LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (19)

Publié le samedi 13 décembre 2014 à 02h14min

PARTAGER :                          
Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (19)

« Humblement, je vous dis bienvenue à mon école ! ». Ces mots sont ceux de la fin du discours de Jean-Baptiste Natama, le 12 août 2013, lors de la cérémonie de sortie de la deuxième promotion de l’Institut des hautes études internationales (INHEI) dont il était le parrain. « L’école » qu’évoque Natama, c’est celle de la vie ; « sa vie », pas toujours simple (cf. Burkina Faso 0466/Lundi 8 décembre 2014). Ces mots résument parfaitement la personnalité complexe de Natama, adepte de l’exclamation et de l’exhortation, poète de la flamboyance*.

On s’étonne toujours de découvrir ce goût de la déclamation chez ce colonel qui s’est beaucoup investi dans la « Révolution » de 1983 mais aussi dans sa « Rectification » en 1987 (il a été membre fondateur de l’Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail, ODP/MT, fondation décidée le 15 avril 1989 par Blaise Compaoré pour fusionner les différents groupuscules et organisations se réclamant du marxisme-léninisme, socle du CDP, le parti présidentiel créé, lui, le 5 février 1996), qui cultive son image de guerrier et de diplomate, ne rechigne pas à siéger dans une institution panafricaine qui est à des années lumières de son engagement panafricain, fustige le laxisme des politiques et l’affairo-politisme confinant à la corruption des opérateurs économiques tout en affirmant le « rôle primordial » du secteur privé dans « sa contribution déterminante à la réduction de la pauvreté ».

Le 15 octobre 2012, Natama a été nommé directeur de cabinet de Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’Union africaine, « consécration » de son « expérience sur les questions internationales » dira Djibrill Y. Bassolé, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Penser que Natama ne serait qu’un haut fonctionnaire, un technocrate froid et distant, ce serait oublier que la « chanson de geste » est aussi un acte politique. Et des actes politiques, Natama, ne cesse d’en poser.

Il est vrai que l’actualité burkinabè lui a facilité la tâche. En 2011, au moment où les « mutineries » ravagent le pays après que la jeunesse burkinabè se soit soulevée contre la répression et l’injustice, Natama va, dans le magazine Notre Afrik, affirmer que « les causes de la crise qui secoue le Burkina sont multiples, mais la principale, à mon avis, réside dans le fait que la gouvernance du pays est marquée par un déficit de dialogue social couplé d’un déficit social ». Il ajoutait alors : « La question du déficit social lié au faible accès des populations aux services sociaux de base, quant à elle, a cultivé chez les citoyens issus des couches sociales les plus défavorisées de la population un sentiment de révolte justifié à leur sens par ce qu’ils considèrent comme une injustice économique et sociale dans le partage du fruit de la croissance accentué par le phénomène de la vie chère ».

On ne peut pas être plus clair. Il était évident, lors des « marches » qui ont ponctué la vie politique et sociale du Burkina Faso ces dernières années, qu’au-delà de la question de l’alternance, du Sénat et de la révision de l’article 37 de la Constitution, la pierre d’angle de la mobilisation c’était la fracture sociale de plus en plus évidente et de plus en plus insupportable. La preuve en est que les partis politiques qui ont conduit ces « marches » sont aujourd’hui très en retrait par rapport aux revendications de la population qui ne veut pas l’alternance pour l’alternance mais l’alternance pour un changement radical de politique.

Natama a perçu l’évolution de la société. Ou, plus exactement, le blocage résultant d’une confiscation de la croissance par les « élites acculturées et surévaluées ». Le mardi 15 octobre 2013, premier anniversaire de sa nomination comme directeur de cabinet de la présidente de la Commission de l’UA (mais également jour anniversaire du basculement de la « Révolution » dans la « Rectification »), il va lancer son « Manifeste pour une jeunesse responsable », un fascicule de 79 pages publié par les éditions Jethro. Natama entendait répondre « à l’appel d’une jeunesse déboussolée, en proie au doute quant aux références morales, jeunesse cependant avide de changements qualitatifs et désireuse de s’approprier les fondamentaux tels que le courage et la persévérance, l’amour du travail et le sens de l’effort, l’humilité et la tolérance, l’intégrité et le sens de l’honneur, l’altruisme et le sens de la solidarité, l’amour de sa patrie ».

