LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (7)

Publié le mercredi 26 novembre 2014 à 13h28min

PARTAGER :                          

Drôle de gouvernement pour une drôle de révolution. Pas vraiment un gouvernement de technocrates mais, plus exactement, un gouvernement d’experts. Des agrégés, des docteurs, des ambassadeurs, des hauts fonctionnaires, des colonels, des procureurs, des « pédagos »... Pour la plupart d’entre eux, à quelques exceptions près, des inconnus. Pas des politiques en tout cas.

Mais il est vrai que l’article 15 de la « charte de la transition » établissait que les membres du gouvernement « ne doivent pas être des personnes ayant ouvertement soutenu le projet de révision de l’article 37 » et qu’ils ne devaient pas « avoir fait partie du dernier gouvernement dissout de la IVè République ». Par ailleurs, l’article 16 stipule qu’ils « ne sont pas éligibles aux élections présidentielle et législatives qui seront organisées à la fin de la transition ». Autrement dit, il n’y avait pas une seule tête d’affiche pour se risquer dans cette galère où il va falloir ramer comme un forçat pendant un an pour, en fin de croisière, se retrouver sur le sable !

Il y a déjà un record pour cette équipe gouvernementale. Qui prouve la vitalité de la société civile et de ses représentants et son poids dans le rapport de forces actuel. Adama Sagnon, nommé au soir du dimanche 23 novembre 2014 au portefeuille de ministre de la Culture et du Tourisme, s’est retrouvé à la rue en cette matinée du mardi 25 novembre 2014, contraint de donner sa démission. Ce magistrat natif de Koudougou, fait chevalier de l’Ordre national en 2011 et nommé directeur général du Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA)*, en charge de la lutte contre la piraterie musicale notamment, le 27 mars 2013, avait prononcé en juillet 2006 une ordonnance de non-lieu contre l’adjudant du RSP Marcel Kafando, inculpé dans le meurtre du journaliste Norbert Zongo et de trois de ses accompagnateurs le 13 décembre 1998. « Verdict scandaleux », « déni de justice honteux et scandaleux » proclameront la presse et les ONG. Le procureur du Faso, Adama Sagnon, s’était déjà illustré en refusant, le 21 juin 2006 de faire appliquer le verdict du Comité des droits de l’homme de l’ONU qui stipulait « que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas Sankara, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Madame Sankara et de ses fils, contraire à l’article 7 du Pacte ».

C’est aussi Sagnon qui, le 22 janvier 2007, aura requis, parmi d’autres peines, six mois de suspension du journal L’Evénement dans un procès en diffamation intenté par François Compaoré, frère cadet de Blaise Compaoré et son conseiller spécial, le « petit président » étant alors mis en cause dans « l’affaire Zongo ». « Mon rôle est de menacer » avait alors proféré Sagnon à l’encontre de Newton Ahmed Barry, le patron de L’Evénement, candidat, la semaine dernière, de l’opposition politique et de la société civile au poste de… président du Faso. Sagnon devrait se rappeler qu’il n’est jamais bon d’avoir la… mémoire courte ; plus encore aujourd’hui alors qu’il existe internet.

Voilà donc Sagnon qui aura fait un petit tour gouvernemental avant de s’en aller. Au-delà de l’anecdotique, c’est l’affirmation que les choses ont changé au Burkina Faso puisqu’on écrit, par ailleurs, qu’il est « un ami de longue date du lieutenant-colonel Zida, le chef du gouvernement ». Sagnon aura-t-il, cependant, fait autre chose que d’être un fonctionnaire aux ordres dans le cadre d’une justice ayant à traiter de dossiers éminemment sensibles ?

Aux ordres. Ni coupable, ni responsable. Combien d’hommes et de femmes, qui occupent encore des postes de responsabilité, va-t-on trouver qui, au nom de cette obéissance aux ordres (même quand il ne s’agissait que de faire du zèle), vont s’efforcer de justifier leur mode de fonctionnement sous le régime précédent ; un mode de fonctionnement qui, généralement, s’accompagne d’un enrichissement sans cause ? Le problème des « révolutions », c’est qu’elles révolutionnent. Avec tout ce que cela implique de débordements et de dérives. On l’a vécu sous Thomas Sankara dont les séides avaient tendance à confondre les parties et le tout ; mais aussi les comportements présents avérés et les comportements passés imaginés. Que ceux qui ont connu de bons souvenirs sous le règne des TPR et des CDR lèvent la main. Mais il est vrai qu’il faut avoir pas loin de l’âge de la retraite pour avoir été concerné par leur « activisme ».

