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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (4)

Publié le vendredi 21 novembre 2014 à 21h25min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (4)

« La présence d’un militaire à la primature entache le costume civil du nouveau régime, obtenu sous forte pression de l’étranger, et suscite un certain malaise ». Le commentaire de Tanguy Berthemet dans Le Figaro (jeudi 20 novembre 2014) exprime le sentiment général de la presse française : « L’armée entend conserver toute son influence dans le jeu politique ». Pourquoi donc s’en étonner ?

Dans le quotidien algérien El Watan (jeudi 20 novembre 2014), Mohammed Larbi écrit que cette décision « ne manque pas de surprendre » mais rappelle les propos d’un officier proche d’Isaac Zida : « On a négocié le poste de premier ministre. Tout le monde est d’accord. On a convenu qu’on laisse le législatif pour entrer dans l’exécutif à travers le premier ministre. C’est sur cette entente que nous avons cédé le poste du président du Conseil national de transition aux civils ». Selon cette même source, c’est Zida qui serait, aussi, ministre de la Défense nationale : « Après ce qu’on a traversé, il faut quelqu’un qui connaisse bien le corps pour gérer les problèmes ». Le général Emmanuel Beth*, ambassadeur de France au Burkina Faso ces dernières années, dit la même chose : « Cette combinaison et cette répartition des pouvoirs entre les différents acteurs a fait l’objet, avant même l’intronisation de Michel Kafando, d’un accord entre toute les parties. Cette charte a été largement discutée, a fait l’objet de nombreux allers-retours. Et ceci faisait partie des éléments de base de la transition ».

La presse française souligne que cette nomination « semble contraire aux vœux affichés de la communauté internationale, qui souhaitait une transition strictement civile » (La Croix du jeudi 20 novembre 2014). Ce à quoi Salif Diallo, vice-président du MPP, parti des ex-caciques du CDP qui ont rompu avec Blaise Compaoré début 2014, rétorque aussitôt : « Nous ne voulons pas d’immixtion dans nos affaires intérieures ». On notera d’ailleurs que Zida n’a pas forcé les choses ; selon Larbi (cf. supra), citant sa source militaire, il aurait expliqué à Michel Kafando les « termes » de l’accord, « tout en lui disant qu’il n’était pas lié par ce document ». Mais, à 72 ans, et connaissant parfaitement la situation qui prévaut au Burkina Faso, Kafando sait qu’il vaut mieux avoir l’armée avec lui que contre lui. « Moi, je dis que l’armée doit avoir sa place. Alors, ne soyez pas surpris que l’armée puisse véritablement être représentée dans le gouvernement. Déjà, elle est représentée dans le Conseil national de la transition. Je pense aussi qu’elle aura sa place dans le futur gouvernement » a expliqué le futur président du Faso à Boisbouvier (RFI), dès le mercredi 19 novembre 2014, avant de prêter serment devant le Conseil constitutionnel.

On notera d’ailleurs que Zida, avant toute décision définitive, a pris les bons contacts. C’était le jeudi 13 novembre 2014, alors que la situation n’était pas encore débloquée. En fin de journée, il s’est rendu, successivement, chez trois personnalités emblématiques de la Haute-Volta et du Burkina Faso. Tout d’abord chez Me Halidou Ouédraogo. Ce champion des droits de l’homme, après avoir présidé les Tribunaux populaires de la révolution (TPR) lors du procès fait à l’ex-président Sangoulé Lamizana, a dû se résoudre à la clandestinité de 1985 à 1987, ayant « entravé la marche radieuse de la révolution ». Sous Blaise, il sera conseiller juridique à la présidence de la République, avant de se consacrer au Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP).

A près de 70 ans, ayant été victime, voici pas loin de dix ans d’une rupture d’anévrisme qui aura pu être fatale (il a récemment perdu sa fille dans le crash du vol AH 5017 Ouaga-Alger), Halidou, qui a été un des rédacteurs de la Constitution de 1991, a conservé toute sa fougue intellectuelle. Dans un entretien accordé au quotidien privé Le Pays (mardi 17 juin 2014), commentant le mouvement contre la révision de la Constitution, il avait déclaré : « Il y a la naissance d’une opinion forte et c’est très bien que l’on puisse se mobiliser, se rassembler, discuter et échanger. Je pense qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur. Nos militaires, au lieu d’aller en RCA et autres pays, qu’on les mette à la tâche. Qu’ils canalisent et fassent tout pour que notre démocratie s’approfondisse ». C’était moins de cinq mois avant que l’armée entreprenne de « canaliser » et « d’approfondir » la démocratie. C’est donc cet homme qu’est venu saluer Zida. « Je le félicite d’avoir su maîtriser la situation, en gardant son sang-froid et en n’utilisant pas les armes contre la population. S’il a eu l’ordre de tirer sur le peuple et qu’il ne l’a pas fait, cela prouve qu’il est un homme de confiance ; donc je crois en lui pour ce qui est de la remise du pouvoir à un civil », dira Halidou à la suite de son entretien.