La « Renaissance africaine » devient le mot d’ordre de Natama. « La Renaissance africaine ce sera notre capacité à réaliser l’utopie que nos peuples nous dictent » affirmera-t-il lors du cinquantenaire de l’UA, dans un long discours que le quotidien gouvernemental burkinabè, Sidwaya, va reproduire in extenso dans son édition du mardi 23 juillet 2013. Il y évoque alors la nécessité d’une « Africentricité », autrement dit « la lutte pour le changement de mentalités dépersonnalisantes et inhibitrices de la volonté d’action qui caractérisent beaucoup d’Africains et d’Africaines » (discours devant la promotion sortante de l’INHEI). Rendant par la suite hommage à Nelson Mandela, il rendra hommage, aussi, à Thomas Sankara, chef d’une « révolution humaniste » née « du refus de l’injustice et de l’exploitation des faibles ».

C’est dire que Natama va se trouver être, plus que jamais, dans l’air du temps. Une page Facebook intitulée « 2015 : Jean-Baptiste Toubo Tanam Natama, ton peuple te réclame » va être créée fin 2013. Natama, alias Toubo Tanam, sans déclarer être candidat à la présidentielle 2015, reconnaît être « prêt et capable » à assumer cette tâche. A la suite de la démission de Blaise Compaoré, le 31 octobre 2014, il va prendre un congé pour être présent à Ouaga. On évoquera son nom pour assumer la présidence de la transition. Mais il dira n’avoir « pas été consulté pour jouer un rôle dans la transition, ni dans la constitution du gouvernement, ni dans la mise en place d’un Conseil national de transition, ni dans la mise en place des sous-commissions ». Pas « frustré », dit-il encore mais manifestement agacé d’être sur la touche. « Si je n’ai pas été consulté, c’est que l’on estime que mes services ne sont pas nécessaires ». Pas question pour lui de s’imposer ou d’imposer ses services, dira-t-il encore, corseté dans son orgueilleuse humilité.

Du même coup, il peut prendre ses distances par rapport au présent et poser des jalons pour l’avenir : « Il y a un processus qui suit son cours. Ce processus, je l’espère, nous permettra de mesurer la sincérité des différents acteurs […] J’ose espérer que c’est de façon sincère que les uns et les autres vont apporter leurs contributions à la gestion de cette transition […] Nous avons remarqué, dans la mise en place des institutions devant gérer la transition, la manifestation de quelques relents d’intérêts égoïstes et individuels […] Il me semble évident que les militaires restent au cœur du pouvoir. Mais c’est une décision qui a été prise, dit-on, de manière consensuelle entre les acteurs qui s’étaient assis autour de la table des concertations […] Pour le reste, l’avenir dira et l’histoire jugera »**. L’histoire, îmmanquablement, mais aussi, à coup sûr, Jean-Baptiste Natama… !

* En 2004, Jean-Baptiste Natama a publié aux éditions Kuljama un recueil de poèmes intitulé « Tourbillon et paroles bleues » dont la flamboyance est toujours porteuse d’engagement politique fondé sur des principes moraux : « Tu dois, contre les lassantes vicissitudes, opposer aux pirates et malfrats égoïstes, la dignité des preux garants de l’intérêt collectif, apte à traquer l’injuste corrompu qui veut emmurer la liberté ». Le 12 août 2013, lors de la cérémonie de sortie des élèves de l’INHEI, il n’a pas hésité à déclamer Pixley Ka Isaka Seme (1881-1951), avocat noir sud-africain formé à Columbia et à Oxford, fondateur avec le frère de sa mère (John Dube), de l’African National Congress (ANC) dont il sera le président de 1930 à 1937 : « Oh Afrique ! Telle une magnifique plante centenaire qui fleurira dans les âges à venir, nous te regardons dans nos rêves… », etc.

** Toutes les citations de ce paragraphe sont extraites d’un entretien de Jean-Baptiste Natama avec Grégoire B. Bazie, lefaso.net, mardi 2 décembre 2014.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 12 décembre 2014 à 23:04, par Tompoudi En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (19)

    Emouvant pamphlet laudatoire ! pas de celui qu’on fait de facon demagogique à des gens qui se declament et se reclament "faiseur de paix" ou" negociateur plenipotentiaire né" . Un parcours d’une personnalité dont la prévoyance et l’engagement auprès de la jeunesse de son pays et de celle de l’Afrique n’est plus à prouver. Les burkinabés devraient faire plus confiance à ces hommes de conviction comme l’a été Thom Sank qu’à des politiciens d’un autre acabit dont le secret objectif est d’avoir le pouvoir pour le pouvoir au detriment des populations..
    Courage Toubo on te soutient !