Pour éviter ces dérives, la « charte de la transition », dans son article 17 établit qu’il va être créé, auprès du Premier ministre, une « Commission de la réconciliation nationale et des réformes, chargée de restaurer et de renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale ». L’article 18 détaille les sous-commissions qui seront mises en place (cinq au total) et précise qu’une « loi organique fixe les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement » de cette commission. La question qui se pose aujourd’hui aux « révolutionnaires » qui ont renversé le régime en place est de savoir ce qu’ils vont faire de leur victoire. Je ne parle pas de l’actuel président du Faso ni de son Premier ministre, mais de ceux qui viennent de prendre conscience du poids qu’ils pouvaient peser dans la vie du Burkina Faso.

En se mobilisant, ils ont chassé le pouvoir en place ; ils veulent qu’il n’en reste rien. Ils ont contraint un ministre, haut fonctionnaire de l’Etat, un homme aux ordres et/ou particulièrement zélé, de démissionner de la fonction à la laquelle il venait d’être nommé. Le doigt est dans l’engrenage. Et, jour après jour, les « affaires » réelles ou virtuelles vont remonter à la surface. Est-ce le rôle de ce gouvernement de la transition, qui n’a qu’un an devant lui pour réussir un réel challenge politique, de se lancer dans une démarche « révolutionnaire » tous azimuts et éradiquer les « années Compaoré » au nom des « années Sankara » puisque c’est, désormais, le seul référentiel valable ? N’est-ce pas le rôle des analystes, des historiens, des sociologues, des intellectuels… avant d’être celui de la justice ? Même s’il est, effectivement, des dossiers d’affaires qui sont prioritaires (« affaire Zongo », « affaire Nébié », etc.). Sauf à se lancer dans une gigantesque chasse aux sorcières.

Les dérives affairo-politiques du précédent régime étaient évidentes ; il suffit de prendre en compte le nombre de 4 x 4 et autres véhicules de luxe qui circulent à Ouaga pour s’en convaincre. L’enrichissement de nombre de Burkinabè est fondé sur l’appauvrissement et la négation des droits sociaux de la grande majorité de la population. Combien d’entreprises ayant pignon sur rue ne déclarent pas leurs salariés et ne respectent pas la législation sociale ? Il n’est pas difficile d’en faire la liste. Quelle est la dette intérieure de l’Etat à l’égard des petits prestataires de services et autres fournisseurs, nationaux ou étrangers ? Au-delà de la prévarication affairo-politique (dont on nous dira qu’elle s’inscrivait malgré tout dans un cadre légal), les dysfonctionnements ont été nombreux, à commencer par tous ces hauts fonctionnaires qui quittent le service pour la plantation ou dispenser des cours dans des établissements privés.

Michel Kafando l’a dit : « Il n’est pas question de cautionner l’impunité ». Il ajoute : « Si nous ne sortons pas de l’impunité, le gouvernement que nous allons constituer-là n’aura pas sa raison d’être ». Il a dit encore : « Chez nous, la haine n’a pas de place. Ce que simplement les gens veulent, c’est la justice sociale »**. La justice sociale aujourd’hui et demain ; la justice tout court pour le traitement des grandes « affaires » qui ont bouleversé l’histoire récente du « Pays des hommes intègres ». Voilà de quoi, déjà, bien occuper les nouvelles instances en place.

* Le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA) est placé sous l’autorité du ministère de la Culture et du Tourisme.

** Entretien avec Albert Nagréogo (Radio Oméga) et Abdoulaye Barry (Africable Télévision) ; retranscription de Moussa Diallo pour lefaso.net (samedi 22 novembre 2014).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Transition : Le discours-bilan de Michel Kafando
Michel Kafando reçu par Ban Ki-moon
Michel Kafando a échangé avec ses compatriotes à New-York