Après Halidou Ouédraogo, Zida s’est rendu chez le général Tiémoko Marc Garango. L’homme de Gaoua a aujourd’hui plus de 87 ans. Son nom avait d’ailleurs été évoqué pour assumer la présidence du Faso pendant la transition. Mais on ne peut pas être et avoir été. Or, Garango a été ministre des Finances et du Commerce dans le premier gouvernement militaire du général Sangoulé Lamizana, celui qui a suivi la chute du régime civil de Maurice Yaméogo. C’était le 8 janvier 1966 et il était alors intendant militaire ; il s’occupera des finances de la Haute-Volta pendant dix ans avant d’entamer une carrière diplomatique comme ambassadeur en Allemagne puis aux Etats-Unis. La « Révolution » et la « Rectification » vont le mettre sur la touche. Mais il émergera à nouveau en 1994 comme médiateur du Faso poste qu’il a occupé jusqu’en 2000. En 2013, il était monté publiquement au créneau pour dire que, selon lui, « le Burkina Faso pouvait se passer sans grand dommage d’un Sénat dont l’utilité sociale n’était pas évidente ». Recevant Zida, son cadet, Garango dira lui avoir « prodigué des conseils et des encouragements […] pour le travail abattu ».

La troisième visite de Zida en ce 13 novembre 2014 a été pour Jean-Baptiste Ouédraogo. Cet homme discret, âgé de 72 ans, est docteur en médecine, formé à Abidjan, Bordeaux puis Strasbourg. Médecin-commandant, il a été président du Conseil de salut du peuple (CSP), chef d’Etat, ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants à compter du 26 novembre 1982 à la suite de la faillite du régime militaire du colonel Saye Zerbo (1980-1982). Jean-Baptiste Ouédraogo sera renversé par la « Révolution sankariste » du 4 août 1983. C’est dans le gouvernement de Ouédraogo que Michel Kafando a été ministre des Affaires étrangères et de la Coopération après l’avoir été dans celui de Saye Zerbo. « Nous sommes à un tournant décisif de l’histoire de notre pays ; donc c’est le moment où il faut beaucoup de discussions, d’coute, de patience, de travail, de prospection pour que nous puissions sortir la tête haute de cette situation, dira l’ancien chef d’Etat, Jean-Baptiste Ouédraogo. J’ai la conviction que nous allons nous sortir de cette crise. Je peux dire que nous sommes sur la bonne voie. Je rappelle une fois de plus à toute la population d’être tolérante pour que la paix règne au Burkina Faso ».

De ces entretiens au cours desquels il a reçu l’onction des anciens, Zida dira être sorti « encouragé et réconforté ». « Nous ne pouvons pas choisir quelqu’un qui ne sera pas à la hauteur pour assurer la transition ; donc, voilà pourquoi nous sommes toujours en concertation ». C’était il y a une semaine. Depuis le Burkina Faso s’est doté d’un président de la transition et d’un premier ministre. On attend l’annonce de la composition du gouvernement et du Conseil national de transition.

* Entretien avec Christophe Boisbouvier, RFI, jeudi 20 novembre 2014. A noter que dans cet entretien, le général Emmanuel Beth, ambassadeur de France au Burkina Faso jusqu’en 2013, dit ne pas connaître « du tout » le colonel Zida. « Je ne l’avais jamais rencontré dans mes fonctions précédentes ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 21 novembre 2014 à 22:45, par GARÇON FACILE En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (4)

    DÉCIDÉMENT Mr BEJOT, S’IL VOUS PLAIT, VEUILLEZ CONSACRER VOTRE TEMPS ET VOTRE ÉNERGIE À LA FRANCE QUI EN A TANT BESOIN AVEC CES CRISES POLICO-ECONOMIQUES. PAR PITIÉ, ET POUR L’AMOUR DE DU VRAI, DU GRAND DIEU (JE NE PARLE PAS DE VOTRE DIEU COMPAORÉ) LAISSER LE BURKINA ET LES BURKINABÉ AVANCÉS. Mr BEJOT, JE NE CESSERAI DE LE DIRE, VOTRE DIEU BLAISE COMPAORÉ A ÉTÉ DÉGAGÉ. CE N’EST PAS LA PEINE DE RETOURNER VOTRE VESTE. TANTÔT LE BURKINA VA SE DÉSINTÉGRER, PATATI PATATA. VRAIMENT VOUS FATIGUER QUOI. Mr BEJOT SORTEZ DE VOTRE RÊVE DE 27 ANS ET LISEZ CECI : LA PATRIE OU LA MORT NOUS VAINCRONS. Mr BEJOT, THOMAS SANKARA NE MOURRA JAMAIS. DÉSOLÉ C’EST PLUS FORT QUE VOUS DONC VOUS N’Y POUVEZ RIEN, VRAIMENT RIEN.

  • Le 23 novembre 2014 à 10:05, par LeBurkidePuteau En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (4)

    Ou comment Zida utilise des anciens respectables pour se donner une onction. A vrai dire, je ne vois pas dans les propos des 3 anciens (Halidou, Marc Garango et JBO) un quelconque soutien à poursuivre, mais une sorte de remerciement pour le travail abattu. De là à usurper le pouvoir au motif que les meilleurs dans la situation ce serait les militaires, c’est un glissement très dangereux qu’il convient d’endiguer avant que ces militaires ne se prennent pour des messis. Les mesures populistes une fois ça passe. Maintenant, la Constitution est retablie et il va falloir faire fonctionner les instruments de l’Etat de droit et laisser surtout travailler la justice.

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