  • Le 13 décembre 2014 à 14:05, par AZIZ En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (19)

    MERCI QUE DIEU VOUS BENISSE

  • Le 13 décembre 2014 à 19:00 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (19)

    Franchement très têtu ce monsieur ! tellement habitué au parachutage qu’il rêve de faire un saut extraordinaire dans l’histoire du pays au sommet directement. Les ascensions les plus sûres se font par étape. Frère NATAMA vous rêvez trop ! le matraquage de la dernière n’ayant pas suffi, c’est maintenant par le fameux bejot qu’il faut passer, malheureusement beaucoup ne le lisent plus !

  • Le 14 décembre 2014 à 18:57, par Diem En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (19)

    Admirables, tous ces articles successifs et très éducateurs sur un petit pays perdu au milieu dune Afrique de l’Ouest en proie a des défis de tout genre. Merci de contribuer au rayonnement de ce pays qui se bat chaque jour que Dieu fait pour survivre dans l’honnête et la dignité. Permettez moi de préciser que Jean Baptiste Natama a été obligé de démissionner de l’ODP/MT a moins d’un an après sa création pour divergence idéologique. Il vient aussi de publier son dernier ouvrage "par dessus la barre haute" Preface par Elikia Mbokolo comme suit :
    A LIRE ABSOLUMENT : PREFACE par Elikia Mbokolo

