne correspond pas à son histoire. Sous prétexte du passé faire table rase, faut-il le nier et, plus encore, le renier ? Bien sûr, la tentation est forte, pour se faire une virginité, d’en rajouter dans le dénigrement. Mais aucune nation ne se construit sur le mensonge, fût-il d’Etat. Les décennies passées appartiennent aussi à l’Histoire du Burkina Faso. La IVè République n’a pas été exemplaire ? A chacun sa vision des choses.

Il y a quelques jours (4 décembre 2014) un hommage était rendu au professeur Joseph Ki-Zerbo, mort il y a huit ans (cf. LDD Burkina Faso 0116/Vendredi 8 décembre 2006). Que sa mémoire se perpétue année après année est une bonne chose, même si cette année la radicalité du propos tranchait avec la retenue des années précédentes. Ki-Zerbo a joué un « rôle très important » dans la journée du 3 janvier 1966 qui a renversé la 1ère République. Mais la Place d’armes, à Ouaga, qui était devenue celle du 3 janvier, a été rebaptisée Place de la Révolution puis de la Nation. Ki-Zerbo, quant à lui, avait choisi de quitter la Haute-Volta en 1983 (avant la grande rafle des anciens leaders politiques en octobre) pour s’installer à Dakar jusqu’en 1992.
Au lendemain de son retour à Ouaga, il me dira : « Le pouvoir a tendance à se perpétuer, à élargir son champ d’action. C’est humain. Le problème, c’est d’arriver à mettre en place des garde-fous et à limiter les dégâts. « Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir », affirmait déjà Montesquieu. Ce qui veut dire instaurer des contre-pouvoirs. Mais ceux-ci sont rares en Afrique, c’est un créneau vide […] En Afrique, la société civile existe mais n’est pas structurée et opère dans un champ d’action qui est en dehors du champ formel de la démocratie ».

Vingt ans plus tard, les événements de 2014 sont l’expression de cette absence de structuration de la société civile. Sankara, qui n’aimait pas la société civile, a dit de Ki-Zerbo qu’il était un « Africain complexé ». Il ajoutait alors : « Il n’a jamais réussi au Burkina Faso, ni par la voie électorale, ni par la voie putschiste […] Nous étions contents qu’il s’en aille car nous sentions qu’il avait vraiment très peur, et nous ne voulions pas qu’il en meure, qu’il finisse par nous claquer dans les mains, ce qui nous aurait valu des accusations terribles » (Jeune Afrique – 12 mars 1986). Ki-Zerbo et Sankara sont, qu’on le veuille ou pas, deux personnalités majeures de l’Histoire du Burkina Faso. Mais comme toutes les personnalités, elles sont controversées. L’Histoire tire justement sa richesse de sa diversité, pas de l’ostracisme.

* Georges Clémenceau aimait à dire qu’en « politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 15 décembre 2014 à 10:17 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (22)

    Merci pour ces informations

  • Le 15 décembre 2014 à 11:48, par Koudraogo Ouedraogo En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (22)

    Merci Jean-Pierre pour cet article
    Quand ce ne sont pas les politiciens ignorants comme Buchel, ce sont alors les cinéastes de Hollywood ou les œuvres charitable qui manque cruellement de respect aux pays d’Afrique !
    Ignorant parce qu’après avoir lu un article mal écrit par un journaliste lui-même mal informé, il se pense être devenu un « spécialiste de l’Afrique », comme cela se dit ici ! Ils n’ont cure du contexte qu’ils ne cernent d’ailleurs pas ! Oui les Burkinabè décrient la corruption au Burkina sous Compaoré ! Cela ne veut pas dire que le Faso est le plus corrompu comme d’ailleurs vous le montrer par les chiffres ! Mais pour le Burkinabè qui a connu la corruption Zéro (ou presque) de l’ère Sankariste, la situation actuelle est bien sûr alarmante ! Voici le contexte que Buchel ne comprendra jamais.
    Ce qui m’exaspère, ce sont ces nouveaux termes, tous aussi racistes qui font légion dans une certaine presse : « l’Afrique noire », « le monde civilisée », le « first world » ou « premier monde », « l’Afrique ». Le continent africain est aujourd’hui le plus génétiquement diversifié du monde ! Parler alors de l’Afrique n’est qu’une simple aberration quand on sait que même dans un petit pays comme le Burkina Faso, on dénombre plus de 200 cultures différentes !
    Nous ne sommes pas plus noires de couleur que les caucasiens sont blancs ! Pourquoi donc cette obstination à nous désigner par une prétendue couleur de notre peau ? Personne que je sache ne se réfère aux Chinois et aux Japonais comme Jaune ! « L’Asie jaune » ! Pourtant c’est ce que j’ai moi appris en géographie au primaire !
    Il est temps que la langue française change pour adopter des termes juste quant à ce qui concerne le continent de l’Afrique et les africains ! Apres tout, nous sommes probablement plus d’Africains que de Français qui parlons cette langue ! Nos langues maternelles ne nous ont jamais désigné comme des hommes noires, ni les caucasiens comme des hommes blancs ! : moaga, gourounga, ni saala, nasara, toubabou, etc.. Il n’y a pas de raison que nous acceptions les inepties de notre langues adoptives !
    Les appellations « Noire », « Negre », etc. viennent d’un subconscient profondément raciste de la langue française, et ce n’est pas la négritude qui y changera quelque chose ! Le « noire » est bien trop péjorativement encrée dans la civilisation et les mythes européens ! Associer l’homme africain à cette noire ne fera que perpétue cette fantaisie ! Je suis Africain (sahélien, soudanais, bushman, congolais, etc..) ! Ce n’est l’objet ni d’une fierté, ni d’une honte ! Les autres sont Natifs de l’Amérique (aztèque, inca, etc.), Asiatiques (Orientaux ou Asiatique du Sud, Philippins, etc.), Caucasiens (occidentaux, arabes, juifs, turque, etc. ), Aborigène, etc ..

  • Le 15 décembre 2014 à 12:28, par toega En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (22)

    Je trouve pour ma part que ce conseiller parle plutôt en connaissance de cause.Quand on regarde la chronologie des crimes économiques et même de sang qui se sont passés dans notre cher pays à tous et la réaction des autorités en sont temps on peut dire sans se tromper que le BF est un pays corrompu.De part d’abord la pauvreté très aiguë de la population (parmi les 5 pays les pauvres au monde) ,et l’aisance avec laquelle ses élites s’illustrent. Pour finir, je dirai à Mr Bejot de nous sortir ses archives sur la corruption et vous verrez que rapport à notre poids économique et bien nous sommes malheureusement champions à la matière.

  • Le 15 décembre 2014 à 17:19, par charles melingui olanguena En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (22)

    hier nos parents ont grandi sur la notion de la confiance, l’illettré faisait confiance à l’intellectuel et le pauvre faisait confiance au riche bref la notion du leader ou du guide qu’occupe le chef de famille, président d’un groupe doit être sacrée et basée sur la confiance du peuple qui ne doit jamais être trahie : on ne peut pas tromper le peuple éternellement. jour pour la lumière apparaitra.
    charles Melingui Olanguena
    cameroun

  • Le 16 décembre 2014 à 16:04, par HAMIDOU OUEDRAOGO En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (22)

    Toega tu n’es qu’un farfelu hors sujet. Si tu ne sais rien et ne comprends rien ne vient pas étaler tes inepties ici. on parle de pays corrompus pas de pauvreté ni autre sujet. en matière de corruption Mr Bejot t’a sorti le classement que veux tu de plus ?

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