    Enfin, voici la relève africaine !
    On se demandait depuis longtemps et partout en Afrique où elle était passée. Elle, la relève africaine : ces contingents de jeunes femmes et hommes, façonnés pour les uns dans les combats politiques et dans les luttes armées des décennies de l’indépendance, formés pour les autres, parfois à prix d’or, en Afrique même ou dans les écoles, universités et instituts de toutes les parties du monde.
    Une question en tous points légitime. Car, aussitôt installés sur les trônes rutilants, tout chauds encore, du commandants et gouverneurs coloniaux, les « pères de l’indépendance », supposés tels, le plus souvent autoproclamés, se sont empressés d’en chausser les bottes, d’en récupérer les illégitimes privilèges précipitamment amplifiés, d’en durcir les pratiques et les postures despotiques, de les singer au point de se faire un point d’honneur de les suivre chez eux, dans la chère « métropole », au moindre rhume ou, bien sûr, pour ces délassements répétés dont les nouveaux citoyens africains, de nouveau rabaissés et renommés « populations », ne pouvaient imaginer les luxueux excès. Ajoutez à cela la présence envahissante de l’ancien colonisateur, ses interventions militaires scandaleusement affichées et glorifiées, son habile exploitation de toutes les ressources –matérielles, financières, diplomatiques, son imposition astucieuse et habile de sa langue, de ses valeurs et modèles culturels… Un vrai scandale, habillé des atours trompeurs de l’« aide » et de la « coopération », accepté apparemment par « tout le monde »…
    Un scandale tel qu’ici et là, d’aucuns en sont venus à se demander « quand finirait l’indépendance », cette « indépendance » - là ! Et à se demander aussi où était passée la relève africaine ! Bien sûr, des maquis camerounais et des assassinats ciblés des leaders réputés « dangereux » et aussitôt exposés à la vindicte internationale par le label infâmant de « communistes » jusqu’aux « faux complots » étouffés dans l’œuf avec une rigueur implacable et aux massacres de masse de manifestants désarmés, une bonne partie de la relève avait été physiquement liquidée ou réduite au silence par la peur. Et les autres ? Les régimes postcoloniaux ont tout mis en œuvre pour les manipuler et, comme on dit, pour les récupérer : de confortables fauteuils ici, des promotions spectaculaires là-bas, le tout accompagné de copieuses « enveloppes » et, parallèlement, l’exploitation machiavélique des frustrations créées et des jalousies entretenues parmi les « laissés pour compte », bref la machine à diviser et à désarmer une éventuelle relève produisait la totalité de ses effets. Emprisonnées toute volonté et toute capacité d’alternative ! Morte la pensée indépendante et novatrice ! Brisée l’énergie créatrice ! Etouffé le génie inventeur !
    Illusion que tout cela !
    Ce livre montre en effet que beaucoup - pour ne pas dire tout- reste possible et que se trouvent devant nous, à côté de nous, avec nous, ceux et celles grâce à qui les chemins d’un autre futur que notre actuel présent : « Oser inventer le futur ! », selon une formule chère à Thomas Sankara ; « Réaliser l’utopie que nos peuples nous dicte », selon les propres mots de Jean-Baptiste Natama.
    Voici donc un livre bien singulier !
    Car, contrairement à un usage bien établi entre nous Africains et contrairement aux mœurs internationales, ce livre n’est pas la brillante démonstration d’un brillant théoricien ou stratège en « développement », ni d’un spécialiste pointu, travaillant en vase clos, appuyé sur quelque nouvelle « vision » ou « approche », sans obligation de résultat…
    Ce livre est la restitution d’un dialogue de très belle facture ! Un dialogue entre deux amis et deux complices de très longue date -plusieurs décennies- que les contraintes de la vie ont plus ou moins tenus éloignés l’un de l’autre : Gadj-Bis Mbao, l’interviewer, et Jean-Baptiste Natama, l’interviewé ! Même alors, entre eux, les liens ne manquent pas : une indiscutable proximité, des rêves communs, des utopies partagées dans la jeunesse et toujours vivantes. Mais, aussi, une sorte de corps à corps intellectuel et politique sans complaisance qui oblige l’interviewé à aller jusqu’au bout de ses idées, de ses passions, de ses réalisations passés, de ses engagements actuels et aussi de ses combats à venir.
    Si la rencontre importe à tous ceux dont l’Afrique est l’habitat, la préoccupation, la référence ou l’ultime horizon, c’est que Jean-Baptiste Natama n’est pas n’importe qui. Ce n’est pas d’abord à ses fonctions et à ses responsabilités actuelles que l’on pense. Le directeur de cabinet de l’actuelle Présidente de la Commission de l’Union Africaine n’est pas dans l’affichage et la monstration : sa discrétion, mêlée à cette compétence que traduisent tous ses propos, ne laisse pas d’impressionner : sa jeunesse aussi, gage d’un avenir dont on perçoit qu’il sera chargé de réalisations de toutes sortes, dont le soubassement et le profil se dégagent très clairement de ses analyses et de ses propositions. A son crédit, il a déjà la chance, ou plutôt le mérite, d’avoir reçu et d’avoir assimilé une éducation fort éloignée de celle de la plupart des Africains de sa génération. Si l’école y a occupé une place de choix, il y a eu aussi cette éducation villageoise dont la présence se perçoit dans la maîtrise de ces savoirs, de ces langages, de ces formules, de ces raccourcis saisissants qui naguère, dans la bouche et sous la plume d’un Amadou Hampâté Ba, d’un Joseph Ki Zerbo ou d’un Julius Nyerere, ont consolidé la « présence » intellectuelle de l’Afrique dans le monde. Bien sûr, les palmes scolaires et académiques ne manquent pas dans sa besace, à ceci près qu’il a su articuler des formations multiples, civiles et militaires, littéraires et diplomatiques, constamment ouvertes à la pratique des sports et des arts, tant au pays qu’en France. Avec, en outre, les sollicitations pressantes de cette période où, tient-il à rappeler, la Haute Volta, muée en Burkina Faso, « nourrissait les jeunes aux idéaux de transformation révolutionnaire de la société ». C’est d’ailleurs par un appel fameux à la jeunesse d’aujourd’hui que le discret haut fonctionnaire s’est fait connaître du large public. Son Manifeste pour une jeunesse responsable. Essai de morale sociale (2013), toujours à l’ordre du jour, invite les jeunes à cultiver ces « vertus » sans lesquelles aucun pays africain ni, à plus forte raison, l’ensemble du continent ne sortira des ornières : « la foi » ; « l’amour et le service de la patrie » ; « le sens de la solidarité » ; « le courage et la persévérance » ; « l’intégrité et le sens de l’honneur » ; « l’humilité et la tolérance » ; « la justice et la vérité » ; « la rigueur » ; « l’amour du travail »…
    Parler des vertus dans l’Afrique d’aujourd’hui ? C’est que le jeune fonctionnaire au Ministère de la Défense à l’époque trouble (1984-1990) de la révolution sankarienne et du thermidor burkinabè a acquis, au plus haut niveau des responsabilités, une expérience africaine exceptionnelle. Présent sur tous les terrains belliqueux (Burundi, République Démocratique du Congo, Rwanda, Soudan), il est devenu aussi l’un des experts et des artisans les plus efficaces dans les « opérations de maintien de la paix » comme, plus largement, dans la gestion des crises et des conflits et dans la diplomatie multilatérale. La gestion même des Etats et, comme on dit aujourd’hui, les problèmes de « gouvernance » ne lui sont évidemment pas étrangers compte tenu de son action entant que secrétaire permanent du « Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs », mécanisme complexe et bienvenu se donnant pour tâche l’évaluation positive ou négative des chefs d’Etat africains par leurs homologues africains. Panafricaniste de cœur, Jean-Baptiste Natama est donc devenu aussi un panafricaniste de raison et un panafricaniste d’expertise.
    Mais, qu’on ne se trompe pas ! L’expertise, la raison et la distinction n’étouffent en aucune mesure la foi en l’Afrique et la passion pour la transformer.
    Oui, il faut « oser inventer le futur » ! « Inventer », c’est-à-dire rompre avec le présent aussi bien qu’avec le passé, sans pour autant s’épargner le devoir d’inventaire de l’un et l’autre et la nécessité de récupérer ici et là les blocs de granit qui contribueront à construire ce futur.
    Du passé, il a évidemment une connaissance critique. Dans la tradition la mieux établie du panafricanisme intellectuel, il ne peut que louer la gloire de l’Abyssinie millénaire et le symbole que demeurent sa résistance et sa victoire face à l’impérialisme italien et à l’indifférence de la « communauté internationale ». On lui saura gré aussi de souligner, en même temps, « ces traumatismes à répétition (dont) nous ne sommes pas encore guéris », qu’il s’agit des mises en esclavage, des déportations négrières, du colonialisme et, bien sûr, du néocolonialisme. Loin de lui cependant toute complaisance dans une approche souffreteuse et pleurnicharde de l’histoire de l’Afrique ! Ce qu’il faut relever, ce ne sont pas seulement les résistances africaines à toutes les formes d’esclavage et de mise en tutelle, hier et aujourd’hui ! C’est aussi, comme le soulignait déjà Edward W. Blyden, la « capacité de rebondir » des sociétés et des peuples africains. Du coup s’impose la nécessité de distinguer, en Afrique, ceux qui combattent pour continuer à exister et ceux qui plient l’échine. Sa sévérité n’a pas de limite à l’endroit de « Messieurs 10% » et de « la bourgeoisie compradore » comme à l’égard de « l’élite programmée », de « ce type d’élite docilement extravertie », de ces « gens qui ont des maîtres à penser », bref de ces intellectuels dont il déplore « la paresse » et le psittacisme.
    Quels leviers reste-t-il dès lors pour « inventer le futur » ? D’abord les peuples africains : « malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple », dit-il en reprenant la formule fameuse de Thomas Sankara. Et puis les jeunes : 60 à 70% de la population, qui valent à l’Afrique d’avoir la plus jeune population du monde. Bien sûr aussi, un autre modèle d’intellectuels et un autre type de politiques qui, selon lui, ne sauraient se passer de prendre exemple sur les Lumumba, Franz Fanon, Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral…
    Mais, lui-même ?
    S’il reste profondément panafricaniste, il croit que, forte de l’adhésion des Etats membres, l’Union africaine possède aujourd’hui la vision et les mécanismes d’une avancée singulière, concertée et autonome du continent.
    Bien sûr, l’horizon d’un intellectuel engagé, d’un homme d’Etat expérimenté et d’un héritier des figures qui promurent la libération de l’Afrique ne saurait se passer d’un ancrage plus restreint. Oui, le Burkina Faso lui importe évidemment au tout premier plan. Question : « Et si un jour vos compatriotes vous confiaient la gestion du Burkina Faso au plus haut niveau ? ». Réponse : « Je leur proposerais que nous nous engagions dans un nouveau contrat social, qu’ensemble nous élaborons et mettons en œuvre. »
    Pas de doute, la relève africaine est bien là ! A nous tous de contribuer, par nos débats, nos contributions et nos engagements à son avènement.

    Elikia M’Bokolo

  • Le 14 décembre 2014 à 19:29, par Diem En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (19)

    A la suite de ce brillant article je voudrais ajouter le dernier ouvrage de JBN :
    PAR-DESSUS LA BARRE HAUTE, Jean-Baptiste NATAMA, un nouveau leadership africain

    « Il faut produire ; produire plus parce que – il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte aussi ses volontés- . Il y en a qui se demandent où se trouve l’impérialisme, regardez dans vos assiettes quand vous mangez, les grains de riz, de maïs importés ; c’est cela l’impérialisme. N’allez pas plus loin ! Mais la production si j’ai pris le cas des céréales ne se limite pas à l’agriculture. Ce sera dans tous les domaines, à l’usine, dans les bureaux, etc. Et j’invite chacun à la production intellectuelle… »
    Il y a presque 30 ans que feu président Thomas Sankara dans l’une de ses envolées magistrales que nous connaissons au pédagogue mémorable qu’il fut, martelait ces mots d’une vérité éclatante devant un millier de militants séduits par le leader charismatique. Jean-Baptiste Natama a fait sienne cette invitation à la production intellectuelle et littéraire. Aussi depuis quelques années à l’orée du 15 octobre, il nous invite à partager ses poèmes (Tourbillons et paroles bleues - 2004), ses réflexions (Les droits de l’homme et le MAEP – 2009), ses essais (Manifeste pour une jeunesse responsable - 2013). Rendez-vous pris, en cet octobre de commémoration, c’est avec un livre d’entretiens « PAR-DESSUS LA BARRE HAUTE » qu’il nous revient, riche de ses réflexions et de sa vision engagée pour un monde plus humain.
    Cette conversation, ces entretiens, auxquels nous invitons le lecteur à se joindre, se sont mis en route un matin très ensoleillé d’Addis-Abeba, un matin de février 2013. La capitale éthiopienne, qui bourdonnait, comme la Commission de l’Union africaine, telle une immense ruche, offrait l’irrésistible prétexte : un immense projet de construction d’immeubles-logements sociaux modernes en ceinture de la ville, associé à celui d’une ligne de tramway-métro qui pourfendrait de part en part l’agglomération. Elle offrait un autre prétexte, non des moindres : l’histoire maintes fois millénaire de l’Abyssinie, que nous redécouvrions au contact d’éthiopiens nationalistes, fiers que leur pays eût résisté à la conquête italienne. Et enfin, il y avait ces femmes en apparence fragiles qui défiaient le vent frais, très tôt le matin, la capuche rabattue sur le front haut levé, et qui se précipitaient sur les chantiers, s’y activaient, en maçonnes, électriciennes, menuisières, architectes, etc. Eh oui ! Des femmes construisant des édifices à plusieurs étages, sans grue, avec le seul génie de savoir bâtir des échafaudages de bois d’eucalyptus pour se hisser sur les hauteurs. Elles montraient une détermination étonnement décomplexée. Il faut gagner son pain à la sueur de son propre front, d’aucuns diraient. Et surtout il faut construire une Ethiopie moderne, digne, riche de ses traditions, et qui en même temps s’ouvre au monde pour laver l’indignité d’une image teigneuse et emblématique, celle distribuée à la planète entière par le fléau de la famine : cette image cristallisée depuis maintenant des décennies dans l’icône du bébé dénutri, squelettique, aux grands yeux vides d’espoir, enfoncés dans l’orbite caverneuse, à la grosse tête tourmentée appuyée contre la poitrine maigrichonne d’une mère vidée, bouche ouverte dans un effort ultime pour accueillir la dernière goutte du lait maternel qui hélas avait tari. Ces femmes maçonnes nous redessinaient une Afrique qui refusait de ployer sous le joug de la fatalité, qui refusait de s’exhiber en dos courbé !
    Octobre 2014… Une grosse année de conversations sur la vie de Jean-Baptiste Natama, son parcours professionnel, ses idées sur le politique, ses prospectives sur le Burkina Faso son pays, les contextes internationaux, la diplomatie, l’économie du continent, la culture des valeurs, dont il est un fervent défenseur, l’histoire de nos sociétés, qu’il connaît de près pour avoir été sur les sentiers ruraux et citadins de moult pays et régions, le panafricanisme, la jeunesse - fer de lance du développement-, l’éducation qu’il considère comme voie privilégiée pour l’accès à une véritable liberté, etc.!
    Une année de conversation soutenue ! Très peu de temps en somme, me dira l’un ; mais il ne s’agissait en fin de compte que de consigner un dialogue fraternel entamé quinze ans plus tôt et qui, en nos espérances têtues, s’était construit le long des jours maigres, des jours de défi, des jours de colère, des jours de doute, des jours d’euphorie, des nuits d’insomnie aussi, des nuits travaillées par la sempiternelle interrogation sur l’essence de la mission à accomplir pour notre continent et que jamais nous ne nous permettrons de trahir.
    Des bribes de réflexions, saisies par-ci, par-là, me dira l’autre. Certes, si l’on veut, oui ; mais c’est aussi à cela que servent ces entretiens que nous intitulons joyeusement « PAR-DESSUS LA BARRE HAUTE », qui n’ont de pertinence que dans le choix d’une approche séquentialiste, d’une évolution par bonds, d’une pensée non linéaire, procédant par ellipses, en cercles concentriques, tant il y a de choses à raconter, tant il y a de récits à faire, qu’il faudrait plusieurs vies pour s’y employer tout entier. Et alors ! Nous dirions, fair play, que dans le genre que nous avons choisi, le charme réside précisément dans une certaine façon de sauter du coq à l’âne.
    Au lecteur têtu qui voudra bien passer d’une idée à l’autre, d’une page à l’autre, enjamber certains obstacles pour laisser libre cours à l’exercice d’un méta-dialogue inclusif avant d’y revenir, au lecteur qui aura bien voulu potasser, griffonner sur les pages, souligner, raturer…, il restera gravé au poinçon de feu -nous en sommes convaincus-, l’élan doublement généreux, l’invitation et la réponse à partager l’espérance têtue de nos peuples en lutte pour plus de liberté, plus de dignité, plus de justice, plus d’humanité.
    Qu’ai-je dit ? Humanité ? Oui la nôtre, celle des africains que nous sommes a besoin que se déconstruisent les préjugés tissés par de siècles de mensonges déversés par « nos fossoyeurs ». Notre première guerre mondiale à nous Africains a été celle qui a introduit sur nos terres des forbans armés idéologiquement et militairement, qui ont dépeuplé le continent en emportant vers les rivages de l’esclavage ses enfants vigoureux, et qui ont appliqué la politique de la table rase, du brûlis, sur nos cultures, nos philosophies, nos arts, nos sciences, nos technologies. Malheureusement nous en sommes sortis vaincus. Ils s’en sont suivis d’autres. Ces guerres-là se renouvellent sans doute derrière les masques peints aux théories et pratiques de l’ultralibéralisme sauvage et cynique qui dore la pilule tout en accélérant le saccage des ressources de l’Afrique, en inondant le continent de ses armes et bombes, en détruisant les sociétés organisées. Et l’on nous fera le reproche de penser et d’agir en panafricains. Et la meute de nos « fossoyeurs » réussira toujours à susciter la fronde anti-Cheikh Anta Diop. Parce qu’Anta Diop, à l’instar de Nkrumah, Lumumba, Hailé Sélassié, Nasser, Ben Bella, Um Nyobe, Mongo Béti, Amilcar Cabral, Samora Machel, Sankara, s’est dressé courageusement pour dire à ceux qui ne voulaient pas l’entendre que l’Afrique est une malgré sa diversité. « Ces fossoyeurs-là », qu’ils ne continuent plus de pérorer et de brailler leurs mensonges ! Halte-là !
    Au fil de ces entretiens, en écoutant Jean-Baptiste Natama, une certitude franchement optimiste se consolidait en moi. La certitude qu’après les décades du désenchantement afro-pessimiste qui s’était emparé d’un certain nombre d’Africains et d’analystes africanistes-euro centristes, un nouveau soleil naissait. La certitude qu’une nouvelle génération de dirigeants africains avait émergé, un nouveau leadership, bien au courant des turbulences d’un mondialisme tourbillonnant, et qui réincarne la célèbre pensée de Franz Fanon : « chaque génération se découvre une mission à accomplir, elle l’accepte ou la trahit ». Une nouvelle génération qui choisit sans atermoiements ni dilemmes d’accepter ses responsabilités plutôt que de trahir sa mission…
    Gadj-Bis Mbao

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Transition : Le discours-bilan de Michel Kafando
Michel Kafando reçu par Ban Ki-moon
Michel Kafando a échangé avec ses compatriotes à New-York